1x03 - L'air de rien (12/16) - Bon Samaritain

Jena et Mark ont fini par s'asseoir sur un banc, dans un parc des environs. Ils ont passé toute la fin de matinée à discuter de la situation de la jeune femme, et en ont eu un peu marre de faire le tour du quartier dans tous les sens possibles et imaginables. La verdure givrée de mi-Janvier est plaisante à contempler, qui plus est.

Il s'avère que les parents de la jeune femme, en refusant de l'accueillir chez eux plus longtemps, lui ont également restreint l'accès à sa sœur à l'hôpital, pourtant la seule raison de son retour à Chicago. C'est cruel, mais en un sens logique, s'ils estiment réellement qu'elle est une mauvaise influence. Ce qui semble finalement encore plus indigne de leur part.

Comme établi plus tôt, la réaction de ses géniteurs à sa présence n'affecte cependant que peu la jeune femme. Son problème le plus pressant maintenant est de retomber sur ses pieds. En des circonstances normales, ce ne serait pas un obstacle du tout, la situation immobilière de la ville plus qu'accommodante des nouveaux arrivants, comme partout, mais il s'avère que la jeune femme a rejeté sa Citoyenneté en quittant le foyer familial, des années plus tôt, y laissant son RFSD derrière elle. Comme à une minorité de la population mondiale, il semblerait que le système Solidaritaire ne lui convienne pas. C'était d'ailleurs là la raison de son départ, des années plus tôt. Elle ne se sentait pas à sa place dans cette société purement bénévole, permise par l'indépendance énergétique et alimentaire engendrée par le boom technologique qui a suivi la Grande Pandémie, il y a quelques siècles maintenant.

Markus a bien sûr connaissance de l'existence du style de vie Alternatif, que suivent notamment beaucoup de criminels bien que pas seulement, mais il n'avait jamais vraiment rencontré personne qui s'y astreigne. L'idée d'une monnaie d'échange lui paraît un peu absurde. Sans doute aussi absurde que l'idée de se voir simplement attribuer un logement donne à Jena l'impression d'être une mendiante. Il ne se voit pas plus payer pour quelque chose qu'il ne s'imagine faire payer ses services de médecin à l'avenir, et elle n'arrive quant à elle pas à saisir comment il peut accepter d'avoir exactement les mêmes permissions que n'importe qui d'autre autour de lui, quel que soit leur rôle dans la société. La seule chose sur laquelle ils tombent d'accord, c'est que l'équilibre établi repose sur le caractère raisonnable des individus, mais si lui a foi en l'humanité, ce n'est pas le cas de la jeune femme, tout simplement.

À un moment donné, Mark ose suggérer que Jena récupère son RFSD, ne serait-ce que temporairement, jusqu'à ce qu'elle puisse sortir la tête de l'eau selon ses termes, mais elle refuse net. Si certaines personnes adoptent un mode de vie hybride entre Citoyenneté et Alternative, ce n'est pas son cas. Et il peut concevoir qu'elle ne veuille pas remettre ses principes en jeu. De toute façon, sa situation n'est finalement pas pire qu'elle l'était il y a plus d'une demi-douzaine d'années. À ceci près qu'elle n'avait pas en plus à s'inquiéter pour sa petite sœur, à l'époque.

— Tu sais… tu pourrais venir squatter chez moi, si tu veux. Jusqu'à ce que tu retombes sur tes pieds, je veux dire, propose tout à coup Markus, un peu de nulle part il doit bien l'admettre lui-même.

— Tu plaisantes ? elle lui répond, de l'amusement dans ses yeux verts lorsqu'elle les tourne vers lui en biais, ne le prenant pas au sérieux.

— Je vis encore avec mon père, mais je suis sûr que ça ne posera de problème à personne. Mae serait super contente d'avoir une fille à la maison, et il est tout à fait possible que Caes ne remarque même pas que tu es là, il argumente sa proposition, finalement pas aussi aberrante qu'on n'aurait pu le penser de prime abord.

