1x06 - Jolis Cœurs (15/16) - À bon port
Iz et Sam avancent sur le trottoir, au rythme de gens qui ne vont nulle part, Sing Sing flânant derrière eux, toujours content d'une balade inopinée, et dans un quartier où il ne vient jamais qui plus est. L'inspecteur et la jeune femme ont commencé par aller prendre le traditionnel café qui accompagne chacune de leurs discussions, puis ne se sont pas pressés vers leur destination ensuite.
À leur sortie du coffee shop en face du commissariat, elle a commencé par lui expliquer à quel point la tâche qu'il lui a donnée est ardue, et combien de fois elle s'est demandée si elle n'imaginait pas des choses. Peu de ce qu'elle a observé jusqu'ici n'est très concluant.
Évidemment, son premier instinct est de faire confiance à celui des inspecteurs qui lui ont soumis la liste d'affaires, c'est même une règle d'or dans son métier. Mais elle doit tout de même mettre en évidence des éléments plus tangibles pour pouvoir conclure son analyse. Et jusqu'ici, elle n'est pas très productive sur ce plan.
Elle ne nie pas avoir décelé des caractères récurrents entre les meurtres, en plus d'une atmosphère dérangeante sur les lieux et une absence totale de preuves matérielles, mais dès qu'elle croit tenir un filon, certains cas ne rentrent pas dans les paramètres qu'elle pensait avoir fait ressortir.
Pour le moment, elle a donc plus l'impression d'avoir affaire à une vague de criminalité accrue qu'un réel tueur en série. Elle n'abandonne cependant pas la partie, ne pouvant pas plus se défaire de ce sentiment de malaise que le reste du commissariat. Elle sait en son for intérieur que ces cas sont liés, et a d'ailleurs été capable d'en écarter certains d'entrée de jeu, il lui manque simplement une justification.
Du peu qu'elle a, elle hésite à en parler. Elle ne parvient pas à faire ressortir les points usuellement les plus évidents dans des affaires de meurtres en séries, comme la géographie, le mode opératoire, ou la victimologie. Ce qui n'est pas étonnant, sans quoi on n'aura pas fait appel à elle.
Elle a établi des semblants de groupes d'affaires, percevant comme une corrélation entre la violence du crime et le type de victime, mais rien de très précis encore. Et même au sein de ces regroupements, les disparités d'un cas à l'autre restent criantes. Elle ne parvient pas à mettre le doigt sur ce qui, elle le sent, fera un jour le lien entre toutes ces morts, les rendra logiques, si pas plus acceptables pour autant.
Et le fait qu'on retrouve régulièrement de nouveaux cadavres qui entrent clairement dans sa liste d'affaires suspicieuses n'aide pas Elizabeth à se concentrer.
Intéressé par le sujet mais sentant bien la détresse de son interlocutrice, Sam réussit à faire dévier la conversation, l'air de rien. Il connaît des inspecteurs avec plus de bouteille que lui qui parfois se laissent impressionner par une affaire que toutes les apparences désignent pourtant comme quelconque, alors il ne peut pas blâmer quelqu'un d'aussi jeune qu'Iz, ou en tous cas nouvelle dans le milieu des enquêtes criminelles, d'être affectée par cette masse de meurtres pour une grande partie peu ragoutants.
Il a lui-même parfois un peu la nausée, lorsqu'il jette un œil à l'ensemble des enquêtes d'homicide en cours dans leur district. Qui qu'ils recherchent, il en tient une sacrée couche, et il a hâte de l'avoir en face de lui. Ce qui est stupide, puisqu'il y a peu de chances qu'il comprenne un jour comment un être humain peut être capables d'actes aussi abominables, mais il aura au moins la satisfaction de le savoir sous les verrous et hors d'état de nuire.
Le premier thème habilement abordé après le travail a été Sing Sing, parfait pour faire la transition vers des histoires plus personnelles et surtout moins déprimantes. Bien qu'il y soit d'ordinaire réticent, avec la jeune femme lors de leur précédentes sorties comme avec n'importe qui d'autre de manière générale, Sam a parlé des chiens qu'il avait avant le Rottweiler.
Le souvenir est douloureux car le premier, un Pitbull que lui avait confié l'Académie, est tombé malade, et le second, un Malinois, est mort en service, abattu lors d'une fusillade. Pour couronner le tout, le berger lui avait été offert par son frère, à l'occasion de son passage au rang d'inspecteur.
Cette information a amené Iz à parler de sa propre famille, et le sujet s'avère si inépuisable qu'ils sont encore en train d'en débattre lorsqu'ils s'arrêtent enfin.
— C'est chez moi, annonce la jeune femme, désignant une petite maison de plein pied, de son pouce par-dessus son épaule.
