1x05 - Maîtrise des dégâts (6/17) - Cause du décès

Au dix-huitième district, Sam et Patrick font défiler les pages d'un document sur leurs plans de travail, à coup de petits balayages de la main droite. Dans une étrange et fortuite symétrie, ils couvrent également tous les deux le bas de leur visage avec leur main gauche, circonspects. Les inspecteurs semblent hypnotisés par leur lecture, qu'ils parcourent d'un regard aussi avide que minutieux.

— J'arrive pas à croire que le labo a mis autant de temps à nous pondre un compte rendu aussi peu concluant. J'espère au moins que ces mecs se sentent aussi mal que moi, déclare finalement Patrick, laissant apparaître une moue dépitée lorsqu'il repose ses mains sur son bureau.

Les deux collègues n'ayant pas parlé depuis la réception des rapports en question, Sing Sing lève la tête en entendant enfin des voix, mais la repose presqu'aussitôt, se rendant compte qu'on ne s'adresse pas à lui.

Après des semaines d'attente, submergée de travail, la division scientifique a en effet enfin envoyé ses conclusions concernant les indices matériels retrouvés, autant sur la scène du crime que sur le corps de la victime. Malheureusement, rien de pertinent n'a pu être isolé.

— C'est lequel, que tu lis ? s'enquiert Sam, dévoilant la même expression faciale que son équipier ou presque.

— L'arme du crime, lui répond Randers, d'un ton las.

— J'ai la cause de la mort, annonce l'oncle en retour, comme si ça suffisait à lui conférer la victoire de la lecture la plus déprimante.

— Et ? demande tout de même son partenaire, plus à une déception près.

— Bah, j'avais raison, c'est pas l'exsanguination, commence par révéler Quanto, se sentant un brin coupable d'avoir vu cette conclusion venir, sachant combien plus simple toute cette histoire aurait été dans le cas contraire.

Bien que Joseph Pierce ait été trouvé dans une mare de son sang, la flaque était trop parfaite pour être honnête, il l'a vu tout de suite. Le dernier souffle de la victime, ou ne serait-ce que les derniers battements de son cœur, ayant en théorie participé à l'épanchement de tout son volume sanguin, auraient dû perturber la surface du liquide rouge. Et ce n'était pas le cas. Il était donc forcément déjà mort au moment de son hémorragie.

Une interprétation possible de cet étrange comportement du sang à l'encontre de la gravité, envisagée par les inspecteurs aussi excentrique soit-elle, serait que son sang lui ait été prélevé puis déversé sur lui après sa mort. Ce scénario n'est hélas corroboré par aucune marque de seringue quelle qu'elle soit, même dans la plaie à la nuque, apparemment. Leur seule autre hypothèse était une drogue à l'effet anticoagulant explosif, mais elle semblait encore moins plausible aux deux enquêteurs, lorsqu'ils l'ont émise.

— Point pour toi. Mais alors, c'est quoi ? Patrick accorde son intuition désormais confirmée à son coéquipier, et cherche à en savoir plus.

— Officiellement, ils ont listé "mort cellulaire massive". Mais à leurs notes, ils sont tout aussi énervés que nous, Sam paraphrase les médecins légistes, avec une moue aussi dubitative qu'ils devaient l'avoir en écrivant une chose pareille dans leur rapport.

— D'accord et… qu'est-ce qui pourrait causer un truc pareil ? Pat enchaîne timidement.

Les sciences n'ont jamais été son forte. Il laisse ça à son partenaire, bien meilleur à ces choses-là, malgré son manque d'intérêt pour elles.

— Ils sont allé chercher loin, d'où le délai pour nous filer leurs conclusions, mais le bilan toxico est 100% négatif, donc ils savent pas, Sam continue de lire dans le rapport sous ses yeux, faisant défiler l'effectivement impressionnante liste de tests effectués par les laborantins d'un petit mouvement de son index et son majeur.

