1x07 - Mauvais esprit (3/15) - Pas de loup

Rentré juste avant minuit la veille au soir, Markus a tout de même mis un point d'honneur à ne pas se lever trop tard ce matin. Il n'a pas réussi à être debout avant son père, mais il était au moins sur pieds avant que son frère ne revienne de chez Jack, et surtout avant sa sœur, ce qu'il considère comme une victoire en soi, quelles que soient les circonstances.

Après une routine matinale classique, il a d'abord voulu se remettre au travail, mais n'a pas réussi à se convaincre de repousser l'échéance d'une discussion avec son père plus longtemps. Il s'est cherché des excuses, comme la date un peu fatidique, trop proche de son anniversaire de mariage, ou tout simplement la possibilité qu'il dise non, voire pire décide de contacter les autorités malgré les risques que la jeune femme encourt, mais aucune de ces objections n'a tenu ; Alek est raisonnable, il n'y a aucune raison qu'il réagisse à l'extrême. Et Markus se doit de toute façon de lui en parler, ne serait-ce que pour Caroline. C'est l'une de ces situations où l'inaction n'est pas une option.

L'étudiant laisse donc ses schémas d'anatomie féminine de côté sur son bureau et descend à l'étage inférieur, en quête de son paternel. Les week-ends, ce dernier est souvent dans son laboratoire, une pièce légèrement en contrebas des autres et sans fenêtres, au fond de la maison. L'ingénieur en a fait une cage de Faraday et y travaille ainsi en absolue sécurité et autonomie. C'est son sanctuaire, où aucune donnée n'entre ou ne sort sans son expresse permission.

— Hey, Papa. Je peux te parler d'un truc ? le jeune homme demande à son père en se penchant par l'encadrement de la porte, comme souvent ouverte, lorsqu'il ne travaille sur rien de sensible ou potentiellement dangereux.

— Ça semble sérieux, répond le quadragénaire en se détournant de ses écrans, faisant pivoter sa chaise de bureau pour faire face à son fils.

— Ça l'est, ne cache pas l'étudiant, honnête.

— Je t'écoute, l'encourage l'ingénieur, sans même sourciller.

— Jena est passée, hier, commence Markus, se disant que la chronologie est toujours un ordre facile à suivre, pour locuteur comme interlocuteur.

— Oh. Comment va-t-elle ? Je pensais justement te demander de ses nouvelles, s'enthousiasme Aleksander, sur qui la jeune femme avait fait bonne impression lors de son séjour parmi eux, souriante et serviable.

— Elle va bien. Tu te souviens que sa sœur est à l'hôpital ? Mark s'assure, pour ne pas avoir à revenir en arrière par la suite.

— Oui, bien sûr. Pourquoi ? son père commence seulement à chercher où il veut en venir, le sentant se disperser.

Comment oublier une histoire si tragique ? Jena n'en a parlé qu'une fois, à table, mais ça avait suffi pour qu'aucun membre de la famille n'aborde plus le sujet avec elle par la suite, la sentant beaucoup trop réticente. Et pour preuve, elle ne l'avait jamais à nouveau abordé d'elle-même.

— Parce que Jena pense avoir trouvé quelque chose qui aurait pu la mettre dans l'état où elle est, et elle aurait voulu que tu y jettes un œil, lâche ensuite le fils aîné d'une traite, partisan de la méthode du sparadrap lorsqu'il est question d'une épreuve difficile.

— Est-ce que les enquêteurs spécialisés de l'hôpital sont dans une impasse ? demande son géniteur, pressentant bien qu'il y a anguille sous roche mais choisissant de ne rien laisser paraître.

Il connaît son fils, et la façon dont il a ses deux mains dans ses poches avant, ainsi que son rythme de parole élevé, le trahissent. Néanmoins, l'objection est parfaitement légitime : il a du mal à voir en quoi son expertise pourrait être plus adaptée que celle d'enquêteurs médicaux lorsqu'il est question de soin à la personne. À être tout le temps à l'hôpital pour rendre visite à sa petite sœur, Jena doit forcément s'être entretenue avec eux à un moment ou un autre, et ainsi avoir conscience de l'étendue de leurs connaissances. Et en tant qu'étudiant dans le domaine, Markus est d'autant plus au courant qu'elle de leur formation. La seule explication pour qu'ils se tournent tous les deux vers Alek est donc que l'équipe médicale soit coincée dans son examen des preuves, et ait besoin d'un appui externe. Ce sont des choses qui arrivent.

