1x06 - Jolis Cœurs (16/16) - De mal en pis

Mae n'a pas passé un après-midi aussi agréable que son oncle, malheureusement. Suite à sa désastreuse visite surprise chez Nelson, elle a décidé de déambuler un peu dans les rues, dans l'espoir que ça la calmerait. La promenade n'a hélas eu pour effet que de l'agiter encore plus, et elle est donc rentrée, encore plus agacée qu'elle ne l'était avant de décider d'aller voir son ami, action qui devait à la base justement l'apaiser.

Chez elle, elle a retrouvé son père, en train de préparer un repas que chacun pourrait prendre lorsqu'il le voudrait. Tous ses enfants de sortie, et n'ayant pas d'horaire de retour précis pour les deux qu'il savait passer la nuit à la maison, il a simplement voulu parer à toute éventualité.

Le quadragénaire a ainsi été heureux de voir sa fille, et de partager son dîner avec elle, ce qui a un peu redonné le sourire à l'adolescente. Évidemment, son humeur n'a tout de même pas échappé à son paternel, mais puisqu'elle n'a pas voulu en discuter lorsqu'il a tenté d'aborder le sujet, il n'a pas insisté. Ce n'est pas dans ses méthodes parentales de sans cesse confronter ses enfants. Il leur a appris à assumer leurs erreurs et ne pas avoir peur de parler de ce qui les dérange, et leur fait donc confiance pour s'ouvrir lorsqu'il le faut.

À vrai dire, ce dont Mae aurait besoin, c'est d'une copine. Elle n'a pas envie de se confier à un garçon, que ce soit son père ou ses frères, s'ils avaient été là. Elle se dit que, ne serait-ce qu'inconsciemment, ils prendraient sans doute le parti de Nelson, par solidarité masculine. Et même s'ils n'auraient pas forcément complètement tort, elle n'a envie que d'une chose, c'est de râler et qu'on lui dise qu'elle a raison d'être aussi en colère après son ami. Sauf qu'il lui est impossible d'appeler Ellen, puisque cette dernière est toujours à l'autre bout du monde, coupée de tout moyen de communication international, par politique parentale. Pour contourner le problème, la petite blonde a essayé de passer ses nerfs en faisant la vaisselle, mais sans plus de succès qu'avec sa petite balade un peu plus tôt.

Plus tard, bien que la nuit soit tombée, ne tenant toujours pas en place, à tourner et se retourner sous sa couette, Mae décide finalement d'aller courir. Elle n'aurait pas dû se laisser dissuader de cette méthode de détente simplement à cause d'un commentaire inoffensif de son plus grand frère. C'était stupide de sa part.

L'adolescente veut prévenir son père, mais celui-ci est déjà endormi lorsqu'elle a fini de se changer de son pyjama à sa tenue de sport. Elle hésite, mais finit par simplement laisser un nouveau mot dans la cuisine, au cas où. Elle prend ensuite soin de ne pas claquer la porte en sortant. Avec un peu de chance, personne ne saura jamais qu'elle est sortie à une heure si tardive, après tout. Même si Markus rentre pendant qu'elle est dehors, il n'est pas garanti de passer par la cuisine, ou même de seulement voir le mot s'il y fait un détour.

Contrairement à son habitude, la jeune fille n'emmène pas son baladeur, parce qu'elle ne saurait pas quelle musique choisir pour coller à son état d'esprit. Au lieu de ça, elle choisit de se concentrer sur toutes ces petites choses qui rythment sa course et qu'elle a ordinairement tendance à ignorer : l'air froid qui frôle ses lèvres et lui brûle un peu la trachée à chaque respiration, la sueur qui ne tarde pas à couler dans son dos et sur ses tempes, collant ses mèches les plus courtes à son front, le bruit de ses semelles qui frappent le bitume, les battements de son cœur dans sa poitrine, le défilement des arbres, des portes, et des lampadaires, …

Elle blâme la prise d'otage pour son besoin grandissant d'exercice, ces derniers temps, mais elle a l'impression sourde de s'en servir comme d'une excuse. C'est le seul évènement récent suffisamment notable pour justifier cette nécessité croissante d'activité physique, mais elle se demande parfois si ça n'a pas commencé carrément avant l'Incident, et est simplement devenu impossible à ignorer après, par pure coïncidence ou par accélération d'un processus sous-jacent par cette expérience traumatisante. Elle a la sensation que son cerveau est en feu, et ne croit pas que ce soit un symptôme normal des suites d'un choc psychologique. D'autant que ça aurait dû se déclarer bien plus brusquement, non ?

