Quatorzième Jour - Règlement de trois (7/10)
Je rejoins la Panthère, et suis surpris de ne trouver personne d'autre qu'elle sur la plateforme. Je n'ai pourtant pas vu les allées et venues s'interrompre, ni personne partir en hâte alors qu'elle arrivait. Il me suffit de lever les yeux et me retourner pour constater qu'il y a en réalité bien plus que trois corniches sur le flanc du bâtiment. Je regarde l'ouverture par laquelle je suis arrivé, mais déjà, elle a disparu, laissant place au mur alors que la dalle sur laquelle nous nous tenons y glisse sans heurts. Je ne peux m'empêcher de sourire à tant d'ingéniosité. Des balcons mouvants. C'est surtout agréable d'être surpris. J'avais perçu qu'il y avait des dérivés à l'extérieur, mais je m'étais figuré qu'il s'agissait seulement de montures volantes et autres créatures qui ne pouvaient pas se trouver à l'intérieur. Je suppose que la lente trajectoire des nacelles est contrôlée par un énième membre du personnel. Cette soirée est décidément organisée d'une main de maître.
Me remettant de mon émerveillement passager, je considère LeX, accoudée à la balustrade de pierre, le regard perdu dans le paysage que nous surplombons maintenant. Je viens me placer à côté d'elle, imitant sa posture. Nous gardons le silence un long moment, contemplant le panorama. Je n'avais pas entièrement tort, et il y a bien des montures volantes et des dérivés volumineux aux alentours du hall de réception. Un grand parc s'étend en fait en contrebas, libérant le champ de vision depuis là où nous nous trouvons. L'espace vert est entouré de zones urbaines qui scintillent doucement dans la nuit. Sur la gauche, je reconnais une partie des hauts buildings du quartier d'affaires par lequel nous sommes arrivés tout à l'heure. Mais évidemment, le plus impressionnant reste le ciel nocturne, qui occupe la majeure partie du tableau qui s'offre à nous, parsemé d'étoiles et autres corps interstellaires que je ne me risquerais pas à nommer.
— Ça va ? je finis par tenter, rompant le silence.
— Depuis quand tu t'en inquiètes ? me rétorque la Panthère, pas aussi affectée par son soudain malaise que je ne le croyais.
Ou peut-être a-t-elle déjà récupéré.
— Zed m'a regardé droit dans les yeux après ton départ. Qu'est-ce qui se passe ? je m'explique.
Il n'aurait pas fait ça si le problème ne me concernait pas. LeX déteste déjà demander de l'aide, alors si on lui en fournissait lorsqu'elle n'en a pas strictement besoin, je n'ai pas envie de savoir ce qui se produirait. Non pas que j'estime être en mesure de lui apporter quelque aide que ce soit, mais je ne vais pas remettre en question la logique du Messager Neutre.
— Je me souviens. Je me souviens avoir envisagé l'éventualité de toi et tout ce qui t'es arrivé jusqu'ici. Et écrire sur le sujet. BEAUCOUP.
À sa grimace, elle semble elle-même choquée de la quantité qu'elle a en tête.
— Écrire ? Il existe une anthologie des Magnets ? Des originaux ?
Si elle savait que ça allait dériver de toute façon, pourquoi s'embêter avec des originaux ? Pourquoi ne pas créer qu'un simple concept, puisque c'est finalement la seule chose qui est transmise du Second Univers au Premier ?
— Peut-être. Si on veut. Longue histoire.
Elle grimace à nouveau, assimilant encore ces nouvelles informations. Ou devrais-je dire anciennes ?
— J'ai encore un peu de temps… je l'incite à continuer, curieux et en même temps me disant que ça peut être thérapeutique pour elle.
— Tu ne ressembles pas à l'image que je m'étais faite de toi. Mais je me doutais que ce serait le cas, donc en un sens j'avais quand même vu juste, même si je me trompais, elle m'annonce, se tournant pour la première fois vers moi depuis que je l'ai rejointe sur le balcon, et scrutant soudain mes traits comme si elle me voyait pour la première fois.
— Tu m'as perdu, je lui avoue.
Elle avait carrément une image de moi ? Je n'étais pas qu'une éventualité ?
— Je savais qu'il y aurait des Magnets. Et je savais qu'il y en aurait bien deux pour tomber l'un pour l'autre. Et seraient suffisamment bornés pour vouloir concevoir. À partir de là, la suite approximative coule de source.
Je plisse les yeux, dubitatif.
