Quatorzième Jour - Règlement de trois (5/10)

Il n'y a pas beaucoup d'individus qui seraient capables d'entrer dans la même pièce que moi, même d'aussi grandes dimensions que celle-ci, sans que je ne les repère. Et après avoir été confronté à un certain nombre de dérivés dissimulés à ma perception par une méthode ou une autre (Zarah éveillée, Wendy sous sa forme humaine, l'enfant alien à courte distance avant sa naissance), je pense que je serais en mesure d'avoir un soupçon si c'était ce qui est en train de se produire. En l'occurrence, je n'ai même pas à considérer cette éventualité, puisque je reconnais sans peine les huit visages qui surplombent encore la foule, prenant la pose, sans doute de rigueur sur le palier de marbre. Je suis étonné que nous soyons si peu à les fixer, mais peut-être le phénomène est-il moins impressionnant depuis la piste de danse qu'il ne l'est depuis le haut des marches. Ou peut-être que j'étais tout simplement plus repérable. Ou bien que les Messagers ont fait en sorte de l'être moins.

En réalité, ce ne sont pas huit mais douze personnes qui font leur entrée, mais je pense que l'escorte de Pro et Eren se passe de toute description. Non, vraiment, je ne ressens ni l'envie de dire qui en a combien à son bras, ni le besoin de me pencher sur le genre exact de ces accompagnants. Pour peu qu'ils n'en aient qu'un seul. Et c'est aussi loin que je pousserai mon analyse de la situation. La Messagère du Mal porte une robe de type trench-coat et des talons aiguilles, dans une ambiance très exhibitionniste qui ne m'étonne pas d'elle, tandis que son demi-frère arbore ce qui pourrait tout à fait être une tenue acceptable pour un ancien élève de Serpentard, aux rayures vertes et argentées de sa cravate. Je présume qu'il estime que le bleu de ses yeux se passe de tout rappel. Ou qu'il est effectivement passé par cette maison à Poudlard. On est loin du post-adolescent hipster de la dernière fois. Ironiquement, le Messager du Mal présente bien.

À la droite des deux Maléfiques se tiennent Tom et Lili. Le couple a opté pour des motifs tartan, sa robe par ailleurs noire dotée d'une jupe et d'une poche sur le cœur dans le motif écossais à dominante rouge, tandis que sa cravate et sa pochette à lui présentent le même motif avec une majorité de jaune, sur un costume marron. Ils sont suivis d'une troisième personne, que je n'avais pas incluse dans le groupe jusqu'ici car il est placé derrière eux, mais qui les accompagne de toute évidence puisqu'ils lui adressent la parole par-dessus leurs épaules. L'inconnu est un grand brun aux cheveux presque longs, une cicatrice en travers de l'œil gauche, seul détail que je peux entrevoir avant qu'il ne place un appareil photo devant son visage. Autant que je sache, il s'agit d'un protecteur. Je dirais ange gardien, avec emphase sur le caractère gardien plus que sur le côté angélique, mais rien n'est moins sûr, avec une dérivation aussi vague. Je me demande pourquoi ils l'ont amené avec eux, et qui il est exactement.

De l'autre côté des Malveillants, à une distance un peu plus importante que les Témoins peut-être, 'mmanie au bras de Teph, puis Kel avec Esk au sien. Une chose est sûre, leurs prénoms ne sont pas devenus plus faciles à suivre qu'ils ne l'étaient il y a quelques jours. Pour eux qui vivent ensemble, ça ne doit pas être évident. La louve garou a enfilé une robe de velours rouge, parfaitement adaptée au teint basané de sa peau et à sa chevelure et ses iris d'ébène. Son cavalier est en smoking noir, avec un nœud papillon bleu roi, rappelé par les lignes sur le côté de ses jambes, d'un nuit foncé. Les deux têtes blondes de la bande ont quant à eux fait honneur au statut auto-proclamé de princesse de la Messagère du Bien, et ont réussi à se parer de rose sans avoir l'air totalement ridicules. Sa robe est toute en franges, typée samba, et sa veste à lui est légèrement pailletée. Je note également que le vampire n'a pas de cravate, le rappel mauve situé sur sa pochette. Malgré sa nature comme qui dirait haut placée, je commence à me dire que n'importe qui peut finalement se permettre cet écart à l'étiquette que présente un col ouvert. C'est Dwight, qui devrait signer une pétition.

