1x06 - Jolis Cœurs (10/16) - Stratégie

Jack et Caesar ont arrêté de travailler sur leur projet de biologie. Ils ont suffisamment progressé pour aujourd'hui, et avaient de toute façon prévu de ne plancher que le matin, et de consacrer l'après-midi à d'autres activités. Bien sûr, ils avaient aussi établi ce plan avant que Caesar n'apprenne l'indiscrétion de Jack, et la fin de journée s'annonce désormais beaucoup moins plaisante que de prime abord. Les deux adolescents ont déjeuné presque en silence, malgré les efforts du grand brun pour passer outre son agacement, et ceux du petit blond pour ne pas l'attiser à nouveau.

Assis face à face en tailleur, les deux lycéens sont désormais en train d'affronter une peuplade de petits monstres bleus dans un jeu de gestion et de stratégie, sur une grande et même surface intelligente posée entre eux à même le sol. Ils échangent des conseils et des avertissements, l'un dominant plutôt la récolte des ressources tandis que l'autre démontre plus de compétences pour lever une armée. Malgré cette cordialité, le surdoué finit tout de même par ne plus y tenir.

— C'est bon, j'en peux plus. Tiens, il lance tout à coup à son camarade, faisant glisser son RFSD apposée à un carnet électronique vers lui, après quelques pressions sur le petit rectangle.

— Quoi ? s'étonne Caes, plissant les yeux dans son incompréhension du geste.

— J'ai débloqué tous mes fichiers persos. Jette un œil, lui offre Jack, l'incitant à faire ce qu'il lui dit d'un mouvement du menton.

— Pourquoi est-ce que je ferais ça ? proteste l'adolescent, secouant la tête.

— Parce que j'aime pas que tu me fasses la gueule, C ! s'exclame l'autre, levant brièvement les mains dans son agacement.

— Ha, tu m'appelles effectivement comme ça quand tu es énervé après moi, relève Caesar, se souvenant de la question de sa sœur sur l'usage des initiales comme surnom par le petit génie.

Si le grand brun sourit enfin, ne serait-ce qu'en coin, Jack est pour sa part de plus en plus frustré.

— J'en ai pas après toi. C'est juste que tu n'as pas arrêté de grogner depuis ce matin, et d'habitude, ça te passe vachement plus vite que ça, quand je fais une connerie, s'explique la petit blond.

Il peut tolérer qu'on le boude pendant quelques heures, ça ne lui fait ni chaud ni froid. Et si ça dure, ça l'incite souvent à carrément laisser tomber. Il n'a pas la patience de faire des efforts, pour le plupart des gens. Avec Caesar, c'est différent. Ce qui est d'autant plus agaçant pour lui, d'ailleurs.

— J'ai pas envie de regarder dans ton dossier, Jack, lui répond son ami, repoussant le carnet et la carte vers lui.

— Ce serait équitable, raisonne l'autre, ne comprenant pas l'objection.

— C'est pas comme ça que ça marche. Je m'en fous que tu saches que je me suis cassé l'ulna quand j'avais 12 ans, que je suis né un 5 Janvier, et que mon frère est en médecine. Honnêtement, même si tu as vu d'autres trucs, ça m'est probablement égal que tu les saches. Ce qui m'embête c'est que tu l'aies fait en premier lieu. Et que tu m'en aies pas parlé tout de suite après, essaye d'élaborer Caesar, faisant un effort pour garder un ton calme.

Il a bien dit que Jack ne comprendrait pas, et que ce n'était pas la peine d'essayer de lui expliquer, mais puisqu'il est revenu sur le sujet, il n'a plus rien à perdre. On ne sait jamais, après tout, une lueur dans l'obscurité est toujours envisageable.

— Tu aurais eu la même réaction, lui oppose Jack, résolument cartésien.

