1x06 - Jolis Cœurs (12/16) - La main dans le sac

Suite à sa conversation téléphonique avec Nelson en début d'après-midi, et d'autant plus après avoir appris qu'elle avait manqué une visite de Jena dans la matinée, Maena a été inspirée pour cuisiner. Elle n'est pas excellente dans le domaine, mais elle est tout de même capable de le faire en grande quantité, quand ça la prend. En fouillant dans les placards, elle a opté pour des cookies, par souci de simplicité. Son idée, c'était autant de s'occuper les mains et l'esprit que d'avoir quelque chose à amener à Nelson lorsqu'elle lui rendrait une petite visite surprise, en fin de journée. Elle s'est dit que d'ici là, soit il aurait fini ses chaises, soit il aurait enfin besoin d'une pause. Et au pire, l'apport de biscuits chocolatés pourrait justement faire oublier à l'adolescent l'intrusion de sa camarade, prête à se faire toute petite dans un coin de l'atelier s'il le faut. Tout plutôt que de passer la soirée toute seule, comme elle sait que ça va se passer, les trois autres habitants de la maison ayant d'ores et déjà déserté les lieux.

Markus est parti rejoindre Robert en ville, comme elle savait qu'il allait le faire depuis le déjeuner. Son grand frère a retenu son hilarité en lui signalant son départ, à la voir couverte de farine au beau milieu de la cuisine en chantier, mais il n'a émis aucun commentaire, lui faisant confiance pour ranger. Caesar, de son côté, est toujours chez Jack, comme c'est prévu depuis un peu après l'Incident. Quant au père de la famille, il ne devrait rentrer que tard, comme tous les ans à la Saint Valentin, ce qu'elle ne lui reproche absolument pas. Elle a, à l'instar de ses deux frères, elle aussi une date qu'elle consacre entièrement à sa mère.

Après avoir laissé un mot dans la cuisine, ainsi que plusieurs plats de cookies, puisqu'elle ne pouvait en emmener qu'un seul Tupperware, Mae a donc quitté la maison et pris la direction du domicile de son camarade. Ce n'est pas exactement la porte à côté, mais c'est suffisamment proche pour qu'elle puisse s'y rendre à pied. Sa boîte de biscuits entre les mains, elle ne tarde pas à tourner au coin de la rue dans laquelle habite son ami bricoleur.

S'il est toujours en train de travailler sur sa série de chaises, Nelson devrait encore se trouver dans l'appentis que ses pères lui ont aménagé il y a quelques années, sur le côté de la maison. Mae l'y a déjà regardé fabriquer des tas d'objets au fil des années, lui tenant compagnie autant qu'il lui prêtait une oreille amicale. Ils ont même collaboré sur certains projets, elle lui fournissant les concepts qu'il réalisait ensuite.

Lorsqu'elle atteint enfin la grille qui entoure la propriété, elle découvre cependant qu'il a quitté son activité manuelle pour une autre. Assis sur la haute balançoire qui trône sur la pelouse devant son atelier, Nelson est caché par la jeune fille rousse qu'il tient dans ses bras, debout entre ses jambes, ses poignets croisés derrière sa nuque.

S'immobilisant, bouche bée, Mae percute seulement la date du jour. Elle considère ensuite de revenir sur ses pas pour ne pas déranger son camarade, mais est cependant particulièrement curieuse de connaître l'identité de cette mystérieuse petite amie, dont elle n'avait même pas seulement soupçonné l'existence jusqu'à aujourd'hui. Elle adore rencontrer les petites copines de Nelson, jugeant que c'est un peu son rôle de sœur spirituelle de leur raconter toutes les anecdotes embarrassantes de son enfance, comme lui le fait pour elle avec les garçons qu'elle aime bien.

Le plus discrètement possible, elle se faufile donc par le portail jamais verrouillé de la propriété, et vient s'éclaircir la gorge près du jeune couple, les faisant sursauter et se tourner vers elle. C'est alors qu'elle tombe à nouveau en arrêt, se rendant compte qu'elle connaît l'identité de la rouquine. Un arrêt beaucoup moins agréable, cette fois.

— Mae ?! Nelson s'exclame en remarquant la présence de son amie, se levant brusquement de son siège, sa compagne faisant un pas en arrière pour ne pas le gêner dans son geste.

— Salut, Nels. Qu'est-ce que tu fais ? elle demande simplement, encore interloquée, son sourire disparaissant peu à peu de ses lèvres.

Son meilleur copain depuis toujours, son frère pratiquement adoptif, cette espèce de grand Chamallow à la fibre artistique, sans la moindre once de malice véritable en lui, sort avec Sarah Degriff, reine mégère de Walter Payton High, et plus si affinités. Tout va bien. Rien de plus normal !

— Er… Je… l'adolescent ne sait pas par où commencer.

— Qu'est-ce que tu fais avec ELLE ? la blondinette corrige alors son exclamation première, voulant insister sur ce qui la choque la plus dans la scène dont elle vient d'être témoin.

— Bonjour à toi aussi, Mae, Sarah grince son prénom, avec un dédain presque palpable.

