Quatorzième Jour - Règlement de trois (1/10)

Je me tiens debout devant mon miroir, ayant presque entièrement revêtu la tenue mise de côté par Perry hier matin. Encore en chaussettes, ma veste sur le siège de mon bureau, j'en suis à ajuster mon nœud de cravate. Être en noir et blanc me rappelle l'enterrement de mes parents. Quelque part, c'est un peu à ce même type d'évènement que je me rends. Une partie de moi va mourir, aujourd'hui. Voire la totalité, avec un peu de malchance. Dont je possède une quantité indéterminée, incapable de savoir si tout ce que j'ai traversé cette dernière quinzaine de jours est au bout du compte une bénédiction ou une malédiction. Ou ce que l'une ou l'autre des alternatives signifierait quant à mon quota de chance. Satisfait de la symétrie de mon Windsor, je m'attaque à mon col de chemise autour de la bande de tissu monochrome nouée, afin de le placer comme il se doit. Mon attention aux détails est sans doute une réflexion de mon appréhension. On a vu pire, comme symptômes de stress.

- Prêt ? s'enquiert la voix familière d'Hannibal dans mon dos.

- Autant que je le serai jamais, je réponds avec un dernier lissage superflu de ce que je porte, signifiant de toute évidence plus mon état émotionnel que vestimentaire.

Je fais volte-face pour découvrir l'ange dans l'encadrement de la porte de ma chambre, également tout apprêté. Je ne l'ai jamais vu porter qu'une seule tenue, mais je ne l'ai jamais pour autant vu manquer d'élégance à proprement parler. Difficile d'avoir l'air complètement débraillé avec une chemise blanche, même un peu froissée, des bretelles, même pendantes, et un pantalon noir, même un peu poussiéreux. Je ne m'étais cependant pas préparé pour un changement si notable, voire m'étais attendu à une absence totale de changement. Je me vois détrompé par un costume trois pièces, à base anthracite tissée de fins fils que je ne peux que deviner d'or et de cuivre, à leur couleur relativement distinctive. Ma mâchoire se décroche.

- Quoi ? Il y a quelque chose qui ne va pas ? s'alarme immédiatement l'ange à ma réaction, perdant l'immobilité qui n'avait fait qu'amplifier le caractère impressionnant de son entrée.

- Non ! Non, pas du tout. Tu es très… élégant, je m'empresse de le rassurer, par la parole autant que par le sourire.

- Toi aussi, si je puis me permettre, il me renvoie, s'inclinant légèrement.

- Je comprends mieux ton humeur d'hier, j'observe, tenant à expliciter ma surprise.

- Quelle humeur ?

Mon sourire s'élargit. Il peut être si inconscient.

- Tu étais intensément appliqué sur une tâche qui te mettait pourtant en colère. J'aurais dû deviner qu'il n'y avait bien qu'eux pour te mettre dans un état pareil.

Je suppose que ce degré de finesse dans l'entrelacement du métal et du tissu ne peut être obtenu qu'à la main. De plus, étant donné la dimension symbolique des deux métaux, il est plus qu'évident qu'il aura de toute façon voulu le faire lui-même. J'ai une folle pensée pour ce que Dwight pourrait bien trouver à porter, s'il était dans la même situation.

- … Ils ne te manquent même pas, n'est-ce pas ? H finit par me demander, après un moment de considération.

- Si ça peut te consoler, j'aimerais que ce soit le cas, je lui offre, incapable de mieux.

Non, je ne souhaiterais en aucun cas que mes parents soient là aujourd'hui. Mais je sais que lui aurait préféré.

- C'est un mensonge. Mais c'est gentil de le dire, mon parrain me perce à jour sans difficulté, ni rancune d'ailleurs.

- Je suppose que tu n'as jamais eu à te rendre nulle part sans eux, je remarque, me disant que si ça avait été le cas, son costume aurait été prêt bien avant hier.

- Ça a toujours été l'inverse, oui, il confirme.

- Et moi qui pensais que la lettre H était simplement le logo de leur bijoutier, je plaisante à moitié.

- C'est le cas. Mais ce n'est pas une coïncidence, en effet.

