1x03 - L'air de rien (8/16) - Récit

Mark et Jena marchent dans la rue, côte à côte, lentement. Le jeune homme a bien proposé de s'asseoir sur un banc, voulant épargner à sa compagne de porter son sac sur une trop grande distance, mais elle a refusé, sous prétexte qu'il n'était pas aussi lourd qu'il en avait l'air. Il pense surtout que marcher la tranquillise, puisqu'elle semble déjà beaucoup moins agitée qu'elle ne l'était à l'arrêt de bus.

Elle l'a d'abord laissé parler de lui, ce qu'il a accepté sans relever. Il peut tout à fait comprendre qu'elle ne soit pas impatiente de partager ses problèmes avec un ancien collègue de lycée qu'elle ne fréquentait pas vraiment à l'époque et n'a pas revu depuis presque sept ans, aussi gentiment lui propose-t-il une oreille compatissante.

Markus a donc commencé par évoquer ses études, et a évidemment été amené à mentionner Rob, dont elle ne semble curieusement pas plus se souvenir que lui ne se souvient d'elle. Ce moment d'étonnement amusé passé, Mark a ensuite rapidement raconté que son frère et sa sœur étaient toujours à Walter Payton. Il est resté vague sur la profession de son père, mais n'a pas jugé nécessaire de taire que son oncle était inspecteur de Police. Il parle même de Sing Sing, ses petites histoires de chien toujours bonnes pour détendre l'atmosphère.

Puis, les deux jeunes gens ont fini par s'arrêter pour prendre une boisson chaude, et maintenant, le silence qui règne entre eux indique que c'est au tour de la demoiselle de déballer. Loin de Mark l'idée de vouloir la forcer, mais il est simplement à court de choses à lui raconter.

— Je suis revenue pour ma sœur. Elle est dans le coma, Jena avoue soudain, avec le même type de rapidité dont on peut faire preuve lorsqu'il faut enlever un pansement adhésif.

L'étudiant reste choqué un instant à la nouvelle, mais s'efforce de ne pas trop le laisser paraître, s'appliquant à la place à faire tourner sa tasse sur elle-même dans sa main.

— Ça explique ta présence dans le rayon neurologie. Je me suis demandé ce que tu faisais là, après coup. Qu'est-ce qu'il lui est arrivé ? il choisit de répondre, considéré mais ne voulant pas ouvertement plaindre la jeune femme.

— Électrisation. Basse tension, et ça a suffi pour complètement foutre en l'air son activité cérébrale, elle explique, avec un sourire triste.

— Je suis désolé, lui offre Mark.

Il ne se rend compte qu'il la fixe que lorsqu'elle ose enfin relever ses yeux vers les siens. Il se détourne alors précipitamment, gêné, plongeant son nez dans son breuvage.

— Pas autant que moi, elle confirme, se détournant à son tour, quoique plus amusée que gênée.

— Ce n'est pas ta faute, il essaye de la consoler.

Il ne sait pas ce qu'il ferait s'il arrivait quelque chose à l'un ou l'autre de Caesar ou Mae. Et très honnêtement, il préfère ne pas y penser. La famille est un concept bizarre pour lequel on ne peut pas savoir à l'avance jusqu'où on serait prêt à aller.

— Mes parents ne sont pas tellement d'accord sur ce point. Et j'ai tendance à leur donner raison, rebondit Jena de manière inattendue.

Markus ne peut pas retenir un froncement de sourcils d'incompréhension.

— Comment est-ce que ça pourrait être ta faute ? il interroge, pratiquement sur le ton de la rhétorique tant l'idée lui semble absurde.

— J'avais son âge quand je suis partie de la maison. Et la lettre que j'ai laissée, elle était pour elle. Mais elle avait à peine dix ans, qu'est-ce que tu veux qu'elle y ait compris quelque chose ? Elle a juste vu que sa sœur était partie, et ça ne lui a pas donné un excellent exemple, essaye de justifier la petite brune, d'un ton fataliste.

