1x03 - L'air de rien (10/16) - "Ça sent le scandaaale."

Dans le réfectoire de Walter Payton High, Mae, Ellen, et Nelson sont installés à une table pour le déjeuner. Lorsque la petite blonde aperçoit son frère passer par la ligne de service, en compagnie de Jack, elle donne un coup de coude à sa camarade à côté d'elle. Nels, en face, se retourne pour voir ce qu'elles ont repéré. Secouant la tête, il hausse les épaules, leur accordant de l'abandonner quelques minutes pour aller exécuter le plan qu'elles ont dû imaginer dans la matinée, en son absence. Les deux adolescentes se lèvent, et lorsqu'elles passent près de lui, Mae lui ébouriffe les cheveux tandis qu'Ellen vient carrément déposer un bisou sur sa joue. Il se débat tant qu'il peut de ces remerciements exagérés, et elles se dirigent en riant vers la table à laquelle viennent de s'installer Caesar et Jack.

— Maena. Ellen. Est-ce que vous allez bien ? les interpelle cependant la voix de leur prof de Maths avant qu'elles aient pu atteindre leur destination.

Les deux adolescentes s'arrêtent et se tourne vers le grand brun, qui les scrute de ses yeux abyssaux, l'air sincèrement préoccupé par leur état.

— Er… Oui, pourquoi ? lui répond Ellen, ne comprenant pas ce qui aurait pu l'inquiéter.

— Vous sembliez… pâles, ce matin, l'adulte s'explique maladroitement, semblant insatisfait de sa propre description de ce qu'il a repéré.

Les deux adolescentes s'entre-regardent, comme cherchant à déterminer ce qui aurait pu lui faire dire ça, et ont ensemble un mouvement de recul lorsqu'il leur vient bien une idée. Embarrassées, elles se retournent vers lui, paradoxalement virant vers le pivoine.

— Ça arrive, répond finalement Ellen, en hochant vigoureusement la tête.

Strauss plisse brièvement les yeux, comme s'il ne comprenait pas ce qui avait soudain gêné ses élèves, mais sourit immédiatement ensuite, rassuré par leur réponse malgré tout.

— Très bien. Bonne journée, il clôt la conversation.

— Vous aussi, Monsieur, le rend Mae alors qu'il s'éloigne.

Les deux jeunes filles s'entre-regardent une nouvelle fois. Si Ellen n'était pas persuadée auparavant qu'il y avait quelque chose d'étrange avec Strauss et ses mystérieuses connaissances, Mae sait bien qu'elle ne pourra plus rien trouver à dire maintenant pour l'en dissuader. Secouant la tête pour se tirer de cette drôle d'entrevue, les adolescentes retournent à ce qu'elle elles étaient en train de faire avant l'interruption de leur enseignant.

— Hey, Jack. Caes, est-ce que tu accepterais de nous céder ton passe pour la salle du journal ? Mae salue rapidement leurs aînés, allant droit au but.

— Est-ce qu'Ell' n'est pas aussi au journal ? relève l'interpellé, qui n'a même pas eu le temps de commencer à manger.

— Ça sent le scandaaale, commente Jack, sur le ton d'un commentateur sportif.

— Si, mais je suis une Première, répond Ellen, comme si c'était suffisant.

— Tu peux quand même entrer dans la pièce. La seule chose de plus que tu pourrais faire avec mon passe que tu ne peux pas faire avec le tien, ce serait… accéder aux sources, raisonne tout haut le frère de Mae.

Les deux jeunes filles restent muettes, mais leurs expressions qui se veulent innocentes sont malheureusement pour elles lourdes de sens.

— Pourquoi est-ce que vous voulez accéder aux sources ? interroge Caesar, directement cette fois, son regard allant de l'une à l'autre.

— Je l'avais dit. Scandale, poursuit Jack dans son rôle de commentateur, son sourire s'élargissant.

— Er… Tu te souviens du motard qu'on a vu à la sortie du lycée la semaine dernière ? Ellen n'arrête pas de le croiser, et elle aimerait en savoir plus, avoue Mae d'une traite après une brève hésitation, autant sur le contenu de son propos que sa formulation.

— Sérieux ? s'étonne Caes, atterré.

— Pourquoi est-ce qu'elle ne va pas simplement lui parler ? intervient à nouveau Jack.

