1x07 - Mauvais esprit (5/15) - Clash

Lorsqu'on sonne à la porte, en fin de matinée, Mae se dévoue pour aller répondre, la plus proche car dans le canapé du salon, à feuilleter des magazines féminins sur un tablette. Markus et Caesar sont dans leurs chambres, sans doute à travailler pour le premier et à chasser le troll ou quelque autre monstre virtuel pour le second. Quant au père de la famille, il est dans son bureau, à avancer sur l'un de ses projets de robotique personnels. L'adolescente signale au reste de la maisonnée qu'elle s'occupe de l'accueil, à la volée, puis va ouvrir, laissant sa lecture sur la table basse.

Elle est à deux doigts de claquer la porte au nez de celui qui se tient sur le seuil, dès qu'elle l'aperçoit. Elle ne se retient qu'en serrant sa prise à s'en faire blanchir les phalanges. Elle perd également le sourire, et son regard s'assombrit.

— Hey, Mae, la salue Nelson, mains dans les poches et affichant un sourire contrit, voyant qu'elle n'a pas l'intention d'engager la conversation.

— Qu'est-ce que tu fais là ? elle lui demande sèchement, croisant les bras.

— J'aime pas la façon dont on a laissé les choses hier, l'adolescent essaye de tendre une branche d'olivier, à la fois penaud et plein d'espoir.

— Tu aurais pu y penser avant de nous cacher que tu sortais avec quelqu'un. Non, en fait, avant de nous cacher que tu sortais avec ELLE, lui rétorque la petite blonde, jugeant qu'elle a déjà fait tous les efforts qu'elle avait à faire.

— Je l'ai pas vraiment caché, tente de se justifier Nelson, toujours sous l'impression que son amie exagère la gravité de ce qu'il a fait.

— Bah dis donc, soit on est aveugles, soit on a vraiment un timing pourri pour vous avoir jamais vus ensemble ! raille la jeune fille, invalidant l'argument.

— T'as parlé à Ellen ? il tique, puisque c'est la deuxième fois que Mae utilise la première personne du pluriel.

— Pas encore. Mais dès qu'elle sera de retour, je vais pas manquer de tout lui raconter, lui apprend la petite blonde, menton haut et bras toujours croisés.

— Tu vas sérieusement la retourner contre moi ? s'offusque l'adolescent, qui ne pensait pas que la dispute irait aussi loin.

— Je vais pas avoir besoin de faire quoi que ce soit, puisqu'elle sera d'accord avec moi, déclare Mae, fermée.

— Tu te rends compte de ce que tu es en train de faire, là ? il tente de la raisonner, avant que la situation ne dégénère vraiment.

Aussi loin qu'il se souvienne, il ne s'est jamais réellement fâché avec Maena.

Ils se sont rencontrés lorsqu'ils avaient sept ans, dans un couloir du commissariat du dix-huitième district. Elle lui a proposé un bonbon d'un paquet que lui avait donné son oncle pour la faire patienter, et ce simple geste innocent a suffi à souffler à l'inspecteur responsable de son dossier à l'époque d'insister pour qu'il soit envoyé dans la même école qu'elle, après son adoption. La nièce d'un collègue ne pouvait être qu'une bonne influence sur le jeune abandonné, ne serait-ce que dans un premier temps. Une fois là-bas, elle était cependant la seule personne qu'il connaissait déjà, et est par conséquent rapidement devenue sa meilleure amie. De son côté, elle avait perdu sa mère l'année passée, et était donc particulièrement compatissante à sa situation. Ces circonstances, bien que liées au hasard, ont ainsi contribué à construire une amitié aussi solide que de longue date, malgré les différences initiales de taille entre les deux amis.

Toujours est-il qu'ils ne se sont jamais réellement battus. Ils se connaissent trop bien pour ça. Chaque désaccord tourne à la plaisanterie, chaque débat est constructif, et tous les faux pas de l'un envers l'autre sont rapidement passés outre sans rancœur. Pourquoi cette fois serait-elle différente ?

— Ce que JE suis en train de faire ? la petite blonde retourne son observation à Nelson, tenant sa position sans broncher.

— Mae, j'ai une copine. C'est pas ta personne préférée du bahut, je comprends, mais c'est pas la peine de réagir comme ça ! insiste le grand ado, hésitant entre la secouer et la supplier.

— Pas ma personne préférée ? C'est le moins qu'on puisse dire. C'est la personne préférée de personne. Elle pourrit la vie de tout le monde ! Mae développe la description de la grande rousse à son sens.

— De un, en quoi elle te pourrit la vie ? De deux, je pensais ça aussi, mais elle est pas comme ça, en fait, objecte Nels, raisonnable, lui.

— Tout le monde doit toujours être aux petits soins pour la satisfaire, son opinion fait soi-disant loi sur tout, personne n'ose jamais lui faire le moindre reproche, … Je trouve juste ça insupportable sur le principe ! Et tu ne me feras pas croire que c'est juste une façade, parce que personne de bien n'entretiendrait un masque pareil avec autant de conviction, la petite blonde argumente son jugement de la nouvelle petite amie de son camarade.

— Donc, ton avis prime sur le mien, c'est ça ? il se permet de mettre en évidence le double standard qu'elle est en train d'appliquer.

— J'essaye juste de te protéger, elle justifie son attitude.

— Je suis un grand garçon, et t'es pas ma mère, il lui retourne, reprenant sans le faire exprès l'une des piques lancées par Sarah la veille, ce qui a pour effet d'irriter Mae encore un peu plus.

— Fais comme tu veux, mais ne viens pas pleurer quand tu te rendras compte qu'elle s'est foutue de toi ! elle insiste sur son inquiétude, quoique sur un ton agressif.

— J'ai pas besoin de ton sceau d'approbation sur tout ce que je fais ! s'énerve finalement à son tour Nelson, en arrivant lui aussi au stade où il n'a plus envie de faire d'effort pour convaincre, et encore moins pour se faire pardonner.

— Qu'est-ce que tu fais là, alors ? lui jette durement Mae, lui rappelant que c'est lui qui est venu sonner à sa porte, pas l'inverse.

— Très bien ! Je pars ! il lui répond, tournant immédiatement les talons.

Tout en se retenant de lui dire au revoir sous quelque forme que ce soit, la petite blonde le regarde tout de même s'éloigner à grands pas furibonds le long de l'allée puis du trottoir. Il ne se retourne à aucun moment.

Se brouiller avec son plus vieil ami ne fait pas plaisir à l'adolescente, mais elle ne pense pas avoir eu le choix. Elle croyait lui avoir exposé ses objections avec suffisamment de clarté la veille pour qu'il n'essaye plus de se défendre, et au moins la laisse penser ce qu'elle veut, même sans changer son propre avis. Très honnêtement, elle était tout à fait prête à l'ignorer royalement le temps que la reine peste se lasse de lui, mais il a fallu qu'il veuille la forcer à l'accepter. Et ça, ce n'est pas près d'arriver.

Claquant la porte d'entrée derrière elle, Mae n'est pas ravie de se rendre compte qu'elle n'a plus la tête à lire des magazines féminins. Avec un soupir exaspéré, elle remonte dans sa chambre, sachant qu'elle y trouvera bien une activité qui parviendra à la distraire de ce qui vient de se dérouler. C'était sans compter sur la fresque qui occupe l'un de ses murs, où figure le visage de Nelson un peu partout. Qu'à cela ne tienne, ce qui lui changera les idées sera donc de reconfigurer cette mosaïque !

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