— Pas tant que ça… je commente à demi-voix.
Rien de ce qui m'est arrivé ne me paraît logique, et donc encore moins prévisible.
— Pas quand on a le nez dedans, non, elle concède, avec l'ombre d'un sourire, enfin.
Je ne rebondis pas tout de suite, essayant d'assimiler ce qui est en train de se produire. Grâce au simulateur de Possibles auquel j'ai eu accès il y a quelques jours, je savais déjà que LeX avait envisagé la possibilité de mon existence au moment d'inventer le concept de Magnet. Et par la même occasion mon apolarité. La suite et le reste de mes aventures, en revanche, j'ai du mal à croire qu'elle ait pu les voir venir de la même façon. Elle évoque une précision qui, même si visiblement approximative, semble tout de même exagérée. Est-ce qu'elle avait prévu que je me rebelle contre ma race et sauve une humaine aux dépens d'un dérivé ? Et est-ce qu'elle est en train de me dire qu'elle avait également prévu le Choix sur lequel je me suis arrêté ? Ça expliquerait que tout lui revienne juste au moment où Oscar le valide, mais ça me semble encore un peu énorme.
— Mais pourquoi maintenant ? je m'enquiers, par acquit de conscience.
— Pourquoi maintenant quoi ? répond LeX, comme si cette courte pause dans notre conversation avait suffi à lui faire perdre le fil de ses pensées.
— Pourquoi est-ce que tu te souviens de ça maintenant ? je précise.
— Parce que ta décision est prise. Il n'est plus utile que je ne me souvienne pas avoir deviné que c'était la décision que tu allais prendre, puisque je ne peux plus t'influencer, elle valide ma suspicion.
J'ouvre de grands yeux devant l'incroyable déterminisme de mon existence.
À quoi bon me montrer toutes ces Possibilités manquées si depuis le début – et par début il faut apparemment comprendre du vivant de LeX, quelque part entre les XX° et XXI° siècles, il y a plusieurs milliers d'années maintenant – il a toujours été d'une certaine manière logique que j'allais emprunter cette voie-ci ? À quoi bon me laisser délibérer sur mon alignement, si c'était de toute façon couru d'avance que je fasse le choix que je m'apprête à faire ? Où est ma part de liberté dans tout ça ? Est-ce que je ne fais que réagir aux évènements et ne décide jamais de rien ? Comment pourrais-je être aussi prévisible, sinon ? Comment LeX aurait-elle pu deviner l'enchaînement des évènements qui nous ont amenés ici, s'il y avait eu une once de hasard et de libre arbitre dans tout ça ?
— Tu es en train de me dire que tu avais tout vu venir, et que tu aurais pu me dire ce que j'allais faire à l'avance ? j'essaye de formuler mon outrage à peu près clairement.
LeX semble amusée que je sois si piqué par ses révélations.
— C'est le souci de la psychologie inversée : en te communiquant les décisions sur lesquelles tu allais très probablement t'arrêter, j'aurais pu t'en dissuader. Il fallait que je te laisse arriver à tes propres conclusions, qu'elles valident mon intuition ou non.
Donc, ses prédictions, en plus de comprendre des imprécisions, ne sont pas absolues même dans les grandes lignes. Je relâche mes mains que j'avais serrées sans m'en rendre compte, et respire mieux.
— Pourquoi avoir une intuition, alors, si elle peut se confirmer ou non ?
Avoir connaissance d'une possibilité de déroulement des évènements semble inutile. Sans compter particulièrement trivial.
— C'est le principe de l'intuition, non ? elle me renvoie.
Certes. Mais dans ce cas…
— D'accord mais… Pourquoi oublier, alors ? Pourquoi ne pas garder ton intuition, et simplement ne pas m'en parler ?
Parce que si c'est juste une hypothèse personnelle, tout le monde en a. Peut-être pas aussi proches de la réalité que les siennes semblent l'être, mais dans une certaine mesure.
— Parce que ça me concerne aussi. J'aurais pu m'influencer moi-même.
Je passe mes mains sur mon visage, fatigué.
— Mais tout le monde a une vision de son avenir. Ça s'appelle se projeter.
Je concède que tout le monde ne le fait peut-être pas avec autant d'avance qu'elle, qui se prépare des millénaires en amont des évènements, mais je pense qu'on le fait tous quand même à son échelle, non ?