— Est-ce qu'on n'est pas déjà passés devant cette maison ? Est-ce que tu m'as intentionnellement fait faire deux fois le tour du quartier ? plaisante Sam, regardant à droite et à gauche comme pour chercher un autre élément du décor qu'il reconnaîtrait.
— Non ! On a juste marché le plus lentement du monde, c'est pour ça qu'on a mis si longtemps à arriver, elle justifie l'heure effectivement beaucoup plus avancée qu'elle ne l'aurait été si elle était rentrée sans escorte.
— Longtemps ? Je n'ai pas vu le temps passer, il complimente indirectement la compagnie.
Elle sourit, puis se rend vite compte qu'il ne fait pas mine de la laisser là. Alors qu'elle sait très bien qu'il doit encore retourner au commissariat pour récupérer sa voiture. Et que le soir commence à tomber.
— Tu veux m'accompagner jusqu'à ma porte, pas vrai ? elle l'interroge, un brin incrédule tout de même.
— Je pensais que c'était le contrat, il répond simplement, comme s'il trouvait absurde de seulement remettre ce point en question.
— Tu crois sincèrement qu'il pourrait m'arriver quelque chose d'ici à ma porte d'entrée ? elle lui demande alors, voulant le prendre dans sa propre logique tordue.
Elle n'est pas opposée à rester avec lui un peu plus longtemps, mais aimerait savoir jusqu'où il est capable d'aller dans sa mascarade.
— Je dirais que la probabilité n'est pas nulle, il se défend sans accroc, lui tirant un nouveau sourire.
— Très bien. Mais tu ne peux pas entrer. J'ai un chat, elle le prévient tout de suite.
Sing Sing lève les yeux vers eux et penche la tête sur le côté à la mention de l'espèce de félins, et son maître tombe tout autant des nues, écartant les mains.
— Tu as un chat, et c'est la première fois que j'en entends parler ? il s'exclame, exagérant sa surprise.
— C'est plus un colocataire sous forme féline qu'un véritable animal de compagnie, elle explique pourquoi elle n'a pas mentionné la créature plus tôt.
— Encore mieux ! C'est quoi son nom ? s'enquiert Sam, retournant les questions qu'elle lui a elle-même posées à propos de ses chiens.
— Er… Stock, elle se contente de répondre, avec une hésitation marquée, autant dans sa voix que sur son visage.
— Stock ? il répète, avec une intonation peu convaincue.
— Très bien, c'est bon, c'est Stockholm Syndrome, elle avoue immédiatement, totalement incapable de résister à son regard interrogateur, dans lequel elle ne voit que trop bien qu'il sait déjà qu'elle cache quelque chose.
— Stockholm Syndrome… Et tu as osé te moquer d'Attica, Alcatraz, et Sing Sing ? Vraiment ? il s'offusque, encore une fois volontairement exagérément.
Il est néanmoins vrai qu'elle s'en est donnée à cœur joie en apprenant que tous ses canidés avaient été baptisés d'après d'anciens pénitenciers. Mais elle a respecté le fait que le surnom Al du berger était également un hommage à Aleksander, en revanche.
— Je ne pensais pas me faire prendre ! elle rétorque à l'accusation d'injustice, secouant la tête et la prenant dans ses mains dans son embarras.
— Erreur de débutante ! il lui lance, ne la laissant pas s'en tirer aussi facilement.
Elle rit avec lui, et ils prennent tacitement le chemin de sa porte, au bout de quelques mètres d'allée pavée. Ils se déplacent toujours aussi lentement qu'auparavant, mais gardent le silence pour cette courte distance.
— C'est ma porte, Iz déclare lorsqu'ils atteignent le seuil, après une petite marche.
— Je vois ça, confirme Sam, hochant la tête comme elle.
— Je ne peux pas ouvrir, ou alors il va falloir qu'on sépare nos amis poilus, elle rappelle, mais sans faire mine de sortir sa carte de son sac pour effectivement être en mesure d'ouvrir la porte.
— Sing est sage, se défend l'inspecteur.
— Stock non, elle lui oppose, faisant brièvement de gros yeux qui attestent qu'elle a déjà été témoin d'à quel point son chat peut être sauvage.
— D'accord. Donc… je suppose que je devrais te laisser, maintenant, il raisonne à haute voix, comme pour lui laisser une dernière chance de le retenir.
— Je pense que je suis autant en sécurité que je peux l'être. Merci de m'avoir raccompagnée, elle confirme sa déduction.
— Je t'en prie. Bonne soirée, il la salue alors.
Sur ce, il repart enfin vers la route, mains dans les poches, son chien à ses côtés. Iz le regarde s'éloigner, toujours sans faire mine d'ouvrir sa porte, faisant juste glisser ses doigts sur la lanière de son sac, comme attendant toujours quelque chose ou hésitant à le faire.