Avec LeX déjà là, le seul Messager qui manque encore à l'appel est Zed, mais il n'est pas arrivé avec ses collègues. Tandis que les êtres sans dérivation et leur compagnie descendent enfin les quelques marches menant au parquet, je cherche la Panthère du regard, me disant que peut-être le Loup aura fait une entrée plus discrète. Voilà quelque chose qui ne m'avait pas manqué de mon humanité : ne pas instantanément savoir où est quelqu'un dans une foule compacte. Le Léonard avec qui j'ai vu la petite blonde discuter plus tôt n'est plus avec elle, et je n'ai pas la moindre idée d'avec qui d'autre elle aurait pu se montrer sociable après lui. J'irais interroger Vik, si seulement elle ne semblait pas s'être attelée à l'exacte même recherche que moi. Hannibal ne sera pas d'une plus grande aide, trop occupé à écouter parler des gens qui comptent sans doute parmi les raisons pour lesquelles il a rasé les murs en entrant, à son inconfort presque palpable. Juste comme je m'apprête à vitupérer intérieurement sur le fait d'être incapable de repérer une fille dans une robe orange vif, la foule s'écarte d'un pas pour laisser un danseur faire tourner sa partenaire, qui arbore justement ce coloris bien particulier. Je sais que je devrais être interpellé par le fait que le cavalier puisse seulement effectuer cette manœuvre sachant qu'il n'y a aucun contact entre lui et sa partenaire, mais je suis bien plus abasourdi par le fait que LeX soit en train de danser avec un autre que Zed.

Avant que je n'aie eu le temps de reprendre mes esprits, l'inconnu a quitté la petite blonde, à reculons mais sans heurts. Qu'est-ce que c'était que ça ? Je n'arrive même pas à me remettre suffisamment pour savoir ce qu'il est. Je n'ai même pas mémorisé son visage. Comment est-il reparti avec sa tête sur ses épaules ? Oscar, qui a suivi mon regard, semble partager ma perplexité, dans une moindre mesure, moins familière des facéties et des horreurs dont la Panthère est capable. Fatalement, lorsque la Messagère se retourne enfin vers l'entrée où ses collègues viennent d'apparaître il y a quelques minutes, nous nous faisons remarquer. Elle croise alors les bras et nous fixe à son tour quelques instants. Voyant que nous sommes trop interloqués pour avoir la courtoisie de détourner les yeux, elle vient finalement nous rejoindre, une moue comme amusée sur le visage.

— Quoi ? elle nous lance, mutine.

— Tes collègues sont là, je me contente de l'informer après avoir difficilement dégluti, encore sous le choc.

— Je sais. Et alors ? Je suis leur comité d'accueil, maintenant ?

J'ai du mal à savoir si elle cherche à me faire lâcher l'affaire ou au contraire s'amuse de la maladresse avec laquelle j'essaye de l'interroger sur ce que je viens de voir.

— Je pensais juste que Zed ne serait pas loin derrière, je précise mais pas trop quand même.

La fois où son genou est brutalement venu rencontrer une partie sensible de mon anatomie, il me semble qu'il était question de me protéger du courroux d'un cher et tendre jaloux. Et jusqu'ici, je ne l'aurais jamais pensée capable de prendre sciemment ce genre de risque. Elle a bien embrassé Hannibal, mais il y avait quelque chose de différent, de plus personnel, dans ce à quoi je viens d'assister.

— C'est sans doute le cas, elle confirme cependant mes dires, comme si de rien n'était.

— Tu dansais, je précise une nouvelle fois ma pensée, avec toujours autant de prudence.

— Ça m'arrive, confirme la Messagère.

Je reste sur mon indécision quant à la nature de son déni qui n'en est pas vraiment un.

— C'était qui, ce type ? Oscar est plus directe que moi.

Et plus téméraire, aussi. Le sourire de LeX devient enfin franc.

— Un vieil atout. Vous comprendrez quel genre de relation j'entretiens avec mes atouts quand vous commencerez à avoir des amitiés de plus d'un siècle.

Elle rit, achevant de me convaincre que j'ai simplement mal compris la situation. Qu'elle puisse avoir des relations aussi proches reste certes extrêmement déroutant, mais pas autant que ça aurait pu l'être.

— Est-ce que Zed le connaît ? insiste cependant Oz.

— Pas plus que je ne connais ses atouts à lui. Que vous puissiez penser que mes échanges avec mes agents sont un manque de fidélité alors que c'est tout le contraire me… désole.

Elle n'a pas l'air tout à fait satisfaite de son choix pour son dernier mot, mais s'en contente.

— Pourquoi Zed n'est pas encore là ? je l'interroge alors, curieux.