— Je ne sais pas si tu as remarqué, mais je gère très mal la déception. Mon amnésie sélective, comme celle de beaucoup d'autres d'ailleurs, concerne les connaissances qui m'empêcheraient de fonctionner à régime optimal. Si quelque chose que j'attendais ne s'était pas produit au moment où je m'y attendais, ou pas comme je l'avais imaginé, je l'aurais mal pris. Alors qu'a posteriori, j'ai moins de mal à l'accepter.
Elle est lucide quant à sa susceptibilité, au moins.
— La déception est une chose, mais est-ce que ça ne t'aurait pas été utile de savoir à l'avance que tout allait bien se passer pour moi, par exemple ? Ça ne t'aurait pas épargné quelques menaces de mort à mon égard ? Et beaucoup d'inquiétudes ? je lui propose le pendant de l'inconvénient à connaître l'avenir, même si ce n'est que dans une certaine mesure.
— D'une part, j'adore menacer les gens. D'autre part, je n'aurais pas su que tout allait bien se passer. J'aurais su que la probabilité que ça se passe bien était élevée. Et je pense que connaître ces chiffres, si je puis dire, m'aurait au contraire encore plus stressée que rassurée. J'aurais eu peur que ça ne se passe justement pas comme ça, elle m'oppose, retorse.
— Mais est-ce que tu n'as pas eu peur de toute façon ? j'objecte à son raisonnement, qui commence à devenir franchement tordu.
— Oui. Mais je n'ai pas en plus eu peur de m'être trompée dans mes prévisions, elle contre une nouvelle fois.
— Soit. Mais alors pourquoi avoir tout prévu en premier lieu ? Ou pourquoi choisir de t'en souvenir un jour, puisque finalement ça ne t'avance à rien ? j'essaye toujours de faire sens de sa situation, avec bien de la difficulté.
— Ce n'est pas exactement un truc sur lequel j'avais le contrôle, à l'époque. Mon cerveau faisait des probabilités un peu à mon insu. Quant à m'en rappeler, tu n'as qu'à demander à Oscar à quel point les souvenirs sont importants. Dès qu'ils ne sont plus un problème, je n'ai plus aucune raison de les ignorer, même s'ils ne m'apportent effectivement rien, comme tu dis.
Je vois où elle veut en venir, mais ça ne me paraît pas plus sensé qu'avant.
— Tu me donnes mal à la tête, je conclus en me redressant, plaçant mes mains sur la rambarde là où j'avais jusqu'ici mes coudes.
Je suppose que ce que je peux retirer de cet échange, c'est qu'il n'y a, comme je le pensais initialement, pas de Magnets originaux. C'est le paradoxe des prédictions, des fantasmes, et des rêveries éveillées. Si on se trompe, c'est-à-dire dans la majorité des cas, comme les individus considérés existent réellement, il ne s'agit pas d'originaux à proprement parler, personne ne pouvant être à la fois réel et original. Ce sont les évènements décrits qui sont purement inventés, pas les personnages. Quand bien même on se figurerait son voisin terrible avec des cornes ou n'importe qui avec quelque altération physique ou morale que ce soit, ça ne créerait pas vraiment d'originaux. Bien entendu, tout reste stocké dans le Second Univers, mais la distinction se fait quand même. Quoique ça importe peu, ni les uns ni les autres ne traversant jamais la Frontière.
Suite à cette conclusion pour le moins stérile, je me mets à réfléchir à des questions toujours un peu bêtes mais plus personnelles. LeX vient de me dire qu'elle m'avait imaginé autrement. Et je me demande quelles caractéristiques physiques elle avait bien pu penser que j'allais avoir. Est-ce qu'elle me voyait plutôt blond aux yeux bleus, ou même d'une ethnie complètement différente, plus petit, plus grand ? Mieux, est-ce qu'elle avait pensé que j'allais être une fille ? Est-ce qu'elle avait envisagé quel type de Tuteur j'allais avoir ? À quelle époque on se trouverait ? Dans quel endroit du monde ? Qu'elle ait deviné ma décision pour mon choix d'alignement n'est finalement pas si absurde, puisqu'elle repose sur un raisonnement logique. Mais il y a également beaucoup d'éléments aléatoires dans ma situation, qu'elle a pu anticiper malgré ce caractère hasardeux, et je serais un peu curieux de savoir sur lesquels elle ne s'est pas trompée. Et puis, il y a aussi ce dont elle savait qu'elle allait devoir décider elle-même au fur et à mesure des divers développements…
— Tu as bien dit que tu avais vu juste sur certaines choses, et pas sur d'autres, c'est ça ? je récapitule, préparant encore la question que j'ai envie de poser.
