1x07 - Mauvais esprit (10/15) - Théories

Toujours au commissariat, Patrick et Sam ont commencé à mettre au point un tableau similaire pour l'affaire Lance qu'ils l'avaient fait pour l'affaire Pierce. La structure est toujours sensiblement la même d'une enquête à l'autre : photos de la scène au centre, informations sur la victimes et ses proches sur la gauche, et à droite les éléments comme la géographie ainsi que plus tard les preuves matérielles. Chaque duo d'inspecteurs a ses petites habitudes, mais même d'une équipe à l'autre, ça se ressemble beaucoup, ne serait-ce que pour faciliter la consultation des dossiers après leur archivage dans la base de données centrale.

— D'accord, balance tes théories, lance Sam à son partenaire, après s'être rassis dans son siège et avoir considéré leur ouvrage pendant près d'une minute, mains jointes par le bout des doigts devant lui.

— Huh ? éructe l'autre en relevant le menton du relevé bancaire qu'il était en train de consulter.

— On a accumulé tous les éléments qu'on pourra amassés un Dimanche. C'est l'heure des hypothèses, précise Sam, l'incitant du geste à commencer.

Le principe est simple : l'un d'entre eux suggère des scénarios potentiellement plausibles étant donné la situation considérée, et l'autre doit objecter ou valider les suppositions émises en fonction de ce qu'il a vu dans les divers rapports déjà disponibles, afin de réduire le champ des possibles dans lequel ils vont évoluer par la suite. Ça permet de fermer des portes d'entrée de jeu, et en même temps s'approprier les premiers détails de l'affaire, dont ils n'ont pas forcément autant connaissance l'un que l'autre, n'ayant pas consulté les mêmes documents, et même lorsque c'est le cas, n'en ayant pas toujours retenu exactement la même chose.

— Je préfère attendre les résultats du labo. Ça va nous changer, d'avoir enfin des indices potables, Pat s'oppose cependant à cet exercice pour le moment.

— On a une substance jaunâtre sous les ongles de la victime. D'accord, on est sûrs qu'elle a été recueillie pendant la bagarre, mais j'ai pas envie de me tourner les pouces en attendant les bilans d'analyse, proteste Sam à son tour.

Ils sont certains que la substance en question est arrivée sous les ongles de la victime durant la bataille parce qu'elle est mêlée à son sang. C'est effectivement un indice plus encourageant qu'ils n'en ont eu pour Joseph Pierce, mais si les preuves matérielles sont indispensables pour coincer un coupable, elles n'excluent pas de reconstruire le déroulement des évènements qui ont mené au meurtre.

— Très bien ! Er… Collègue de bureau, Randers se prête finalement au jeu, accusant machinalement les proches de la victimes.

— Elles ont toutes les trois pu être contactées. D'après les uniformes, elles semblaient sincèrement choquées d'apprendre la mort de Teresa. Et d'après leurs dossiers, elles étaient toutes copines depuis l'université. Pas de conflit majeur dans le studio créatif, pas de compétition notable, rien à signaler de particulier de leur côté, l'oncle explore la proposition de son partenaire, vérifiant ses informations dans les comptes rendus étalés sur son bureau, qu'il a lus un peu plus tôt.

— Elles pourraient être toutes dans le coup. Tu vas pas me faire croire que quatre nanas bossent ensemble et qu'elles se crêpent jamais le chignon, soutient Patrick, jugeant que sa théorie reste valide malgré ce que vient de dire son coéquipier.

— Il y a un pas entre des querelles de filles et le meurtre. Aussi, j'ai du mal à croire qu'une femme tuerait une femme enceinte, continue à lui opposer Quanto, sans animosité, juste parce que c'est leur méthode.

— D'accord, donc… Histoire de cœur ? dévie Pat de sa proposition initiale.

— Elle a informé le père biologique de sa grossesse dans les temps, et il a signé une décharge de responsabilité sans discuter. Elle n'a pas eu d'autre relation depuis lui, rebondit Sam comme précédemment, écartant un fichier pour accéder à un autre qu'il masquait.

— Non, je veux dire avec les collègues, le corrige son coéquipier, signifiant qu'il n'a pas purement et simplement changé d'idée.

Sam fronce les sourcils à cette étrange tournure du raisonnement de son ami, mais fait à nouveau bouger les documents sous ses yeux pour pouvoir répondre correctement.

— Deux de ses associées sont mariées, et l'autre a un petit ami à long terme. Et je reste sur mon opinion qu'une femme ne tue pas une femme enceinte. C'est con, mais c'est ma limite, Sam revient à contrecœur sur le cas des trois designers d'automobiles.

— Mais peut-être que l'un des hommes l'a fait. Peut-être qu'il y avait de la tromperie dans l'air, et que le bébé ne venait pas du coup d'un soir qu'elle a désigné, finalement, suggère alors Patrick, allant un peu loin sans encore tomber dans l'irrationnel.

