1x05 - Maîtrise des dégâts (12/17) - Bar

En début d'après-midi, Markus et Robert font leur entrée dans le pub où Jena est barmaid depuis quelques jours maintenant. En les invitant, elle a parlé du début de soirée, mais en entendant la proposition, Rob n'a pas voulu attendre. Aussi, ils ont pensé être plus tranquilles sur cette plage horaire.

Arborant un T-shirt blanc à l'enseigne de l'établissement, la jeune femme brune est en train d'essuyer le bar avec un chiffon lorsque les deux étudiants en médecine apparaissent. D'un geste de la main, Markus attire l'attention de celle qui ce matin encore était un peu sa colocataire.

— Hey ! Vous êtes venus ! s'exclame Jena en apercevant les deux compères, arrêtant les mouvements circulaires de sa main sur le bois.

— J'en ai beaucoup trop entendu sur toi pour ne pas accepter l'invitation, lui répond Rob, se plaçant sur un tabouret devant le bar, les présentations inutiles.

— Vous vous rendez compte qu'on a un jour été en cours ensemble, non ? intervient Mark, toujours aussi atterré de cette amnésie mutuelle.

— Ouais. Et je n'ai aucune mémoire de son visage, lui confirme son collègue en désignant la jeune femme du pouce, la galanterie au diable.

— Aww, c'est adorable, parce que je ne me souviens pas de toi non plus, l'intéressée entre dans son ton de plaisanterie, pas le moins vexée du monde.

Si Rob a parfois la capacité de concentration d'un enfant en bas âge, le trou de mémoire de Jena reste tout de même un peu plus surprenant aux yeux de Markus. Elle l'a reconnu, lui, à la bibliothèque, et depuis il l'a au contraire trouvée très attentive à son environnement. Mais il est encore possible que cette dernière caractéristique ait été acquise ultérieurement à sa fugue, après tout.

— Soyez gentils, vous deux, le grand frère se place en médiateur, désireux que ses deux amis s'entendent bien.

— Tu sais, je ne me souviens peut-être pas de toi, mais il m'a rappelé que tu avais fait une sacrée sortie. Tu en parles ? Robert demande alors à la barmaid, mettant sciemment les pieds dans le plat.

— Non, elle répond simplement, secouant la tête à la négative et balançant son chiffon sur son épaule, avant de croiser les bras.

Elle n'a pas perdu son sourire, mais ne plaisante pas sur sa réponse pour autant.

— Juste "non" ? Même pas de cette énorme cicatrice sur ton coude, par exemple ? Rob insiste, pointant du doigt vers le bras droit de la jeune femme.

Jena baisse les yeux sur la large cicatrice qui orne effectivement son coude, et remonte jusqu'à la moitié de son avant-bras dans une forme de fuseau. La jeune femme glisse ensuite ses mains dans ses poches arrière, pour dissimuler ce signe distinctif.

— Je me suis faite ça petite, elle justifie succinctement.

— Avec une tronçonneuse ? raille Rob, impressionné par la longueur de l'entaille, même si la netteté de ses contours suggère un outil bien différent.

— Er… Tu n'avais pas ça à Walter Payton. Je le saurais, j'étais assis derrière toi, intervient Mark, plus sérieux.

— C'est flippant que tu te souviennes de ça, lui fait remarquer Jena, faisant glisser son chiffon de son épaule jusqu'au bar dans sa stupéfaction.

— Voilà ce qu'on récolte pour s'inquiéter de ton bien-être ! il s'excuse maladroitement.

D'une part, il sait que c'est étrange qu'il se souvienne d'un détail pareil. D'autre part, il ne veut surtout pas admettre qu'il s'est déjà interrogé sur cette cicatrice. C'est d'ailleurs justement parce qu'il y a déjà réfléchi qu'il se souvient que la marque n'était pas présente sept ans plus tôt. Après, en plus de tout ça, le tracé de la balafre contredit également le fait que Jena ait grandi avec.

— Comme je l'ai dit : je ne parle pas de ce qu'il m'est arrivé dans l'Est, la jeune femme revient sur sa première réponse, sans mentir cette fois.

— C'est criminel ? Indécent ? Honteux ? propose alors Robert, haussant les sourcils, indiscret.

Son côté un peu dingo permet souvent au jeune homme de soumettre aux gens les questions que personne d'autre n'ose leur poser. Toute la famille Quanto s'est déjà beaucoup penchée sur la question du passé mystérieux de la jolie brune, Markus et Mae en particulier, les plus incorrigiblement curieux, mais personne n'a jamais osé l'interroger directement. Et comme elle ne laisse filtrer que très peu d'indices, il leur a été très difficile d'émettre des hypothèses un tant soit peu soutenues, ou même ne serait-ce que d'en écarter certaines. Ainsi, à défaut de preuve du contraire, celles énumérées par le collègue de l'aîné sont restées dans leur liste des éventualités, même si elles n'ont évidemment jamais été les favorites. Avec un peu de chance, grâce au culot de son pote, l'aîné de la fratrie va enfin obtenir une réponse qui éclaircira un minimum le mystère.

— Qu'est-ce qui te fait croire que, si ça correspondait à ne serait-ce qu'un seul de ces adjectifs, je te le dirais ? Jena retourne cependant à l'étudiant, s'accoudant au bar.

Sa posture et son regard seraient presque intimidants si elle ne gardait pas un sourire en coin, signe indéniable qu'elle est tout bonnement aussi joueuse que son interlocuteur.

— Je suis un optimiste, il lui répond en se penchant à son tour vers elle, comme sur le ton de la confidence.

Elle conserve ses grands yeux verts plantés dans le bleu des siens pendant encore un instant, comme pour mesurer la part de sérieux et la part de blague dans son attitude, puis éclate de rire, choisissant de tout prendre sur le ton de la plaisanterie.

— Qu'est-ce que je vous sers ? elle demande ensuite aux deux jeunes hommes, en se redressant.

Étant donné l'heure, rien d'alcoolisé évidemment, mais rester assis à un bar les mains vides n'est pas très agréable. Robert opte pour demander à Jena de les surprendre, récoltant une œillade atterrée de Markus. La jeune femme accepte cependant le défi avec un nouveau sourire, et démontre ensuite une impressionnante dextérité au maniement des bouteilles. Voilà là peut-être justement un indice de ses péripéties de jeune fugueuse : elle n'a clairement pas menti en disant avoir de l'expérience dans ce métier.

Scène suivante >

Commentaires