À son sourire, il est excessivement amusé par ce qui se déroule sous ses yeux. La plus petite du groupe se retourne brusquement vers lui, l'air offusqué par ce qu'elle le croit sous-entendre. Sûrement pas à tort, d'ailleurs.

— Ew ! C'est un adulte. Je veux juste savoir si quelqu'un sait pourquoi il traîne dans les parages, elle réplique, malgré son appréciation indéniable pour le physique de l'inconnu à moto.

— Encore une fois, tu pourrais simplement lui demander, persiste le petit blond, soutenant son regard jusqu'à ce qu'elle le détourne, ne voyant pas où est le problème, lui.

D'un autre côté, il a assisté à son premier dîner d'État avant d'avoir deux chiffres à son âge, alors il est sans doute loin d'être le mieux placé pour comprendre la ségrégation des âges dans la société.

— Aller, Caes ! Elle ne va pas lâcher l'affaire, Mae revient à la charge auprès de son frère.

Elle lui fait des yeux suppliants, ce à quoi il soupire, commençant à céder.

— Je pourrais vous emmener après les cours, propose le lycéen.

— Pff. On sait tous les deux que tu ne le feras jamais, commente Jack.

— Hey ! proteste Mae, défendant son aîné.

— Quoi ? Caes est un boy-scout. Il ne va pas enfreindre les règles. Et il ne va certainement pas t'aider à le faire, insiste le petit blond, loin de se démonter devant les trois visages scandalisés par sa précédente intervention.

— Si elles veulent juste jeter un œil, je ne pense pas qu'on puisse dire que ça enfreint une règle. Je pourrais tout aussi bien regarder moi-même et leur en parler ensuite, Caesar objecte enfin lui-même.

— Ce qui est probablement ce qui va se passer. Tu vas changer d'avis au dernier moment, devant le fait accompli. Je le sais, ça fait des mois que j'essaye de te corrompre, Jack ne lâche rien.

Caes serre les mâchoires, vexé, tandis que Maena et Ellen sont réduites au rang de spectatrices.

— Il y a une différence entre entrer dans le lycée la nuit et consulter les sources du journal par pure curiosité, se permet le grand brun.

Comme toujours, sa pique est sans succès, Jack doté d'une armure parfaitement imperméable à quelque critique que ce soit.

— Tu entres dans le lycée la nuit ? relève Ellen.

— Tout le temps. Mais vous ne retenez pas l'essentiel : il va aller là-bas tout seul, faire votre recherche à votre place, et vous rapporter ce qu'il aura trouvé, le petit génie redresse la conversation.

— Ça peut tout à fait marcher comme ça, Maena lui fait remarquer.

Il affiche un air exagérément outré.

— Han ! M ! Je ne te pensais pas aussi disciplinée que lui. Où est ton goût du risque ? il s'enflamme, cherchant à la mettre au défi.

— Si je peux éviter d'amener des ennuis à mon frère, je vais le faire, elle justifie sa prudence.

Jack tique, encore une fois victime de son incompréhension totale du lien fraternel. Mais il n'abandonne pas pour autant son travail de corruption de la jeunesse.

— Tu n'as pas besoin de le mêler à ça. Je peux vous donner accès à tout ce que vous voulez, dans ce bahut, il propose, avec une moue désinvolte, comme si ce n'était pas grand-chose.

— Est-ce que j'ai envie de savoir où tu es entré sans autorisation dans ce lycée ? murmure Ellen, sur le même ton de fascination malsaine qu'elle avait déjà pris pour s'étonner de ses incursions nocturnes dans les couloirs.

— Sans doute pas, il lui souffle dans un faux aparté, un sourire carnassier aux lèvres.

Elle frissonne et s'écarte de lui, ce qui ne fait qu'élargir son expression charmeuse.

— C'est pire ! Si elles se font prendre avec un accès falsifié, ce sera encore plus grave qu'un accès emprunté ! s'interpose Caesar, à deux doigts de taper du poing sur la table.

Il se retient à la fois parce que ça enverrait valser son plateau déjeuner, mais aussi parce que sa main, en fin de cicatrisation de la coupure qu'il s'est faite en TP de chimie la semaine passée, est encore sensible.

— Tu n'as plus ton mot à dire, tu n'es plus complice, lui rétorque son camarade, se sachant déjà victorieux.

— Mae ! plaide le grand brun, dévisageant sa cadette.

