1x04 - Haut les mains (10/15) - Chacun son tour

Voilà plusieurs heures que les élèves de Walter Payton sont à la merci de leurs ravisseurs. Difficile d'estimer le passage du temps sans horloge fonctionnelle, et quoi qui ait été utilisé pour neutraliser les instruments électroniques a aussi affecté les montres analogiques. Leur faim suggère cependant que l'heure du déjeuner a été dépassée.

Dans la classe de Strauss, toute cette attente ennuie malheureusement le geôlier. Il a vite compris, comme beaucoup de ses collègues, que ses otages étaient trop jeunes pour compter sa cible parmi eux, et a donc abandonné son interrogatoire assez tôt. Mais il ne peut pas décemment les laisser sans surveillance pour autant. C'était le plan. Chacun une classe, sans savoir qui aurait la bonne. Dès que quelqu'un trouve le morveux qu'ils cherchent, il passe récupérer les autres, et ils quittent les lieux, laissant les poulets se rendre compte de ce qui s'est passé bien après leur départ.

Seulement voilà. Ça fait vraiment longtemps qu'il attend. Combien de temps trouver un adolescent parmi d'autres peut-il vraiment prendre ? Il marche de long en large, tantôt entre le bureau du professeur et les premières tables, tantôt entre les rangs. À ses mouvements de tête de plus en plus fébriles, ces variations d'itinéraires ne vont cependant plus l'occuper bien longtemps.

Les élèves se sont arrêtés de pleurer ou de gémir, la plupart catatoniques, serrés les uns contre les autres, attendant que cette terrible situation passe. Leur enseignant n'a en revanche quant à lui pas perdu sa réaction première, fixant toujours leur gardien d'un regard doublement sombre.

N'y tenant finalement plus de tant d'inaction, le mercenaire vient soudain s'accroupir devant Mae et Ellen, et dévisage la plus petite des deux. Celle-ci garde les yeux rivés au sol, tandis que son amie blonde ose regarder l'homme.

— C'est quoi ton nom, ma jolie ? il interroge, celle à qui il s'adresse évidente malgré sa cagoule et ses lunettes.

Mae fronce légèrement les sourcils, incrédule à la stupidité de la question en ces circonstances. Ell' ferme pour sa part les yeux, sans avoir même pris la peine de relever le menton. Agacé, le mercenaire soupire, et la saisit alors brusquement par le bras. La lycéenne à bonnet laisse échapper un cri alors qu'il la relève et l'emmène avec lui au milieu de la salle, l'arrachant à sa camarade blonde, qui reste figée, ne sachant pas comment elle pourrait s'interposer.

— Qu'est-ce que j'ai dit en arrivant ? Que tout allait bien se passer. Mais pour ça, il faut aussi faire ce que je dis. Ça veut dire que tu dois me répondre, quand je te pose une question, expose le soldat, dans sa logique viciée.

— Lâchez-la, s'élève soudain la voix de Strauss derrière eux.

Incrédule, le mercenaire se retourne lentement vers le professeur, qui s'est détaché du mur pour l'affronter. Sans laisser partir Ellen, le criminel se rapproche du grand brun ténébreux, d'un pas excessivement mesuré. C'est difficile à dire avec le masque, mais il semble impressionné par la témérité de l'enseignant. Ou sa stupidité, il n'arrive pas à se décider.

Une fois face à face, les deux hommes restent un instant à se toiser en silence puis, sans sommation, le tortionnaire vient violemment percuter la pommette de Strauss avec la crosse de son arme.

Sous l'impact, ce dernier tombe à terre en détournant la tête, ce qui tire un nouveau cri à l'assemblée. À genoux, le mathématicien porte ses mains liées à son visage, touchant sans doute le sang qui perle par l'inévitable entaille causée par le coup.

— La. Ferme, son agresseur lui répète le tout premier ordre qu'il lui a donné, se penchant au-dessus de lui pour accentuer sa position de force.

Ses mains désormais à nouveau sur le sol, Strauss retourne la tête vers lui. Quelques mèches brunes sont collées à la petite coulée écarlate qui est effectivement apparue sous son œil droit, ne lui donnant qu'un air plus farouche encore qu'auparavant. L'enseignant reste muet mais ses yeux qui lancent des éclairs n'en disent pas moins. Le mercenaire a un sourire mauvais en avisant la plaie, comme satisfait des séquelles de son acte de violence, ainsi que l'assise de son autorité.

— Maintenant, on en était où ? il reprend ensuite à l'intention d'Ellen, qu'il tient toujours par le bras, n'accordant pas son attention plus longtemps au prof de Maths et sa volonté d'intervenir.

Alors que l'adolescente pleure toujours, le soldat dégage une mèche châtain de son visage avec sa main armée, provoquant une grimace de dégoût chez la jeune fille. Elle essaye instinctivement de s'écarter de lui, mais sa prise sur son bras est trop ferme, et elle tremble bien trop.

Et puis tout à coup, c'est lui qui s'écarte d'elle. Il desserre son emprise, et commence à secouer la tête, comme s'il était curieusement et soudainement pris de vertiges. Avec quelques respirations difficiles à travers le tissu qui couvre son visage, il porte sa main droite, toujours équipée de son fusil d'assaut, à son cœur. Lâchant enfin sa victime, il tombe finalement à genoux, puis s'effondre carrément entièrement sur le sol, inconscient.

