Quatorzième Jour - Règlement de trois (4/10)
— J'suis trop d'solé ! J'voulais pas faire ça ! s'excuse précipitamment Dwight de son onde de choc incontrôlée, pendant qu'Hannibal aide Oscar à se redresser.
Le Jumper recule de plusieurs pas et lève les mains en l'air, comme si on le tenait en joue.
Vik, un peu en retrait, le toise avec un sourcil haussé, bras croisés. Au-delà de ça, son expression est en toute honnêteté indescriptible. À l'instar de ses subalternes Jardiniers, la Botaniste arbore sa couleur de prédilection, le jaune. Comme toujours, elle transcende la difficulté du coloris avec élégance. Sa robe, qui lui tombe un peu au-dessus des genoux, est ajourée au niveau des épaules, des deltoïdes, de la taille, et des cuisses, par des ouvertures en fuseau. Une capuche repose entre ses omoplates, rappel de sa nature, sans doute. Contrairement à sa meilleure amie en bottines, elle a osé les hauts talons. Comme si elle avait voulu laisser le temps à tout le monde de bien admirer son entrée, elle ne dit rien lorsqu'elle se détourne enfin de son cavalier pour la journée et nous accorde enfin son attention. Elle a simplement un geste de salutation de la main, qu'on lui rend de manière générale du chef.
— Ça fait trois, maintenant : le djinn invisible, la pom-pom girl lanceuse de feu, et carrément quelqu'un que tu connais. Tu soutiens vraiment qu'on ne risque rien ?
LeX profite éhontément de l'incident précédent pour revenir à la charge auprès d'Oscar sur le sujet de notre insécurité.
— Aucun rapport avec ce que tu craignais à la base ! proteste l'interpellée, coupée dans son élan d'assurer Dwighty que son assaut involontaire est tout pardonné.
— C'tait quoi, l'risque, à la base ? s'enquiert doucement ce dernier auprès de moi, perdu.
— Des gens potentiellement pas trop d'accord avec mes récentes décisions, je réponds de manière aussi expéditive que possible.
— Du danger reste du danger. Et que nous n'ayons croisé aucun opposant jusqu'ici ne signifie qu'une seule chose : qu'ils seront aux abords si ce n'est à la cérémonie, ne démord pas la Panthère, non sans un regard bien senti à l'intention de mon Tuteur et moi, n'appréciant pas notre interruption, même sous forme d'aparté.
— Ou que tu es parano. Au choix, rétorque Oz, encore suffisamment secouée pour être incapable de retenir son effronterie.
— Je vous aurais prévenus, se contente de conclure la petite blonde, croisant les bras pour souligner son ton menaçant.
— En parlant de cérémonie, on y va ou…? propose alors Viky.
À la façon dont elle inspecte ses cuticules, la discussion pourtant animée doit manquer de piquant à son goût. Au moins, elle va droit au but.
— C'est toujours pas pour dire, mais je ne vois pas de tapis rouge, moi, Oscar poursuit sur sa lancée revêche.
Je crois sincèrement qu'elle a décidé de se rebeller contre tout ce qu'on ne lui présente pas de façon tangible. Et il est vrai qu'un tapis rouge nous a été promis, de façon fort arrogante qui plus est, pour notre réunion avec le Jumper et la Botaniste.
— On en vient, informe Vik, son sourire s'étirant en coin.
D'un haussement de sourcil et d'un mouvement de tête, elle nous invite alors à la suivre.
Nous étions effectivement juste à côté de notre destination finale. Au détour d'un bâtiment déjà imposant, et de manière plutôt inattendue je trouve, un vaste espace s'ouvre à nous. Il ne s'agit cependant pas vraiment d'une place, puisque la zone est majoritairement occupée par un escalier massif. Et lorsque j'utilise l'adjectif massif, je pèse mes mots, car la structure est titanesque. Les marches s'étendent sur pratiquement toute la longueur de l'édifice auquel elles amènent, lui-même tout en démesure. De grandes draperies verticales ont été jetées depuis le toit, de part et d'autre de la porte, là encore de dimensions impressionnantes. Les longues bandes de tissu arborent diverses couleurs et armoiries, disposées symétriquement par rapport à l'entrée. Comme annoncé, le sol est tapissé de rouge du pas de la porte jusqu'au bas des marches. L'allée est signalée par plusieurs types de piquets, parmi lesquels je reconnais les classiques cordes de velours, des torches Tiki pour l'heure encore éteintes, ainsi que des photophores, au sol eux, mais également inertes. Le reste échappe à mes capacités de descriptions, mais j'espère que vous voyez l'idée ; le chemin est littéralement et presque excessivement tout tracé.
