1x02 - Deux temps, trois mouvements (12/15) - Un Bug dans le Code

Aleksander s'est peut-être résigné à entrer en collaboration avec un autre laboratoire, mais avec tous les dangers que cela implique, il n'est pas près de le faire sans prendre la moindre précaution. Ayant mis ce sur quoi il travaillait au matin de côté, il a consacré tout son début d'après-midi à établir la liste de ses projets, passés comme en cours. Petit à petit et avec soin, il décide desquels il va transférer vers l'archive sécurisée qu'il a installée à son domicile, et desquels il va conserver ici. Sur ces derniers, qu'il ne peut donc pas se permettre de ne pas avoir à portée de main, il prévoit déjà d'ajouter quelques couches de protections, même si ça ne l'enchante guère.

Si le design le laisse pratiquement de marbre, la sécurité réseau est pour lui un cauchemar. Pas parce que c'est difficile, car ça ne l'est pas vraiment en ce qui le concerne, mais parce que la démarche fait appel à sa méfiance, ce qu'il déteste.

Il aime les sciences dures parce qu'elles sont impartiales, qu'elles reposent sur une vérité absolue. S'il comprend tout à fait l'importance d'accorder le crédit d'une invention à qui de droit, il a toujours eu du mal à saisir quel genre d'individu pourrait bien vouloir le voler. Quelle satisfaction peut-on bien tirer d'un résultat obtenu par des moyens frauduleux, lorsque simplement demander de l'aide serait plus simple et plus honorable ? C'est bien là un mérite qu'il doit accorder au laboratoire de biologie qui requiert son assistance : ils sont réglos. Mais des échanges avec eux vont hélas le rendre vulnérable aux attaques de partis moins bien intentionnés.

Alors qu'il envoie d'un geste transversal les plans pour un drone sur lequel il a travaillé au début de sa carrière vers son RFSD, les lumières de son laboratoire se mettent à clignoter. L'ingénieur conserve sa main en suspens au-dessus de son écran, intrigué.

— TOBIAS ? Alek interroge son IA.

— NoUs ReNcOnTrOnS pRéSeNtEmEnT uN sOuCi InTeRnE, répond la voix désincarnée.

Le front d'Aleksander se plisse encore un peu plus, et il recule d'un pas, se plaçant au centre de son bureau. Non pas que ça change quoi que ce soit, mais avoir une vue d'ensemble de l'espace l'aide toujours à également prendre du recul mentalement.

— Tu es peut-être un système ouvert, mais ici tu es clos sur toi-même. Tu ne rencontres pas de souci interne, le corrige le professeur.

Se rapprochant de sa console, il commence à pianoter à toute vitesse, faisant afficher plusieurs panneaux sur ses écrans, qu'il scrute alors avec attention.

— Il SeMbLe Qu'Il Y aIt UnE eRrEuR dAnS l'UnE dE MeS lIgNeS dE cOdE, propose TOBIAS, précisant son diagnostic initial.

Alek a un éclat de rire dédaigneux.

— À cet endroit, je ne crois pas, non, il reprend une nouvelle fois son système d'opération parlant, sans pour autant cesser d'examiner les lignes de programmation qu'il vient de faire apparaître.

Aleksander plisse les yeux en faisant défiler le code qu'il a lui-même écrit, et maintes fois revisité. Couleurs, indentations, et commentaires l'aident à s'y retrouver. Il arrête brusquement son défilement lorsqu'il croit voir une ligne s'effacer sous ses yeux. Juste après, une autre ligne est dupliquée, rien qu'une fraction de seconde, avant que le doublon ne disparaisse à nouveau.

— TOBIAS, shut down, ordonne immédiatement l'ingénieur.

Il est clairement en train de se produire quelque chose qu'il ne contrôle pas. Et il ne compte pas laisser faire quoi que ce soit pendant qu'il cherche à déterminer de quoi il s'agit exactement.

— Je Ne PeUx PaS EfFeCtUeR cEtTe CoMmAnDe, répond l'IA.

— TOBIAS, shut down, maintenant ! insiste son concepteur, haussant légèrement le ton, bien que ce ne soit d'aucune utilité vis-à-vis de la compréhension de l'ordre par la machine.

Cette fois, le système obtempère, et le laboratoire se retrouve plongé dans l'obscurité, écrans aussi bien que lampes mis hors tension, et par extension hors de danger.

TOBIAS est l'acronyme de Truly Open Beta Adaptative Intelligent System. C'est certes un peu forcé, voire beaucoup, mais mérité. Comme l'a mentionné plus tôt son créateur, l'IA est accessible au public. Elle est cependant par ailleurs close sur elle-même une fois installée quelque part, pour des raisons évidentes de sécurité — personne n'a envie qu'on puisse donner des ordres à son système depuis l'extérieur.

En plus de cela, le peu de connexions effectuées dans ce laboratoire en particulier sont non seulement majoritairement sortantes, mais aussi et surtout quoi qu'il arrive hautement contrôlées. Par Aleksander lui-même. Qu'est-ce que c'était donc que cette petite main dans ses fichiers ?

L'ingénieur reste plusieurs minutes debout dans le noir, à se poser exactement cette question. Il va falloir qu'il rallume son environnement numérique progressivement, afin d'effectuer des vérifications systématiques pour déterminer l'étendue des dégâts s'il y en a.

Alek soupire, sachant que ça va lui prendre le reste de la journée, pourtant déjà bien entamée par ses démarches de précaution. Il faut croire qu'il y a des jours où on ne peut tout bonnement pas être productif.

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