— Ce n'est pas à toi que je parle ! lui renvoie immédiatement la petite blonde, oubliant ses manières, autant à cause de la situation que de la personne à qui elle s'adresse, qui ne lui en a jamais accordée à elle.

— Mae, calme-toi, s'interpose immédiatement Nelson, se plaçant ostensiblement entre les deux jeunes filles, retrouvant enfin la parole.

— Je suis calme. Mais j'aimerais bien comprendre pourquoi tu m'as dit que tu étais en plein bricolage, et à la place je te trouve en train de… je ne saurais même pas par où commencer pour décrire ça, son amie d'enfance reste effectivement très posée, lorsqu'elle s'adresse à lui, ne haussant pas le ton.

— Ça s'appelle un câlin. Et il fait ce qu'il veut, tu sais, continue d'intervenir la rouquine à frange, faisant serrer à Mae les mains sur sa boîte de biscuits, et fermer les yeux à son petit ami, qui sait qu'elle ne va rien arranger.

— Encore une fois, je ne t'ai pas sonnée ! la blondinette rétorque sèchement.

— Mae, arrête ! J'ai le droit d'avoir une copine, non ? Nelson essaye de désamorcer la situation, avec un sourire sincèrement contrit.

— Oh. Oui. J'adore tes copines. Mais elle ? Vraiment ? elle essaye de faire un effort pour comprendre, mais il lui en coûte clairement.

Nels a déjà eu des petites amies, donc ce n'est pas ça qui dérange Mae. Il lui est même arrivé de ne pas vraiment s'entendre avec les jeunes filles en question, ou d'estimer qu'elles ne convenaient pas à son camarade, mais elle lui en a toujours fait part en privé et s'est ensuite appliquée à rester cordiale envers elles. Là, cependant, elle ne pense pas en être capable. Il est question d'un niveau supérieur de mauvaise entente et d'incompatibilité. Il n'y a pas de paix possible avec Sarah Degriff. Rien que le fait que les gens l'appellent machinalement par son prénom et son nom en dit long sur le type de personne qu'elle peut bien être.

— T'es qui, sa mère ? lui crache pratiquement la grande peste, récoltant une œillade noire.

— Tu es au courant qu'elle l'a abandonné, et qu'il a deux pères maintenant, pas vrai ? lui fait remarquer Maena, basse mais non moins légitime.

Elle voudrait bien croiser les bras, mais sa boîte de cookies l'en empêche.

— N'en rajoute pas ! la tempère Nelson, sachant qu'elle a raison mais que ce n'était pas moins une remarque déméritée, la question une façon de parler.

— D'accord. Mais si c'est si normal que ça, pourquoi est-ce que j'apprends ça que maintenant ? Mae prend une nouvelle fois sur elle pour se montrer compréhensive.

Si elle était honnête, elle avouerait que pour n'importe qui d'autre, qu'il ait gardé le secret ne l'aurait pas ennuyée. Mais on n'est pas toujours rationnel, dans une dispute.

— Parce que je savais que t'allais réagir comme ça ! lui répond cependant Nelson, scellant sans le savoir son cas.

— Ha ! Donc, tu savais que tu faisais quelque chose de mal ? reformule Mae comme elle le comprend.

— Quelque chose de mal ? Sérieusement, Mae ? Ça te plaît pas, alors c'est forcément quelque chose de mal ? il lui montre à quel point son raisonnement est obtus et tire vers l'arrogance.

— Ce qui ne me plaît surtout pas c'est que tu me mentes, elle rebondit, sans vraiment avoir tort.

— Oh Mon Dieu, mais tu t'entends ? On dirait une ex jalouse ! perce une nouvelle fois Sarah Degriff depuis derrière l'adolescent, réduisant à néant tous ses efforts pour calmer le jeu.

— Je suis son amie tout court. Et si ça n'est pas le cas dans ton monde, chez moi on ne ment pas à ses amis. Même si ça va les mettre en colère, lui explique Mae comme si elle parlait à une imbécile.

— Je t'ai pas menti, Mae ! J'étais en train de travailler, et elle m'a rendu une visite surprise. Comme toi, je te ferais dire, se défend Nelson, luttant toujours pour rester impartial.

— Est-ce que tu as seulement considéré m'en parler un jour ? l'interroge alors sa camarade, considérant que s'il n'a pas menti sur son activité lorsqu'elle l'a appelé un peu plus tôt, il lui a quand même forcément caché sa relation avec la rouquine depuis un certain temps.

— Je sais pas ! J'ai pas pensé si loin, d'accord ? C'est juste arrivé, Nelson tente de se défiler, conscient qu'elle n'a pas entièrement tort.

— Et toi ? Tu en as parlé à quelqu'un ? Mae interpelle alors Sarah, qui regarde ses ongles manucurés dans une ostentatoire posture d'indifférence.

— Oh, tu me parles, maintenant ? elle juge bon de retourner, ne regardant la petite blonde que de côté, en plus de de haut, avec ses dix centimètres de plus ajoutés à ceux qu'elle gagne encore grâce aux talons de ses boots.

