1x01 - Capitaine Nemo (15/17) - Carpe diem

À peine cinq heures du soir, et la nuit tombe presque déjà sur la ville de Chicago. Son sac à l'épaule, Caesar sort du lycée, et s'apprête à rentrer chez lui. Il est seul ce soir, sa sœur lui ayant laissé un message comme quoi elle l'avait devancé. Frissonnant, il glisse ses mains dans les poches de sa veste et rentre la tête dans son col, dans une tentative au succès mitigé d'échapper au froid hivernal.

Alors qu'il atteint le bord du trottoir et est sur le point de traverser la route, son surnom lui fait tourner la tête :

— Hey ! Caes ! Par ici !

Jack, adossé au grillage de l'école, sous un réverbère, son sac à ses pieds et ses chevilles croisées, appelle son ami de la voix et du geste.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

L'interpellé rejoint l'autre d'un pas lent, fronçant les sourcils à sa présence. Le petit blond termine usuellement sa répétition musicale plus tôt que lui ne décide de s'arrêter dans ses recherches préliminaires pour son prochain article hebdomadaire. Et il n'a pas encore connaissance de quelque chose qui pourrait inciter le jeune délinquant à rester dans les locaux plus que strictement demandé. En fait, il lui arrive même de ne pas être là lorsque c'est théoriquement demandé de lui, comme il s'en est vanté au déjeuner.

— Je sais que tu préférerais oublier quel jour on est, aussi bizarre que ce soit, mais vu que j'ai la mémoire vive d'un ordinateur, je n'ai pas ce loisir.

La boutade du blondinet sur son intellect n'arrive pas à tout à fait dérider Caesar, mais c'est un début.

— Donc, tu t'es dit que tu allais m'imposer la même chose ? il grommelle, morose, le froid n'aidant pas son humeur.

— Non. En revanche, j'ai un cadeau pour toi, annonce Jack, bien décidé à ne pas lâcher l'affaire.

Le grand brun hausse un sourcil, perplexe à cette annonce. Il appréhende ce que le petit blond est capable d'avoir inventé depuis la mi-journée.

— Bah vas-y, cache ta joie ! l'admoneste le surdoué, se redressant enfin, décroisant ses pieds et se détachant du grillage.

— Jack, on se connaît depuis quatre mois. Ça peut paraître beaucoup pour toi, mais c'est pas le cas, explique calmement Caesar, faisant référence aux fréquents déménagements du blond.

La remarque laisse son destinataire de marbre. Il cligne plusieurs fois des yeux avec une expression absolument indifférente, avant de hausser les épaules avec une moue de dédain.

— On s'en fout. Tiens.

Sur ce, il sort une petite boîte carrée de la poche de son gilet, et la tend à son ami.

— Qu'est-ce que c'est ? demande ce dernier en s'en saisissant.

— Ça aide si tu ouvres.

Caes fait rouler ses yeux dans leur orbite à tant de sarcasme, mais s'exécute.

— Oh ! il ne peut pas se retenir de s'exclamer en découvrant le contenu de l'écrin.

À l'intérieur de la boîte, sur un tapis de velours noir, repose une montre à gousset argentée. L'adolescent la soulève et l'ouvre. À la lumière du lampadaire au-dessus d'eux, on peut voir qu'elle est gravée à l'intérieur. L'inscription lit : "The Day".

— Je sais que t'as déjà une montre, mais je me suis dit… commence Jack, le silence de son camarade le laissant indécis quant à sa réaction à l'objet.

— C'est super beau. Merci, finit par articuler Caesar, allant jusqu'à sourire franchement, probablement pour la première fois de la journée.

Il sait qu'il n'a sans doute pas encore saisi tous les sous-entendus cachés dans cette gravure, mais ceux qu'il a déjà compris le touchent. Beaucoup, même.

— Ça te plaît vraiment ? Cool, Jack s'efforce visiblement de garder un air dégagé malgré son succès, remettant ses mains dans ses poches.

— Tu es conscient du fait que si t'étais pas un tombeur, cet article sur toi et moi aurait pu être tourné très différemment ? lui fait alors remarquer son ami, taquin.

Il n'est pas rare que le journal du lycée prenne ses élèves pour sujet. Et il se trouve que les deux camarades ont été mis en avant en Novembre dernier. Plus précisément, l'orientation sexuelle du grand brun a été mise en doute, à cause de sa fréquentation exclusive du plus grand dragueur que l'école ait connu cette dernière décennie, après des premières années de lycée passées plutôt en loup solitaire.

— Pas vraiment, non, répond Jack à l'allusion, réitérant son haussement d'épaules et son expression de dédain.

L'article n'a pas particulièrement affecté son sujet principal. Caesar y était pourtant clairement identifié, même sans y être explicitement nommé, mais c'est finalement sa petite sœur qui en aura été la plus outrée. (Si l'acte d'Anonymat de la Presse ne l'avait pas empêchée de connaître l'identité de l'auteur, le jeune homme se demande s'il serait resté quelque chose du pauvre journaliste.) Pourtant, malgré ce détachement de la rumeur, le grand brun reste tout de même impressionné de la façon dont le blondinet se fiche pour sa part réellement de ce que les gens peuvent bien penser de lui, de manière aussi transcendantale. Sur ce sujet comme n'importe quel autre, d'ailleurs. Il possède cette qualité à un degré tel qu'il en devient parfaitement imperméable à la critique. C'est à la fois libérateur et effrayant, chez lui.

— Tu es sincèrement bizarre, lui avoue le grand brun, avec sérieux cette fois.

— Venant de toi, ça me va, réplique Jack en hochant la tête une fois, solennel, et venant poser sa main sur son épaule.

Un coup de klaxon interrompt le moment et fait tourner la tête aux deux adolescents. Le responsable est le chauffeur d'une limousine, garée à quelques mètres, qui allume justement ses phares.

Jack soupire bruyamment, puis attrape son sac par terre. Après avoir dit à demain à son ami, il se dirige vers le véhicule en gesticulant, avant d'y monter non sans vitupérations.

Caesar sourit en coin à la scène. Il regarde ensuite la limousine s'éloigner, suivie moins d'une minute plus tard par une BMW tout aussi noire et aux vitres tout aussi teintées que la précédente automobile.

Secouant la tête, une fois seul sur le trottoir, l'adolescent revient sur ses pas, reprenant le chemin de chez lui duquel il s'était éloigné.

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