— Oui, c'est ça, valide la Messagère en hochant la tête.
— Je n'ai qu'une seule question, je crois, je commence, cherchant toujours mentalement la tournure avec le plus de tact possible.
— Balance, elle m'incite à continuer.
— Tu m'as aussi donné ce surnom débile, dans ton imagination ? je lui demande finalement, me tournant enfin vers elle.
Elle éclate de rire.
— Pire ! elle m'avoue en secouant la tête.
Au moins, il n'y a plus aucune trace du malaise qui l'a conduite à quitter la salle de réception et venir se réfugier ici. Je suppose qu'il aura autant été dû à la soudaine déferlante d'informations en elles-mêmes qu'à la prise de conscience qu'elles accompagnent, qu'elle avait eu tort sur certains points. La Panthère a beau dire qu'elle gère mieux la déception a posteriori, elle a tout de même du mal à s'y faire, j'en suis sûr. Et pour une fois, on ne peut pas dire que ce soit entièrement déraisonnable de sa part. Personne n'aime découvrir qu'il s'est fourvoyé. Personne n'aime s'imaginer le parfait déroulement d'une situation et la voir dérailler par la suite. Pour LeX, elle n'aime pas ça à un tel point qu'elle ne se permet même pas de se souvenir de ce qu'elle voulait qu'il se passe avant que l'occasion ne soit passée. C'est presque sage de sa part. Quoique, c'est sans doute plus un phénomène imposé qu'une réelle décision qu'elle aurait prise.
— Si tu t'étais trompée sur toute la ligne, tu ne te serais jamais souvenue de rien, je parie, j'observe.
— C'est possible que ça me soit déjà arrivé pour d'autres choses, elle confirme, sans perdre le sourire laissé par sa précédente hilarité.
— Et ça ne te gêne pas ? je ne peux pas me retenir de lui demander.
À sa place, savoir que j'ai oublié quelque chose me rendrait fou.
— J'ai l'impression que tu m'as déjà posé cette question, elle esquive sans difficulté.
C'est vrai. Nous avions déjà parlé de sa part de souvenirs manquants juste avant que je ne m'installe dans la machine à Possibles. Elle m'avait dit en savoir juste assez pour savoir qu'elle ne voulait pas savoir. Ce qui, je suppose, indique qu'elle ne subit pas entièrement la volonté de l'ordre des choses, mais est en accord avec. Ce doit être une drôle de sensation. De savoir qu'un simple souvenir pourrait nous empêcher de fonctionner, nous neutraliser complètement, nous retourner contre nous-même ou les autres, nous rendre totalement impuissant. Je suppose qu'on peut aussi se dire qu'on est suffisamment important pour ne pas pouvoir se permettre d'être mis hors-jeu. Mais c'est le cas de tout le monde. Les victimes de crimes atroces ne se souviennent pas de leur traumatisme, après leur mort, avant d'être en mesure de pouvoir l'assimiler et le surmonter. Et lorsque tout le monde est important, quelque part, personne ne l'est. Puisque je ne peux pas penser que LeX n'est pas allée jusque-là dans le raisonnement, je suppose qu'elle a dû pousser encore plus loin pour être en paix avec sa situation, mais je n'ai pas envie d'en faire de même ce soir.
Pour être tout à fait honnête, j'ai envie de clore cette discussion, qui a déjà duré trop longtemps pour un sujet aussi conceptuel et métaphysique. Sauf que ne plus parler avec la Messagère sur ce balcon, considérer que son malaise est entièrement passé et que je n'ai donc plus rien à faire là, signifierait devoir retourner à l'intérieur. Et maintenant qu'Oscar est tombée d'accord avec Dwight et moi, je suppose qu'il n'y a plus rien à attendre avant d'aller annoncer notre Choix à tout le monde, et l'effectuer officiellement. Peu importe ce à quoi cette transition peut bien ressembler. Parce que je ne sais toujours pas, et ne serai sans doute fixé que lorsque ce sera en train de se produire. Je ne me sens pas apeuré, non, mais je ne me sens pas pressé non plus. Et puis, les gens s'amusent, à l'intérieur, alors que si ça se trouve, après ma grande déclaration, ce sera l'émeute. Pourquoi ne pas les laisser profiter encore un peu ? Mais je ne peux pas décemment proposer ça à LeX. Et si je ne dis rien dans la prochaine minute, elle va décider d'elle-même de rentrer.
— Hey, tu connais tous les Magnets en activité, non ? je décide donc de lui demander.
