1x05 - Maîtrise des dégâts (14/17) - Nom de plume
Toujours dans le réfectoire, quoiqu'à une table différente du matin, Mae, Ellen, et Nelson jouent à la bataille navale, chacun une surface sur les genoux, soigneusement cachée de leurs adversaires. Tandis que ses deux amis se jaugent du regard, la marginale essayant de deviner où l'adopté a bien pu aller cacher son torpilleur, le plus petit des bateaux de sa flotte, Mae repère quelqu'un au fond de la salle.
— Ell', la petite blonde hèle alors sa camarade.
— Oui ? répond l'interpellée, sans rompre le contact visuel avec Nelson, espérant naïvement arriver à transpercer son bluff, bien qu'elle n'en ait jamais été capable d'aussi loin qu'ils se connaissent.
— Ton "pote du journal" est encore là, Mae explique son intervention, marquant les guillemets de la voix.
Depuis ce qui commence à être connu comme 'l'Incident' avec un I majuscule, un jeune homme châtain aux grands yeux presque verts n'arrête pas de fixer Ellen de loin. La première fois qu'elle l'a remarqué, Maena a bien interrogé sa camarade à son sujet, mais cette dernière a esquivé la question, refusant de le décrire au-delà de comme 'un ami du journal'. La blondinette a été intriguée de n'avoir jamais entendu parler de lui, surtout à la façon dont il observe la petite excentrique, mais l'épiée ayant parfois ses raisons que la raison ignore, insister n'aurait pas été un bon plan. La benjamine Quanto s'est donc contentée de faire remarquer la présence du mystérieux adolescent à chaque fois qu'elle l'a repérée, ces trois derniers jours, espérant finir par obtenir des précisions par une voie détournée.
Aujourd'hui encore, le grand garçon regarde Ellen avec intensité depuis l'autre bout de la pièce, où il est assis avec son propre groupe, à la conversation duquel il ne prend pourtant pas du tout part.
— D'accord, l'adolescente gantée accepte l'information, sans autre réaction qu'un bref coup d'œil en biais pour la vérifier.
— Est-ce que tu vas envoyer ta torpille, oui ou non ? intervient Nelson, voyant que son adversaire est distraite.
— Pourquoi tu ne veux pas lui parler ? Il a l'air de sincèrement s'inquiéter pour toi, craque Maena, incapable de laisser de l'espace à son amie plus longtemps.
L'adolescent à sa droite la regarde en écartant les bras, n'appréciant pas qu'on l'ignore de manière aussi flagrante.
— Tant pis pour lui, répond Ellen, butée, avant de lancer son attaque à peu près au hasard sur la grille de jeu, d'un tapotement sec.
— Qu'est-ce qu'il t'a fait de pire que ce qui nous est arrivé Mardi ? essaye de la raisonner la petite blonde.
Elle sait qu'elle s'engage sur un terrain miné, mais l'inconnu lui fait trop de peine, avec son air penaud.
— Juste parce qu'il m'est arrivé un truc horrible ne veut pas dire que je dois pardonner tous les trucs moins pires. Et c'est ton tour, réplique l'autre.
— Pas systématiquement, mais il a l'air de vraiment se donner des coups de pieds, insiste Mae, ignorant la partie de plus belle.
Agacée, Ellen finit par poser sa surface sur la table devant elle, achevant de ruiner le jeu pour Nelson, qui l'imite avec un soupir. L'adolescente jette un nouveau coup d'œil à son admirateur secret, et semble enfin hésiter à vider son sac.
— C'est à cause de toi, d'accord ? elle avoue finalement à son amie en face d'elle.
— Pardon ? relève Mae, soudain perdue.
— Je suis en colère après lui à cause de toi. Enfin, à propos de toi, précise Ellen.
— Je le connais même pas ! proteste la blondinette, de plus en plus désorientée.
Nelson, bien qu'un peu boudeur, les bras croisés et renfoncé dans sa chaise, suit tout de même l'échange du coin de l'œil, faute de mieux à faire.
— Si. C'est FYI. L'auteur de la rubrique, du moins, révèle Ellen.
À son visage presque crispé, elle s'attend à la pire des réactions de la part de Mae. Même Nels reste bouche bée. Non pas qu'il ait quoi que ce soit à faire du journal, dans le fond, mais il a tellement entendu les deux jeunes filles se chamailler sur le sujet qu'il a presque l'impression que ça le concerne aussi.
— Quoi ?! s'exclame simplement la petite blonde, n'en croyant pas ses oreilles.
