1x06 - Jolies Cœurs (1/16) - Crime & Châtiment

Du sang est étalé sur le sol de béton, en larges flaques vermeilles. L'épais liquide rouge a aussi giclé jusque sur les murs, et éclaboussé le mobilier métallique, le perlant comme d'une multitude de petits rubis morbides. Les draps de coton, imbibés du fluide cramoisi, ne retrouveront sans doute jamais leur blanc d'origine. Ici et là, des morceaux de chair, écorchée, coupée, mutilée, trempent dans l'hémoglobine, arrachés à ce qu'on devine à peine comme des corps humains, entreposés en plein centre de la pièce, comme soigneusement après toutes les misères qu'on leur a fait subir.

Avec un frisson dégoûté, Patrick renvoie les photos de scène de crime dans le dossier duquel il les a tirées à peine plus tôt. Il n'est pas sensible, mais pourtant ces images lui donneraient presque des haut-le-cœur.

Bien que ce soit un Samedi, l'inspecteur et son coéquipier se sont mis d'accord pour quand même venir au commissariat. Sauf cas particulier, leur présence n'y est requise qu'en semaine, mais ils se sont dit qu'être à leur bureau ne pourrait pas nuire à leur progression. Ils n'arrêtent jamais totalement de réfléchir à une affaire avant qu'elle ne soit close, où qu'ils soient, mais peut-être un environnement plus professionnel leur sera-t-il bénéfique. Non pas qu'il l'ait été ces dernières semaines…

Cela fait plus d'un mois qu'ils ont été assignés au meurtre de Joseph Pierce, et ils n'ont pas l'impression d'avoir avancé d'un pouce depuis le premier jour. Ils ont cette atroce sensation de travailler pour une usine à gaz, aucune de leurs pistes ne menant où que ce soit de pertinent. Et ce n'est pas faute d'y passer du temps, ou d'atteindre des sommets de créativité pour certaines.

Régulièrement, le labo leur envoie de nouveaux rapports, hélas sans annoncer plus de progrès qu'eux sur les éléments recueillis, sur la scène ou le corps de la victime. Il a de toute façon fallu remettre les restes du jeune homme à sa sœur le Mardi passé, les conserver plus de trente jours étant aussi déplacé qu'inutile.

Pendant ce temps, la folie meurtrière locale remarquée par Randers dès Décembre dernier continue, hors du contrôle des forces de police, et à l'insu de la population. Les clichés qu'il vient de consulter ne sont qu'un exemple parmi tant d'autres, qui le concerne peut-être un peu plus que le reste des homicides étranges qui prennent place à Chicago depuis près de deux mois, en plus d'être sans doute les plus violents.

- Tu vas jamais deviner, Patrick interpelle Sam en face de lui.

- Deviner quoi ? l'inspecteur mord machinalement à l'hameçon, sans même prendre la peine de relever la tête, absorbé par sa tâche.

- Les envahisseurs du lycée de tes neveux, ajoute Pat, cherchant à l'appâter.

- Quoi à propos d'eux ? s'impatiente l'autre, relevant le menton cette fois, potentiellement intéressé par le sujet mais n'appréciant pas le suspense entretenu par son partenaire.

Les mercenaires ont été gardés un peu plus d'une semaine sur place pour interrogatoires, avant d'être transférés vers un centre de détention à plus long terme, il y a une dizaine de jours. Après ça, l'inspecteur ne pensait plus jamais entendre parler d'eux. Et il en était très content, d'ailleurs, d'où son agacement à leur mention.

- Ils sont morts, annonce enfin Patrick, fier d'avoir réussi à ménager son effet.

- Quoi ?! s'exclame Sam, laissant carrément tomber son stylet sur son plan de travail dans son étonnement.

Sing Sing, à ses pieds, relève la tête de ses pattes.

- Tous autant qu'ils sont. Massacrés dans leur cellules cinq jours après leur transfert. Cerise sur le gâteau ? Ils ont été écorchés, poursuit Pat dans sa révélation, n'épargnant plus aucun détail.

