1x06 - Jolis Cœurs (13/16) - Mauvaise fille
Ayant enfin interrompu ses révisions à demeure pour la journée, Markus a quitté la maison, y laissant sa cadette seule et en pleine révolution de la cuisine, pour rejoindre Robert dans un bar. C'est la tradition pour les deux garçons, de boire ensemble à la Saint Valentin. C'est la pire soirée de l'année pour rencontrer quelqu'un, les filles célibataires restant entres elles et les autres de sortie avec leur tendre moitié, mais Rob s'étant une fois fait larguer peu avant cette date fatidique, la coutume a ensuite coulé de source pour les deux amis. D'autant qu'aucun d'entre eux ne s'est trouvé en situation de couple les années qui ont suivi.
— Bonne Saint Valentin ! le premier arrivé accueille son pote, levant le verre qu'il a déjà à la main.
— Hey, mec. Bonne Saint Valentin, lui répond Mark en s'asseyant en face de lui, retirant sa veste et la plaçant derrière lui sur la banquette.
— Ça va ? T'as l'air distrait, il repère immédiatement le léger manque d'enthousiasme de son collègue, pourtant discret.
Plus son état d'ébriété est avancé, plus Robert semble perceptif. Jusqu'à un certain point, du moins. Non pas qu'il soit particulièrement inattentif sobre. Peut-être que l'alcool le rend simplement plus prompt à partager ce qu'il remarque, en fait.
— Jena est venue me voir, ce matin, ne lui cache pas Markus.
Au contraire, il ne serait pas contre l'idée de parler de ce que lui a révélé de la jeune femme en fin de matinée. Il a essayé, avec un succès acceptable, de chasser sa visite de ses pensées pour le reste de la journée, afin de rester concentré sur ses révisions. Il l'a d'ailleurs à peine mentionnée à Mae au déjeuner, alors qu'il était tout seul avec elle à table. Mais puisque Rob a immédiatement vu sur son visage qu'il était dérangé, il ne peut pas dire que ce n'est pas resté dans un coin de son esprit malgré tout.
— Bonne ou mauvaise visite ? Parce que si elle était mauvaise, je veux pas en entendre parler ; on est là pour oublier les trucs négatifs, son acolyte lui rappelle l'objectif de la sortie.
— Ça n'avait rien à voir avec tes projets pour elle et moi. Il s'est passé un truc avec sa sœur. Et ça a un rapport avec ce qu'elle a fait dans l'Est, apparemment, lui apprend Mark, jugeant que même si le bilan n'en est pas excessivement positif et qu'elle concerne effectivement une fille, la situation ne devrait pas tomber sous le coup de leur embargo du 14 Février.
— Oh. C'est grave ? Rob reprend un peu de son sérieux à la mention de l'adolescente comateuse.
— C'est compliqué, choisit de transiger son collègue, ne sachant pas trop par quel bout prendre le problème, comprenant brusquement beaucoup mieux les difficultés rencontrées par la jeune fille lorsqu'elle a dû lui vider son sac, ce matin.
— Mec, c'est mon deuxième verre, j'ai l'impression d'être Tesla. Balance, l'encourage son compagnon, désignant le récipient à moitié vide devant lui de l'index.
Malgré sa corpulence correcte et son entraînement non négligeable, Robert reste à ce jour en effet incapable de tenir l'alcool convenablement. Et malgré leurs études en physiologie humaine, ni l'un ni l'autre des deux compères n'a jamais trouvé d'explication à cela.
— Je vais te dire, mais je préfère te prévenir, tu vas devoir tenir ta langue, décide de commencer Markus.
Le jeune homme grimace lui-même au caractère quelque peu infantile de cette déclaration, mais il se dit qu'elle n'est en l'occurrence pas déméritée. Jena s'est confiée à lui en toute confidence, en plus du fait que son souci est justement que sa situation ne s'ébruite pas. Il ne pense pas que ce sera l'intention de Rob de tout déballer à n'importe qui une fois qu'il aura été mis au courant de ce que Jena a enfin révélé, mais autant couvrir toutes ses bases.
— Comme je l'ai dit : deuxième verre. Il est possible que je ne me souvienne de rien demain matin, l'assure Robert, faisant fi de la façon dont il contredit sa précédente déclaration de clarté d'esprit.
— Jen pense avoir trouvé l'origine de l'accident de sa sœur, sauf que c'est un objet qu'elle a pris à des gens pas très fréquentables, donc elle ne peut pas demander un examen plus poussé à l'hôpital, résume Mark, baissant un peu la voix, alors que le bruit ambiant est largement suffisant pour que personne ne puisse les entendre.
Non pas que qui que grand monde ait de raison particulière de vouloir écouter la conversation de deux potes dans un bar un soir de Saint valentin.
— La sœur de Jena est une voleuse ? croit comprendre Rob, fronçant les sourcils.
— Non. Jena est une voleuse. D'une certaine façon, le corrige l'autre, tout en se faisant intérieurement la remarque d'à quel point le terme est démérité.