Un moment de flottement passe durant lequel personne n'ose bouger, avant que Nelson ne se précipite sur son amie et ne l'écarte de son tortionnaire miraculeusement neutralisé. Strauss se relève ensuite à son tour et vient s'accroupir à côté du corps inerte. Le mathématicien porte son index et son majeur au cou du mercenaire, et le tissu de sa cagoule l'empêchant de faire ce qu'il essaye de faire, il va même jusqu'à en relever le bas, afin d'avoir un accès direct à sa peau.

— Il est…? interroge le grand adolescent, cherchant à comprendre ce qui vient de se passer.

— Il est vivant. Mais à peine, répond le professeur en relevant les yeux vers lui.

Une vague d'étonnement indistinct parcourt la classe, mais personne n'ose vraiment encore bouger. Ça paraît trop facile. Il ne peut pas les avoir terrorisés pendant tout ce temps simplement pour tomber dans les pommes tout seul, sans raison apparente. Ce serait trop beau. Il va se relever, c'est sûr.

Strauss retire sa main du cou du soldat, et remet même son passe-montagne en place, un peu comme s'il s'en voulait d'avoir perturbé l'herméticité de son ensemble. Malgré les respirations retenues, l'homme ne montre toujours aucun signe qui indiquerait qu'il va bientôt revenir à lui.

— On devrait l'attacher, propose alors Mae, toujours assise au pied du mur, et malgré l'immobilité angoissante de leur tortionnaire.

Son enseignant la regarde à travers ses mèches brunes. Il semble prendre sa suggestion en considération, tandis que son meilleur ami croit halluciner :

— Non mais ça va PAS ? La seule chose qu'on doit faire c'est partir ! s'exclame Nelson, qui lèverait sans doute les bras au ciel s'ils n'étaient pas attachés et occupés à entourer Ellen.

— Fais-ça. Emmène les autres dans la première classe vide que tu trouves. Er… Miss Clarke est en congé maternité et n'a pas encore été remplacée. Sa salle de dessin est libre. C'est la deuxième porte sur la droite. Allez-y. On ne sait pas dans combien de temps ses collègues vont venir le chercher, Strauss développe l'idée de son élève, faisant preuve d'un étonnant sang-froid.

Personne ne remet cependant en question le plan du mathématicien, autant parce qu'il s'emble bon que parce que tout le monde est encore sous le choc. De plus, malgré ses hésitations au moment d'énoncer son projet, il n'est pas impossible qu'il y ait réfléchi tout le temps où ils sont restés prostrés dans cette salle, en silence et sous surveillance. Petit à petit, d'autres lycéens commencent à se relever dans la pièce, se préparant à partir, y compris Mae.

— Et qu'est-ce qu'on est supposés faire là-bas ? relève tout de même Nelson, à qui il semblerait bien plus logique de carrément quitter le bâtiment pour aller chercher de l'aide.

— Rester hors de danger jusqu'à ce que soit des secours arrivent, ou ces hommes s'en aillent. Ce n'est pas vous qu'ils veulent, s'ils ne vous trouvent pas directement, ils ne vous chercheront pas, raisonne l'enseignant.

Ses yeux presque noirs sont soulignés non seulement pas sa chevelure tout aussi sombre mais aussi le sang rouge vif qui coule toujours sur sa joue et le long de son menton, maintenant.

— Pourquoi est-ce qu'on sort pas juste du bâtiment ? insiste Nels.

— Il y a des allées et venues permanentes. Ces hommes n'auront pas pris la peine de couper les communications et maîtriser tout le monde pour qu'un retardataire fasse échouer leur plan bêtement. Ils ont sans doute posté des hommes aux issues pour intercepter tout nouvel arrivant, achève de le contrer Strauss, avec toujours autant de présence d'esprit.

Incapable de négocier plus longtemps, l'adolescent capitule, et entraîne Ellen toujours blottie contre lui vers le couloir. Le reste de la classe, encore en train de sortir peu à peu de sa torpeur, leur emboîte rapidement le pas, à l'exception de Maena, qui reste seule avec leur enseignant.

— Vous étiez dans l'armée ? interroge cette dernière, cherchant une explication au calme olympien de son professeur sous pression.

Dans le mouvement de foule pour quitter la pièce, elle s'est rapprochée de lui et du corps inerte à côté duquel il est toujours agenouillé. Elle se tient debout là, immobile, clairement perturbée.

— Non, répond simplement le mathématicien, avisant toujours l'homme inconscient devant lui.

S'agenouillant à son tour, l'adolescente vient fouiller d'une main fébrile dans la poche de la veste du mercenaire d'où elle l'a vu sortir les liens avec lesquels il les a neutralisés, et qu'ils ont d'ailleurs toujours aux poignets. Elle en tire un zipper, qu'elle tend à son enseignant.

Ce dernier la regarde un instant, ne manquant pas de remarquer le léger tremblement qui la parcourt et qui se réverbère dans le bout de plastique, mais il choisit d'ignorer ce qu'elle lui propose. Il se redresse, et se met à tirer l'homme sans connaissance jusqu'à son bureau, autour du pied duquel il fait passer le bras par lequel il l'a saisi pour le déplacer. Seulement alors Strauss revient-il accepter ce que lui présente toujours Maena, et attache-t-il les poignets de leur assaillant l'un à l'autre.

Voyant que son élève ne fait pas mine de se redresser une fois leur tâche terminée, il retourne une seconde fois auprès d'elle, et lui tend la main. Elle lève de grands yeux toujours aussi traumatisés vers lui, puis accepte l'aide qu'il lui offre pour se remettre sur pieds. Strauss a une furtive grimace inquiète, avant de la lâcher et de lui indiquer du geste de suivre le chemin déjà emprunté par ses camarades à peine plus tôt.

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