La mâchoire d'Oscar se décroche, mais si sa réaction est la plus visible, nous tombons tous des nues devant l'installation. Vik veut avoir l'air blasé, mais je sais qu'elle apprécie aussi le décor. Dwighty, bien qu'il soit également déjà passé par ici, hoche la tête en signe d'appréciation. LeX survole l'ensemble d'un regard fier. Même nos accompagnateurs animaloïdes prennent le temps de s'asseoir, ce qui encore une fois est très incongru de la part d'équidés. Quant à Hannibal, le fait que son sourire fasse trébucher une dame qui nous dépasse (à laquelle son cavalier a part chance la courtoisie de ne pas tenir rigueur de sa source de distraction) parle de lui-même. Car oui, le flot d'invités est déjà conséquent. Il n'a pourtant même pas encore tout à fait commencé à faire sombre. Combien de temps cet évènement va-t-il durer ? Ne devrais-je d'ailleurs pas oser utiliser la phrase "traîner en longueur" ?
— Ça a vraiment pris forme, souffle Oz, toujours bouche bée.
— Attends encore quelques minutes, suggère Viky, récoltant des regards interrogatifs des plus jeunes de notre troupe, et enthousiastes des plus âgés.
Il n'est pas difficile de deviner que nous attendons le coucher du Soleil. Ou en tous cas l'arrivée du crépuscule. Il ne faut en effet pas longtemps au Soleil – ou ce qui tient lieu d'astre solaire dans cette dimension – pour toucher l'horizon et instantanément l'enflammer. Et pour ne rien gâcher, le phénomène survient derrière le bâtiment. Le ciel se pare lentement de lueurs roses et orangées, dessinant en contrejour l'immense hall de réception. Et plus la pénombre prend le pas sur le jour, plus la pierre semble scintiller, comme si elle était incrustée de paillettes ou de diamants. Le clou final du spectacle survient lorsque toutes les lanternes, dont j'ai déjà énuméré une partie, s'illuminent en chœur. Cette fois, notre groupe n'est pas le seul à manifester son émerveillement, et une vague d'inspirations épatées parcourt l'assemblée encore à l'extérieur.
— Maintenant, je pense qu'on peut y aller, conclut Vik, contente de son petit effet.
— J'adore cette façade, s'exclame LeX, toujours cette même fierté sur le visage.
— Ne manifeste pas ton enthousiaste aussi ouvertement ! La neige ruinerait sans doute le paysage, Hannibal raille son atypique élan de positivité.
— Comment est-ce que personne ne t'a jamais invité à un Bal d'Hiver, toi ? Viky l'interpelle alors, ruinant sa boutade en sous-entendant que le spectacle est tout aussi sublime sous les flocons.
L'ange déchu détourne la tête, peu désireux que la Botaniste apprenne la réponse à cette question de la même manière que nous autres l'avons apprise la veille, suite à la visite de la brunette, d'ailleurs.
— Assez plaisanté ! Rassemblement. C'est l'heure du briefing, déclare alors la petite blonde, reprenant son sérieux après avoir été amusée par l'intervention de son amie.
— Briefing ? je relève.
Est-ce vraiment le moment ?
— Je ne vais pas vous laisser entrer sans un minimum de préparation. Cette foule n'est pas juste une foule. Ce sont en grande partie des diplomates, des représentants, bref, des politiciens. Même eux, je crois qu'ils s'écœurent, parfois.
Je reconnais déjà des auras familières, celles de mes protégés passés, donc tout n'est pas perdu.
— Et on n'aurait pas pu être préparés un peu avant d'avoir atteint le bas des marches ? je demande, ma précédente allusion à la maladresse de son timing apparemment trop subtile.
— J'ai rarement tendance à me précipiter sur une tâche récalcitrante, se justifie la Panthère.
Ce n'est pas idiot, je veux bien le lui concéder.
— Fais-donc, qu'on en finisse, l'encourage H.
Elle le remercie d'un hochement de tête, puis prend une inspiration avant de se lancer :
— Vous ne demandez PAS aux gens ce qu'ils sont. Vous ne leur demandez PAS s'ils sont morts, comment, et quand. Maintenant que j'y pense, vous n'engagez PAS la conversation avec qui que ce soit. Vous ne parlez que si on vous adresse directement la parole. Et vous ne proposez PAS à boire ou à manger à qui que ce soit. Vous n'acceptez PAS non plus quoi que ce soit de qui que ce soit.
Elle semble compter sur ses doigts le nombre d'interdictions qu'elle nous transmet, sans changer de main, ce qui la pousse à en faire plusieurs fois le tour.
— Est-ce que c'est pas un peu impoli ? Même carrément ? fait remarquer Oscar par rapport au dernier point.
— Je préfère un esclandre dans ce sens que dans l'autre. Et puis, on ne s'attend pas à ce que vous sachiez tout sur tout. Aussi peu qu'il a filtré à votre sujet, tout le monde sait que vous n'êtes pas prêts pour un évènement de cette envergure.
Je tique, mais Oz est plus rapide que moi :
— Pourquoi tu nous y traînes, alors ? elle poursuit sa liste d'objections.
— Pour l'enjeu social et symbolique. Ne te fais pas plus bête que tu ne l'es avec moi ! LeX se fait alors claquante.
— Mais si tout l'monde sait si bien qu'on sait rien sur rien, pourquoi est-ce que t'essayes d'nous préparer ? Dwighty revient à la charge.
Je sais pertinemment qu'il a perdu le fil de toutes les interdictions.