Qu'elle soit venue en avance avec nous peut se comprendre, mais si les autres Messagers sont tous arrivés ensemble, pourquoi pas sa moitié ?

— Parce qu'arriver toujours en retard fait partie de notre arrangement, elle répond comme si ça coulait de source.

— Hein ? je traduis mon expression aussi bien que celle d'Oscar.

— On a du mal à faire notre entrée ensemble de manière crédible. Alors que séparément…

Elle a un geste des mains, signifiant clairement que le même problème ne se pose pas.

— Et pourquoi il arrive pas plutôt en avance ? propose alors Oz, pragmatique.

— Parce qu'on est un couple extrêmement sexiste. Il me court après, vient me secourir, formule ça comme tu veux. Ça fonctionne juste beaucoup moins bien lorsqu'on inverse les rôles.

Je ne suis pas certain que le sexisme n'impose pas au contraire à l'homme d'arriver en premier, mais il est vrai que laisser poireauter sa compagne n'est pas exactement la quintessence de la galanterie non plus.

— Le sexisme n'est-il pas une mauvaise chose ? je choisis de relever.

Non pas que j'aie entendu parler de ce mouvement depuis mon dernier cours d'Histoire du collège.

— Jusqu'à preuve du contraire, le fait qu'un homme et une femme soient faits différemment, aussi bien sur le plan physique que physiologique et même social à travers les âges, n'est que ça : un fait. Ce sont l'irrespect et les préjugés qui sont mauvais. Il n'y a rien de…

Elle ne finit pas sa phrase, pourtant bien partie, tombant bouche bée en plein milieu, son regard soudain perdu derrière nous.

— Er… LeX ? je m'enquiers, ne comprenant pas ce qui l'a interrompue, même après avoir jeté un coup d'œil par-dessus mon épaule.

— La ferme. Il porte une cravate, elle m'ordonne, avec un geste distrait de la main, comme pour chasser un insecte.

Oz et moi suivons une seconde fois son regard, et finissons par repérer ce qui a happé son attention de façon aussi radicale. Zed est enfin là. À l'instar de son collègue du Mal, il présente lui aussi très bien malgré sa précédente dégaine très décontractée. Au motif enflammé qui orne sa cravate et sa pochette, je suppose qu'il s'est concerté avec sa dulcinée. Le gris anthracite de son costume est également assorti à celui des shorts et de la brassière qu'elle porte sous sa robe. Mains dans les poches, au bas des escaliers, le Loup semble communiquer avec sa partenaire devant nous à l'aide d'un curieux langage muet, composé de regards et de sourires, à travers la foule qui laisse bizarrement une ligne de vue dégagée entre eux. Ma tête va de l'un à l'autre, essayant de comprendre ce qui peut bien être en train de se passer exactement, sans grand succès. Lorsqu'elle mordille sa lèvre inférieure, je décide que j'en ai assez vu :

— … Je le savais ! est tout ce que je peux m'exclamer, ne réussissant qu'à faire sursauter Oscar.

— Qu'est-ce que tu savais, ENCORE ?

LeX sort enfin de sa stupeur pour me répondre.

— Tu l'as attaqué. Lorsqu'il est venu à la maison. Tu t'es jetée sur lui.

J'ai perdu Oscar, qui fronce les sourcils. LeX ne suit pas beaucoup plus, puisqu'elle la rejoint dans cette mimique.

— Er… Oui. Tu étais littéralement dans la pièce d'à côté. Elle aussi, d'ailleurs, la Messagère prend Oz à témoin.

J'ai un mouvement de recul avant de comprendre que nous ne faisons pas référence au même moment de la journée. Et aussi qu'elle a pris mes propos un peu trop au pied de la lettre.

— Je ne parle pas de ce genre d'attaque. Tu étais couverte de sang et que sais-je encore, au moment de monter lui expliquer la situation avec Oscar. Et lorsque vous êtes redescendus, tu étais propre, mais vous étiez tous les deux mouillés. … Dans la salle de bain de mes parents ? Vraiment ? j'explose, ma soudaine révélation encore plus choquante que de voir la Messagère danser avec quelqu'un d'autre que Zed.

Plus choquante que de l'avoir vue l'embrasser après la joute qu'elle vient justement de mentionner.

— Qu'est-ce qui te fait croire qu'il ne s'est pas simplement battu avec moi pour que j'entre dans l'eau, et s'est retrouvé mouillé en conséquence ? elle me propose alors.

