1x05 - Maîtrise des dégâts (11/17) - Mae

Lorsqu'Holden ouvre la porte et fait entrer Maena dans son infirmerie, elle se rend jusqu'à la chaise qu'il lui propose pratiquement à reculons. Elle s'y s'assoit ensuite brutalement, et laisse tomber son sac à ses pieds avec tout aussi peu de douceur. Évidemment, son attitude réfractaire n'échappe pas à l'infirmier, qui s'applique tout particulièrement à apparaître calme et souriant.

— Bonjour, Mae, il la salue, après avoir pris place en face d'elle.

À l'instar de son frère, la jeune fille n'est pas une habituée de l'endroit, mais son surnom d'usage est renseigné dans son dossier.

— Bonjour, elle répond, polie malgré son humeur.

— Comment vas-tu ? il s'enquiert, voyant bien son manque d'enthousiasme.

— Je viens vous voir pour faire évaluer mon état psychologique parce qu'il y a trois jours j'ai été prise en otage. Ça va super, elle lui réplique, railleuse.

— Ton amie Ellen était ici un peu plus tôt, il essaye d'établir une connivence.

— Je sais, Mae confirme un peu sèchement.

Elle ne considère visiblement pas du tout que le fait qu'on y soit passé avant elle est une raison valable pour être plus ouverte à l'examen. Peut-être estime-t-elle que son cas est différent de celui de sa camarade ?

— L'expérience a été particulièrement effrayante pour elle, poursuit l'infirmier, espérant amener l'adolescente à s'ouvrir par une voie détournée.

Au-delà de faire appel à son instinct grégaire, la mention de son amie pourrait l'investir émotionnellement. Sans compter l'éventuelle psychologie inversée, selon laquelle entendre parler de quelqu'un d'autre pourrait lui donner envie de parler d'elle-même. Même si l'infirmier ne pense pas que Maena soit ce genre de patiente.

— Je sais, elle répète à nouveau, décidément fermée.

— Est-ce que tu étais effrayée, Mae ? il change d'approche, l'interrogeant directement.

Il n'est pas rare, surtout à l'adolescence, de dissimuler sa vulnérabilité par de l'attitude. Or, il est impératif qu'elle lui fasse part de ses faiblesses, directement ou indirectement, si cet entretien doit être un succès.

— Bah… oui, répond la petite blonde, hésitant pour la première fois depuis son entrée dans la pièce.

— Ne le prends pas mal, mais ce n'était pas très convaincant, il se permet d'observer.

— Un homme armé est entré dans la salle en pleine interro de Maths. Disons que j'étais trop occupée à avoir du mal à y croire pour avoir peur, elle modifie sa réponse, enfin honnête mais toujours sur la défensive.

C'est donc là son souci. Comme sa camarade, elle a peur de ne pas avoir eu la bonne réaction à la situation, et n'a pas envie d'être jugée pour ça. C'est finalement un schéma assez classique, même si l'embarras a rendu Ellen timide, alors qu'il rend plutôt Maena hostile.

— C'est un bon troc, encourage au contraire l'infirmier.

— Vous trouvez ? relève l'adolescente, avec un hoquet de surprise.

— Si vraiment à aucun moment tu n'as eu peur, oui, il lui confirme.

L'acceptation a un pouvoir phénoménal. Si Mae se sent mal de ne pas avoir eu peur alors qu'elle pense que c'est ce qu'elle aurait dû ressentir, lui faire comprendre qu'elle a en réalité gagné au change est essentiel.

— J'ai eu peur pour Caesar, avoue cependant la jeune fille, trouvant toute seule de la normalité dans son comportement, en fin de compte.

Une grande part de la thérapie consiste à écouter son patient. Souvent, il détient ses propres réponses, il faut simplement savoir le guider vers leur obtention.

— Ton frère ? vérifie l'infirmier.

Non pas que Maena et Caesar soient des prénoms particulièrement courants, et que le lien de parenté ne soit pas indiqué dans les dossiers que le trentagénaire potasse depuis trois jours tous les soirs avant de venir. Mais souligner cette relation fraternelle maintenant lui semble important.