- Écorchés ? Tu te payes ma tête ? son collègue se permet de mettre sa parole en doute, devant l'énormité de l'annonce.

- Nope. Et ni les gardes, ni les autres détenus, n'ont vu ou entendu quoi que ce soit, ajoute cependant le plus jeune des deux inspecteurs.

Il n'est pas mauvais au bluff, mais il ne l'utilise pas pour faire des blagues. Et depuis le temps, Sam connaît de toute façon les signes révélateurs de ses mensonges, et voit bien qu'il n'en démontre aucun en le cas présent.

- Pas de vidéo ? Pas d'audio ? demande alors l'oncle, en bon enquêteur.

- Rien. Et aucun signe de dysfonctionnement ou de sabotage. Je plaindrais les types qu'ils ont mis dessus, si on n'était pas dans le même pétrin, lui répond Patrick avec des précisions.

- Ils pensent quoi ? Employeur qui couvre ses arrières ? continue de l'interroger son équipier, passant outre son allusion à leur propre embourbement.

- D'après ce qu'on sait, ils étaient à leur compte, Randers oppose à cette théorie.

L'interrogatoire des kidnappeurs a été effectué dans les locaux, et suivi de près ou de loin par tous les officiers du bâtiment. Un raid de cette ampleur n'a pas lieu tous les jours.

- Ils sont entraînés pour garder le silence, propose Sam, avec tout le respect qu'il doit aux investigateurs qui se sont chargés des mercenaires.

Peut-être même la façon dont ils ont aussi facilement déballé tout leur plan était une diversion. La première technique de résistance à l'interrogatoire est bien de se concentrer sur ce qu'on peut dire au lieu de ce qu'on ne veut pas dire.

- Okay, en admettant qu'ils aient réussi à nous cacher qu'ils travaillaient pour quelqu'un, pourquoi est-ce que le quelqu'un en question prendrait la peine de les éliminer, alors ? Et d'une façon aussi voyante, en plus ? lui renvoie Pat, tout aussi capable de logique que lui.

- Pas faux, concède l'autre inspecteur, se mordant la lèvre inférieure dans sa réflexion.

- Mais j'admets que c'est louche. C'est pas la prison avec le moins de sécurité qu'il soit, donc ça a pas dû être facile. Et qui pourrait préférer qu'ils soient morts plutôt qu'ils prennent perpét', de toute façon ? reprend tout de même Randers, tout aussi perplexe sur l'affaire malgré ses objections à l'hypothèse la plus simple.

- Pour les avoir torturés comme ça, probablement quelqu'un qui leur en voulait beaucoup, raisonne Sam, pouvant sur ce coup exceptionnellement mieux comprendre les envies de vengeance que son collègue, pourtant à la colère facile.

- Il y a vraiment des métiers où tu te fais de mauvais ennemis, franchement, conclut Patrick, finalement incapable de compassion pour des gens qui ont été capables de pointer une arme sur des enfants.

L'oncle approuve cette opinion en hochant la tête, avant de relancer la vidéo qu'il avait mise en pause pour accorder toute son attention aux nouvelles apportées par son ami.

Si le massacre lui fait forcément penser, comme son équipier, à la flopée d'affaires insolites qui inondent le commissariat en ce moment, Sam ne croit pas qu'il soit lié à la liste qu'il a déjà établie. Les crimes qu'il a regroupés pour Iz ont en commun qu'ils sont dérangeants, certes, mais aussi qu'ils se sont produits la nuit et dans un endroit isolé. Pénétrer dans une prison présente un risque et donc des compétences bien plus élevées. Aussi, les victimes étant ici des criminels professionnels, un mobile sera sûrement établi par les enquêteurs, contrairement aux affaires sur lesquelles piétinent les forces de police depuis le début de l'Hiver. Il est inquiétant de penser qu'il y a un second cinglé en ville, mais quelque part aussi rassurant de penser qu'il devrait au moins être un peu plus facile à appréhender que son prédécesseur.

Scène suivante >

Commentaires