— Est-ce qu'elle s'est électrisée en essayant de fuguer ? tente de la raisonner Markus, même si, à son intonation sceptique, il pense clairement que les bases de cette logique ne sont pas saines.

— Non, mais ce n'est pas la question, rejette Jena avec une grimace agacée.

— Les accidents, ça arrive. Et même si par une espèce de tour du sort c'était effectivement ta faute, tu es là maintenant. Tu es revenue pour elle. Ça compte, insiste Markus, prenant un autre angle d'attaque.

— J'espère, elle accepte enfin son soutien, se mordillant la lève inférieure, les larmes aux yeux.

Elle se détourne en soufflant doucement, pour se retenir de franchement pleurer à toutes vannes ouvertes. Il lui laisse le temps de retrouver une contenance avant de reprendre la parole :

— Ce n'est pas pour me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais ça semble quand même un peu extrême de la part de tes parents, de te mettre à la porte. Est-ce qu'ils n'étaient pas contents de te revoir ? il l'interroge avec autant de délicatesse que possible.

Malgré ses craintes, le sujet fait sourire la jeune femme. Elle se retourne vers lui pratiquement en riant.

— Je ne suis plus la fille qu'ils ont perdue. Et même elle, ils ne la comprenaient déjà pas. Je ne corresponds pas à l'image qu'ils se sont construite de moi. Je suis une étrangère, pour eux.

C'est un triste constat, mais il ne semble pourtant pas l'affecter autant que la situation de sa sœur. Au contraire, elle a l'air d'avoir totalement accepté la rupture entre ses parents et elle. Ce qui n'est peut-être pas si étonnant, de la part d'une fugueuse qui n'est jamais revenue à la maison. Et qu'ils n'ont pas beaucoup cherchée contre son gré, non plus.

Encore une fois, Markus essaye de se mettre à sa place, mais il échoue encore plus cuisamment qu'auparavant. Il serait totalement perdu sans son père, ou même seulement son oncle. Et il a 23 ans maintenant, il est majeur. Lorsqu'elle est partie, Jena n'en avait que 16.

— Dur. Tu as pourtant gardé le contact, à ce que j'avais compris ? il essaye de trouver une faille dans la situation, qui lui expliquerait comment elle a pu autant tourner à la catastrophe, à son sens.

— Comment est-ce que tu sais ça ? s'étonne la jeune femme, le scrutant tout à coup avec intensité.

— Je t'ai dit que mon oncle est inspecteur de Police. Comme tu étais dans ma classe, il m'avait tenu au courant, à l'époque, il révèle ses sources, sans complexe.

Elle hoche la tête, rassurée qu'il ne soit pas, encore une fois, le harceleur qu'elle a soupçonné qu'il puisse être en le voyant apparaître à son arrêt de bus.

— Il ne t'a pas menti. J'ai effectivement gardé le contact. Mais avec ma sœur, pas mes parents, elle apporte une légère correction, avec un sourire contrit.

— Oh, laisse échapper Markus, comprenant mieux la situation.

— Autre source de friction, elle confirme, réitérant son expression dépitée.

Mark détourne la tête, refusant de la regarder avec toute la compassion qu'il ressent, de peur qu'elle la prenne pour de la pitié. Elle ne lui paraît pas être le genre de personne à bien tolérer ce genre de réaction à ses problèmes. Elle n'avait déjà pas l'air fragile au lycée, et bien qu'il ne sache toujours pas avec exactitude ce qu'elle a traversé ces sept dernières années, seule dans la nature, il voit bien que ça n'a fait que l'endurcir. Pour preuve, il était loin de se douter, en la revoyant à la bibliothèque il y a une quinzaine de jour, que sa situation était aussi tragique qu'elle vient de le lui apprendre. Il était simplement heureux de constater qu'elle n'était pas morte, qu'elle semble même aller bien. Il n'a pas cherché plus loin.

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