1x03 - L'air de rien (7/16) - "C'est un défi, pas un pari."
Au commissariat du dix-huitième district, Elizabeth est en train d'organiser un calendrier, par l'intermédiaire d'une tablette posée sur l'un de ses avant-bras, lorsque Sam fait son entrée dans la salle du serveur central. Sans lui prêter attention, il se dirige droit vers la surface intelligente au fond de la petite pièce, à laquelle il appose son RFSD afin d'effectuer un ajout d'éléments à la base de données mutualisée.
La plupart des serveurs centraux, a fortiori officiels comme celui d'un commissariat de Police, ne sont accessibles que physiquement, entièrement coupés du réseau global, pour des raisons de sécurités évidentes. Ceci explique les fréquentes allées et venues d'inspecteurs dans la pièce, afin d'incorporer leur progression personnelle aux archives générales, ou inversement récupérer des informations générales sur leur carte mémoire attitrée.
La brunette regarde un instant le maître-chien placer les bons fichiers au bon endroit, discrètement, levant les yeux mais pas la tête. Elle hésite à prendre la parole, puisqu'elle a tant été agacée qu'il engage la conversation le matin-même.
— Quanto ? Est-ce que cette pièce n'est pas hors de votre juridiction ? elle finit par l'interpeller tout de même, trop tentée par l'idée d'être celle à le surprendre, pour une fois.
Il est vrai qu'elle ne l'a jamais autant vu ici depuis qu'il lui a confié ces fameux dossiers. Or, c'est une pièce où elle passe beaucoup de temps. Et après son inquisition d'un peu plus tôt, elle n'arrive pas à chasser de sa tête l'idée que le changement de comportement de l'inspecteur est justement dû à ce qu'il lui a demandé. Elle l'a nié longtemps, se sentant égocentrique, mais plus ça va moins cette interprétation lui semble absurde.
— Haha. Très drôle. Je viens juste mettre à jour quelques éléments de mon affaire, rit faussement l'inspecteur à son sarcasme.
Il est en effet en train d'ajouter les informations concernant deux nouvelles ex-partenaires de Joseph Pierce à la liste pourtant déjà conséquente de ses conquêtes. S'il les entre dans le système central, c'est cependant qu'elles ont été écartées en tant que suspectes, donc la manipulation n'est hélas pas exactement une marque de progrès.
— Est-ce que ce n'est pas Randers qui s'en occupe, d'habitude ? ne peut pas se retenir de demander Iz, n'ayant auparavant jamais vu que le plus jeune du duo se charger de cette tâche.
— On fonctionne par semestre, lui rétorque l'inspecteur du tac au tac.
Comme la jeune femme n'est ici que depuis Septembre, elle ne peut pas prouver qu'il s'agit d'un mensonge, mais elle a tendance à faire confiance à son intuition. Et à cet instant précis, malgré le talent aiguisé de Sam, elle sent qu'il essaye de l'embobiner. Elle n'a pas imaginé tous ces regards inquisiteurs la semaine passée, ni son approche supposément innocente ce matin-même.
— Très bien. Vous voulez jouer ? Jouons, elle lui lance, le faisant se retourner vers elle.
— Pardon ? il relève, se donnant un air innocent qui tape très exactement sur le nerf sensible de la jeune femme.
— On n'a qu'à en faire un pari. Si vous ne pouvez pas vous retenir de venir me demander où j'en suis pendant une semaine entière, ou même de me fixer comme un maniaque, ce sera votre tour de m'apporter le café. Pendant quelques mois. Ça ne me semble que justice, elle propose, inspirée.
— C'est un défi, pas un pari, il commente, croisant les bras en souriant, impressionné par son audace.
— Prenez-le comme vous voulez, elle lui accorde, ne lâchant rien.
— Qu'est-ce que j'ai si JE gagne ? il demande alors, plissant légèrement ses yeux bleus.
— À vous de voir, elle ose, soudain aventureuse.
Le sourire de l'inspecteur s'élargit, et elle en viendrait presque à regretter sa témérité, mais ne laisse rien paraître.
— Tu n'as pas idée de ce dont je suis capable, il la met en garde.
Elle le dévisage d'un air de dire que c'est lui qui n'a pas idée. Il est pourtant sans doute au courant de sa propre réputation de coureur de jupons, qu'est-ce qui pourrait lui faire croire qu'elle n'est pas revenue aux oreilles de la jolie brune ?
— Je vous fais confiance pour vous comporter en parfait gentleman, elle l'assure et lui conseille à la fois.
— Très bien. Si je gagne, tu dois sortir du placard, il annonce alors, provoquant un mouvement de recul chez elle.
— Est-ce que les gens utilisent encore cette expression pour quoi que ce soit ? elle lui fait remarquer, cherchant mentalement la dernière fois qu'elle a lu cette tournure de phrase, doutant de l'avoir déjà entendue.
— Vous savez de quoi je parle, il ne se laisse pas déconcentrer pour si peu.
Oui, elle voit très bien où il veut en venir. Il parle de sa place dans le commissariat. Elle n'estime pas que ce soit un secret ; il s'avère simplement que la plupart des gens l'ont commodément oubliée. Et pour bon nombre de raisons, ça a plutôt tendance à l'arranger que la vexer. Sinon, elle aurait corrigé la méprise générale depuis longtemps, évidemment.
— Ça semble difficilement équitable, elle commence par protester.
Son gage l'obligerait à bouleverser toute sa dynamique de travail, alors que ce qu'elle lui demande ne serait pas une énorme contrainte.
— Je ne vois pas en quoi ma proposition est rien de moins que digne d'un gentleman, il défend sa requête, avec ce fameux air innocent qui la pousse à bout.
C'est elle qui a lancé cette idée de pari. Comment peut-il encore se retrouver en position de force ? C'est rageant !
— Je ne cache rien à personne, elle déclare avec véhémence, dans une ultime tentative de le persuader de lâcher l'affaire.
— Alors tu n'as rien à perdre, il lui renvoie cependant, la prenant à son propre piège.
Elle aurait dû être plus maligne que d'essayer de faire laisser tomber quoi que ce soit à un inspecteur de la criminelle. Surtout lui. Il a ça en commun avec son chien : ni l'un ni l'autre ne laisse jamais rien passer. Sam a peut-être mauvaise réputation auprès de la gent féminine — et encore, pas à tous les niveaux — mais d'un point de vue professionnel, son dossier est impeccable. Il est non seulement très observateur et logique, mais il a également d'excellentes intuitions, qu'il suit toujours jusqu'au bout. Dès le moment où il a décidé de se mêler de ses affaires, elle aurait dû savoir qu'elle ne se débarrasserait jamais de lui.
Voyant qu'Iz ne répond rien, l'oncle prend son silence pour une acceptation du défi lancé. Sans rien ajouter de plus, il récupère son RFSD sur la table intelligente à côté de lui, le transfert terminé depuis plusieurs minutes déjà, puis quitte la pièce, retenant avec difficulté la fierté dans son regard.
Laissée seule, la brunette serre d'abord les dents, mais finit par sourire. Elle ne peut pas lui en vouloir ; il a eu le dessus sans tricher. Ce qui est d'ailleurs sans doute le plus frustrant dans cette situation.
Commentaires
Enregistrer un commentaire
Alors ? Ça vous a plu ?