— Qu'est-ce que t'essayes de prouver, Mae ? intervient Nelson, ne voyant pas ce que le fait que la jeune fille rousse ait parlé de lui à qui que ce soit a à voir avec le fait qu'il n'a lui-même pas parlé d'elle à ses deux meilleures amies.

— Cette fille ne fait rien sans arrière-pensée, lance la blondinette, ses lèvres se retroussant sous le coup du dégoût.

— D'accord, donc maintenant elle veut quelque chose de moi, c'est ça ? lui propose Nels, d'un ton incrédule, pour lui faire entendre à quel point elle sonne folle.

Il peut comprendre qu'elle soit blessée qu'il ne lui ait pas dit qu'il fréquentait la jeune fille, d'autant plus qu'il sait qu'elle ne l'apprécie pas vraiment à la base. Qu'elle cherche à l'enfoncer à tout prix semble cependant une réaction un peu excessive tout de même.

— Si elle était sincère, tu crois pas qu'elle aurait parlé de toi à toutes ses copines ? lui renvoie Mae, dans sa logique irritée.

— Qu'est-ce qui te fait dire que ce n'est pas le cas ? soumet alors Sarah, provocatrice.

— Que tu viennes ici au lieu de l'emmener dans je-ne-sais-quel lieu public. C'est ce que tu as fait avec tous tes derniers copains-trophées, non ? Mae lui oppose sans difficulté, sa cible facile.

— Tu ne me connais pas ! Tu ne sais pas comment je gère mes petits amis. J'aime bien Nelson, et il semble bien m'aimer aussi, alors on va passer du temps ensemble, comme on veut, que ça te plaise ou non, rétorque la rouquine, faisant un pas en avant pour venir se placer à côté de l'adolescent et non plus derrière lui.

— Arrêtez ! Toutes les deux, arrêtez ! Ça suffit. Mae, c'est vrai, j'aime bien Sarah, on s'entend bien, et on s'amuse. Je suis désolé de pas t'avoir parlé d'elle, mais je te dis pas tout ce que je fais tout le temps. Ce serait venu dans la conversation quand ce serait venu. Et Sarah, Mae est ma pote depuis que je suis petit. T'es pas obligée de jouer les dures devant elle. Je suis sûr que vous pourriez vous entendre, si seulement vous laissiez tomber vos préjugés, Nelson revient se placer entre les deux jeunes filles, tendant presque les mains vers l'une et l'autre, à la façon d'un arbitre dans un match de boxe.

— Joli discours. Et je suis contente que tu t'amuses. Mais les préjugés, c'est quand on a pas d'arguments fondés, lui répond Maena, dure.

— Je n'ai pas de préjugé sur elle ! C'est elle qui a commencé à m'insulter, objecte Sarah de son côté, mains sur les hanches.

— Super mature ! la petite blonde commente l'accusation puérile de la grande rousse.

— Au moins autant que toi qui pètes un câble parce que ton soi-disant pote a une copine. Qu'est-ce qu'il y a, tu le croyais dans ta friend zone ? lance Sarah, ne se retenant toujours pas de provoquer l'autre adolescente, malgré la supplique de son petit ami.

— S'il vous plaît, arrêtez ! reprend justement Nelson, désespéré par le conflit qu'il n'arrive pas à contenir.

— Très bien ! Soyez très heureux ensemble, parce que pour moi, elle en vaut vraiment pas la peine, Mae le prend au mot, lui pousse brutalement la boîte de cookies qu'elle avait dans les mains sur le ventre, dans un geste de protestation, puis tourne les talons.

L'adolescent, après avoir réceptionné le paquet inattendu, d'une seule main et par pur réflexe, va pour partir après elle, mais Sarah l'attrape par le poignet pour le retenir. Il se retourne vers la rouquine avec incompréhension et une certaine dose de mécontentement, mais la façon dont elle secoue lentement la tête de gauche à droite semble le convaincre qu'elle sait mieux que lui la meilleure marche à suivre en le cas présent. Il a un regard triste vers son amie, qui a déjà retraversé le portail et rejoint la rue, mais la laisse donc partir.

La petite blonde est carrément partie dans la mauvaise direction, préférant faire le tour du quartier plutôt que de devoir repasser devant le couple, même de l'autre côté d'une grille. Elle ne s'est jamais sentie aussi trahie de toute sa vie. Nelson est son ami de plus longue date ; qu'il lui ait caché quelque chose d'aussi énorme est déjà difficile à avaler, mais qu'il l'ait fait pour toutes les mauvaises raisons est encore pire. Et la façon dont cette pimbêche s'est permise de lui parler ! Argh ! S'il ne s'était pas tenu entre elles, elle l'aurait étranglée. Non, en étant honnête, elle l'aurait frappée, en fait. Et ça l'aurait sans doute beaucoup soulagée. À la place, elle a dû se contenter de le taper lui, plus ou moins, avec un Tupperware de biscuits aux pépites de chocolat. Et c'est tout de suite beaucoup moins cathartique, comme sortie en tornade.

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