1x02 - Deux temps, trois mouvements (3/15) - La vie par proxy
Ce Lundi matin encore, comme à chaque fois qu'ils n'ont pas de cours magistral de prévu, leur emploi du temps irrégulier, Mark et Rob se retrouvent à la bibliothèque pour potasser. Ils ne font à vrai dire pas grand-chose d'autre de leurs journées que d'apprendre et réviser, depuis quelques années. Les aléas de leur choix de carrière.
Amis depuis le lycée, avec des ambitions similaires, ils sont tout naturellement devenus des partenaires de travail à la fac et maintenant en école de médecine. Rester isolé n'est pas une bonne stratégie, et ils n'ont pas vu de raison d'aller chercher plus loin alors qu'ils s'entendaient déjà si bien. Ils savent comment l'autre fonctionne, sont habitués à sa présence, et pour ne rien gâcher sont de manière générale complémentaires en ce qui concerne les études. Ce schéma n'est d'ailleurs pas rare dans chaque promotion, quel que soit le domaine. Les élèves se connaissent évidemment un peu, à force, mais les amitiés préexistantes sont tout naturellement privilégiées par tout le monde.
Les deux jeunes hommes sont donc assis à l'une de leurs quelques tables habituelles à la Newberry Library, plongés dans la consultation de volumes qu'ils sont allés télécharger dans les rayonnages, à prendre parallèlement des notes sur leur carte mémoire personnelle, complétant celles qu'ils ont déjà prises en cours. Il paraît parfois impossible pour une seule personne de connaître tout ce qui a déjà été mis en évidence sur le corps humain, mais les amis s'y attellent pourtant sans broncher, ce qui est une preuve s'il en fallait encore une de leur intérêt pour le domaine. La médecine est l'une des rares discipline où la résolution des étudiants est testées de manière aussi brutale, mais comme ce n'est un secret pour personne, nul ne s'en formalise jamais.
À la façon dont ses lèvres forment des mots sans laisser échapper un son, et ses doigts bougent dans une direction puis l'autre, comme s'il cherchait à associer la connaissance à un geste, Markus essaye visiblement de mémoriser une notion assez technique. Rob fait quant à lui des allers-retours entre deux pages, tentant de comprendre le lien entre deux éléments. Il finit cependant par abandonner son exercice avec un soupir frustré, et lève les yeux vers son partenaire de révision :
— Au fait, tu l'as appelée ? il interroge tout à coup, rompant le silence religieux qui s'était installé entre eux depuis leur arrivée.
Markus fronce les sourcils mais ne lève pas les yeux, refusant de sortir de sa zone de concentration.
— Appelé qui ? il essaye de comprendre où veut en venir son ami, le pli de son front s'accentuant.
— La fille de la semaine dernière, précise l'autre, pour sa part totalement sorti de ce dont il essayait de faire sens.
— Quoi, Jena ? Non. Je n'ai même pas ses coordonnées, donc ça aurait été difficile, comprend et explique Mark dans la même prise de parole.
Alors que l'aîné Quanto sourit pour lui-même, la mâchoire de Robert se déroche. Il reste un instant à fixer son camarade en silence, mais comme ce dernier ne le regarde pas, il ne remarque rien.
— Sérieusement ? finit par s'offusquer Rob par la voix, faisant enfin lever le menton à son ami.
— Quoi 'sérieusement' ? Mark s'efforce de ne pas trop hausser le ton, de peur de se faire remarquer par un bibliothécaire voire un autre visiteur.
Robert enchaîne plusieurs ébauches de gestes indistinctes, accompagnées de mimiques tout aussi peu confirmées, avant d'arriver à formuler clairement son outrage :
— Tu croises ton béguin du lycée entre les rayonnages, et tu lui tapes même pas son numéro ? il élabore, menant la même lutte pour le murmure.
Markus marque une pause, n'ayant pas du tout vu la situation sous cet angle.
— J'étais plus choqué de la voir qu'autre chose. Parce que ça faisait quand même près de sept ans, il se défend, en toute légitimité d'ailleurs.
Rob pose ses mains sur la table un peu brusquement, s'attirant des regards réprobateurs, qu'il ignore royalement.
— Mec, tu fais honte à tout le genre masculin, j'espère que tu en as conscience, il admoneste son ami, avec un regard de jugement.
— Je te signale que pour couronner le tout, tu m'as mis dans la tête qu'elle avait le Syndrome de Stockholm pour un culte ou que sais-je encore, lui rappelle l'autre, légèrement à court d'arguments pour justifier son absence d'esprit.
Robert semble percevoir la pertinence de la répartie, mais à sa grimace, refuse de céder aussi facilement.
— Bah… Il y a des gens qui vivent très bien avec ça, je suis sûr. Et puis s'ils la laissent aller à la bibliothèque, ça peut pas être un culte bien méchant.
Les épaules de Mark s'affaissent sous le poids de son atterrement. Qu'est-ce qui a bien pu faire changer Rob si vite d'avis ? Il n'est pas du genre à écarter une théorie simplement parce qu'elle semble peu plausible. Voire carrément folle. Il reste à ce jour convaincu que l'un de leurs professeurs est un robot, c'est pour dire. Non pas que ça l'effraie particulièrement, étrangement.
— Tu n'arrives même pas à retenir son prénom. Qu'est-ce que ça peut te faire, si je l'appelle ? demande alors le grand frère, tout à coup curieux, posant enfin son stylet et se renfonçant dans son siège.
— Je vis par procuration, laisse tomber, se dégonfle alors immédiatement l'interrogateur interrogé.
Comme s'il considérait la conversation close aussi facilement, il reporte à nouveau son attention sur le texte étalé devant lui.
— Qu'est-ce que c'est censé vouloir dire, ça ? insiste cependant Mark, n'acceptant pas une conclusion aussi abrupte de l'échange.
— J'ai dit laisse tomber. J'avais juste mal aux yeux, se justifie Rob, se donnant l'air innocent.
Mark lui lance un coup de pied dans le tibia, n'ayant pas le bras assez long pour aller lui donner un coup de poing dans le bras. Il ne doute pas que son compagnon avait effectivement besoin d'une pause, mais il n'accepte pas pour autant que sa remarque ait été entièrement anodine.
Le souci, c'est que s'il ne veut pas en parler, insister va se révéler futile. Sous ses airs débonnaires, Robert est on ne peut plus capable de rester muet comme une tombe s'il l'a décidé. En conséquence, Markus se contente de lui faire savoir qu'il voit clair dans son jeu, ne serait-ce que jusqu'à un certain point, en tous cas.
L'autre mime un cri de douleur des lèvres, mais n'ajoute rien, retournant cette fois réellement à sa lecture. Mark le surveille encore discrètement quelques secondes avant d'en faire de même, récupérant son stylet.
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