— Il s'appelle Brennen. Et c'est lui qui a écrit l'article sur Caes et Jack, confirme Ellen, pendant que Nelson parvient enfin à fermer la bouche.
— Er… D'accord. Mais je croyais que tu trouvais cet article "pertinent" ? Maena reste plus calme qu'elle ne l'aurait elle-même cru.
Aussi remontée soit-elle contre le journaliste précédemment anonyme, elle a toujours vu Ellen en être une défenseuse féroce, elle. Il semble donc assez surprenant qu'elle lui en veuille aujourd'hui pour ça.
— Celui-là, oui. Celui qu'il m'a montré Lundi soir, beaucoup moins, la petite marginale ajoute à ses révélations, corrigeant la méprise de Mae.
— Il veut renchérir ? croit deviner la petite blonde, posant enfin sa tablette à côté de celle de ses amis sur la table, prête à bondir de sa chaise au besoin.
Maintenant qu'elle sait qui il est, elle serait tout à fait capable d'aller lui toucher deux mots sur ses pratiques journalistiques, s'il réitérait sa précédente indiscrétion.
— Non. Il a un nouveau sujet : toi, lui apprend sa camarade, fronçant le nez d'appréhension à sa réaction.
— Moi ? Qu'est-ce qu'il peut bien inventer sur moi ? comprend de moins en moins Mae.
— Il n'invente rien, il tire juste des conclusions très hâtives de certains évènements, Ellen paraphrase ce dont sa camarade a toujours accusé le jeune journaliste à chaque fois qu'il était question de lui.
— Qu'est-ce qu'il a sur moi ? interroge Mae de plus belle, se creusant toujours la tête pour savoir ce que ça pourrait bien être.
Elle n'a jamais été le sujet d'un article, seule ou dans un groupe, pour quelque raison que ce soit, positive comme négative. Elle n'arrive donc pas à imaginer ce qui pourrait avoir changé récemment. Mais d'un côté, elle n'aurait jamais imaginé que qui que ce soit puisse remettre en doute la sexualité de son frère. En plus, c'est un sujet has-been.
— Strauss, se contente de déclamer Ellen, comme si le nom propre se suffisait à lui-même.
Même Nelson fronce les sourcils, perdu. Qu'est-ce que leur prof de Maths vient faire là-dedans ? Il pourrait être le sujet de nombreux articles de la théorie du complot à lui seul, mais quel rapport avec la petite blonde ?
— Quoi ?! s'exclame à nouveau Maena, toujours aussi déboussolée.
— Bren a un témoin qui insiste que, la fois où tu lui es tombée dans les bras, c'était pas un accident, la marginale élabore, marchant toujours sur des œufs.
La mâchoire de Nelson se décroche à nouveau. Même lui doit bien admettre qu'une telle accusation est scandaleuse. Pas étonnant qu'Ellen soit montée au créneau !
— Quel témoin ? s'agace soudain Mae, n'appréciant pas du tout la tournure de cette conversation.
Il y avait du monde, autour, lors de sa chute miraculeusement contrôlée. Mais justement, ils ont bien vu qu'elle s'était bel et bien cassé la figure sans le faire exprès. Il faudrait un talent incroyable pour feindre un tel soleil, très honnêtement.
— Aucune idée. Il ne sait pas lui-même, vu que les sources sont anonymes. Mais comme c'est effectivement arrivé, il peut supposer tout ce qu'il veut à partir de ça, son amie lui explique la situation, qui ne lui plait pas plus qu'à elle.
— C'est absurde ! enrage la blonde, se retournant vers le journaliste avec un regard soudain outré, à l'opposé de la compassion d'un peu plus tôt.
Tout à fait capable de deviner, à leur gestuelle soudain explosive, ce qui est en train de se passer entre les deux jeunes filles, l'intéressé s'excuse rapidement auprès du groupe à côté duquel il était installé, et quitte le réfectoire avec autant de précipitation qu'il peut tout en évitant de se faire remarquer. Ce faisant, il ne perd pas son air de chien battu, voire son expression devient encore plus honteuse qu'auparavant.
— C'est ce que je lui ai dit. Et c'est surtout beaucoup plus grave que ce qu'il a écrit sur Caes. Strauss pourrait avoir de vrais ennuis, Ellen abonde dans le sens de sa camarade.
— C'est infondé. Personne n'y croira, Mae passe au déni.
— J'ai lu le premier jet de l'article ; fais-moi confiance, même moi j'ai failli y croire, la détrompe son amie avec une grimace désolée.
— Et ben… merci, Ell', la remercie alors Maena.
— De quoi ? ne la suit pas l'autre.
