1x03 - L'air de rien (6/16) - "J'ai enfreint une règle, c'est ça ?"
En sortant d'une cabine de toilettes, Caesar tombe à sa plus grande surprise nez à nez avec la femme blonde qu'il a vue dans le réfectoire il y a un peu plus d'une semaine. Assise contre un lavabo, ses longues jambes tendues, chevilles croisées, elle pianote à deux mains sur un carnet électronique, avec grande application et dextérité.
L'adolescent reste un instant figé, la main sur la porte de sa cabine, se demandant si ce n'est pas lui qui s'est trompé d'endroit.
— Er… Bonjour, il finit par offrir timidement à la belle blonde, puisqu'elle ne semble pas l'avoir remarqué.
— Bonjour, répond la jeune femme sans lever les yeux de son écran.
Caesar referme la porte derrière lui et s'approche des lavabos, avec prudence, comme si l'inconnue était un dangereux animal sauvage qu'il avait peur de brusquer.
— Er… Ce sont les toilettes des hommes, il ose finalement déclarer, n'hésitant qu'à cause du comportement intimidant de son interlocutrice, pour le reste finalement certain qu'il ne s'est pas trompé.
— Quoi ?
Elle daigne enfin poser les yeux sur lui. La teinte noisette de ses iris lui laisse curieusement un peu la même impression factice que lui avaient donné ses cheveux, la première fois qu'il l'a vue. Il est suffisamment près maintenant pour savoir qu'elle ne porte pas plus de perruque que des lentilles de contact, mais l'impression ne s'en va pas pour autant. Le lycéen s'éclaircit la gorge, pour se donner une contenance.
— Vous êtes dans les toilettes des hommes. Les toilettes des filles, c'est à côté, il reprend, désignant la bonne direction d'un mouvement de la tête et du bras.
— Et ?
Elle ne semble pas voir où est le problème. Dans les faits, s'il n'est pas rare de trouver des filles dans cette pièce, elles sont généralement accompagnées. Son ami Jack n'est d'ailleurs pas le dernier instigateur de ce comportement subversif, même si ça n'apporte rien à la situation présente.
— Vous êtes une femme, poursuit Caesar, décidément déstabilisé par l'inconnue.
Il en est sûr, parce qu'en dehors de son absence de pomme d'Adam, aucun travesti ne pourrait porter des jeans aussi serrés à l'entrejambe sans qu'il soit évident qu'il n'est pas une femme.
Elle grimace brièvement, voyant bien son inconfort.
— J'ai enfreint une règle, c'est ça ? elle lui demande, abaissant son appareil sur ses genoux.
— Je sais pas si on peut appeler ça une règle. C'est plutôt une convention, il essaye d'adoucir son objection, ne sachant pas trop à quoi s'attendre de la part de cette femme au comportement décidément bien étrange.
— Peu importe, elle ignore plus ou moins ce qu'il vient de dire avec un haussement de sourcils et un sourire condescendant.
Sur cette micro-expression, la femme blonde se redresse de son appui, puis quitte la pièce. Caesar se lave enfin les mains, se disant qu'il en a fini avec elle, avant de l'imiter. Il manque cependant de la bousculer en sortant, puisqu'elle s'est arrêtée juste devant la sortie, tombée face à face avec l'infirmier du lycée.
Les yeux du trentagénaire, écarquillés de surprise, tant à la présence d'une femme sortant des toilettes des hommes qu'à celle d'une inconnue dans l'établissement, passent de la jeune femme à l'adolescent, perdus. Personne ne bouge, attendant que quelqu'un d'autre reprenne ses esprits le premier.
— Bonjour, Caesar. Comment va ta main ? finit par arriver à prononcer Mr. Uglow.
Donnez-lui un accident n'importe quand, et il saura gérer comme un chef. Une situation sociale inattendue, en revanche, il a plus de mal. D'autant plus lorsque la gent féminine est concernée.
— Bonjour, Monsieur. Bien. Ma main va bien, merci, répond l'adolescent, non sans soulagement à la rupture de l'inconfortable silence qui s'était installé.
— Vous ne m'avez toujours pas dit qui vous êtes, reprend l'adulte à l'intention de l'inconnue, lui ayant sans doute posé la question pendant les quelques secondes qu'il aura passées seul à seul avec elle, avant que le lycéen ne les rejoignent.
— Pas besoin. Je suis sur le chemin de la sortie, elle se contente de répondre.
Sans avoir l'air agacée mais sans vraiment sourire pour autant, elle prend alors effectivement la direction de l'entrée du bâtiment la plus proche. L'infirmier ouvre et referme la bouche plusieurs fois d'affilée, perturbé à tant de niveaux qu'il ne sait pas auquel donner la priorité sur les autres.
— Qu'est-ce que… il commence une question, plus pour lui-même que pour l'adolescent toujours avec lui dans le couloir.
— Je la connais pas. Elle était juste dans les toilettes quand je suis sorti, se défend immédiatement Caesar, ne voulant surtout pas être associé à la mystérieuse jeune femme et ses éventuelles transgressions.
— Je ne crois pas qu'elle soit un professeur, s'étonne l'adulte, le regard toujours tourné vers là où elle a disparu.
Sans doute l'image de sa silhouette persiste-t-elle sur sa rétine. Personne ne pourrait l'en blâmer, avec ces jeans qu'on aurait pu dire cousus sur elle.
— Je l'ai vue à la cantine, une fois. Et parler à un prof de Maths, à la sortie des cours, lui apprend l'élève, se voulant serviable.
— Donc, tu ne penses pas que je devrais prévenir la sécurité ? l'interroge cette fois directement Uglow, posant ses yeux sur lui.
— Ils ne peuvent pas vraiment l'avoir ratée, il raisonne, en haussant une épaule, pas vraiment sûr de lui.
— Vrai, tombe cependant d'accord le trentagénaire, avant d'à nouveau perdre son regard dans le couloir où s'est pratiquement évaporée l'inconnue.
— Je devrais retourner en cours, propose Caesar en voyant l'adulte absorbé par le vide, et ne voulant pas partir sans dire au revoir.
— Oui, bien sûr ! Bonne journée, Caesar, lui répond l'infirmier, reprenant ses esprits et lui accordant un sourire.
— Bonne journée, Mr. Uglow, finit de saluer Caesar avant de s'éloigner.
Il peut comprendre la réaction du trentagénaire. Cette femme blonde dérange vraiment l'adolescent. Non seulement il la voit toujours dans des endroits incongrus, mais au-delà de ça, il reste à chaque fois sur cette impression de vertige indescriptible, avec elle. La façon dont elle bouge, peut-être ? Il n'arrive pas à mettre le doigt dessus.
Mais il est également possible qu'il se fasse des films. Après tout, la personne la plus intelligente qu'il connaisse, Jack, n'a rien remarqué à propos d'elle. Aussi, ça n'a pas vraiment d'importance. En quoi cette femme blonde et ses potentiels secrets le concernent-il ? Elle ne fait rien qui l'affecte en quoi que ce soit. Autant l'écarter de ses pensées. Dans l'immédiat, il doit de toute façon retourner en cours d'arts plastiques avant que son professeur ne commence à s'inquiéter de son absence.
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