1x03 - L'air de rien (5/16) - Curiosité

Mae, Ellen, et Nelson, sont assis autour d'une table dans la bibliothèque de leur lycée. Le garçon a pris la tête, tandis que les deux jeunes filles se font face. Chacun une tablette entre les mains, ils s'occupent comme ils peuvent durant cette heure libre de leur emploi du temps. La petite blonde griffonne sans conviction, tandis que le garçon est hypnotisé par une vidéo, un seul écouteur à ses oreilles, pour tout de même être attentif à ce qui l'entoure au besoin. La dernière de la troupe, ayant opté pour une touche orange aujourd'hui, tourne frénétiquement les pages d'une lecture qui l'absorbe entièrement.

— Qu'est-ce que tu lis ? demande soudain Mae à Ellen, n'arrivant pas à se plonger dans son exercice.

— Huh ? Moi ? Quoi ? Rien, sursaute l'interpellée, plaçant sa main gantée à plat sur la page pour la couvrir.

Évidemment, son comportement ne fait que redoubler la curiosité de son amie, qui plisse les yeux et se penche au-dessus de la table qui les sépare. Une mimique de compréhension apparaît alors sur son visage lorsqu'elle reconnaît l'emblème de leur établissement entre les doigts de son ami.

— Le journal du lycée. Laisse-moi deviner : section FYI[1] ? poursuit la petite blonde, un sourcil haussé.

— … Non, se défend Ellen du ton le moins convaincant qu'il soit.

— Ta main est pas assez grande pour cacher toute la page, Ell', l'informe distraitement Nelson, ayant à peine besoin de lever les yeux vers elle pour l'affirmer.

— Zut, elle s'exclame, amenant l'outil à elle cette fois, atteignant enfin son objectif de dissimulation bien que malheureusement trop tard.

— Je vois franchement pas ce que tu trouves à cette rubrique. C'est de l'invention pure et simple, déclare Mae, visiblement très remontée sur le sujet.

Il s'agit en effet là de la rubrique ayant pris pour thème Caesar et ses préférences, il y a quelques mois. Avant ça indifférente à l'encart en question, l'adolescente en était depuis lors devenue une fervente détractrice.

— Non, c'est toujours cohérent ! proteste sa camarade, avec une moue blessée.

Elle serre encore un peu plus sa tablette contre elle, comme pour en protéger le contenu actuel. Elle est en ce qui la concerne tout à fait fan du mystérieux journaliste en herbe, ce qui l'oppose d'ailleurs régulièrement à sa camarade, depuis l'indélicate publication. D'où son réflexe de garder sa lecture du journal du lycée la plus discrète possible.

— N'empêche que c'est aussi souvent faux. La Presse est censée rapporter des faits, pas des inférences plus que douteuses, elle oppose à son amie.

— Même Caes trouve ça pertinent, Ellen poursuit son argumentatif.

— Ça, c'est juste parce que mon frère est un ange de tolérance, finit par abandonner Mae, la nature placide de son plus jeune aîné jouant contre elle.

Alors qu'elle essaye de retourner à ce qu'elle était en train de faire avant d'engager la conversation, sans intention d'en arriver là d'ailleurs, Ellen n'est quant à elle pas à l'aise avec la mauvaise qualité de l'atmosphère mise en place. Nelson ne semble pourtant pas perturbé, un petit sourire étirant même le coin de ses lèvres à la querelle répétitive et puérile de ses amies. S'il avait eu un A à chaque fois qu'elles s'étaient confrontées sur ce sujet, il n'aurait aucun souci à se faire pour sa moyenne générale jusqu'à la fin de l'année.

— Bon, si tu veux tout savoir, je lis pas spécialement FYI, je cherche des infos sur notre motard, Ellen avoue à Maena, reposant la tablette sur la table entre elles, comme en signe de trêve.

— Votre motard ? se réveille enfin Nels, levant le menton pour de bon cette fois.

— Oh. Ellen voit un type canon presque tous les matins depuis la rentrée, et ça la travaille, explique rapidement Mae, son animosité précédente un peu dissipée par le glissement de la discussion sur un autre thème.

L'ayant surprise à chercher quelqu'un des yeux à la sortie du bus la semaine passée, l'adolescent n'est pas renversé par cette révélation. Il trouve en revanche un peu bizarre qu'elle cherche des infos sur lui dans le journal. Est-ce qu'elle ne peut pas simplement aller lui parler ?

— Il y a quelque chose qui cloche chez lui. Je veux juste savoir ce qu'il fait près du lycée, la marginale justifie son obsession, sans répondre à l'interrogation muette de Nelson.

— Je t'ai dit que je l'avais vu avec Strauss, lui rappelle Maena.

Elle lui avait en effet fait part de son observation le lendemain-même, ne doutant pas que ça l'intéresse. Malheureusement, ça n'avait fait qu'enflammer son imagination déjà fertile, leur nouveau professeur de Mathématiques n'étant pas exactement en reste lorsqu'il est question de grands bruns aussi ténébreux que mystérieux. Qu'il soit associé au beau biker ne rend ce dernier que plus intéressant aux yeux de l'adolescente à gants coupés.

