1x06 - Jolis Cœurs (2/16) - Instinct fraternel

En leggings, baskets, et gilet de sport à capuche, Maena referme la porte d'entrée de la maison derrière elle. Pendant que sa respiration retrouve peu à peu une fréquence normale après sa course, elle achève d'enrouler ses écouteurs sur eux-mêmes, glisse son baladeur dans sa poche, puis s'accroupit pour défaire ses lacets et retirer ses chaussures, qu'elle garde ensuite à la main. En chaussettes basses, elle s'engage dans les escaliers, durant l'ascension desquels elle ouvre la fermeture de sa veste.

Ayant entendu sa petite sœur rentrer de son jogging matinal, Markus sort de sa chambre et vient l'intercepter dans le couloir avant qu'elle ne franchisse le seuil de la sienne.

- Hey, Mae, il l'accueille avec un sourire, venant s'appuyer de l'épaule sur le mur, et glissant ses mains dans les poches de son pantalon, son geste inconscient pour se donner l'air innocent.

- Hey, Mark. Qu'est-ce qu'il y a ? elle lui renvoie, intriguée qu'il vienne à sa rencontre.

- Tu as une minute ? il lui demande, prenant en compte l'envie invariable d'une bonne douche après l'effort.

- Ouais, qu'est-ce qu'il y a ? sa petite sœur lui confirme cependant.

- J'allais te demander la même chose, il retourne avec éloquence.

- À moi ? s'étonne l'adolescente.

En tant qu'aîné, et d'autant plus parce qu'il a ces quatre et cinq années de plus que son frère et sa sœur, Markus s'inquiète toujours du sort de ses cadets. Il est là pour les conseiller, les consoler, et les protéger. Il n'intervient cependant que lorsqu'il estime que c'est strictement nécessaire, d'où l'incompréhension de la jeune fille, qui ne pense pas avoir fait quoi que ce soit qui devrait l'alarmer.

- Tu es beaucoup allée courir, cette dernière semaine. Je me demandais juste pourquoi, Mark explique ce qui a retenu son attention.

- Pas tant que ça ! se défend immédiatement Mae, plaçant ses mains sur ses hanches.

- Plus que d'habitude. Suffisamment pour que je remarque. Balance, ne lâche pas son frère.

Elle soupire, puis lui accorde cette victoire.

Si elle a toujours eu des périodes sportives intenses, depuis qu'elle a arrêté la gymnastique en club il y a quelques années, en entrant au lycée, la course à pied est la seule activité physique qu'elle pratique de manière régulière. Sauf empêchement, elle essaye d'y aller chaque week-end. Ces deux dernières semaines, cependant, elle est sortie courir presque tous les soirs, et plusieurs fois par jour, ces cinq derniers jours de vacances scolaires.

Elle a bien passé un Été collée à sa corde à sauter, et un autre à son vélo. Elle a même eu une période arts martiaux, au plus grand plaisir de son oncle, très bon tuteur d'auto-défense. Sauf qu'usuellement, en plus de concerner des disciplines un peu plus expérimentales, ses soudaines envies d'exercice arrivent à des époques de l'année plus chaudes que Février.

L'intensification du programme de course de Mae est donc particulièrement atypique de sa part, et elle ne peut pas tenir rigueur à Markus de l'avoir remarquée.

- J'ai du mal à tenir en place depuis… tu sais, elle avoue, avec un geste vague des mains, signifiant évidemment la prise d'otages.

Depuis le tristement célèbre Incident, l'adolescente a l'inconfortable impression d'avoir un excédent d'énergie à dépenser, sans savoir d'où il vient. Elle ne peut même pas blâmer l'article que l'ami d'Ellen voulait écrire sur elle, puisque la petite marginale a fini par à nouveau adresser la parole au jeune journaliste, et il l'a assurée qu'il avait entièrement abandonné cette idée. Et tout à Walter Payton est revenu à la normale, avec la reprise des cours, donc elle ne voit pas ce qui pourrait l'embêter d'autre.

La seule solution qu'elle a trouvée pour se distraire de cette agitation fantôme est la course à pied, particulièrement efficace pour se vider la tête, surtout dans la fraîcheur de la fin de l'Hiver, et ce même si elle ne sait pas ce qu'elle essaye de se chasser de l'esprit, exactement.

- Je n'ai pas vu Ellen ou Nelson dans les parages depuis un petit bout de temps non plus. Comment ils gèrent ça, eux ? s'enquiert alors Markus, croyant comprendre la tension de la benjamine.

- Elle, ses parents l'ont emmenée à l'autre bout du monde, comme pour toutes les vacances scolaires. Lui, je sais pas. Il doit bosser sur un meuble, parce qu'il est tout le temps occupé, en ce moment, répond Mae avec un haussement d'épaules et en baissant les yeux.

Comme elle a des périodes sportives, Nelson a des périodes bricoleuses. Manuel, il n'arrête jamais vraiment de fabriquer tout et n'importe quoi, mais il est parfois pris d'une passion soudaine pour un type d'objet, dont il crée alors jusqu'à des dizaines de modèles.