L'inspecteur n'a pas fait trois pas dans l'allée qu'il s'arrête, puis fait volte-face et revient vers la jeune femme, bien plus rapidement qu'il ne s'en est écarté. Elle n'a pas le temps de réagir qu'il a déjà passé une main derrière sa nuque et amené ses lèvres aux siennes. Elle vacille, et il l'entraîne doucement pour l'adosser au mur juste derrière elle, sur lequel il vient lui-même poser sa main.
Bien qu'occupée à lui rendre son baiser, elle parvient tout de même à venir pousser son coude, pour le forcer à retirer cet appui qu'il a pris derrière elle. Il fronce brièvement les sourcils, surpris par le geste.
— C'était quoi, ça ? il s'exclame presque tout bas, rompant le contact avec la jeune femme quoique sans éloigner son visage du sien de plus de quelques centimètres.
— À toi de me dire, elle lui renvoie sur le même ton, estimant qu'il a pris bien plus d'initiatives qu'elle, et a donc bien plus d'explications à donner, si vraiment il est question de se justifier.
— Pourquoi tu as poussé mon bras comme ça ? il précise son étonnement, se reculant juste assez pour qu'ils puissent se voir convenablement.
— Parce que personne ne m'a embrassée avec une main sur le mur depuis le lycée. Je veux juste… pas revenir à cette étape de ma vie, elle s'explique succinctement, secouant la tête comme à un mauvais souvenir.
— Pourquoi les ados auraient-ils le monopole de cette posture ? objecte Sam, dérouté par cette étrange réaction à l'une de ses plus vieilles habitudes.
— Ils ne savent pas ce qu'ils font, elle déclare comme si ça éclaircissait quoi que ce soit.
— Est-ce que c'est une critique ? l'inspecteur a peur d'entendre dans ce commentaire.
— Non ! Non. Clairement, tu sais très bien ce que tu fais, elle se rattrape précipitamment, et avec trop de spontanéité pour ne pas le penser.
— Huh huh ? il cherche à confirmer avec un début de sourire victorieux, son ego rassuré.
— Huh huh, elle valide malgré elle, levant les yeux au ciel.
Elle sait bien qu'elle encourage très précisément ce qui l'agace la plupart du temps le plus chez lui, mais elle peut difficilement s'en empêcher. Aussi exaspérante que son arrogance puisse être, elle n'est quelque part pas déméritée. Ce qui est sans doute ce qui la rend si insupportable, d'ailleurs.
L'attrapant par la taille, Sam attire Iz à lui une seconde fois. Moins prise au dépourvue, elle fait glisser ses mains de son torse à derrière sa nuque. Malgré ses hauts talons, elle doit tout de même se mettre sur la pointe des pieds pour combler la différence de taille entre elle et lui, de pratiquement vingt centimètres, et se pendre à son cou aide également à diminuer cet écart.
Lorsqu'ils se séparent à nouveau, ils restent un instant silencieux, chacun se remettant de ses émotions à sa façon. Elle garde les yeux fermés, alors que lui au contraire s'applique à scruter son visage, comme il n'a encore jamais eu l'occasion de le faire d'aussi près.
— Je devrais y aller, maintenant, déclare ensuite l'inspecteur, reculant d'un pas et s'éclaircissant la gorge, comme s'il percutait seulement ce qu'il venait de faire.
— Je crois, oui, approuve Iz en rouvrant brusquement les yeux, tout aussi gênée, bien que d'une bonne gêne, qui chatouille l'estomac.
— À cause du chien et du chat, ajoute Sam, comme s'il était de rigueur qu'il donne une explication.
Sing Sing, sagement couché dans l'allée depuis que son maître a brusquement fait demi-tour, le regarde bizarrement, l'air de dire qu'il n'a pas envie d'être embarqué dans cette histoire.
— Oui. Exactement, la jeune femme acquiesce, hochant la tête plus longtemps qu'elle ne devrait.
— Passe une excellente soirée, Iz, la salue une seconde fois l'oncle, parvenant enfin à retrouver ses moyens.
— Toi aussi, Sam, elle lui renvoie, glissant une main sous ses cheveux, là où la sienne se situait il y a un instant à peine.
Le sourire aux lèvres, l'inspecteur se détourne, et appelle son chien du geste, qui le rejoint immédiatement.
La jeune femme les regarde à nouveau s'éloigner dans la direction par laquelle ils sont venus, sans se retourner vers elle cette fois-ci.
Elle reste encore quelques longues secondes devant sa porte après leur départ, toujours plaquée au mur là où il l'a laissée, secouée. Voilà un développement qui promet d'être intéressant, si pas nécessairement facile à gérer. Une toute petite part d'elle se dit qu'elle n'aurait pas dû le laisser faire. Le reste est partagé entre se dire qu'il en a mis du temps, et simplement apprécier que ça se soit produit.
Commentaires
Enregistrer un commentaire
Alors ? Ça vous a plu ?