— Parce que faire la moitié du chemin relève de la courtoise la plus basique, lui répond LeX, retenant clairement son exaspération.
— Aussi, elle adore dire aux gens de ne PAS faire quelque chose, blague Hannibal, tout sourire.
— La ferme, H ! lui lance l'intéressée, retenant ses griffes, à son regard meurtrier.
— Est-ce que je mens ? l'ange proteste à la réprimande, nullement impressionné.
— Peu importe. Ferme-la !
Hum. J'en déduis que paniquer est une tâche récalcitrante aux yeux de la Panthère, puisqu'elle l'a repoussée jusqu'à maintenant. Bien que, contrairement au briefing, que j'aurais souhaité avoir à l'avance (à défaut de pas du tout), je suis content qu'elle ait refréné cette attitude jusqu'à la dernière minute.
— Je sens qu'on va s'amuser… murmure Vik, saisissant comme moi le changement d'humeur de la petite blonde.
— Juste… Allons-y ! cette dernière coupe court au débat et nous fait signe d'emprunter les escaliers.
Vik attrape le bras de Dwight, et j'offre le mien à Oscar. Je dois me retenir de rire à la similitude entre les façons de rouler des yeux des deux délinquants. Ils obtempèrent cependant, et notre cortège peut reprendre sa route. Au moment où mon pied touche le tapis rouge, par pure coïncidence également l'instant où je me réjouissais qu'il n'y ait pas d'annonce des convives comme au bal des débutantes, j'ai du mal à ne pas manquer la première marche, car l'ensemble du comité d'accueil de la cérémonie braque soudain son attention sur moi. Ils ne sont pas excessivement nombreux, par rapport aux invités, mais la façon dont ils sont disposés le long du bâtiment leur octroie des allures de front militaire. Mon hésitation à peine perceptible passe inaperçue auprès d'Oz, car si elle ne dispose pas de mon sixième sens, elle est toujours très attentive à qui la regarde ou non, et a donc remarqué une partie de la même chose que moi.
Vik et Dwight sont derrière nous, légèrement décalés sur notre gauche. Hannibal nous flanque par notre droite, suivi d'Occidental et Plutark. LeX se charge de notre gauche directe, suivie de Septentrional et Hémistash. C'est assez incroyable que, juste comme nos atours se fondent dans la masse, nous nous fassions remarquer. D'autres sont venus avec des montures bien plus extravagantes que les nôtres, et certaines tenues défient presque l'entendement, tandis que le code couleur chargé de nous mettre à part nous empêche en réalité d'être repérés. Mais je suppose que tout ceci n'est valable que pour quelqu'un qui, comme moi et une bonne partie de l'humanité, a passé la majorité de son existence à discriminer les éléments de son environnement selon des critères visuels. À travers certains autres filtres, nous sommes apparemment des plus notables. Ma cavalière et moi-même nous efforçons de rester impassibles, bien que LeX soit nettement plus douée que nous à cette tâche. Vik est quant à elle clairement flattée de l'attention, qu'elle accueille d'un sourire satisfait, tandis que Dwight et Hannibal n'ont pour leur part rien remarqué.
— Pas de sécurité ? interroge Oscar, pratiquement pour elle-même, alors que nous atteignons le sommet des marches et nous apprêtons donc à franchir le seuil.
— Télépathe, devin, vision au rayon X, détecteur de métaux, empathe, … Dois-je continuer ? lui propose mon parrain, se rapprochant de nous et désignant discrètement d'un geste de la main ou du menton plusieurs membres du comité organisateur, tour à tour.
En dehors de leur attitude, leur livrée permet de les démarquer clairement.
— Sceaux, runes, pentacles, cristaux, … ajoute LeX, soudainement elle aussi à côté de moi, pourtant bien plus éloignée de nous que l'ange une seconde plus tôt.
Les mesures qu'elle mentionne sont en fait incrustées à l'intérieur de l'encadrement, imbriquées les unes dans les autres, si bien qu'on pourrait les confondre avec de simple ornements.
— C'est bon ! J'ai saisi ! Oz retire précipitamment sa question.
Je parie qu'elle l'a seulement murmurée par vieille habitue de cambrioleuse.
Elle resserre sa prise sur mon bras, pour oublier à quel point elle est mise mal à l'aise par la simple idée des capacités énumérées utilisées sur sa personne, et nous passons enfin le pas de la porte. Le hall qui s'offre à nous est en grande partie plus haut de plafond que ne le laissait suggérer la façade derrière laquelle il se cache, par un habile quoiqu'un peu redondant jeu de marches. Une première esplanade permet aux nouveaux entrants de surplomber la salle tout en pouvant être observés par ceux qui s'y trouvent déjà. Depuis cette zone de marbre, une volée de marches amène au parquet en deçà, depuis lequel on peut remonter, sur la gauche sur une estrade, et sur la droite vers ce que je devine être des balcons, pour prendre l'air aussi bien que rejoindre les convives les plus incompressibles. Cette dernière intuition me vient de l'œil gigantesque que j'entrevois par une fenêtre.