Ils ont malheureusement tous les deux déjà découverts des situations bien pire que celle qu'il vient d'imaginer.

— Si c'était le cas, le type aurait été parfaitement couvert par le fameux coup d'un soir ; pourquoi il aurait eu besoin d'aller tuer sa maîtresse ? raisonne l'oncle, essayant de se mettre à la place du meurtrier.

— Pour la faire taire. Peut-être qu'elle a menacé de tout déballer à la femme bafouée, répond Pat, se prêtant lui aussi au raisonnement d'un tueur.

— De toute façon, je t'arrête tout de suite, on a les résultats de tous ses examens obstétriques, et le bébé était bel et bien du père qu'elle a déclaré. Même si elle avait menti à son amant, j'ose espérer qu'il aurait vérifié, avant de la tuer. Et puis bon, je ne pense pas que Teresa ait été ce genre de fille. Elle dormait avec un ours en peluche, pour l'amour du ciel ! Sam fait barrage à l'hypothèse avec ferveur.

— D'accord. Er… Père en colère, alors ? Peut-être qu'il a regretté d'avoir signé la décharge et qu'elle ne voulait pas revenir dessus. Ou peut-être qu'il s'est découvert un problème avec le fait qu'elle en particulier soit la mère de son enfant, dévie une nouvelle fois Randers, sans relâche quand il est question d'éliminer des scénarios.

— La décharge était ouverte à sa présence dans la vie du gamin, c'était au contraire pour le protéger d'elle, qu'elle ne puisse légalement rien lui réclamer, ce genre de choses. Et j'ai du mal à croire qu'il décide qu'il ne veut aucune progéniture des mois après avoir signé sans souci. C'est un truc que tu sais, Sam est une nouvelle fois catégorique.

Patrick grimace et se recule dans son siège, songeur. Sing Sing, aux pieds des deux inspecteurs, couché la tête sur ses pattes, lève les yeux vers lui, comme compatissant à sa perplexité.

— J'ai quand même envie de dire que ça a un rapport avec sa grossesse. C'est pas anodin. On peut pas avoir envie de tuer quelqu'un au point de pas pouvoir attendre qu'elle soit plus enceinte. Elle en était à combien de semaines, déjà ? reprend Pat, à court d'idées plus définies mais ne disant pas son dernier mot.

— D'après son RFSD, elle était dans la vingt-neuvième. Soit à neuf semaines de son terme, lui rappelle le maître-chien en face de lui, avec un soupir, déprimé par son propre propos.

— C'est même pas trois mois. Il y a pas moyen que celui qui l'a tuée n'en ait pas aussi eu après son enfant, insiste Randers, tapant de l'index sur son bureau pour marquer sa conviction.

— Fils, en fait. Elle ne voulait pas savoir, mais elle aurait eu un garçon, Sam précise malgré lui, comme happé par le désespoir qui englobe toute cette affaire.

— Mec, j'avais pas besoin de savoir ça ! l'admoneste son partenaire, se penchant en avant pour prendre son visage dans ses mains.

— Ouais, moi non plus. Mais je suis d'accord avec toi, il y a forcément un lien avec sa grossesse, se reprend l'oncle, revenant à un commentaire un peu plus constructif.

— Tu sais quoi : j'en ai marre. Tu l'as dit, on trouvera rien de plus aujourd'hui, et je suis tanné. Je rentre chez moi, annonce alors Patrick en se levant de son siège, saturant d'un coup d'un seul de toute cette terrible histoire.

Incapable de trouver une objection valable à cette décision, ne serait-ce que parce que lorsque Patrick atteint son seuil de tolérance il n'est d'aucune utilité, même si ses raisons pour en arriver là ne sont pas forcément logiques, Sam lui accorde un vague grognement d'approbation, ses yeux dans le vide alors que son partenaire rassemble ses affaires et quitte son poste. Lorsqu'il lui pose la main sur l'épaule, pour le saluer en chemin, il se lève à son tour et récupère lui aussi sa veste pour partir. En le voyant se préparer, Sing Sing en fait de même, se mettant sur ses pattes, s'ébrouant, puis s'étirant.

Après une journée pareille, n'importe qui aurait besoin d'air. Et d'ordinaire, l'oncle fait justement usage de ses Dimanches pour aller promener son chien, ce qu'il n'a donc pas pu faire aujourd'hui. Il a par conséquent deux fois plus envie de se changer les idées que la réception d'une affaire aussi sordide ne lui aurait donné n'importe quel autre jour de la semaine. Sauf qu'il n'a plus vraiment le temps d'aller faire le tour d'un de ses parcs habituels. Son chien et lui ont déjà bien marché la veille. À la place, il a cependant une autre idée, qui devrait en plus doublement lui remonter le moral.

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