Voilà qui sonne étrangement plausible, sauf que…

— Ce regard qui tu viens de lui jeter, à l'instant, je lui oppose.

Elle fait une pause d'une seconde avant de rire à nouveau, comme elle l'a fait devant notre réaction à son partenaire de danse.

— Je n'ai pas à me justifier auprès de toi, elle conclut le débat, nous contournant pour aller rejoindre son cavalier.

Pendant que je vocalisais mon outrage, le loup blanc s'est frayé un passage à travers la foule. Elle l'aide à couvrir les derniers mètres qui les séparent encore. Toujours sans un mot, il place sa main dans le creux de sa nuque, et je me détourne, ayant été suffisamment traumatisé sur ce plan pour ce soir, voire plus. La succession d'expressions sur le visage d'Oscar, qui elle n'a pas la même pudeur que moi, me suffit amplement comme rediffusion. Retenant un frisson d'effroi, je l'entraîne un peu plus loin, et nous croisons Vik et Dwighty, qui observent la même chose dont nous venons de nous détourner, à la grimace de ce dernier. La Botaniste semble quant à elle satisfaite du bonheur de son amie, mais se désintéresse rapidement de la démonstration publique d'affection pour me dévisager moi. Juste comme je m'apprête à lui demander les raisons pour cette aussi soudaine que soutenue inspection, elle prend enfin la parole :

— Je peux te l'emprunter quelques minutes ?

Je crois qu'elle s'adressait théoriquement à Oscar, mais elle m'entraîne cependant par le bras sans même faire mine d'attendre une réponse.

Je vois Oz être surprise et répondre dans le vide, par la positive évidemment, sans doute ce sur quoi comptait la petite brune. Ou peut-être qu'elle ne demande que par politesse. Ce qui aurait donc l'effet inverse d'escompté, mais bon. Dwighty est tout aussi interloqué par le comportement de sa cavalière, et les deux délinquants en plaisantent rapidement. Vik m'emmène à une bonne distance, selon quel critère je l'ignore, puisque ce n'est pas comme si on pouvait être tranquille où que ce soit dans cette foule mouvante. Certains dansent, certains marchent, d'autres sont immobiles, et pourtant personne ne se rentre dedans. C'est tout autant faisable avec une compagnie humaine, mais ça n'en reste pas moins impressionnant. Une fois arrêtés, la Botaniste ne dit cependant rien, continuant à me scruter intensément. J'attends encore quelques secondes avant d'à nouveau craquer, le premier cette fois :

— Qu'est-ce que tu veux, Vik ? je demande, m'efforçant de pas prendre un ton trop agressif.

— J'aurais pensé que tu m'en voudrais plus, elle déclare enfin, plissant les yeux d'un air suspicieux, comme si elle n'était pas encore absolument certaine que ce n'est pas le cas.

— Hein ?

J'essaye de comprendre de quoi elle veut parler, sans grand succès. Je laisse donc mon incompréhension se manifester clairement sur mon visage. C'est rare que je n'aie pas un peu honte de ne pas comprendre quelque chose, mais là il va vraiment falloir qu'elle soit plus spécifique.

— J'aurais pensé que tu serais plus en colère après moi que ça, elle reformule, se trompant sur la source de ma perplexité.

De ce sentiment, je passe à l'atterrement.

— Premièrement, qu'est-ce qui te fait dire que je ne suis pas en colère ? Et deuxièmement, en colère à propos de quoi ? je décortique la situation, croisant les bras.

Je ne sais pas d'où ça lui vient ni de quoi elle parle avec précision, mais tant que nous sommes sur le sujet, autant accorder nos violons.

— Oscar. Quoi d'autre ? Dwight m'a dit que tu avais flippé.

Ah. Ça. Étonnamment, ce n'est pas la première chose qui m'était venue à l'esprit. Ce qui me fait d'ailleurs me sentir presque coupable. Mais la colère prend vite le dessus.

— Quoi d'autre ? Vraiment ? Quoi d'autre ? Vik, tu as tué les deux meilleures amies de mon ex. Et tu as mis l'ex en question dans le coma. Tout ça sur ordre de mes parents. Tu n'as jamais rien fait de positif à mon intention !

Et ce ne sont que ses méfaits avant notre premier face-à-face. Après ça, elle a été plus ou moins insupportable et surtout d'aucun soutien. Même la fois où elle a remis mon épaule en place, elle y a pris un malin plaisir. Et la veille de ça, elle avait menacé de me tuer.