— Oui, confirme l'adolescente.

— Tu savais qu'ils cherchaient Jack. Et tu savais que Caesar était avec lui. C'est logique, il met en évidence la cohérence de son ressenti.

En l'occurrence, l'infirmier ne pense pas qu'elle soit dérangée d'avoir eu peur pour son frère. Mais justement, insister sur le fait qu'une partie au moins de sa réaction lui semble déjà normale est un bon début pour qu'elle accepte que le reste l'a été tout autant.

— Si j'avais peur pour lui, pourquoi j'ai pas eu peur pour moi ? elle retourne son outil contre lui, perturbée par ce décalage.

Comme bon nombre d'élèves et même d'enseignants, elle a déjà beaucoup repensé à ce qui s'est passé, et s'est posée ses propres questions. Seul, on ne se pose cependant pas toujours les bonnes.

— L'adrénaline fait des miracles, lui propose Holden.

Aussi, nous ne sommes pas des machines et ne réagissons pas toujours exactement de la même manière à exactement les mêmes circonstances. Non pas que son propre sort et celui de son frère puissent être confondus, non plus.

— J'ai attaché un homme, elle insiste dans son outrage à son propre comportement, voyant que le trentagénaire ne fait que lui chercher des excuses, qu'elle n'est pas prête à accepter.

— Ah oui ? ne peut s'empêcher de s'étonner l'infirmier à cette révélation.

Il savait déjà que le ravisseur avait fait un malaise. Et Iz lui a appris ce matin que le mercenaire avait été découvert attaché au pied du bureau du professeur. Jusqu'ici, aucun des élèves avec qui il a parlé n'a cependant fait mention de ce détail. Il ignorait donc que c'est la jeune fille qui s'était occupée de ça.

— J'ai fouillé dans ses poches, et j'en ai sorti le même type de zipper qu'il avait utilisé pour nous attacher nous, elle élabore, baissant brièvement les yeux vers ses mains sur ses jambes.

Elle ne parle pas de l'acte-même de lier les poignets du mercenaire, mais qu'elle s'en soit effectivement chargée ou non, l'infirmier ne pense pas qu'elle y voie de différence, et il ne relève donc pas.

— Un instant avant, cet homme était sur le point de faire du mal à ton amie, il justifie les actions de la lycéenne.

— Il était pratiquement mort. Strauss a dit qu'il avait à peine un pouls. Et tout ce que j'ai pensé c'est qu'il fallait l'attacher. C'est bizarre, non ? elle prend le trentagénaire à témoin.

— Pourquoi est-ce que tu as pensé qu'il fallait l'attacher ? il pose une question, au lieu d'affirmer quoi que ce soit.

Non, ce n'est pas bizarre. Ce qui était en train de lui arriver était bizarre, donc en les circonstances, elle a agi normalement. Mais il lui reste encore un peu de chemin à parcourir avant d'intégrer ça.

— Parce qu'il était… dangereux, elle répond avec hésitation, comme si l'adjectif ne lui convenait pas.

— Ton oncle est inspecteur de Police, n'est-ce pas ? Ça ne me paraîtrait pas complètement absurde que tu aies une forte notion du maintien de l'ordre, d'arrêter les criminels, il lui propose comme origine de son idée.

— J'aurais dû vouloir fuir. Nelson voulait partir. Et les autres aussi, elle se met en opposition à la majorité.

Pourquoi est-ce qu'on pense toujours que c'est le plus grand nombre qui décide de ce qu'est la normalité ? Ce n'est vrai qu'en statistiques. Dans les faits, la limite est bien plus floue, quand elle existe seulement.

— Pourquoi tu es restée ? lui demande alors l'infirmier.

S'il ne la voit certes pas encore clairement, il y a forcément une logique au comportement de la jeune fille, aussi tordue puisse-t-elle lui paraître a posteriori. Il lui suffit de la déterminer pour lui faire accepter ses actions.

