1x06 - Jolis Cœurs (4/16) - Angie
D'un pas solennel, Alek franchit le grand portail de fer forgé du Graceland Cemetery. Sans accélérer l'allure, il avance lentement entre les arbres parfois centenaires, dont le feuillage commence à peine à montrer le bout de son nez, en cette mi-Février. Il traverse plusieurs allées, et même un petit pont surplombant un fin ruisseau. Le quadragénaire jette vaguement un œil aux mausolées massifs qu'il contourne, mais sa destination est une pierre tombale rectangulaire, toute simple, à plat sur le sol, qui lit "Jude Angela Quanto", au-dessus de deux dates, une rangée de symboles, et quelques platitudes bienveillantes.
L'ingénieur met genou à terre dans le gazon bien entretenu, et dépose le pot de fleur qu'il tenait précautionneusement dans ses mains devant la sépulture de son épouse. La plante est un bonzaï, qu'Aleksander entretient tout au long de l'année, et ramène à chacune de ses visites. L'idée de laisser des fleurs ici, à faner, ne lui plaît pas, et aurait encore moins plu à sa femme.
— Hey, Angie, il la salue, avec un sourire triste mais serein.
Il ne vient pas ici souvent. Il se l'est refusé, après l'enterrement. Il ne voulait pas être hanté par le souvenir de sa perte, mais au contraire conserver l'image d'elle vivante, autant pour lui-même que pour ses enfants, encore jeunes à l'époque. C'est ce qu'elle aurait voulu. Il ne lui rend donc visite ici qu'une fois par an, pour leur anniversaire de mariage. Il lui parle de toute façon tout le temps, sans avoir besoin de se déplacer au cimetière. Elle est toujours un peu avec lui.
Il estime cependant que faire le déplacement reste important, et profite chaque année de cette occasion pour faire le point.
Mais si d'habitude il n'a que des bonnes nouvelles à lui rapporter, cette fois va être différente. Oui, leurs enfants grandissent toujours en beauté, leur fille lui ressemble un peu plus chaque jour, et leur famille se porte bien. Tout cela est toujours vrai. Mais il ne peut pas ignorer les évènements récents.
Il sait bien que rien de ce qui est arrivé à Caesar et Mae n'est sa faute. Malgré le message d'avertissement reçu par son informateur anonyme, il n'aurait rien pu faire de plus. Mais il ne peut pas s'empêcher de se sentir coupable. Ils se sont promis tant de choses, tous les deux. Des choses peut-être un peu niaises, à en juger par l'hilarité qu'a retenue Sam durant leur cérémonie de mariage, mais des serments qu'ils ont toujours tenu à honorer.
Il y a déjà tant de leurs projets qui ont été coupés court par le départ prématuré de Jude, tant d'aventures qu'ils auraient dû aborder ensemble et qu'Alek n'a pu que traverser seul. Leurs enfants sont tout ce qu'il lui reste d'elle, de son imprévisibilité, de sa joie de vivre, de son imagination. S'assurer que tout se passe sans accroc pour eux, c'est sa façon d'honorer sa mémoire. Il ne pensait pas y arriver sans elle, et qu'il en soit capable lui donne l'impression que, justement, elle est toujours là.
Qu'il échoue le ramène à ce terrible sentiment de perte qu'il a ressenti à son départ, ce vide atroce créé par trois mots seulement, presque plus poignants encore que ce bonheur intense que trois autres peuvent engendrer. Et Alek ne veut jamais retourner à cet état pétrifié, inconscient du temps, paralysé, sourd, et aveugle.
Lorsqu'il a seulement considéré de ne pas venir aujourd'hui, c'est là qu'il s'est rendu compte qu'il avait peut-être plus de mal à rebondir suite à l'Incident au lycée qu'il ne le croyait. Et c'est aussi ce qu'il l'a convaincu que justement, sa visite cette année était d'autant plus primordiale. Comment peut-il espérer qu'elle ne l'abandonne pas si c'est lui qui la délaisse en premier ?
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