En fin de compte, le mystérieux groupe de gangsters avec qui a un jour traîné la jeune femme ne lui veut pas du mal à cause de ce qu'elle leur a pris. A priori, ils n'ont même pas dû remarquer l'absence de l'objet, puisqu'ils l'avaient mis au rebut. Mais il est indéniable qu'exposer leur création, même dysfonctionnelle, aux autorités n'arrangerait pas leur hostilité vis-à-vis de leur ancienne membre.
— D'accord mais… si c'est un truc volé, pourquoi est-ce que l'hôpital ne l'a pas déjà rendu à son propriétaire ? essaye de suivre le plus ivre des deux, plissant les yeux dans sa concentration.
Il suit l'exact même raisonnement naïf que son collègue avant lui, et Markus tend d'ailleurs la main vers lui pour l'en remercier silencieusement, même s'il n'y a personne devant qui il peut le prendre à témoin de la validité de sa réaction.
— Parce que ça vient d'un laboratoire clandestin. Du genre qui ne signale pas la disparition de ses inventions, parce qu'ils ne signalent pas leur création pour commencer, Mark paraphrase l'explication qui lui a été donné pour la même question.
— Bah du coup c'est tout bénéf', non ? Jen risque rien, si personne ne peut savoir que c'est volé. Non pas qu'elle aurait risqué grand-chose quoi qu'il arrive, puisqu'elle l'a filé à sa petite sœur, donc c'est difficilement une démarche terroriste, Rob raisonne tout haut, sans comprendre.
Même en cas de signalement de la disparition d'un objet, ce que la plupart des gens ne prennent même pas la peine de faire, la punition pour un larcin est en effet généralement minime, à cause de l'insignifiance de l'impact du délit. La restitution du bien n'est parfois même pas exigée par le propriétaire originel. Un voleur n'est ainsi sanctionné que par principe, son comportement trahissant les valeurs du système Solidaritaire.
Seul le recel de pièces historiques et la contrebande sont réellement châtiés, puisqu'ils impliquent des dommages réels. Et même si l'anneau avait été une arme de destruction massive, ce qui semble peu probable de toute façon, il n'a pas été donné à un groupe fanatique, alors tout va bien.
— Elle ne risque rien des autorités, mais apparemment il vaudrait mieux pour elle que le groupe en question ne la retrouve pas. Ce serait eux qui lui auraient donné sa cicatrice au coude, si tu vois ce que je veux dire, Mark corrige Rob comme il a lui-même été rectifié plus tôt.
— Mec… T'as un truc pour les mauvaises filles, est la première chose que l'autre trouve à commenter, avec un sourire bête.
Markus met le peu de surprise de son compagnon à la révélation qui lui l'a bouleversé sur le compte de l'alcool. Et aussi son imagination débordante, qui l'avait sans doute fait soupçonner bien pire pour la jeune femme que d'avoir été mêlée à un laboratoire illicite.
— C'est pas une mauvaise fille. Elle a pas eu de bol dans ses fréquentations, c'est tout. Elle a lâché ces gens dès qu'elle a compris qui ils étaient, il défend instinctivement la brunette, sérieux en ce qui le concerne.
— Bon, d'accord, je crois que je saisis la situation. Et du coup, c'est quoi son plan ? Elle veut les dénoncer ? Robert se tempère tout seul et propose.
Mark a un mouvement de recul, se demandant comment il n'a pas pensé à cette alternative lui-même. Sans doute la terreur de Jena l'a-t-elle trop profondément contaminé.
— Elle voudrait que mon père jette un œil, pour au moins être sûre que ça à un lien avec l'accident de Caroline, avant de prendre quelque risque que ce soit, il explique, sans avouer qu'il n'avait en réalité même pas envisagé cette autre possibilité que vient de mentionner son ami.
S'il est vrai que faire tomber ces malfrats pourrait invalider la problématique à laquelle fait face Jena, ça pourrait tout aussi bien la mettre encore plus en danger qu'elle ne l'est déjà, si l'opération n'est pas exécutée à la perfection. Et ce serait bête de prendre ce risque pour rien. Même si ce serait la meilleure chose à faire du point de vue du bien commun.
— Malin. Mais il va le faire sans passer par l'hosto ? Robert objecte une nouvelle fois à ce qu'ils ont décidé de faire, sans malice, juste logique.
— Je lui en ai pas encore parlé. Mais il a toutes les raisons de voir la situation comme moi, répond Mark, soudain de moins en moins sûr de la marche à suivre sur laquelle il s'est mis d'accord avec la jeune femme.
— J'espère juste qu'il est pas contractuellement obligé de signaler toute technologie clandestine ou un truc du genre, commente Rob en l'air, avant de grimacer au goût du breuvage dans son verre, qu'il choisit toujours plus fantasque que le précédent.
Mark reste un instant à pondérer cette idée, avant de passer commande sur le petit écran incrusté dans la table, du bout des doigts. D'une part il ne va pas laisser son ami se soûler tout seul, et d'autre part il a bien besoin de se changer les idées. Il ne compte pas boire jusqu'au trou noir, pour les mêmes raisons qu'ils commencent toujours leurs soirées relativement tôt, mais temporairement émousser ses réflexes devrait suffire à lui accorder un répit dans ses tentatives aussi répétitives qu'infructueuses d'oublier son inquiétude pour la situation de la jolie brune.
Commentaires
Enregistrer un commentaire
Alors ? Ça vous a plu ?