— Pour attacher le gars, répond Mae immédiatement, en clignant sous le coup de l'incompréhension des intentions de son thérapeute du jour.

— C'était ton but. Je te demande la cause, Holden revient sur sa question.

— Je… commence la petite blonde, sans pouvoir finir sa phrase.

Elle ne sait pas pourquoi elle n'a pas suivi les autres. Strauss leur a dit de partir, et ils l'ont fait. Elle aurait dû y aller avec eux. Elle aurait dû avoir envie de partir avec eux, même. En plus, personne n'avait validé son idée d'attacher le mercenaire, elle en a pris l'initiative toute seule. Pourquoi est-ce qu'elle a ressenti ce besoin d'intervenir alors que le soldat était déjà neutralisé ? Et quand bien même, en quoi était-ce sa responsabilité ?

— Tu n'as aucune obligation d'avoir une réponse, finit par reprendre le trentagénaire en face d'elle, voyant qu'elle commence à paniquer de ne pas savoir quoi dire, à la façon dont ses yeux regardent successivement dans un peu toutes les directions du vide.

— Pourquoi poser la question, alors ? elle lui demande, presque vexée, croisant les bras.

— Justement pour pouvoir te dire que tu n'es pas obligée de savoir y répondre. Mae, il est assez clair que tu as du mal à faire sens de tes réactions de ce jour-là. Et je suis là pour te dire que tu n'es pas contrainte de le faire ! Je te l'ai dit, l'adrénaline fait des miracles. Et puis, rien de ce que tu as fait n'est vraiment illogique, en fin de compte. Tu as été plus surprise qu'effrayée, ce qui est un bon mécanisme de défense. Tu as été inquiète pour ton frère, ce qui était légitime en les circonstances. Tu as voulu empêcher l'homme qui venait de faire du mal à ton amie de lui nuire à nouveau, ce qui est tout à fait compréhensible. Tu ne te reconnais peut-être pas dans ces comportements, mais ce n'est que parce que tu n'étais pas tout à fait toi-même, à ce moment-là, il lui expose point par point, soulignant chaque étape de sa prise de parole par le geste, pour encore plus de clarté.

— Donc, quoi, je plaide la folie passagère ? elle reformule, ne semblant pas convaincue, bras toujours croisés.

— Tu n'as rien à plaider. Tu n'es coupable de rien. La seule personne qui te reproche quoi que ce soit, c'est toi. D'où je suis, tu t'es sortie comme une cheffe d'une situation difficile. Quel est le mal à ça ? il lui soumet alors, cherchant à comprendre son insistance à se trouver un problème quand elle a tous les éléments pour conclure que tout va bien.

— C'est juste… bizarre, elle essaye de lui faire comprendre ce qui la gêne, sans grand succès, se tortillant sur sa chaise.

— Et c'est un problème ? il réitère sa question précédente sous une autre forme.

— Je suppose que non, elle finit par répondre, en haussant une épaule et fronçant le nez.

— Il n'y a pas de supposition qui tienne. On fait tous des choses qui nous semblent étranges, parfois, et il n'y a rien de grave à ça, crois-moi, il reformule la morale de leur échange, pour être sûr qu'elle l'assimile correctement.

L'adolescente ne répond rien, et se contente de hocher la tête. Si elle n'est pas convaincue pour le moment, ça devrait venir.

Somme toute, comme beaucoup des otages, elle se porte bien. C'est la plus agitée que l'infirmier ait vue jusqu'ici, mais si elle a réellement été en contact avec l'agresseur, même après son malaise inopiné, c'est finalement encore plus logique que si ça n'avait été dû qu'à une simple variabilité caractérielle.

Bien qu'il pense qu'elle saura digérer leur échange toute seule, Holden se permet tout de même de lui rappeler, comme à tous ses autres patients jusqu'ici, que sa porte est toujours ouverte si elle veut discuter encore. De ça ou autre chose, d'ailleurs.

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