Ce n'est pas comme si elle profitait d'un système auquel elle ne croit pas. Il ne lui donne rien de manière définitive. Il lui propose juste un coup de main, en tant qu'ami. Et l'amitié existe quelle que soit la politique qu'on a décidé de suivre.

— Tu peux pas être sérieux, Jena insiste, mais cette fois plus dans une attitude de refus poli que d'incrédulité.

— Hey ! Je ne peux surtout pas passer des heures à t'écouter me raconter tes problèmes, et après te laisser comme ça dans la rue, si ? il défend sa démarche, conscient qu'elle est peut-être un peu rapide, mais pas pour autant illégitime.

— Je sais pas quoi dire, répond cette fois la jeune femme, baissant les yeux sur le sol entre ses bottes.

Ce n'est pas une acceptation, mais au moins elle semble considérer l'éventualité. Clairement, elle ne s'attendait pas à ce développement. Elle ne s'attendait pas à revoir le jeune homme pour commencer, ceci dit. Il ne veut surtout pas la forcer, mais il ne peut pas non plus s'empêcher de se soucier de son sort.

— Où est-ce que tu allais aller si tu n'étais pas tombée sur moi ? Sois honnête, il essaye de l'aider à peser le pour et le contre.

— J'ai plus de ressources que tu ne crois ! elle proteste avec un regard courroucé, croyant qu'il l'accuse de ne pas avoir le choix.

— Et j'espère bien que tu me comptes parmi ces ressources ! il lui rétorque, futé.

Elle se radoucit, mais continue à fixer son interlocuteur. Sa bonne nature la déstabilise plus qu'elle ne le voudrait.

— Markus. On était juste au lycée ensemble. Il y a des années lumières. Je ne te parlais même pas, à l'époque, elle tente de le raisonner à son tour.

— Et ? J'aime à croire que je ferais ça pour une inconnue, si elle venait de me raconter ce que tu viens de me raconter, il parvient une nouvelle fois à invalider son objection.

— Je peux m'en sortir sans aide, elle déclare, plus comme un mantra qu'un réel argument.

— Mais c'est mieux avec. C'est le principe, non ? il lui expose, comprenant de moins en moins ses réticences.

— Je suis pas vraiment du genre à m'imposer, elle essaye une dernière fois de le faire lâcher l'affaire.

— C'est pas comme si tu m'avais demandé. Je propose ! il se montre plus têtu qu'elle ne l'aurait cru.

— Je sais pas… elle soupire, venant couvrir le bas de son visage de ses mains.

— Tu sais quoi ? Tu n'as pas à me répondre tout de suite. C'est une invitation ouverte. Je vais te donner mes coordonnées, et si tu te décides, tu me dis. D'accord ? il fait marche arrière dans son insistance, se rendant compte qu'il lui met peut-être plus la pression qu'il ne l'aurait voulu.

— D'accord… accepte Jena, le regardant à nouveau de biais, ses mains passées de sa bouche à sa nuque.

Avec un sourire victorieux, il tire son SD de son sac, à sa gauche sur le banc. Elle se mordille quant à elle la lèvre inférieure, encore un peu hésitante, mais sort finalement un carnet électronique de la poche de son manteau, et le lui tend, dans un geste solennel. Ça doit lui servir de carte mémoire, en beaucoup moins sécurisé qu'une RFSD, et surtout sans systèmes de localisation, ou d'identification. Il frissonne à cette idée, mais appose sa pièce d'identité dessus, pour en transférer ses coordonnées sur l'appareil. Jena secoue la tête et lève les yeux au ciel à son stupide sourire alors qu'il termine la manœuvre, puis retourne l'objet d'où elle l'a pris.

Les deux jeunes adultes restent encore assis un petit moment ensuite, à plaisanter, avant de décider de se séparer. Elle retourne vers le bus qu'ils s'apprêtaient tous les deux à prendre lorsqu'ils se sont croisés, tandis qu'il a pour sa part changé de destination, devant rejoindre Robert. Il n'a pas vu l'heure du déjeuner passer, et son pote va sans doute lui en vouloir un peu de l'avoir fait poireauter.

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