Non contente de sa configuration déjà élégante, la pièce brille également par sa somptueuse décoration. On retrouve de grandes draperies verticales sur les murs, comme à l'extérieur, mais ici intercalées de vitraux et fresques, présentant cette même disparité harmonisée qui m'avait déjà interpellé en ville. Du plafond, que je ne saurais dire vitré ou simplement enchanté pour en avoir l'air, pendent lustres, rubans, et guirlandes, à diverses hauteurs, variantes pour certains éléments, finalement plutôt flottants que suspendus. Un soin tout particulier a indéniablement été apporté à mettre en place une atmosphère à la fois chaleureuse et un brin tamisée, colorée et agréable. À l'air béat d'Oscar, ainsi qu'à l'extrême fantaisie (au sens du registre littéraire) du décor, je me demande quelle part elle a bien pu prendre aux préparatifs. Et surtout combien de temps est-ce que ces derniers ont pu prendre, en tout.
Malgré tout ce faste, le plus frappant reste encore la foule rassemblée. Plus de la moitié des individus présents n'ont même pas l'air humain. De loin, pour certains. Et pour près d'un tiers de ceux qui apparaissent humanoïdes, ce n'est même pas leur aspect réel, camouflé pour l'occasion à laquelle il n'est malheureusement pas adapté, tantôt indécent, tantôt terrifiant ou répugnant. Je sais que l'île réunit ces mêmes individus ou leur confrères en permanence, mais je n'en reste pas moins soufflé par la concentration spatiale de l'exploit. Toutes les velléités sont accommodées, ici un organisateur flottant saupoudrant poussière d'étoile, flocons de neige, ou encore pétales de fleurs au-dessus de qui le nécessite, là le milieu requis créé à distance, par des enchanteurs que je devine dissimulés au-dessus du plafond. Tapis volants et passerelles mouvantes sont également accessibles aux individus de petites tailles. Avec tout ça, je me dis qu'il n'y a pas moyen qu'il n'y ait pas un incident avant la fin de la soirée.
— Ne restez pas plantés là ! Mélangez-vous. Saluez qui vous connaissez, respectez les autres, et faites-moi signe lorsque vous êtes prêts, nous intime LeX, nous sortant de notre admiration.
— Est-ce qu'on ne risque pas de s'ennuyer ? s'inquiète tout à coup Oscar.
Toute son anticipation était focalisée sur notre arrivée à l'évènement plus que sur ce qui allait s'y produire exactement. Et elle percute seulement que ça ne va pas être grand-chose. Ou alors peut-être en avait-elle conscience et revient-elle simplement sur son argument de ce matin, sur la précocité de notre venue.
— Ah ! Tu fais bien de m'y faire penser ! Vous pouvez bien sûr danser, mais ne le faites que si vous êtes certains de l'origine de la musique. Je vais d'ailleurs de ce pas m'assurer que Vikt va faire respecter cette règle à Dwight.
Sur ce dernier conseil, la petite blonde s'élance à la suite de la brunette.
Pour être tout à fait honnête, je n'avais même pas remarqué que la Botaniste avait déjà entraîné mon Tuteur en bas des marches et à travers la foule. Je suppose que même elle a un seuil de tolérance à être dévisagée. Quoiqu'à vrai dire, maintenant que j'y prête attention, Oz et moi sommes les derniers de notre groupe encore sur l'esplanade. Je pense que notre escorte animale a rompu la formation avant même notre entrée dans le bâtiment, et l'a au lieu de ça contourné, atterrissant sans doute quelque part sous les balcons repérés plus tôt. Quant à Hannibal, il est parti raser les murs, pour des raisons que je ne vais pas chercher à élucider dans l'immédiat. Bien que les têtes initialement levées vers nous à notre irruption se soient reportées sur d'autres nouveaux venus derrière et autour de nous, Oscar et moi décidons tout de même d'un accord tacite qu'il est plus que temps de nous esquiver des regards, et nous descendons les courts escaliers.
D'un certain point de vue, on peut dire que j'ai de l'expérience pour ce type de situation. Mes parents ont commencé à m'emmener avec eux dans des galas dès que j'ai été en âge de pouvoir m'y comporter correctement. Et j'étais un enfant très sage (ou plutôt j'étais déjà sage enfant), donc je n'ai que peu de souvenirs d'avoir été laissé à la maison. L'idée est de ne pas trop déambuler. Si on doit se déplacer, il faut le faire vers une destination bien définie, que ce soit une personne à qui parler ou un point stratégique de la pièce. Car lorsqu'on est immobile, il ne faut surtout pas l'être seul et à ne rien faire. En dehors d'être mal perçu, c'est une position particulièrement ennuyante. On pourrait penser qu'être accompagné est un avantage, mais ce n'est vrai que pendant un temps, car restreindre ses interactions à son plus un est également un faux pas. D'autant que cette personne est repérable, puisqu'elle vous est logiquement assortie. Se ce n'est pas le cas, c'est encore un autre problème. Mais la question de notre garde-robe a déjà été amplement couverte.