La petite blonde regarde l'un puis l'autre des Terminales, partagée entre la voix de la raison qui lui dicte d'écouter son frère, et celle de la rébellion, qui l'incite plutôt à accepter la transgression que lui propose Jack. Elle n'est pas aidée par la fait que ce dernier soit souriant, et Caesar ait les sourcils froncés. C'est la vision de Strauss, à l'autre bout de la salle, en pleine conversation avec un autre professeur, qui la décide. Elle doit avoir le fin mot de cette histoire.

— On va pas se faire prendre, t'inquiète, elle négocie avec son aîné.

— Je vais travailler sur le passe de Miss Illipardi. Et si ça peut te rassurer encore un peu plus, je peux faire en sorte qu'il revienne à la normale tout seul d'ici minuit, ni vu ni connu, ajoute Jack avant que son ami n'ait eu le temps de répliquer.

— Parfait ! Ellen saute également sur l'occasion.

Caes souffle par le nez, fortement irrité par la tournure de cette conversation. Mais il voit bien qu'il ne fera pas changer Mae d'avis. Et il sait aussi que ce qu'elle va faire n'est pas si grave, dans le fond. Enfin, il sait surtout que Jack ne conduirait jamais à ce que quelqu'un se fasse prendre. Il est bien trop malin pour ça.

— Pff. Quitte à prendre des risques, pensez aussi à cette femme blonde que j'arrête pas de croiser, cède le grand brun, sur le ton de la défaite.

— Ouh ! Oui ! Alerte bombasse, là aussi, commente Jack en se rappelant la fois où il l'a vue passer, justement dans ce réfectoire.

Ellen tique à l'usage de "là aussi" alors qu'il n'a été question que d'une seule femme dans cette conversation, mais ne dit rien.

— Elle est liée, puisqu'on les a déjà vus ensemble, assure Mae, contente que son frère ne reste pas entièrement opposé à son plan.

— Sauf qu'elle, je la croise à l'intérieur. Elle était dans les toilettes des hommes, tout à l'heure, insiste Caesar, mentionnant son entrevue d'un peu plus tôt.

— J'ai tellement de questions, annonce Jack, avec un regard soudain empli d'une admiration sans borne pour son collègue.

— On jettera un œil, confirme une nouvelle fois Mae, à la fois désireuse d'amortir le coup de sa petite trahison auprès de de son frère, et à la fois réellement intriguée par la femme blonde, tout aussi mystérieuse que le motard aux cheveux noirs.

Ses yeux toujours rivés sur Caesar suite à sa révélation, en apparence juteuse mais qui ne l'est pourtant pas du tout, Jack tend tout de même une main, paume vers le plafond, en direction d'Ellen et Mae. L'adolescente à bonnet y dépose son RFSD, tirée de sa poche.

S'arrachant enfin à sa contemplation, le blondinet tire une tablette de son sac à ses pieds, connecte les deux appareils, et commence à effectuer des manipulations qui font froncer les sourcils à Ellen, à côté de lui, à regarder par-dessus son épaule. Au bout de quelques minutes de pianotage impossible à suivre, le jeune homme ramène la tablette à son écran d'accueil habituel, et rend la carte mémoire à sa propriétaire, non sans un regard très fier.

— Voilà pour vous. M. E, il les salue par leurs initiales respectives, conforme à son goût pour les surnoms qu'il est le seul à utiliser.

— Et lui, c'est C ? s'enquiert Mae en désignant son frère du menton, haussant un sourcil, curieuse.

Il est en effet difficile de rencontrer le jeune homme et ne pas se demander comment ça peut bien se passer dans sa tête.

— Quand je lui en veux, oui. Mais ça n'est pas encore arrivé, répond Jack avec sérieux, faisant rouler des yeux les deux cadets Quanto ensemble.

— Merci du coup de main, lui dit Mae, alors qu'il replace sa tablette dans la poche de son sac, d'où il l'a tirée.

Le petit blond leur accorde une salutation du buste, incapable de mieux en position assise, et les deux adolescentes se détournent en secouant la tête. Leur repas a dû un peu refroidir, mais le plus grave c'est surtout que Nelson les attend toujours patiemment à leur table, tout seul. Il ne reste plus qu'à espérer que leur combine vaille le coup, sinon il ne va jamais les laisser oublier cette histoire.

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