1x07 - Mauvais esprit (1/15) - Grasse matinée

Elle voit la lumière qui clignote, la laissant plongée dans la pénombre par intermittence seulement, mais n'éclairant hélas rien du tout le reste du temps. Elle est secouée, ou plutôt remuée, un peu comme si elle était sur un bateau. La nausée monte, sans aboutir à grand-chose. Alors que tout reste flou autour d'elle, elle croit enfin distinguer les lettres d'une veste de sport, beiges sur fond rouge. Il lui semble connaître cet inconnu près d'elle. Ou tout du moins le reconnaître. On la dépose, sur une surface plane ni molle ni dure. Il y a des visages autour d'elle, qu'elle replace à peine. Yeux noirs, yeux sombres, yeux pâles ; des iris dans des teintes de marron du clair à l'obscur. Courtes mèches noires, mèches brunes, longues mèches blondes ; des cheveux aux coloris et aux longueurs tout aussi dégradés. Les traits de celui-ci l'intriguent, ceux de celle-ci l'effraient, mais lui, il la rassure. Elle a chaud et froid à la fois, ressentant simultanément fièvre et frissons. Un grésillement s'élève, semblable à celui d'une ampoule qui grille en tout sauf la durée. Il devient strident avant que le silence ne s'abatte. En douceur, on touche sa main, son cou, son front. Puis plus rien.

Maena se réveille dans son lit, ouvrant les yeux comme une fleur, sur sa fenêtre aux rideaux ouverts, laissant entrer la lumière du jour à grands flots.

L'adolescente se redresse en position assise sur son matelas et passe une main dans ses cheveux embroussaillés, désorientée. Elle ne se souvient pas d'être rentrée la veille. Mais parallèlement, elle n'est pas non plus certaine d'être sortie. Est-ce qu'elle n'a pas rêvé s'être relevée, changée, et être allée courir puis se perdre ? Être partie trop loin trop vite ? Ça ne l'étonnerait pas que ça ait simplement été une métaphore tordue trouvée par son esprit pour intégrer ce que Nelson a fait dans son dos. Car ça, elle est sûre que ça s'est bel et bien produit, malheureusement.

Enrageant et nauséeuse au souvenir de Sarah Degriff dans les bras de son meilleur ami, sur cette balançoire qu'elle ne pourra plus jamais regarder comme avant alors qu'elle y a passé des heures et des heures, Mae se laisse retomber en arrière. Elle attrape un oreiller à sa droite pour venir le plaquer sur son visage. Elle crie dans le coussin en se souvenant qu'elle a trouvé le couple mignon avant d'en avoir identifié tous les membres, s'écœurant toute seule.

Après avoir rejeté le sac de plumes à sa place, à côté d'elle, elle reste encore un instant couchée les bras en croix, à reprendre son souffle, les yeux rivés sur son plafond comme pour voir au travers.

En se rendant compte d'à quel point l'exercice vient de la calmer, elle se demande pourquoi est-ce qu'elle n'a pas pensé à faire ça la veille. Ça aurait peut-être pu l'aider à s'endormir. Ou en tous cas à ne pas faire cet étrange rêve décousu.

Repoussant complètement sa couette, Mae se lève, dans son pyjama bleu clair, et cherche machinalement sa montre, qu'elle pose habituellement sur sa table de chevet avant d'aller se coucher. Comme elle ne trouve pas l'objet à sa place, elle se voit contrainte d'activer brièvement la surface intelligente de son bureau lorsqu'elle passe à côté, en chemin vers la porte, pour savoir l'heure. Elle découvre alors avec une grimace que la matinée est déjà bien avancée. Elle sait qu'elle devrait s'en vouloir, mais elle se sent si reposée qu'elle n'y arrive pas. Et puis, c'est le dernier jour des vacances, alors autant en profiter.

- Hey, Mae. C'est à cette heure-ci que tu te lèves ? l'interpelle Caesar lorsqu'elle sort de sa chambre, alors qu'il remonte justement les escaliers, son sac à l'épaule.

- C'est à cette heure-ci que tu rentres ? lui retourne sa petite sœur du tac au tac, plus réveillée qu'il ne l'aurait cru à son échevellement.

- Ouais. Tu as raté la limousine, il répond cependant avec sérieux, ajustant la bretelle de son bagage, faisant référence au véhicule qui vient tout juste de la ramener de chez les Nimbleton.

- Cool ! s'exclame la blondinette, hochant la tête avec appréciation.

Elle trouve que Jack peut vraiment être une plaie, par son arrogance et tout ce qui en découle, mais elle ne peut pas nier qu'il présente aussi ses avantages. Non pas que ceux en nature soient les plus intéressants. Elle lui en doit encore une pour avoir donné accès aux sources du journal à Ellen lors de son obsession passagère pour le mystérieux mécanicien qui rôde autour de leur lycée, par exemple. Même en fin de compte si leur enquête n'a pas mené à grand-chose.

- T'as l'air fatiguée. Mal dormi ? s'enquiert ensuite son plus jeune aîné, décidément perturbé de la trouver encore en pyjama au beau milieu de la matinée, même un Dimanche.

- J'ai fait un rêve un peu bizarre… avoue Mae, plissant les yeux dans son effort pour s'en souvenir en détails.

- À propos de quoi ? lui demande Caesar, curieux.

- J'étais en train de courir. Il faisait nuit. Et je crois que je rencontrais le type qui traîne autour du lycée, tu sais, celui avec la casquette. Et on… dansait ? Et après il y avait le motard mécano. Et Strauss. Et aussi cette dame blonde, sauf qu'elle avait une grosse mèche bleue. Waw, j'ai fait une sacrée soupe ! elle retrouve morceau après morceau, sans arriver à faire sens de ce qui se dessine, comme c'est souvent le cas avec les rêves.

- Tu cours tellement ces temps-ci, je suis pas surpris que ça détraque ton sommeil, commente son frère, incapable de rebondir sur le reste de ce que son inconscient semble avoir concocté.

- Markus m'a fait pratiquement la même remarque hier. Mais je crois que j'ai fini de courir, c'est bon, elle lui apprend, semblant s'en rendre compte elle-même en le disant.

- Il y a pire, comme lubie, se rattrape Caesar, ne voulant surtout pas qu'elle abandonne une bonne pratique à cause d'un stupide commentaire de sa part.

- Je sais, mais je pense que ça a rempli son rôle. J'ai été tendue comme un arc, ces deux dernières semaines, et puis tu vois, là, c'est passé, elle insiste dans sa décision, sans mentir.

Malgré cet étrange rêve incohérent, elle se sent parfaitement reposée. Elle ne sait pas si c'est effectivement toute cette course à pied qui a fini par faire son œuvre, ou bien si c'est simplement d'avoir réussi à dormir si longtemps, mais elle se sent enfin elle-même pour la première fois depuis des semaines. C'est peut-être même de s'énerver après Nelson qui a remis ses propres pendules à l'heure, qui sait.

- Content de l'entendre, approuve le grand frère.

Avec un sourire et un hochement de tête, il libère le passage vers le rez-de-chaussée et s'engouffre dans sa chambre, pour aller y ranger les affaires qu'il avait emmenées chez Jack. Mae descend quant à elle vers la cuisine, pour un petit-déjeuner tardif. Elle est peut-être bien reposée, mais elle est par ailleurs singulièrement affamée.

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