Dès que nous atteignons le parquet, je cherche donc discrètement toute silhouette connue afin de ne pas nous faire remarquer plus que ce n'est déjà le cas, dans nos atours décolorés. Je fais confiance à Vik pour introduire Dwight ici et là, et je ne doute pas qu'Hannibal connaisse du monde, même si je suis moins sûr de sa capacité à converser sans heurt. J'aperçois même LeX se faire enlacer – autant qu'elle se laisse enlacer – par quelqu'un. J'ai d'ailleurs un moment de trouble lorsque je reconnais son visage mais pas son aura personnelle. De toute évidence, il s'agit d'un Léonard. Il a la bonne nature pour le rôle, que je les sais hériter de père en fils ou presque, mais surtout il est le portrait craché de son ancêtre. Sachant que le Léonard que je sais vivant ne partageait pas cette ressemblance physique, je me demande combien de générations il a fallu pour perdre ce phénotype, ou bien combien il en a simplement sautées. Mais je me demande principalement et tout à coup pourquoi je n'ai jamais interrogé la Panthère au sujet du Shérif. Comment le connaît-elle ? Elle est apparemment familière de plusieurs membres de la lignée. Comment le cowboy peut-il lui être redevable ? Et surtout, quel intérêt de me rendre les visages du commissariat indiscernables ? Est-ce que j'ai sérieusement encore autant de questions à l'aube du départ de la Messagère ?
Agacé par cette idée, je reporte mon attention sur Oscar à mon bras, sachant qu'elle n'a pas mon habitude de la position dans laquelle nous nous trouvons. Habitude relative, de toute façon, puisqu'autant je suis capable de discuter art et politique avec des Humains (ou en tous cas des humanoïdes qui se font passer avec succès pour humains), autant je ne suis pas encore suffisamment à l'aise avec la partie dérivée de l'univers pour faire preuve de la même mondanité sur les sujets équivalents qui la concernent. Tout compte fait, c'est peut-être finalement moi qui suis désavantagé. Ma cavalière est moins désorientée que je n'aurais pu le penser. Elle parcourt elle aussi la foule des yeux, mais il est évident que son objectif diffère du mien. Je nous arrête alors que nous avons à peu près atteint le tiers de la longueur de la pièce. Elle met quelques secondes à remarquer et arracher ses yeux des invités pour les lever vers moi, l'air interrogateur :
— Quoi ? elle me lance, innocente.
— Qu'est-ce que tu es en train de faire ? je lui demande, d'un ton lourd de sous-entendus et retenant un sourire.
— Je regarde… Il est possible que j'aie déjà légèrement dévalisé un évènement de ce type, elle ajoute dans un second temps, voyant que je soutiens son regard.
Mon sourire perce.
— On a répondu à ta question sur la sécurité, je la tempère, à moitié sérieux tout de même.
— Détends-toi ! Je vais rien faire. Ça m'occupe d'imaginer, c'est tout. Tu as mieux ?
Elle ne plaisantait pas quand elle disait qu'elle allait s'ennuyer. Mais ça ne devrait pas m'étonner. Dès qu'elle a eu du temps libre à la maison, elle est partie courir. C'est une fille d'action.
— Je sais que je ne résous pas des équations pour réduire mon stress, je lui oppose, voulant argumenter que la déformation professionnelle n'est pas une fatalité.
— Peut-être que tu ne fais pas le bon métier, elle rétorque, maligne.
J'ai envie de lui répondre que mon autre occupation ne m'apporte pas plus de quiétude en l'instant présent, mais je n'ai pas envie de l'alarmer. Je la laisse donc savourer sa petite victoire. Autant qu'elle sache, tout est normal, tout se passe bien. Et ce n'est pas exactement faux. À la fois grâce à la sureté des lieux mais aussi par respect de l'accord passé avec Oudamou, personne ne peut ouvertement manifester son éventuelle animosité envers moi. Seulement voilà, en tant que Magnet, je n'ai pas besoin qu'on exprime son opinion pour en avoir une assez bonne estimation. J'aurais dû accorder plus de mérite à la paranoïa de LeX, finalement. Les avis vont de la simple incompréhension au courroux assez élevé, et étant donné la raison de leur présence ici, tous les esprits sont au moins en partie tournés vers le sujet. Ce n'est que légèrement inconfortable, mais toujours est-il que ce n'est pas mon Magnétisme qui m'offrira une échappatoire ce soir, comme il a pu le faire par le passé.
— Mais pourquoi tu n'es pas habituée à être en robe, alors, si tu as déjà assisté à un gala ? je reviens à la charge après avoir marmonné un clément "peut-être" par rapport au propos précédent.
— Parce que je n'ai jamais été invitée, gros bêta. Je faisais partie du personnel.
Ce qui fait tellement plus de sens pour tellement de raisons.