Ou peut-être qu'elle réfléchit trop, et que toute cette histoire avec Nelson l'a simplement beaucoup énervée d'un seul coup, lui donnant l'impression de bouillir de l'intérieur, alors qu'il n'en est rien. Peut-être que c'est effectivement la prise d'otage, qui n'est quand même pas quelque chose d'anodin, qui a ranimé ses instincts ancestraux de fuir ou se battre, rien de plus.

Prise d'un point de côté fulgurant, Mae se voit tout à coup contrainte de s'arrêter. Machinalement bien qu'inutilement, elle porte une main à son ventre.

Avec une grimace d'inconfort, elle profite de cette impromptue halte pour regarder autour d'elle. À son grand désarroi, et se rend compte qu'elle ne sait pas où elle est. Toute à ses pensées tumultueuses, elle a adopté une vitesse plus soutenue qu'elle en a l'habitude, et n'a en plus pas regardé où elle allait. Elle peste contre elle-même tout bas ; elle sait qu'elle n'aura aucune peine à retrouver son chemin, autant parce qu'elle connaît la ville que parce qu'elle n'a pas tourné plus que nécessaire, mais bon, s'égarer reste agaçant.

L'adolescente marche en rond un instant, à attendre que la douleur passe sans pour autant vouloir laisser ses muscles refroidir. Elle pourrait déjà reprendre le chemin de la maison, en marchant, mais sa course n'a pas encore fait son effet, alors elle décide de rester dehors encore un peu. Elle est sous un lampadaire, dans une zone résidentielle, et il n'y a personne d'autre dans la rue, donc elle n'a pas de raison de s'inquiéter, après tout.

Petit à petit, la sensation de pincement entre ses côtes diminue, et sa respiration reprend un rythme normal. Malheureusement, avec la diminution d'activité, le froid commence à se faire sentir, même si sa tenue est adaptée à la saison. Les petits nuages blancs de condensation qui se forment devant sa bouche à chacune de ses expirations paraissent tout à coup de plus en plus voyants à Maena. Elle frotte ses mains l'une contre l'autre, puis souffle dans ses paumes, pour les réchauffer avant de reprendre sa course.

C'est alors que la sensation fantôme qui se manifeste parfois sur son poignet gauche, comme le souvenir funeste des liens de plastiques utilisés par le mercenaire pour l'entraver lors de la prise d'otage, survient. Ça ne lui est arrivé que quelques fois depuis l'Incident, et jusqu'ici elle est parvenue à ignorer le désagrément sans broncher, mais que ça apparaisse maintenant, alors que l'adolescente en veut déjà au monde entier, lui donne cette fois envie de hurler.

Elle n'a cependant que le temps de serrer les poings, avant que ses yeux ne se révulsent soudain dans leur orbite et que, sans raison apparente et sans sommation, elle perde connaissance.

Alors qu'elle est sur le point de s'écraser sur le sol, une silhouette surgit miraculeusement de l'ombre, et vient briser sa chute, mettant genou à terre à ses côtés et posant une main dans son dos, lui évitant l'impact.

L'homme à la veste de sport, aperçu aux alentours de Walter Payton, reste un instant penché au-dessus de l'adolescente inerte entre ses bras. De sa main libre, il écarte une mèche blonde de son visage, paisible dans l'inconscience.

— Je vais m'occuper de toi, petite chose, l'inconnu déclare, bien que personne ne soit là pour l'entendre.

Modifiant sa prise sur Mae, passant son deuxième bras sous ses genoux, l'homme se relève en la soulevant, comme si elle ne pesait rien. Son bras droit pend dans le vide, et l'autre est posé sur son abdomen. Sa tête, à défaut de soutien, est basculée en arrière, sa queue de cheval blonde balançant au rythme de l'avancée de celui qui la transporte. Bientôt, il disparaît avec elle dans l'ombre de laquelle il est venu, aussi silencieusement qu'il est apparu.

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