— Okay, c'est mon tour : premièrement, tu ne m'en veux clairement plus pour ces trucs, puisque tu m'as tolérée ces deux dernières semaines. Deuxièmement, la prochaine fois que tu balances ton secret aux quatre vents, on verra comment tu gères.

Elle croise les bras à son tour. Sérieusement ? Elle va réussir à se faire passer pour la gentille dans cette histoire ?

— Je ne t'ai tolérée que parce que LeX a mis véto sur toi. J'ai passé un mois à te traquer et mettre au point ta capture !

Elle serait bien capable de me sortir que cette période d'entraînement m'a été bénéfique. Mais non, elle semble surprise que je fasse mention de ça.

— Ah oui. C'est vrai.

Elle semble seulement se souvenir de ce fait. Parce que clairement, il s'agit d'un détail !

— Oui ! je confirme, au bord de l'emportement.

— Est-ce que c'est pour la même raison que tu ne me sautes pas à la gorge pour Oscar ? LeX ?

J'ai au moins réussi à lui faire voir les choses différemment. Je n'ai pas réussi à la faire culpabiliser, mais c'est un début.

— … Si on veut, je réponds après avoir pris une inspiration afin de me calmer.

— Tu élabores ?

Elle ne manque décidément pas de culot. Mais elle vient déjà de faire trop de progrès pour que j'ose espérer qu'elle se rende compte de ça.

— LeX a plus ou moins laissé entendre que tes intentions étaient bonnes, sur ce coup-là. Et personne n'est mort. Même Hannibal a essayé de dédramatiser. Alors je m'efforce de relativiser, je lui révèle, sans mentir.

— Mes intentions sont toujours bonnes, elle ne peut pas s'empêcher de me reprendre.

— Oui, et l'enfer est pavé de bonnes intentions, au cas où tu ne connaîtrais pas le proverbe, je me permets alors de lui rappeler.

— Mais relativiser au point de me laisser me balader au bras de ton Tuteur, vraiment ? elle reprend, le doute de retour sur son visage.

Voilà une remarque à laquelle je ne m'attendais pas. Au moins, maintenant, je sais quel chemin mental elle a suivi pour venir m'interroger à propos de mon ressentiment pour elle ; elle cherche l'approbation du meilleur ami de son cavalier. C'est presque mignon.

— Ah. C'est donc de ça qu'il est question. Dwight est adulte. Oui, j'ai été plus que surpris lorsque j'ai découvert qu'il t'aimait bien, mais ce n'est pas ma place de m'interposer si c'est mutuel.

Il sait très bien ce que je pense de la Botaniste, tout comme il sait très bien ce dont elle est capable. À partir de là, je ne peux rien faire.

— C'est parce que je suis jolie, elle juge alors nécessaire de m'expliquer, son inquiétude enfin passée.

J'ai un éclat de rire.

— C'est réducteur. Vous n'avez pas arrêté de vous tourner autour depuis qu'on t'a rencontrée.

À son âge, je serais déçu si elle avait réduit ce genre de choses à une attraction physique.

— Oui. Parce qu'après m'avoir pourchassée et tenue pour une abomination pendant un mois, comme tu viens de me le rappeler, la première fois qu'il m'a vue, sa mâchoire s'est décrochée. Ce qui l'a fait se sentir super coupable de m'avoir piégée. Ce qui m'a donnée envie de m'amuser avec lui.

C'est plus une première pièce d'édifice qu'une réelle cause, mais au moins, son raisonnement n'est pas entièrement dénué de sens.

— Encore une fois, vous êtes adultes, je me répète, espérant qu'elle va comprendre que je n'ai pas énormément envie de discuter de tout ça.

Si c'est mon approbation qu'elle cherche, je ne peux pas lui offrir mieux. Surtout sachant le peu d'importance que ça aura sans doute au terme de cette soirée.

Pour une miraculeuse fois, elle semble saisir mon message. Et si je n'étais pas aussi certain de l'inaccessibilité de mon fil de pensées, je penserais qu'elle y avait vu les origines de ma réticence à discuter. Ce n'est qu'un éclair de suspicion, saupoudré d'une certaine tristesse, qui passe dans son regard. L'ombre d'expression ne dure qu'une fraction de seconde à peine. Et pourtant, je n'arrive pas à l'ignorer. Mais après tout, même sans ses capacités surnaturelles, Vik reste une fille intelligente. Peut-être a-t-elle simplement fait le même rapprochement que moi. Ce n'est pas si improbable, lorsqu'on se souvient d'où nous nous trouvons. Et pourquoi, surtout. J'apprécie énormément que personne n'ait directement abordé le sujet depuis hier, mais ça n'en est pas moins l'éléphant dans la pièce.