Je laisse mon expression lui faire passer ma conclusion, et nous remets en marche. Comme je l'ai déjà expliqué, rester immobile ou entre nous n'est pas une bonne tactique, alors je cherche toujours des visages familiers. Et comme je l'ai également déjà remarqué, ce n'est pas ça qui manque, et ce malgré la grosse majorité d'inconnus. Par pure coïncidence, le premier invité duquel je croise sciemment le regard est Oudamou. L'Assassin, dans un groupe de ses confrères tous dans des tenues d'apparat de leur ordre qui en jettent plus les unes que les autres, s'incline légèrement pour nous saluer de loin. En ce qui le concerne, il n'a rien à nous dire, et je ne peux qu'être d'accord. C'est lui qui a confirmé que j'avais agi dans mon bon droit en sauvant Oscar. Il détient mon sang sur une plume blanche, symbole de mon allégeance au monde dérivé. Je pense qu'effectivement tout a été dit.
Un peu plus loin, j'aperçois ensuite Kelvin, lui aussi entouré de son espèce (entre autres assez proches), quoique dans des tenues beaucoup moins fastueuses, même si presque plus ostentatoires. Il faut un certain aplomb pour arborer fièrement un T-shirt imprimé du motif d'un costume cravate à un évènement comme celui-ci. Dès qu'il me repère, le Super Geek me fait de grands signes, et son visage se fend d'un large sourire. Je lui renvoie sa réaction avec plus de retenue, dont j'ai bien besoin pour ne pas tout bonnement éclater de rire. Si Oscar avait reconnu l'Assassin, elle n'a jamais rencontré mon bienfaiteur académique. Sa réaction à sa présence est pourtant nettement plus accueillante. Je ne peux pas la blâmer, sachant la velléité avec laquelle le Grec ancien nous a pourchassés. Et indépendamment de ça, Kelvin inspire plus la confiance que le tueur encapuchonné. Et puis, elle n'a jamais assommé l'adolescent avec une chaise de cantine, ce qui ne peut pas laisser deux individus en bons termes, je pense.
Nous croisons beaucoup d'autres de mes protégés. Je me souviens évidemment de chacun d'entre eux, mais ai tout de même du mal à croire qu'il y en a autant. Les voir rassemblés en un seul lieu, même s'ils ne sont évidemment pas au complet, les moins évolués n'étant par exemple pas de la partie, me fait un drôle d'effet. Romero, la gargouille suicidaire jusqu'à mon intervention, est perché au bord de l'un des vitraux, se faisant discret. Dave, le mutant célère, est bien là, comme me l'avait annoncé LeX. Je n'ai droit qu'à un clin d'œil de sa part, sa femme à son bras en pleine conversation avec un magicien. Petit à petit, au fur et à mesure que mes missions fructueuses me sont rappelées, mon malaise d'être entourés de dérivés pas nécessairement avenants se dissipe. Tout le monde semble passer un bon moment dans ce hall de réception. Il faut juste que j'arrête de me focaliser sur les ondes négatives.
— Hey ! Josh ! m'interpelle à un moment donné une voix féminine.
Oz et moi faisons volte-face vers une brune aux yeux bleus que je ne connais que trop bien, pour avoir été plaqué au sol par elle.
— Wendy ! Waw. J'ai l'impression que ça fait un an qu'on ne s'est pas vus, je lui avoue.
Il paraît en effet loin le temps où je pouvais bousculer quelqu'un dans un couloir sans immédiatement être convaincu qu'il s'agissait d'un dérivé.
— Et pourtant ! Deux mois à peine, elle confirme la récence de notre rencontre, avec un large sourire toujours aussi resplendissant si ce n'est plus que dans mon souvenir.
— Comment te traite Seattle ? je m'enquiers, me souvenant qu'elle avait déménagé là-bas avec ses cousins, après mon intervention auprès d'elle.
C'était planifié avant ça, ceci dit. Venant d'entrer dans une nouvelle phase de croissance, elle avait prévu de se cacher avant que je ne lui en ôte le besoin, et n'a simplement pas changé d'idée, sa libération restant problématique en elle-même.
— Je n'y suis pas restée longtemps. Je vis en Afrique, maintenant. Et ça me traite très bien ! Je vole enfin de mes propres ailes. Littéralement. C'est… dingue. Insoupçonné, elle m'explique avec enthousiasme.
Je sens la confusion d'Oscar à mes côtés, et me rends compte que je ne l'ai pas présentée.
— Je suis content de l'entendre, je commence, pensant faire la transition de façon relativement lisse.
— Et tout ça, c'est grâce à toi, Wendy me remercie cependant avant que je ne puisse réaliser mon objectif, posant sa main sur mon avant-bras.
— Er… Vite fait, quand même, je me veux modeste, soudain mal à l'aise.
— Quand j'ai appris ce que tu avais fait, je tiens à te dire que je t'ai défendu. Je savais que tu n'aurais pas fait un truc pareil sans raison, elle déclare.
Son avis est pour le moins biaisé, mais je ne peux pas décemment refuser son soutien.
— C'est cool. Ça les a pas empêchés d'envoyer un Assassin après nous, mais c'est sympa de ta part, intervient alors et enfin Oz, laissant tomber la confusion pour l'hostilité.