Si elle part après ce soir, c'est peut-être ma dernière chance d'avoir un tête-à-tête avec elle avant longtemps.
— Il faut bien les baptiser, LeX déclare avec un haussement de sourcils joueur et un sourire malicieux.
Personnellement, je m'en serais bien passé, de ce baptême, mais ce n'est pas le sujet, alors je retiens ma grimace.
— Est-ce que ça te dit quelque chose, un brun barbu aux yeux bleus ? je poursuis mon interrogatoire.
Je ne sais pas pourquoi mon protecteur d'un peu plus tôt m'est venu à l'esprit, mais je crois qu'il vient de me sauver une seconde fois.
— Tu pourrais être plus vague ? Les barbes poussent et se rasent, tu sais.
Elle n'a pas tort. Il n'avait cependant pas d'autre signe distinctif que je puisse voir. Il y avait bien un Magnet avec un bras et une jambe en moins, mais ce n'est pas celui qui m'intéresse.
— Il porte un costume gris et une cravate rose, ce soir. Et… je crois qu'il m'a défendu auprès des autres Magnets en présence.
J'ajoute ce dernier détail après une pause d'hésitation, ne sachant pas trop ce qu'elle va en penser et ne voulant surtout pas attirer des ennuis à mon seul collègue m'accordant sa clémence. Mais en même temps, ça peut peut-être aider à le resituer.
— Oh. Maverick. Magnet du XXX° siècle. Il s'occupe des dérivés qui ne savent pas qu'ils en sont, LeX annonce après une mimique d'illumination.
Elle semble totalement indifférente à l'opinion qu'il peut bien avoir de moi, ce dont je me réjouis.
— Tu te souviens de son époque ? je relève, surpris.
Plus on est ancien, moins les dates semblent compter. Quand June m'a enfin révélé son époque d'origine, même sachant qu'elle était décédée et donc plus âgée qu'elle en avait l'air, j'ai eu beaucoup de mal à y croire. J'ai en un sens fait la paix avec les dérivés millénaires, depuis, mais il ne faut pas que j'y pense trop non plus.
— Oui, parce que c'était le premier après une guerre mondiale. Comme tu peux le deviner, ce ne sont pas exactement des périodes propices aux vies parfaites, elle justifie le détail chronologique.
— UNE guerre mondiale ? Tu ne sais même plus laquelle ? je relève, haussant un sourcil.
Sans y avoir été présent, je pourrais lui réciter la liste de tous les conflits globaux que je sais avoir éclaté à cette époque, moi. Et elle l'a probablement vécu, elle, pour peu qu'elle ait été sur Terre dans ces moments-là.
— Je saurais te dire les causes et la durée de la guerre en question, mais il y en a eu tellement avant et depuis que, oui, j'ai perdu le compte. L'humanité aussi, pour ma défense, elle me rétorque, ne se laissant pas insulter.
J'ouvre la bouche pour répliquer, mais sa dernière remarque est imparable. J'ignorais qu'il nous manquait des affrontements planétaires au compteur. Il m'aurait pourtant semblé que ce serait des évènements suffisamment mémorables pour rester dans les annales en dépit de tout. Peut-être certains ont-ils eu lieu durant les zones d'ombre que nous avons conscience d'avoir dans notre frise temporelle. On ignore certes tout ou presque de ces périodes, mais au moins on sait qu'elles existent. Et même si ce n'est pas glorieux, c'est toujours moins lamentable que de carrément se tromper dans le décompte des années. Ce qui, à ce qu'on me dit, est déjà le cas, ou au moins l'a déjà été à certains points. En admettant qu'aucune de ces vieilles âmes que je fréquente ne me mente. Ce qui est loin d'être impensable. Mais je choisis de leur faire confiance, pour cette fois, notamment parce qu'elles n'auraient aucun intérêt à m'induire en erreur à propos d'une chose pareille. Aussi, l'erreur humaine m'est devenue encore plus excusable depuis que j'ai découvert la taille réelle de l'Univers. Qui sait si c'est purement notre seule faute, si on a perdu le fil des années ?