— Oui, en fait ! Ce serait quelque chose de trop… pointu pour eux, Markus saute maladroitement sur l'occasion que lui offre son père de ne pas s'étendre sur les détails de la situation.

Il ne sait pas trop pourquoi, d'ailleurs. Il n'a aucune honte à avoir. Il n'a rien fait de mal. Et Jena non plus. Au pire, ils sont des victimes de circonstances. En tous cas, c'est ce dont il essaye de se convaincre. Si seulement Rob ne lui avait pas glissé cette idée selon laquelle dénoncer le groupe dissident serait la meilleure chose à faire, au lieu de simplement chercher à les éviter, il ne se sentirait pas aussi mal à l'aise à cet instant précis. Il n'aime pas cacher des choses à son géniteur, mais il n'a pas envie de risquer qu'il ne soit pas d'accord avec lui sur la marche à suivre.

— Pointu ? relève l'ingénieur, fronçant imperceptiblement les sourcils, amusé.

À vrai dire, il se demande seulement ce que son fils peut bien vouloir lui cacher. Ou penser qu'il doit lui dissimuler, en tous cas.

— Technologiquement parlant, confirme l'étudiant avec le moins d'hésitation dont il est capable à ce stade de la conversation.

Encore une fois, Alek fait confiance à ses enfants. Il leur a donné tous les moyens d'être en mesure de porter un jugement correct sur ce qui se passe autour d'eux, tout en restant honnêtes et généreux. C'est la façon dont il a lui-même été élevé, et bien que cette éducation lui ait parfois causé des ennuis face à des individus moins bien intentionnés que lui, il est convaincu que sa vie n'en est rendue que plus belle sur le long terme. Il serait cependant très heureux s'il pouvait justement éviter à sa progéniture d'être confrontée aux mêmes problèmes que lui.

Autant qu'il peut en juger, Markus veut sincèrement venir en aide à la petite sœur de son amie, ça, ce n'est pas à remettre en question. Mais il sait par ailleurs que ce soutien implique d'enfreindre quelques règles, sans quoi il ne serait pas si fuyant en face de son père. Et malgré cela, il semble tout de même convaincu que c'est la bonne chose à faire. S'il est louable de sa part de prendre des risques pour une bonne cause, et de vouloir les épargner à son père en le gardant dans une obscurité relative, Alek préférerait tout de même s'assurer qu'il ne peut pas le protéger d'éventuelles retombées qu'il pense naïvement pouvoir gérer seul. D'eux deux, c'est encore lui l'adulte.

— D'accord. Fais venir Jena, qu'elle me montre ce qu'elle a, l'ingénieur accepte la requête initiale sans plus de questions, à la plus grande surprise de celui qui l'a émise.

— Vraiment ? Er, je veux dire, d'accord. Je l'appelle tout de suite. Merci, Papa, Markus doit s'y prendre à deux fois avant de percuter qu'il a obtenu gain de cause avec aussi peu de résistance.

Normalement, le protocole dicte que ce soit l'équipe de soignants qui contacte un éventuel expert extérieur, au besoin, pas la famille du patient. Et il est impossible que l'ingénieur l'ignore. Mais son fils aîné est trop agréablement surpris de n'avoir rien eu à aborder de délicat lors de cet échange qu'il préfère ne pas soulever lui-même les incohérences de sa demande. Peut-être Alek pense-t-il que Jena s'adresse directement à lui par courtoisie, après tout, voulant s'assurer de sa participation avant de glisser son nom à l'hôpital. Ce qui signifierait que la découverte de leur volonté d'éviter les services officiels n'est que partie remise, mais c'est toujours ça de gagné pour Markus.

— Mais de rien, lui répond son père, avec un sourire bienveillant.

Alors que le jeune homme se défile en vitesse pour aller contacter son amie, avant que son père ne devienne encore plus suspicieux qu'il ne l'est sans doute déjà de son comportement étrange, Aleksander fait un tour sur sa chaise à roulette, songeur. Jena devrait avoir moins de scrupules que son propre fils à partager les détails litigieux de la situation. Il est sûr que ce n'est rien de très grave, et n'aime pas se montrer méfiant de la sorte, mais dès qu'il est question de ses enfants, il préfère toujours se montrer excessivement prudent.

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