Être ignorée ne l'arrange que jusqu'à un certain point. Et il y a sans doute aussi un peu du fait que "le truc pareil" n'est autre que lui sauver la vie, et qu'elle n'apprécie donc pas le ton dénigrant avec lequel il est mentionné.
— Er… Bonsoir. Je suis Wendy, se présente enfin la dragonne, comme remarquant seulement ma cavalière.
— J'avais compris, Oscar reste braquée, détaillant la robe bleu glacé de notre interlocutrice comme si elle y cherchait un sens caché.
— Voici Oscar, j'offre la réponse appropriée à sa place, essayant de calmer la situation.
— Tu n'es… pas ce à quoi je m'attendais, se permet Wendy, mettant tous mes efforts à bas.
Il me faut toute ma concentration pour ne pas tout simplement m'interposer physiquement entre les deux jeunes femmes.
— Qu'est-ce que c'est censé vouloir dire ? s'offense Oscar, lâchant mon bras pour croiser les siens.
Je suis sur le point de fermer les yeux lorsque le miracle pour lequel j'allais prier se produit.
— Wouhou ! Cette fête est OUF ! Je vais me porter volontaire tout le temps, à partir de maintenant ! nous interrompt juste à temps un grand roux barbu aux yeux verts, que je reconnais sans peine.
— Walt ! Hey ! j'attire son attention.
Il était venu rejoindre sa cousine et non moi. Et il m'a techniquement tiré deux flèches dans le bras. Et il fait partie de l'organisation qui cherche à éliminer les gens comme mon Tuteur. Mais, je suis pour l'instant trop content qu'il soit là pour lui tenir rigueur de tout ça.
— … J'ai été dans le pétrin plus d'une fois, à cause de toi. Mais là, je peux pas t'en vouloir.
Nous avons visiblement chacun suivi un raisonnement similaire à propos de l'autre, quoique pour des raisons différentes. Je suppose qu'il fait référence à la fois où il m'avait entre ses mains mais n'a pas pu, à cause de sa sœur, m'utiliser pour avoir accès à Dwight. Ou la fois où j'ai fait un pacte avec sa cousine ici présente pour qu'il ne puisse jamais atteindre mon Tuteur. Je peux comprendre que ces deux occasions manquées d'attraper l'un des Jumpers les plus recherchés par son ordre lui ait causé des ennuis, alors je m'excuse d'un sourire. Tout ce que j'ai contre lui est après tout indépendant de sa personne, son appartenance aux Paladins tenant de la succession plus que de la décision.
— Te porter volontaire pour quoi ? s'enquiert Oscar, toujours aussi brusque.
— Pour représenter la dynastie Alliways. En l'occurrence, on a été choisis parce qu'on connaissait Josh, mais c'est pas grave, répond Wendy à la place de son cousin, le prenant par l'épaule, complice.
— Tanya est ici ? je demande avant qu'Oz n'aille plus loin qu'un regard noir, espérant parallèlement que ma main dans son dos l'apaise.
— Elle est là-bas. Je suis justement venu ici récupérer ma cousine, parce que j'ai besoin de son aide pour gentiment chasser les gros lourds qui collent ma frangine, explique le rouquin, désignant une zone derrière lui, de la tête et du geste.
— Dites-lui bonsoir de ma part, je l'encourage subtilement à exécuter son intention.
— Sans faute ! il m'assure avant de s'éloigner, entraînant Wendy avec lui.
— Qu'est-ce qu'ils sont, eux ? m'interroge Oscar une fois qu'ils sont partis, toujours les bras croisés.
J'avoue ne pas avoir entièrement compris ce qui vient de se passer entre elle et Wendy.
— Charmants, d'une part. C'était quoi, le problème ? je lui demande, me plaçant un peu plus en face qu'à côté d'elle, voulant attirer son regard.
— Je m'entends pas très bien avec les filles, en général, c'est tout.
Je ne suis pas du tout convaincu par cette explication. Je n'ai cependant aucun contre-argument à apporter : elle ne s'est effectivement entendue avec aucune fille en ma présence. Mais je pensais que c'était parce qu'il s'agissait de Vik, LeX, et June, qui ne représentent pas nécessairement un échantillon pertinent de la population féminine. Après un soupir, j'accepte de répondre à sa question :
— Il est Paladin. En gros, son ordre chasse les Jumpers, comme Dwight. Sa jumelle, Tanya, dont tu ne peux pas manquer la chevelure rousse là-bas, est une Tueuse. Elle s'occupe majoritairement de vampires, mais aussi de démons et autres créatures du mal et de la nuit. Enfin, Wendy est un dragon.
En résumant leur situation ainsi à haute voix, je me demande quelles autres dérivations de marque leur dynastie peut bien compter.
— Un dragon ?
Je retiens un sourire. Elle fait moins la maligne, tout à coup. C'est injustifié, puisque la jeune femme ne pourrait pas s'en prendre à elle sous sa forme reptilienne, mais si ça peut calmer ses ardeurs, je préfère garder ça pour moi.
— Un dragon des glaces, pour être précis, je choisis de révéler à la place, savourant mon effet.
— Rien que ça, raille Oz.