- Mais tout va bien ? insiste Markus, ne sachant pas si ses amis lui manquent simplement ou s'il y a une raison plus profonde à l'air triste de sa petite sœur.

- Oui. On a tous vu un conseiller, tu sais, elle le rassure, retrouvant le sourire.

- Si tu veux discuter encore, je suis là, il lui rappelle, comme si c'était nécessaire.

Immédiatement après les faits, Mark et son père se sont plutôt occupés de Caesar, dont le cas était plus inquiétant à cause de son mutisme prolongé et du sang sur son visage et ses vêtements. C'est Jena qui s'est chargée d'être aux petits soins pour Mae, passant ses soirées à discuter avec elle, entre filles, pour lui changer les idées aussi bien que pour lui offrir une oreille à qui parler. Peut-être l'aîné pense-t-il donc que cette seule et unique fois où il n'a pas directement été au chevet de sa cadette va lui faire oublier toutes les fois où il l'a été. Ce qui est absurde, bien entendu.

- Je considèrerai ça quand tu auras fait ton premier stage de psychiatrie, et encore, choisit donc de plaisanter Mae, avec un haussement de sourcils joueur.

- Haha. Mais sérieusement, ramène tes potes par ici. Nels me manque. Un peu, Mark essaye de rester sérieux tout en comprenant qu'il est peut-être un peu étouffant dans son approche.

- Tu sais qui me manque, à moi ? Jena, sa cadette lui renvoie la balle, vive d'esprit.

La jeune femme a effectivement quitté la maison depuis deux semaines maintenant, et bien qu'elle soit restée moins longtemps que ça, son absence se fait encore un peu sentir. Personne n'a eu de mal à retomber dans la routine établie bien avant son arrivée, mais tout le monde s'attend pourtant encore à la voir rentrer le soir, avec des nouvelles de l'hôpital ou des anecdotes du bar où elle travaille.

- Elle est très occupée, entre son nouveau job, son nouvel appart', et surtout sa sœur. Elle est désolée de ne pas encore avoir trouvé le temps de passer. Mais elle pense à vous, Markus apprend à Maena.

Il voit pour sa part Jena assez souvent, son lieu de travail un nouveau point de break pour Robert et lui, lorsqu'ils saturent de leurs révisions incessantes. À l'instar de l'hôpital où la sœur de la jeune femme est accueillie, le bar est en effet assez proche de la bibliothèque que les deux étudiants ont l'habitude de fréquenter. Parfois, la jolie brune passe même leur apporter du café alors qu'ils sont encore assis à leur table.

Souvent, les deux jeunes hommes s'interrogent sur ses raisons de passer autant de temps avec eux, mais la vérité c'est qu'elle ne connaît tout bonnement personne d'autre en ville, et n'est pas intéressée à ce que ça change. Tout ce dont elle se soucie, c'est du rétablissement de sa frangine, bien qu'elle ne puisse rien y faire. Et les deux compères sont des oreilles très attentives et compatissantes, alors que demander de plus ?

- Je suis contente que ses parents la laissent enfin voir Caroline. J'ai encore du mal à me dire qu'elle a juste un an de moins que moi, déclare Mae, qui avait déjà connaissance des priorités de Jena et ne lui en tient évidemment pas du tout rigueur.

Il y a quelques jours, Mr. et Mrs. Miller ont effectivement cédé aux bonnes paroles d'un docteur impartial, et permis à leur fille aînée de rendre visite à sa cadette. Ils refusent toujours qu'elle le fasse en leur présence, mais ce n'est pas une condition qui importune la jeune femme le moins du monde. Depuis ce changement de situation, elle passe le plus clair de son temps libre au chevet de l'adolescente, au lieu de simplement rôder dans les couloirs adjacents, à supplier les médecins et les infirmières de lui donner des nouvelles.

- Je sais, j'ai aussi du mal à m'imaginer ce que Jen peut bien ressentir. Va savoir, c'est peut-être pour ça que je suis après toi, Markus rebondit habilement sur la remarque de sa sœur.

- Rhô, c'est bon ! Je vais pas tout à coup tomber dans le coma sans raison ! se défend Mae, le poussant à l'épaule.

- Tu pourrais faire un malaise, si tu continues à t'épuiser à la course comme ça, il lui rétorque en riant.

- Cause toujours ! Je vais prendre une douche, elle clôt la conversation en secouant la tête.

Markus la laisse poursuivre son chemin dans le couloir, tandis qu'il rebrousse le sien, retournant à ses révisions à domicile.

Il plaisante, mais peut-être que c'est réellement ce qui arrive à Jena qui le rend si inquiet de ses propres frère et sœur. Qu'est-ce qu'il est allé s'imaginer, en voyant Mae se dépenser un peu plus que de coutume ? Ça fait moins de trois semaines qu'elle a été retenue en otages, elle a bien le droit de décompresser sans qu'il la harcèle.

Se sentant un peu bête, le futur médecin retourne à ses bouquins dans sa chambre, la bibliothèque beaucoup plus prisée les week-ends que les autres jours.

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