Sur ce, il me rejoint enfin dans mon sourire.

Je me détourne en secouant la tête, à la fois au culot de mes parents et à ma propre naïveté. Je n'aurais jamais pu deviner quoi que ce soit à partir d'un indice aussi bénin, et c'est sans doute ce sur quoi ils ont compté. Pourtant, je ne peux pas m'empêcher de penser qu'avoir affiché aussi ouvertement un lien à leur identité secrète augmente la gravité de leur duperie. J'attrape ma veste sur le dossier de ma chaise de bureau et l'enfile, me replaçant ensuite face à mon miroir pour pouvoir ajuster ce second col par rapport au premier. Le tissu plus épais, la tâche m'occupe moins longtemps. Lorsque je me retourne, je découvre que c'est au tour de Dwighty d'obstruer l'encadrement de ma porte, lui aussi inhabituellement élégant, quoique dans son usuel costume intégralement noir. Ayant fait quelques pas dans la pièce pendant que j'avais le dos tourné, Hannibal n'a pas remarqué la présence du Jumper, car occupé à admirer ma décoration pourtant spartiate.

- Hey, me salue mon Tuteur, se faisant enfin remarquer de celui de mes géniteurs.

- Hey, Dwighty. Qu'est-ce qu'il y a ? je m'inquiète légèrement, devant son air un peu embêté.

- J'suis désolé, mais j'y arriverai jamais, il annonce d'un air absolument dépité, en tendant ses deux mains à plat, sur lesquelles repose une cravate blanche.

- Dwight. Je comprends ton concept de liberté extrême, mais nous avons déjà parlé de ça. Ce n'est qu'un bout de tissu, le moralise H, mains dans les poches, l'air atterré.

- Nan, m' pas ça. J'veux dire l'nœud, le corrige Dwight, de plus en plus gêné.

- …

Hannibal reste sans voix, comme s'il s'était attendu à tout sauf à ça. Pour ma part, j'essaye de me retenir de rire, pour ne pas rendre mon meilleur ami encore plus rouge qu'il ne l'est déjà.

- Je ne les ai jamais faits que sur moi-même, je décide alors de me dédouaner.

Ce n'est pas que je ne veux pas ou ne pourrais pas aider mon Tuteur, c'est que j'ai vraiment très envie de le voir travailler avec son collègue.

- Approche, se résigne mon parrain après un bref soupir, tendant les mains vers le Jumper.

- T'pas tes gants, se méfie Dwighty, ayant hélas plusieurs fois fait les frais des électrisations du grand blond.

- Ne t'inquiète pas pour ça, c'est sous contrôle, le rassure H, faisant jouer ses doigts pour souligner son propos, comme si ce geste aurait provoqué quoi que ce soit s'il n'avait pas la maîtrise de son courant interne.

- Promis ? Dwight persiste à se méfier.

- Juré.

Avec un haussement d'épaules, le Jumper cède finalement à sa nature confiante.

Bien qu'il fasse clairement un effort pour se débattre le moins possible, Hannibal claque tout de même de la langue avec agacement à plusieurs reprises. Je pense qu'il lui traverse même l'esprit d'électriser son "patient" exprès. Au final, le résultat est cependant impeccable, et je me demande qui des deux est le plus fier : celui qui a réussi à faire porter une cravate à celui qui n'a jamais pu accepter cette contrainte, ou celui qui a enfin réussi à vaincre son intolérance pour l'accessoire. Je dois en tous cas admettre que la cravate blanche sur chemise noire était une riche idée. C'est exactement ce qu'il fallait pour singulariser le Jumper comme il le mérite. Si quoi que ce soit de positif ressort de toute cette expérience, ce sera au moins l'entente entre ces deux-là.