— Peut-être que c'est masqué par l'alcool, ils y ont pensé ? propose Pat, pris d'une inspiration soudaine, bien que sans trop y croire.

— Er… Son alcoolémie est nulle, en fait, annonce Quanto, soudain perplexe, en revenant en haut du tableau qu'il vient de survoler.

— Quoi ?! Comment c'est possible ? On sait qu'il était bourré. Il y a genre une vingtaine de témoins en plus de la vidéosurveillance où il titube comme un malade, Randers énonce tout haut ce qui vient déjà de faire tiquer son partenaire.

— Hum. Peut-être qu'il était effectivement drogué avec un truc. Mais le tueur aurait couvert ses arrières, effacé toute trace de substances étrangères dans son organisme, sans penser que ça prendrait aussi en charge l'alcool. Comment, je sais pas, mais… théorise doucement Sam.

— Juste quand je croyais que ça pouvait pas devenir plus sordide, grommelle l'autre, avec une grimace écœurée.

Il faut déjà un meurtrier particulièrement atteint pour entailler la nuque de sa victime aussi profondément. Jusqu'où peut bien aller l'ingéniosité de cet assassin ? Il semble s'être donné beaucoup de mal pour tuer un fêtard dans un parking en construction, et laisser un message somme toute pas clair du tout.

— On a quoi, sur l'arme ? s'enquiert Quanto, ne sachant pas trop comment rebondir sur ce dernier commentaire, n'en pensant pas moins.

— On pourrait aussi bien avoir que dalle. Par la profondeur de la plaie, on sait que la lame était large d'une petite dizaine de centimètres. Et par la finesse de la découpe, tranchante. Au-delà de ça, ça n'a laissé aucune trace de particules étrangères dans la plaie, donc on va pas aller crever loin, Patrick paraphrase à son tour le compte rendu qu'il a sur son bureau.

— D'accord. En restant sur cette idée que Joseph a été drogué, comme il y a aucun autre point d'entrée, le tueur a peut-être utilisé la coupure pour lui administrer quelque chose, le maître-chien s'efforce de faire coller les morceaux à leur nouvelle théorie.

— Parce qu'une injection n'est pas ce qu'il y a de plus simple pour ces choses-là, apparemment, raille Randers, haussant les sourcils dans son sarcasme.

— Il s'est donné suffisamment de mal pour ne laisser aucune trace de sa drogue dans l'organisme de sa victime. Il a sans doute voulu en garder jusqu'à l'existence un secret, raisonne Sam.

— Donc, en résumé, on cherche une drogue qui provoque une mort cellulaire massive instantanée, et après efface toute trace de sa présence. Avec pour effet secondaire un genre d'hémophilie post mortem effusive. Ça existe seulement, un truc comme ça ? essaye de récapituler Randers, ayant du mal à seulement comprendre chacun de ces paramètres séparément, encore moins ensemble.

— Pas que je sache. Mais ça veut dire que soit notre homme l'a inventé, soit il l'a fait faire par quelqu'un d'autre. Quoi qu'il en soit, on devrait chercher un biochimiste, répond Quanto, avec une expression agréablement surprise d'avoir pu tirer quelque chose de constructif de ces rapports d'analyses initialement décevants.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, c'est leur première avancée réelle dans cette affaire depuis son commencement, il y a bientôt trois semaines. Ils ont épuisé toutes les autres avenues, des conséquences de ses mœurs légères à un simple manque de chance potentiel, en passant même par la possibilité d'une attaque indirecte envers un proche. D'après les deux inspecteurs, Joseph Pierce n'aurait pas été en contact avec son assassin, directement ou indirectement, avant son meurtre. Le seul moyen pour eux de trouver le coupable est donc d'en établir un profil suffisamment précis pour pouvoir le trouver dans la population générale. Et ils viennent enfin de mettre en évidence leur premier critère discriminant.

Avec un sourire et des hochements de têtes entendus, les deux collègues mettent de côté ce qu'ils viennent de lire, et entament leurs recherches dans cette nouvelle direction.

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