1x06 - Jolis Cœurs (3/16) - Indiscrétion

Sur le sol de la vaste chambre de Jack, Caesar et lui potassent leur sujet d'exposé de biologie. Initialement, ils étaient supposés avoir un mois pour y travailler, et donc devoir le rendre juste après la semaine de vacances qui touche présentement à sa fin. Étant donné les évènements d'il y a une quinzaine de jours, leur professeur a cependant et très justement accordé deux semaines de plus à ses élèves. Il est donc temps pour eux de se remettre à l'ouvrage afin de profiter pleinement de la période initialement impartie.

Le grand brun allongé sur le ventre tandis que le blondinet est assis en tailleur, les deux adolescents ont des plans de travail intelligents installés devant eux, sur lesquels ils peuvent aussi bien prendre des notes que consulter des livres de référence. Caesar est en train de s'intéresser à la réaction immunitaire, tandis que son camarade fait tourner des pages sans même les regarder. La vérité, c'est qu'il pourrait avoir écrit le rapport et préparé la présentation tout seul en quelques heures, mais il essaye de laisser à son camarade le loisir d'étudier convenablement. Et pour ça, il lui faut un partenaire normal, qui s'occupe d'une part équitable du travail à abattre, et l'accompagne pendant qu'il accomplit la sienne.

— Hey, est-ce que ton frère n'est pas en deuxième année de médecine ? Il peut pas nous filer une coup de pouce ? demande soudain Jack, après un énième soupir d'ennui.

Si c'est Caesar qui court-circuite le système de lui-même, ça ne compte pas comme un abus de sa condition de surdoué, si ? Le grand brun relève le menton vers son camarade, puis plisse les yeux.

— Comment tu sais ça, toi ? il demande.

— Sais quoi ? le blondinet s'étonne de cette réponse.

Il aurait préféré que Caes soit tout aussi lassé que lui et saute sur l'occasion d'accélérer le processus. Mais non, il faut qu'il s'accroche à un détail insignifiant. Parfois, le grand brun est trop observateur pour son bien.

— Que Markus est en médecine. Je ne te l'ai jamais dit, précise l'adolescent, perplexe.

— Il faut croire que si, le corrige Jack avec un début de sourire, qui tire un mouvement de recul à son camarade.

Caesar pose son stylet et prend un air suspicieux. Jack est le meilleur menteur qu'il a jamais rencontré, pour la simple mais indiscutable raison qu'il donne toujours l'impression d'être en train d'inventer ce qu'il dit. Il ne se départit jamais de son air malicieux, de cet éclat dans ses yeux pâles qui ne présage rien de bon, juste assez ténu pour qu'on se demande si on ne l'imagine pas. Paradoxalement, le grand brun ne pense pas pour autant que le petit blond lui ait un jour dit quoi que ce soit qui n'était pas entièrement vrai. Il lui cache sans doute beaucoup de choses, mais il ne croit pas qu'il lui ait déjà menti au sens strict. Jusqu'à maintenant…

— Je vois pas comment ce serait venu dans la conversation, Caesar continue de protester.

— C'est venu dans la conversation, là, lui oppose le blondinet, soulignant l'évidence d'un geste de la main.

— D'accord. Tu te souviens de tout : dans quelles circonstances est-ce qu'on a parlé de ça avant aujourd'hui ? l'interroge son ami de façon plus directe.

— Pourquoi TOI tu ne t'en souviens pas ? esquive l'héritier.

— Parce que ça n'est pas arrivé. Je ne parle déjà pas beaucoup de Mark, alors ça m'étonnerait d'avoir mentionné ses études. Ça fait plusieurs choses que tu sais sur moi sans que je t'en aie parlé… remarque le grand brun, l'air insatisfait.

— J'ai du mal à voir en quoi connaître ta date de naissance et les études de ton frère est un problème, essaye de le tempérer Jack.

— Justement, si c'est pas un problème, tu peux me dire comment tu le sais, lui suggère alors l'autre adolescent, le mettant au défi d'un haussement de sourcils.

Il peut l'avoir su par de nombreux biais. Ça n'a rien d'un secret, donc peut-être que quelqu'un lui a dit, peut-être même Mae. Il peut l'avoir déduit d'une remarque qui aura semblé anodine à Caesar. Il peut avoir vu le planning de la journée des métiers de l'année passée, où Markus faisait partie des volontaires pour présenter l'école de médecine de Chicago. Il peut même l'avoir lu dans l'annuaire des anciens élèves du lycée. Vraiment, il ne devrait pas avoir de raison de vouloir cacher ses sources.