Je saute dans mes chaussures, que j'ai pris soin de cirer un peu plus tôt dans la matinée, et nous descendons ensemble les escaliers. Le rideau placé par June la veille, dans la salle de Bal, est toujours là, et je sens Oscar derrière, partagée entre la confusion, l'agacement, et l'humiliation. Elle est pourtant cette fois seule, et ne fait aucun bruit qui plus est. La laissant à ses propres préparatifs, nous continuons notre descente jusqu'au rez-de-chaussée, où nous retrouvons June et Perry, ainsi que LeX, chacun tout aussi endimanché que nous le sommes nous-mêmes. Sans surprise, les couleurs arborées par les deux Jardiniers sont celles de leurs auras : bleu pour elle, et rouge pour lui. Les options limitées sur un costume d'homme, le rappel est fait sur sa cravate et sa pochette. Elle, comme si le maquillage de ses yeux et ses iris en eux-mêmes n'étaient pas suffisants, est comme enrobée dans une large et longue bande de tissu léger, dans un dégradé du bleu au blanc, nouée par un petit nœud derrière sa nuque (et ailleurs sans doute, par je ne sais quelle magie de la couture, pour tenir en place). Le drapé lui tombe jusqu'aux pieds mais n'est pas cintré comme la robe qu'elle avait passée pour le mariage de Zarah.

LeX, de son côté, a choisi une robe orange, qui ne lui arrive pas plus bas que les genoux. Des shorts et une brassière gris assurent la pudeur là où le tissu, ample et de plus retroussé sur le côté des cuisses, n'est pas assuré de toujours se trouver mais le devrait selon les règles de la bienséance. Le seul endroit où la robe retrouve de son élasticité est entre les omoplates, puisqu'il faut bien que ça tienne quelque part, tout de même. Main sur la hanche, la Messagère nous inspecte tour à tour, avec un manque de gêne notable, et semble satisfaite. Elle accorde une attention toute particulière à mon parrain, et semble même perdre un peu de sa morgue, comme par respect de sa situation, que sa tenue ne fait que rappeler. La petite blonde a grimé ses paupières d'un gris argenté pour l'occasion, ce qui rend son regard encore plus perçant qu'il ne peut déjà l'être au naturel.

- Vous êtes tous très charmants, se permet June, au bras de son cavalier qui a pourtant l'art et la manière de remettre tout le monde à sa place, quand il est question d'élégance.

- J'me sens pas charmant. J'me sens étranglé, réplique Dwight, tortillant du cou dans sa cravate.

Hannibal le couve du coin de l'œil, prêt à intervenir au moindre signe qu'il oserait toucher à son chef-d'œuvre.

Alors que tout le monde sourit à la remarque du Jumper, LeX, la seule à faire vraiment face aux marches, lève le menton. June et Perry tournent la tête pour suivre son regard, tandis qu'Hannibal, Dwighty, et moi devons nous retourner entièrement pour accueillir Oscar, bonne dernière de notre cortège. Nous devons encore attendre qu'elle passe le dernier tournant du colimaçon, mais elle finit par apparaître. Et j'arrête de respirer. Elle descend l'escalier avec précaution mais volupté, visiblement pas très habituée mais pourtant naturellement gracile dans des hauts talons. Sa robe est asymétrique, sa seule bretelle sur l'épaule droite, et le plus bas de ses pans arrivant un peu au-dessus du genou gauche. On reconnaît la patte de la Messagère à l'apparition de shorts de sport, là aussi pour éviter l'indécence, le côté droit de la robe n'arrivant pas suffisamment bas pour qu'elle soit à la fois confortable et présentable en toutes circonstances sans le port de cet accessoire. Des arabesques noires et blanches traversent le tissu gris respectivement de bas en haut et de haut en bas, se chevauchant et s'entrelaçant sans logique, hypnotiques.

- Je ne sais pas ce que ces têtes veulent dire, déclare Oz d'un ton inquiet, après être arrivée en bas, alors que personne n'a encore soufflé mot depuis près d'une minute après son entrée.

Elle n'a de toute évidence toujours aucune idée de l'effet qu'elle peut faire dans une tenue pareille.

- J'ai bien des qualificatifs, mais on me dira qu’ils sont déplacés, propose Hannibal, cassant l'ambiance et s'attirant des regards et des raclements de gorge atterrés de la part de tous les partis présents.

Au moins, il s'est censuré.

- Mec. J'te comprends vraiment pas, lui envoie Dwighty, en oubliant son col l'espace d'un instant.