Amusé par son soudain et toujours aussi inexpliqué agacement, je m'empresse de l'entraîner ailleurs, ma main dans son dos. Je ne cherche surtout pas à engager de conversation avec qui que ce soit, peu désireux de réitérer une interaction de ce type. Il est vrai que ce n'est pas moi qui suis allé vers Wendy, mais tout de même. Je continue donc à saluer de loin. Parfois ça m'arrange également, car je ne reconnais pas que des protégés, mais aussi des gens que j'ai rencontrés de mon humanité, par mes parents. Même ceux qui semblent contents de me voir, je ne me sens pas prêt à leur parler. Qui peut vous cacher quelque chose d'aussi important et espérer que vous le considériez toujours de la même façon après que vous vous en soyez rendu compte par vous-même ? Je trouve les regards désapprobateurs, comme déçus de ce que le fils de mes parents est devenu, presque moins inquiétants. Dans ces cas-là, au moins, je vois la cohérence, même si ce n'est pas agréable d'être regardé de cette façon par des gens qui vous ont un jour considéré comme brillant.
Dans la même veine, comme pour contrebalancer les bienfaits d'avoir revu tous ces protégés auxquels je suis venu en aide avec succès, je finis aussi par repérer ce qui a en quelque sorte été pour moi un échec. Les sœurs Hopes. En tant que Sépulcreuses, elles font partie de ces dérivés dont l'apparence n'est pas tellement adaptée à une réception de ce type. Et je suis plus heureux que je ne l'aurais pensé de revoir leur visage humain. Même indirectement, elles sont mortes par ma faute, aussi satisfaites puissent-elles être de leur situation actuelle. Je ne me sens pas le courage d'aller les voir pour m'excuser. Je les confronterai une autre fois à propos de ce qui s'est passé chez Zarah peu après leur décès prématuré. Et en dehors de ma culpabilité, il y a aussi le risque qu'elles retournent mes questions contre moi et s'enquièrent des faits et gestes de Vik, autant qu'elles sachent leur meurtrière. Par chance, elles semblent en être arrivées à la même décision vis-à-vis de moi, puisqu'elles me regardent droit dans les yeux sans faire mine de s'approcher.
L'air de rien, je vérifie que la Botaniste n'est pas à proximité. Elle et Dwight sont heureusement dans la direction opposées des deux sœurs, par rapport à nous. Et ils nous tournent qui plus est le dos, donc tout va bien. Leur position fait cependant que leur interlocuteur nous fait indirectement face. Je ne peux que sourire en découvrant qu'un décalage total comme celui d'un Super Geek n'est pas la seule chose qui autorise des licences vestimentaires. Un charisme implacable permet également d'entrer sans cravate, visiblement. Comme s'il s'était senti observé, Torrek braque ses yeux bleus vers moi, entre le Jumper et sa cavalière, avec qui il est en train de converser. Je ne sais pas comment ces derniers ne remarquent pas le clin d'œil et l'élargissement de sourire qu'il m'accorde, mais je le salue d'un hochement de tête. C'est tout juste s'il n'a pas un grand geste vers le couple en face de lui, l'air de dire "je te l'avais bien dit", ce à quoi je secoue la tête, encore un peu agacé par ma cécité de l'époque sur le sujet. Oscar suit mon regard, et reste malgré elle un instant bouleversée par l'Incarnation de la Luxure, avant de se reprendre et se retourner vers moi :
— Sérieusement ? Comment est-ce que tu peux encore voir des gens que tu connais ? Ça fait pas genre moins de cinq mois que tu fais ce boulot ? elle parvient à me lancer avant que son regard ne soit irrésistiblement happé par l'homme en chemise bleue.
— On n'a pas croisé tant de gens que ça, je proteste aussi peu faiblement que j'en suis capable.
En vérité, j'ai un nombre en tête. De dérivés rencontrés depuis Dwighty. Et il est élevé. Mais comme je l'ai déjà dit, ils ne sont pas tous ici ce soir. Et ils sont en large minorité par rapport aux inconnus.
Le regard que m'accorde Oscar traduit à quel point elle estime que je suis de mauvaise foi. Et qu'elle puisse le soutenir implique qu'elle a réussi à s'arracher au magnétisme de Torrek, donc je ne peux pas dire que ce n'est pas une réaction sincère. J'ouvre la bouche pour ajouter quelque chose, mais me retourne avant d'avoir dit un mot. Tant mieux, parce que je ne sais pas ce que j'allais trouver comme justification, mais je suis sûr que ça n'aurait pas été très convaincant. La raison pour laquelle l'entrée attire mon attention à ce moment opportun est qu'elle laisse depuis notre arrivée (et sans doute avant) passer un flot continu d'invités, dans un sens comme dans l'autre. Je ne sais pas trop comment ça fonctionne, mais certaines personne n'auront fait qu'une apparition en début de soirée, tandis que d'autres seront arrivés bien plus tard. Bref. Là, il y a une interruption de ce flux à double sens. Une interruption suffisamment conséquente pour que je la remarque. Une dizaine de personne sans aura viennent de faire leur apparition dans le hall de réception.
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