— Oh ! Tant que j'y pense : pour info, j'ai tabassé deux trois mecs, sur le chemin d'arrivée, s'exclame soudain la Botaniste, alors que j'allais rejoindre Oz et Dwighty, jugeant la conversation terminée.

— Hein ?!

J'ai du mal à assimiler ce qu'elle vient de me dire, mais une fois que j'ai compris, je suis encore un peu plus convaincu que son esprit s'était tourné vers notre Choix.

— Relax. J'ai réparé tout ce que j'ai cassé. C'est juste pour dire que les inquiétudes de LeX n'étaient pas complètement infondées.

Il est un peu tard pour me donner confirmation de ça, puisque j'ai déjà fait les frais d'une ambiance relativement hostile à l'intérieur-même du hall de réception, mais pour une fois qu'elle fait preuve d'un tant soit peu de considération, je ne vais pas lui cracher au visage.

— J'ai tellement de questions, mais je crois que je vais opter pour : comment est-ce que Dwight et toi avez bien pu vous faire repérer, et moi non ?

Mon autre question était : pourquoi est-ce que tu n'as pas mentionné l'incident au moment où LeX a parlé de sa méfiance ? Mais j'ai peur que la réponse soit qu'elle n'avait pas jugé l'évènement suffisamment notable, et préfère m'imaginer que c'est qu'elle ne voulait pas alarmer Oscar.

— Tu es conscient que je pourrais prendre ça comme une insulte ? elle me renvoie, achevant de retrouver sa morgue habituelle.

— Vik. J'agis littéralement comme un aimant sur tout le monde sur cette île. Et j'ai débarqué avec deux chevaux, un porcelet, et un rat mutant. Je ne dis pas que Dwight et toi n'êtes pas remarquables, je dis que j'aurais pensé que notre groupe le serait plus. Et puis, il est venu pour les préparatifs avant-hier, et il ne lui est rien arrivé.

Encore une fois, si ça avait été le cas, je l'aurais su.

— Nous ne sommes pas passés par les beaux quartiers, c'est vrai, elle m'accorde.

— Comment j'ai pu ne rien remarquer ? je m'interroge à haute voix, Dwight en péril étant l'une de mes alarmes les plus sonores.

— Parce qu'il n'a à aucun moment été en danger.

Elle retient un sourire fier, mais ses yeux sont de toute façon bien plus expressifs.

— Je n'aurais pas pensé que le milieu social aurait un impact sur l'opinion publique, je commente, peu désireux de la remercier d'avoir veillé sur mon meilleur ami.

D'autant qu'il aurait sans doute pu s'en sortir tout seul, quels qu'aient été les adversaires rencontrés.

— Il y a sans doute aussi du fait que tu étais accompagné d'un excellent détourneur d'attention, elle ajoute alors comme explication de la tranquillité de mon groupe comparée aux légères mésaventures du sien.

— …?

Je fronce les sourcils, ne voyant absolument pas où elle veut en venir.

— Hannibal. Je parle d'Hannibal. La déchéance ne diminue pas l'effet de ces anges-là, elle précise son sous-entendu, d'un ton et une expression faciale laissant suggérer qu'elle a du mal à croire que je n'ai pas saisi tout seul.

— Tu sais quel type d'ange est H ? je m'étonne, d'abord amusé puis sérieux, me rendant compte que c'est peut-être finalement possible.

— Est-ce que ce n'est pas le cas de tout le monde ? la brunette me rétorque en haussant un sourcil.

Avec un regard de plus en plus soupçonneux, elle me laisse ensuite planté là, retournant à son galant, qui tient toujours compagnie à ma propre cavalière. Les Paradisiaques sont après tout des races voisines de celles de anges. Il n'est par conséquent pas idiot de penser qu'ils partagent une certaine connexion. Je ne sais pas pourquoi, lorsqu'il s'agit de connaissances, je pense tout de suite à la Messagère. Elle n'a pourtant jamais prétendu en détenir le monopole. Et H est resté vague sur la personne que je devais interroger à son sujet. Et puis, au moment où LeX a dit que personne sous ce toit ne savait, Viky, ainsi que ces deux subalternes, June et Perry, n'étaient déjà plus dans les murs. Je me sens tout à coup très bête. Mais pas aussi bête que de ne pas l'avoir retenue pour obtenir la réponse…!

Scène suivante >

Commentaires