Après la révélation d'hier, c'est vrai qu'on peut être amené à remettre en cause les accès de grivoiserie de l'ange déchu.

- Osez me dire que vous n'êtes pas d'accord… il rétorque à demi-voix, particulièrement à mon intention et celle de mon Tuteur.

Ce dernier secoue la tête de gauche à droite, de plus en plus stupéfié par tant de décalage. Et pourtant, il sait aussi y faire, parfois, dans ce domaine, donc c'est dire.

- Wow. Ce visage veut dire wow. Tu es très… jolie, j'offre de mon côté à Oscar, essayant de rattraper la maladresse de mon parrain sans trop me vautrer dans la mienne.

Ça semble efficace, puisque son sourire passe d'hésitant à franc, alors qu'elle est submergée par une vague de soulagement.

- Merci. Tu t'en sors bien aussi, elle me retourne, se détendant un peu.

Je n'ai jamais été confronté à une insécurité féminine aussi brute. Et de la part d'Oz, usuellement assurée, c'est d'autant plus déstabilisant.

- J'avoue, c'est mieux que ce que j'avais en magasin, June va jusqu'à concéder à propos de la tenue d'Oscar, engendrant instantanément un immense sourire fier chez la Messagère.

- Est-ce que tu l'as laissée essayer simplement pour pouvoir la surpasser ? s'enquiert Perry auprès de la Panthère, à propos de sa dulcinée, perspicace et curieux.

- … Non. Je n'avais juste pas super envie de jouer les stylistes, répond la petite blonde, après un instant de réflexion.

Et si elle ne saute pas sur l'occasion d'étaler son machiavélisme, c'est certainement qu'elle dit vrai.

- Je ne comprends toujours pas pourquoi on doit partir aussi tôt. Et surtout se préparer maintenant. Ce n'est pas le soir, que ça se passe ? proteste alors Oz, pas pour la première fois depuis que le plan a été annoncé, au petit-déjeuner.

La matinée a déjà bien avancé, depuis, mais il est vrai que notre avance reste conséquente.

- Il faut qu'on se familiarise avec le terrain. Et on ne se change pas en territoire hostile, répond LeX, comme si elle citait l'Art de la Guerre.

- On ne va pas en territoire hostile ! la jolie brune continue à objecter, croisant les bras.

- Façon de parler. Disons que d'ici ce soir, tu seras aussi à l'aise dans cette tenue que dans ta paire de jeans favorite, et tu auras hâte d'aller à ce bal, au lieu de le redouter.

Je me vois contraint d'acquiescer, l'idée semblant tout à fait rationnelle.

- J'ai comme un doute, se rebelle tout de même Oscar, baissant la tête.

- Fille de peu de foi… marmonne LeX pour elle-même, récoltant tout de même un petit regard sombre de la part d'Oz, d'entre les quelques mèches brunes qui sont tombées devant ses yeux.

- Okay, d'accord, en admettant : pourquoi est-ce que EUX ils sont là ? elle interroge alors, relevant le menton d'un geste vif, dégageant son visage.

- Pour vous souhaiter bonne chance. Qui sait si nous aurons l'occasion de vous avoir à nous seuls d'ici le grand moment, explique gracieusement June, avec l'un de ses plus beaux sourires.

- On n'est pas vos gosses qu'vous envoyez au bal d'promo, v' savez, fait remarquer Dwight, qu'apparemment la sensation d'étranglement rend insolent.

Ou en tous cas inconscient de son insolence.

- Fort bien. On va vous laisser, alors, capitule June, quoique plus amusée que vexée, mettant l'attitude des deux délinquants sur le compte du stress.

Peut-être pas entièrement à tort, d'ailleurs.

- Mais sincèrement : bonne chance, glisse Perry avec toute la solennité dont il est capable.