— Oh Mon Dieu, tu es tellement un sociopathe que je ne sais pas pourquoi je ne pars pas en courant de chez toi ! Ce qui m'embête dans cette situation, c'est que tu ne te sentes même pas coupable, d'accord ? Tu devrais comprendre qu'on ne fouille pas dans les affaires des gens. Tu ne devrais pas t'inquiéter de ma réaction, mais t'en vouloir de ton action pour commencer. On ne se retient pas de faire les choses simplement à cause des conséquences, ça c'est bon pour les animaux et les gosses, et encore. Mais tu as été élevé par une succession de majordomes, donc ce que je te raconte, ça te passe là, explose Caesar, passant sa main droite loin au-dessus de sa tête pour accompagner son estimation du décalage de son ami.

— Qu'est-ce que je peux faire, alors ? se propose le blondinet, rien dans ce que lui annonce son ami ne lui apprenant comment faire pour qu'il ne lui en veuille plus.

Pour lui, attendre n'est pas une action à proprement parler. Et il se sait incapable de feindre une émotion. Ou en tous cas, pas en face de quelqu'un qui le connaît aussi bien que Caesar.

— Rien. Je sais comment tu es. Je sais que même si j'arrive à t'apprendre à ne plus recommencer, je peux pas te faire comprendre pourquoi. Mais c'est pas grave, je m'y suis fait, l'assure Caes.

— Donc, on est bons ? essaye de confirmer Jack, suspicieux de cette déclaration de paix.

— Je trouve que c'est déjà un progrès qu'au moins tu essayes de te racheter, le félicite indirectement son camarade, comme il sait qu'il faut invariablement le faire au moindre effort sinon le comportement inverse prendra le dessus.

— Alors tu vas plus me faire la gueule ? persiste à lui demander le surdoué, toujours aussi peu convaincu que les choses sont arrangées.

— J'ai le droit de faire la gueule si je veux. Et puis, s'il n'y a que ça que tu comprends… se défend Caesar.

— Justement, j'ai compris, tu peux arrêter, maintenant ! lui propose Jack, avec un grand sourire exagéré, suppliant.

— Des fois, être énervé c'est juste être énervé. C'est pas forcément pour le bénéfice d'autrui. Il faut que ça passe, c'est tout, lui rétorque l'autre, ne jubilant qu'à moitié de torturer son camarade.

— C'est long, commente le petit blond, ses épaules s'affaissant.

— Et on va bientôt mourir, ajoute l'autre, lui faisant relever la tête.

— Quoi ? il ne comprend pas.

— T'as pas mis pause, et j'ai tous mes greniers qui sont en train de se faire raser un par un, élabore Caesar, lui faisant enfin saisir qu'il est en train de revenir à leur partie.

Laissant échapper un juron fleuri, Jack reporte immédiatement son attention sur le jeu et envoie ses troupes à la rescousse des réserves de son allié. Alors qu'il est concentré sur le plateau, Caesar sourit.

Il a déjà réussi à réprimer certains comportements néfastes chez le petit blond, mais il a toujours été plutôt évident qu'il craignait plus les conséquences de ses actions qu'il ne se souciait de leur gravité intrinsèque. Et encore, souvent, les dégâts qu'il sait être sur le point de causer et/ou subir ne sont pas suffisants pour le dissuader d'agir. Qu'il se mette dans un état pareil simplement parce que Caesar lui parle d'un ton peut-être un peu plus sec que d'ordinaire — ce n'est pas comme s'il refusait de lui adresser la parole ou même était parti en claquant la porte — est donc particulièrement flatteur pour l'adolescent. Il a déjà constaté l'estime qu'il lui porte à la façon dont il a contenu son tempérament belliqueux vis à vis des regards indiscrets suite à la prise d'otages, mais ça lui fait d'autant plus chaud au cœur qu'il cherche activement à se faire pardonner qu'il se retienne simplement de faire quelque chose qu'il a envie de faire de peur de le déranger lui.

Juste comme ça, il est déjà moins en colère, et rejoint Jack dans la partie, s'empressant de construire de nouveaux greniers maintenant que les forces armées de son allié ont sécurisé la zone.

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