— Très bien. J'ai lu ton dossier, confesse finalement le génie, écartant brièvement les mains dans son léger agacement.

— Mon dossier ? ne comprend pas tout de suite Caesar.

— Uglow m'a laissé sans surveillance dans l'infirmerie une fois de trop. Je m'ennuyais, alors j'ai fouillé. Et ton nom m'est venu à l'esprit, c'est tout, s'explique Jack, sans ménagement.

Le grand brun se redresse en position agenouillée, et garde les yeux baissés un moment, pondérant la révélation.

— "C'est tout" ? Tu as fouillé dans mon dossier médical, et tu me sors "c'est tout" ? il relève finalement, choqué.

— J'ai pas creusé. J'ai juste vu la première page. J'aurais pu voir la même chose sur ton RFSD, croit se défendre le blondinet.

— Si tu étais flic, peut-être, lui rétorque Caes, toujours abasourdi par l'audace de son camarade.

Les informations personnelles contenues sur une carte RFSD sont compartimentées et restreintes d'accès, pour des raisons évidentes. Les dossiers médical et judiciaire ne sont lisibles que par les services qu'ils concernent, de même que certaines données professionnelles. Pour le reste, les fichiers sont organisés comme l'utilisateur l'entend, avec des niveaux de sécurité variables selon la sensibilité des documents. L'accès à un bâtiment est la plupart du temps intransférable, par exemple, et des fichiers sensibles ne sont consultables que sur des machines habilitées, ou en tous cas moyennant une seconde authentification.

— Je suis désolé…? Je n'avais pas l'intention de fouiner, mais une fois que c'était fait, c'était trop tard. Et je ne voyais pas le mal à connaître des détails aussi innocents, continue à se justifier Jack, ne comprenant pas qu'il empire son cas.

La façon dont sa voix monte sur ce qui aurait dû être des excuses affirmées, en particulier, irrite son interlocuteur.

— Le mal c'est que j'ai pas choisi de t'en parler. Sur le principe, c'est même très mauvais, essaye de lui faire comprendre sa victime.

— C'est pas comme si j'avais fait mauvais usage de ces infos, le petit génie tente de minimiser la situation, comme si c'était une excuse.

— Qu'est-ce que tu as vu d'autre ? lui demande alors Caesar.

— Rien ! Tu t'es cassé le bras quand tu étais gosse, et c'est à peu près tout ce qu'il t'est arrivé de toute ta vie ! l'assure l'autre, ne comprenant toujours pas le problème.

Caesar souffle par le nez, exaspéré par combien son ami peut parfois être déconnecté de la réalité. Il a été évident très tôt que la prise d'otage ne l'avait pas autant affecté que d'autres, mais là il fait preuve d'un manque de tact légendaire.

— Tu peux franchement être un con, quand tu veux, le grand brun se contente de l'admonester, renonçant à lui expliquer ses erreurs, en partie parce qu'il n'a pas envie d'aborder le sujet de l'Incident.

— Quoi ? s'offusque le blondinet, frustré par ce qu'il ne considère que comme un malentendu.

— Laisse tomber, j'arriverai pas à te faire percuter, donc ça sert à rien qu'on continue d'en parler. Juste… fais pas des trucs comme ça. Et c'est pas valable que pour moi, lui conseille simplement Caes, se disant qu'il peut au moins lui inculquer qu'il ne doit pas envahir l'intimité des gens, même s'il n'est pas en mesure de lui faire comprendre pourquoi.

Ce n'est pas la première fois que le grand brun s'en fait la remarque, et de loin, mais pour un prodige qui aurait déjà dû terminer le lycée depuis une demi-douzaine d'années, et sans doute avoir obtenu plusieurs diplômes d'études supérieures ensuite, Jack est trop souvent incapable de faire sens des interactions sociales les plus basiques. Comme il vient de le démontrer une nouvelle fois, il n'a que très peu de notions d'espace personnel, de vie privée, et de manière générale, de limites. Et la seule façon de l'y initier est par la contrainte, un peu comme un animal sauvage. Quelque part, c'est un peu triste, mais en l'occurrence hélas peut-être plus pour le dresseur que pour la bête.

Scène suivante >

Commentaires