Je pourrais enchaîner sur ces quelques dernières idées, ou même trouver autre chose pour poursuivre l'échange avec LeX, mais je n'en ai plus le cœur. Nous avons discuté de ce qui l'avait déstabilisée, et j'ai obtenu l'identité de mon mystérieux supporter ; je n'ai plus d'excuse valable. Tout le monde à l'intérieur attend. À la vague d'excitation que je sens lentement monter parmi les convives, la nouvelle de l'arrêt de notre décision a commencé à se répandre. Comment, je l'ignore. Peut-être le simple fait que je m'entretienne seul à seul avec la Messagère est-il suffisant pour en déduire que ce sera bientôt l'heure du clou du spectacle. Vik et Dwight ont rejoint Oscar, certainement pour obtenir confirmation de la rumeur. June et Perry n'ont pas tardé à les rejoindre. Je me demande ce que font les Messagers et mes collègues Magnets, les plus concernés après les membres de mon entourage proche, mais évidemment, je n'en saurai rien avant d'être retourné à l'intérieur.
— Donc… qu'est-ce qui se passe maintenant ? je finis par demander.
— Ton discours, bien sûr ! m'annonce LeX en se redressant, soudain très enthousiaste.
— Mon discours. Oui. Bien sûr.
Est-ce qu'on peut s'attendre à ne pas s'attendre à quelque chose ?
— Tu es meilleur que tu le crois à ces choses-là, elle m'encourage, me posant presque la main sur une épaule.
L'intention y est.
Je ne sais pas comment la personne qui s'occupe des balcons a su que nous allions bientôt vouloir quitter le nôtre, mais nous arrivons justement face à une arche de sortie, comme par pur hasard. LeX m'indique d'ouvrir la voie mais je refuse, et elle cède avec un roulement des yeux. Au bas des courts escaliers, elle rejoint rapidement Zed, qui l'attendait visiblement. Je me tourne pour ma part immédiatement vers Oscar et son entourage, mais seul le Jardinier autrefois Suspendu se retourne vers moi. Il laisse sa cavalière, en pleine conversation, avec une caresse sur le bras, et vient me rejoindre. Je me demande si je devrais m'inquiéter que Vik, June, et Oz, soient en train de parler, les trois brunes ne faisant pas spécialement bon ménage avec les unes plus que les autres, mais je me dis qu'avec Dwight en présence, elles devraient bien se comporter. Alors que Perry arrive enfin à ma hauteur, Hannibal rejoint enfin la même zone que le reste de notre troupe. Mon parrain me dévisage, une certaine anxiété dans ses traits, n'ayant visiblement pas eu besoin de confirmation orale pour savoir que le bruit qui s'était mis à courir parmi les convives était vrai.
— Tout va bien se passer, non ? je demande au Jardinier devant moi, reportant mon attention sur lui.
— Arrête de stresser, me conseille Babylone, époussetant mon épaule dans un geste paternel.
— Tu as raison. Après tout, LeX ne m'aurait jamais autorisé à prendre cette décision sans être sûre que ça se passe bien, si ? je l'interroge, à moitié pour la forme seulement.
— Comment veux-tu que je le sache ? La LeX que tu connais est peut-être la même que celle que j'ai connue, mais elle ne se laissait pas vraiment connaître, à l'époque, est tout ce qu'il trouve à me répondre.
— Ce n'est pas exactement rassurant, ce que tu me dis là, je proteste, trahi par mon habitude de ses sages paroles.
— Oui, tout va bien se passer. Tu ne peux pas mourir et tout oublier, il faut encore que tu viennes à mon mariage, il tente alors.
Je le dévisage avec de plus en plus d'incompréhension.
— Je vais commencer à penser que je te préférais déprimé, je lui avoue, ce qui le fait sourire.
Cette expression suffit à me convaincre que non, je ne le préférais pas malheureux, peu importe combien ses réparties étaient alors si ça se trouve plus apaisantes. Par-dessus son épaule, je vois LeX laisser Zed et me faire signe de la suivre. Je m'excuse auprès de Perry d'un hochement de tête, qu'il me rend, et rattrape la Messagère, qui est déjà en train d'extraire Oscar et Dwighty du petit groupe où ils étaient. Oz me cherche du regard alors que j'arrive justement à ses côtés. Elle m'adresse un pâle sourire, et je viens prendre sa main dans la mienne pour la rassurer. J'échange également un regard avec Dwight, à qui je donne gentiment un coup d'épaule dans le même but. De front derrière la Panthère, nous lui emboîtons tous les trois le pas jusqu'à l'estrade qui n'avait jusqu'ici pas servi. Ce n'est qu'à ce moment-là que je remarque que toute musique a cessé. Et lorsque LeX s'écarte de notre passage pour nous laisser monter les marches menant à la scène, c'est au tour des conversations de s'interrompre. C'est bien. Pas de pression, surtout.
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