Avec une ultime révérence, le couple mythique disparaît ensuite dans un flash violet, sans que nous n'ayons le temps de répondre par autre chose que nos expressions, qui vont de reconnaissante à indifférente. Je vous laisse deviner qui se situe où sur ce gradient émotionnel. Autant j'ai établi hier un assez triste bilan de ma relation avec June, autant je ne peux pas nier qu'elle tient une place importante, au même titre que Perry, dans mon existence de Magnet. J'ai par conséquent un peu de mal à me faire à l'idée qu'ils ne seront peut-être pas aux premières loges de mon choix de ce soir, qu'ils ne seront que de simples invités. Même s'ils sont éventuellement reconnus comme le couple Babylone, ils ne seront reliés à moi qu'en tant que protégés, rien de plus. Le bouche à oreille a décidément cette fâcheuse tendance à exagérer des détails insignifiants et au contraire étouffer certains hauts faits.

- Et nous, on y va comment ? interroge Oscar, rebondissant sur la disparition des Jardiniers de façon bien plus pragmatique que moi.

- Faut que j'passe chercher Vik, rappelle Dwight en regardant ses pieds, signifiant implicitement que ce n'est donc pas lui qui nous amènera à destination aujourd'hui.

- Est-ce qu'elle sait seulement qu'il faut être prête maintenant ? demande Oz, toujours aussi terre-à-terre, et surtout toujours aussi réfractaire à un départ avec tant d'avance, à son sens.

- S'il te plaît… répond simplement LeX, faisant rouler ses yeux dans leur orbite tant elle estime la question superflue.

- Si tu touches ton nœud, je te ferai savoir ce que ça fait vraiment d'être étranglé par une cravate, H menace alors le Jumper, sa façon à lui de lui souhaiter bon voyage.

Je souris à l'air foncièrement inquiet de mon Tuteur, et prends le relais, posant une main sur son épaule :

- Tout va bien se passer. Amuse-toi bien, et on se voit… Je ne sais pas où on se retrouve, en fait.

Je me tourne vers LeX.

- Un peu avant le tapis rouge. Vikt saura où, elle répond à mon interrogation indirecte avec un geste dédaigneux de la main, l'air de nous dire de ne pas nous en préoccuper.

- Il y a un tapis rouge ? relève Oscar, toujours à l'affût de ces petites révélations subrepticement glissées ici et là.

- Elle demande…

La Messagère réitère son mouvement oculaire. Je suis à deux doigts de tendre le bras devant la grande brune pour l'empêcher de riposter, mais elle se contient d'elle-même.

Dwighty m'accorde l'une de ses fameuses accolades un chouïa brutales, lance un clin d'œil à Oz, lui rendant ainsi le sourire, puis jumpe au terme d'un grand pas en arrière, pour nous éviter une onde de choc trop importante. Je pourrais m'interroger sur ce qu'il va faire, mais d'une part je peux dans une certaine mesure le surveiller à distance, et d'autre part je ne sais déjà pas ce qui est prévu pour moi-même, donc ce n'est peut-être pas ma priorité. Et puis, je n'ai aucune raison de m'inquiéter. Maintenant que j'y pense, il s'est déjà retrouvé seul à seul avec la Botaniste. Certes, ils luttaient pour leur survie contre un tueur à gage chauve, tatoué d'un code barre derrière le crâne, et surentraîné. Au beau milieu du bush Australien tel que s'en souvient un ange déchu à l'âme reconstituée. Mais ça compte. Je crois. J'espère. Pourvu que ça compte, parce que j'ai déjà suffisamment à m'inquiéter aujourd'hui.

- Il va faire bouger ce nœud, pas vrai ? H rompt le silence qui a suivi le départ de mon Tuteur, sur le ton de la fatalité.

- Si ce n'est pas lui qui s'en charge, ce sera Viky, lui confirme LeX, avec un haussement de sourcils étrangement compatissant.

- Ce qui ne me dit pas comment on se déplace, nous, Oscar revient à la charge.

- Je sais que c'est hors référentiel, donc il nous faut un moyen de locomotion qui transcende les dimensions. Je suppose qu'on pourrait déplacer la maison, je propose.

Je serais en fait assez curieux de savoir comment elle se meut. (A priori silencieusement, sans quoi j'aurais sans doute remarqué son arrivée dans mon placard avant de la percuter à tâtons dans le noir.) De plus, j'ai moyennement envie de repasser par la Porte des Étoiles qui se trouve dans le garage, après ce à quoi elle m'a amené la dernière fois. C'est irrationnel, et ça me passera, mais pour le moment, je préfère l'éviter.