— De m'avoir défendue, élabore la petite blonde.
Après toutes les fois où Ellen a pris le parti du jeune homme devant elle, ça n'a pas dû être facile pour elle de s'opposer à lui. Et puis il y a ses grands yeux verts qui ne doivent rien arranger, elle peut le concéder.
— Il est allé trop loin, se contente de déclarer l'adolescente à bonnet, en guise d'il n'y a pas de quoi.
— Depuis combien de temps tu sais qui il est ? l'interroge Mae, après un petit pause pour pondérer toutes ces nouvelles informations.
— Je suis fan depuis que je suis arrivée ici. Je n'ai pas eu de mal à le repérer dans l'équipe du journal, répond l'autre, avec un haussement d'épaules.
— Et tu ne m'en as pas parlé à cause de Caesar ? devine la blondinette.
— Oui. En fait, c'est un peu comme ça qu'on s'est formellement rencontrés. Je lui suis plus ou moins rentrée dedans à propos de son sujet, confirme la marginale, grimaçant à ce souvenir.
— Après l'avoir soutenu devant moi ? s'étonne Mae.
Nelson, toujours spectateur silencieux de cet échange, affiche l'outrage. Elles lui ont tellement rebattu les oreilles, avec ce débat sans fin, alors qu'elles étaient toutes les deux d'accord, quelque part !
— Je ne vais pas choisir entre mes principes et mes amis, quand même, s'explique Ellen, avec sa cohérence bien à elle.
— Bah, il a l'air de bien t'aimer malgré tout, se permet d'enfin intervenir le garçon du groupe.
Il ne l'aurait sans doute pas remarqué si Maena ne l'avait pas pointé du doigt, mais puisqu'elle le lui a montré, il ne peut qu'abonder dans son sens ; on ne regarde pas quelqu'un comme ça sans arrière-pensée. Et s'ils se sont disputés, ça signifie indubitablement qu'il veut réparer les choses.
— Il a compris mes objections. Il a juste une vision très… libérale du partage d'informations. Il estime que l'intox est parfois le meilleur moyen de pousser les gens à chercher la vérité, expose l'adolescente, retrouvant son attitude protectrice.
— Tu devrais aller le voir quand même, conclut alors Maena, à la plus grande surprise d'Ellen.
— Mae ! Il a pas dit qu'il allait revenir sur son histoire ! elle objecte à cette idée, rien n'ayant changé pour elle.
— Je suis à peu près sûre qu'il a un autre sujet pour Lundi prochain, maintenant, la tempère la petite blonde, faisant évidemment référence à la prise d'otages, dont tous les articles vont sans doute faire une analyse à leur sauce, au prochain numéro du journal du lycée, le Lundi suivant.
— Et la semaine d'après ? lui propose Ellen, haussant les sourcils, alarmée.
— La semaine d'après, ce sera les vacances, lui rappelle Nelson, qui compte toujours les jours jusqu'aux prochains congés.
— Je doute que ça suffise à lui faire oublier, continue de protester la marginale, y ayant beaucoup réfléchi, sans doute.
— Peut-être que ce sera la durée de réflexion qu'il lui faut pour changer d'avis. Ou peut-être que je vais aller lui en toucher deux mots moi-même d'ici là. Tout ce que je dis, c'est que si la seule chose qui t'empêche d'aller lui parler maintenant c'est cette histoire d'article, c'est un peu bête. Il a l'air sincèrement inquiet, Mae se montre raisonnable.
Le silence s'installe, Ellen ruminant ces bonnes paroles. Peut-être que son amie n'a pas tort. Peut-être que juste aller le rassurer qu'elle va bien après l'épreuve dramatique que leur établissement a traversé ne signifie pas qu'elle lui donne son aval pour publier son article diffamatoire. Peut-être même que le traumatisme d'être retenu en otage lui a fait voir les choses sous un angle nouveau, et qu'il a compris de lui-même pourquoi il ne devait pas émettre une telle accusation sans preuves. Ou peut-être qu'il a carrément oublié l'article et s'en veut tout simplement de s'être brouillé avec elle, alors qu'ils auraient pu mourir le lendemain.
La voyant afficher un air grave, Nelson vient poser une main sur son épaule. Elle peut encore prendre un peu de temps pour y réfléchir. De toute façon il est parti, elle ne va quand même pas lui courir après dans les couloirs, si ? Pour lui changer les idées, il propose de recommencer une partie de bataille navale, ce qui provoque l'hilarité chez ses deux camarades, bien qu'elles acceptent ensuite avec enthousiasme.
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