— Et une femme blonde. Qui a elle été vue par ton frère carrément à l'intérieur du bâtiment. Sauf que ça ne me dit pas quel est le lien, et me prouve encore moins que leurs activités ne sont pas douteuses, persiste Ellen dans sa suspicion.

— On peut rendre visite à un pote sur son lieu de travail. Ça se fait, intervient Nelson, la sentant friser la paranoïa.

Il n'est en effet pas rare que les familles et amis des professeurs passent les voir, comme pour toute profession d'ailleurs. L'établissement dispose de toute manière d'un service de sécurité, qui enregistre aussi bien les entrées que les sorties, et peut contrôler l'identité de toute personne n'étant ni un élève ni un enseignant. Si l'inconnue blonde s'est baladée entre les murs, elle a donc sans nul doute dû se justifier auprès des agents de surveillance. Avec succès, de surcroît. Il est ainsi peu probable qu'elle soit dangereuse.

Quoi qu'il en soit, Nelson comprend soudain mieux pourquoi l'inquisition de son amie à bonnet se fait de manière aussi indirecte : à ses fréquentations, l'inconnu est certainement un adulte. Parfois, il lui arrive d'avoir du mal à suivre ses copines dans leurs histoires de filles.

— Il est là presque tous les matins, je te dis ! insiste Ell'.

Le garçon pose sa propre tablette et retire son écouteur pour s'investir enfin pleinement dans le débat. Il ne comprendra peut-être jamais le comportement obsessionnel du sexe féminin, mais il a néanmoins appris à s'y faire.

— Bon, en admettant que ce gars est vraiment louche, qu'est-ce qui te fait croire que tu vas trouver quoi que ce soit là-dedans ? il demande en désignant le journal entre eux trois.

S'il a saisi pourquoi l'approche est indirecte, il est moins au point sur le fait que le journal du lycée pourrait être une source d'information sur le sujet.

— Peut-être que quelqu'un a vu quelque chose que j'ai raté, elle explique simplement.

Et comme chacun le sait, le journal recueille les témoignages des élèves. Il y a une boîte de suggestions devant la salle du club, où chacun peut enregistrer ce qu'il veut. Texte, image, vidéo, ou audio, tout est accepté et ensuite trié par pertinence par les inscrits à l'option journalisme. Une simple reproduction à échelle réduite du système de journalisme réel, en somme.

— Tu es dans l'équipe du journal. Pourquoi tu ne fouilles pas directement dans vos sources ? propose donc Mae, pragmatique.

Ce ne serait pas exactement déontologique, mais qui le saurait ? Ce n'est pas comme si elle voulait en faire mauvais usage. Elle veut simplement avoir l'esprit tranquille.

— Parce que les Premières n'y ont qu'un accès restreint. Nos sujets nous sont assignés, lui explique cependant sa camarade, avec une petite grimace frustrée.

Clairement, elle y avait déjà songé. Tant mieux, d'ailleurs, sinon elle serait une bien piètre journaliste, même à un niveau lycéen.

— Qui aurait un accès total ? Nelson poursuit le raisonnement, résigné à suivre l'obsession d'Ellen jusqu'au bout, comme souvent.

— Quelqu'un en Terminale, répond l'interrogée, en fronçant les sourcils, comme si elle ne voyait pas ce que ce constat pouvait lui apporter.

— Si vraiment ça te tracasse tant que ça, on pourrait toujours demander à Caesar, propose alors la blondinette, rebondissant sur cette nouvelle information.

Les lèvres en O, Ellen semble enfin comprendre ce que l'accès des Terminales pouvait contribuer à la résolution de son problème. De son côté, avec une grimace, Nelson éteint sa tablette, qu'il glisse ensuite dans son sac.

— D'accord, c'est mon signal pour vous laisser entre filles, il annonce en se levant, un sourire contrit aux lèvres.

— Oh. C'est vrai, s'exclame Maena d'un air désolé alors qu'il attrape sa sacoche aux pieds de sa chaise.

— On se voit en classe, lui offre Ellen, le même air désappointé sur le visage.

— Pas de souci, leur renvoie le garçon, souriant pour sa part.

Le traqueur que Nelson arbore à sa cheville gauche, auquel ses amies font parfois référence en plaisantant, a été placé là par les forces de l'ordre. Plus jeune, avant son adoption, il a été embarqué par ses demi-frères dans une affaire délictueuse. Il ne savait pas ce qu'il faisait, mais le lien a été fait. Les jeunes adultes arrêtés, les parents en cavale, le garçon avait alors été placé sous cette surveillance minime, par mesure de précaution, dans l'éventualité où les malfrats reviendraient le chercher plus tard. C'est d'ailleurs à cette occasion qu'il avait rencontré Maena, alors en visite auprès de son oncle, à l'époque fraîchement inspecteur, même pas encore assigné aux homicides. Toujours est-il qu'être embarqué dans quelque infraction au règlement que ce soit ne serait pas une bonne chose pour Nelson, d'où son congé de ses deux amies alors qu'elles commencent à envisager quelque chose d'un rien transgressif. Mais ce n'est pas comme si ça arrivait souvent, alors tout va bien.

[1] FYI : For Your Information ~= Pour Info

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