- On pourrait ? s'étonne Oscar, à peine habituée à passer d'une immense tour à un placard dans un appartement.

- Oui, il pourrait, répond simplement H, me désignant dans un hochement de tête ingénu, auquel Oz reste consternée.

- Mais ce n'est pas ce qu'on va faire ! On va à une cérémonie, on ne déménage pas. Bien que rien ne t'interdise d'aller t'installer là-bas après coup si tu en as envie, c'est vrai… LeX corrige l'ange, perdant patience.

Elle n'avait qu'à révéler son idée plus tôt, aussi.

- Okay. Même question qu'Oz, dans ce cas : comment est-ce qu'on y va ? je l'incite à enfin en arriver au but, tout en priant intérieurement pour qu'elle ne se rabatte pas une nouvelle fois vers la Porte.

- Qui parmi vous sait monter à cheval ? elle demande alors à la ronde.

Je marque un temps d'arrêt, puis mes voisins et moi nous entre-regardons, afin de déterminer ensemble si la question est sérieuse. Oz semble autant dans le doute que moi si ce n'est plus, mais H hoche la tête pour nous encourager à nous prononcer sur le sujet, alors je me manifeste, levant timidement la main.

- Est-ce qu'un cheval n'est pas un moyen de locomotion ? Oscar interpelle Hannibal, s'étonnant de son absence de réponse positive.

C'est pertinent, par rapport à ce qu'il nous a raconté la veille.

- Et est-ce que tu ne viens pas d'Australie ? je renchéris, avec ce qui me semble un argument encore plus pesant.

- Je sais monter à cheval, mais je suis comme qui dirait handicapé pour le faire correctement, répond le grand blond un peu sèchement, comme toujours lorsqu'il est pris en défaut.

Conscient qu'une bonne partie de l'équitation réside dans l'assiette, elle-même liée aux épaules, je ne peux pas l'accuser d'exagération. Aussi, connaissant son poids, tous les types de bourrins ne doivent pas être en mesure de le porter.

- Ça n'a pas d'importance, c'est ce que je pensais de toute façon. Oz montera donc avec Josh, et toi avec moi, LeX dévoile enfin l'organisation qu'elle a prévue. En partie du moins.

- Tu veux qu'on y aille À CHEVAL ? relève Oscar d'un ton suspicieux.

Il est vrai qu'on a vu plus évident, comme transport inter-dimensionnel. Surtout qu'encore une fois, Oz n'a pas spécifiquement essayé de s'habituer à tout ce qu'elle voyait de surnaturel, donc les animaloïdes métamorphes qui accompagnent les Messagers sont sans doute bien cachés dans un coin de son esprit.

- Pas n'importe quel cheval, la reprend LeX, savourant le mystère qu'elle impose.

Je lève les yeux au ciel.

- Tu veux qu'on monte sur un Quatorze. Est-ce que c'est seulement autorisé ? je m'enquiers, espérant discrètement et indirectement guider Oz.

- Si je te propose de le faire, c'est que oui, me jette la Panthère, juste avant de devenir méfiante de mes intentions en posant cette question dont la réponse est si facile à déduire.

- Je sais bien que vous appelez-ça des Montures, mais j'aurais pensé que c'était personnel, je poursuis.

- Ils font des exceptions, la Messagère continue à me répondre, bien que de mauvaise grâce.

C'est cependant trop tard, car à son expression faciale, Oscar semble avoir eu l'illumination. Moment de clarté immédiatement suivi d'un froncement de sourcils inquiet :

- Okay. J'ai vu leurs petits copains sauter dans une espèce de nuage magique depuis le toit de l'immeuble. Je ne vais pas faire ça ! elle s'oppose à l'idée, assez catégorique.

- On ne va pas faire ça, ne t'inquiète pas, la calme LeX, avant de pivoter sur ses talons.

La Panthère se dirige vers l'entrée de l'Arène, que j'ai laissée là depuis la visite de ses collègues. Le bruit de ses pas, inhabituellement sonore, me fait remarquer qu'elle n'est pour une fois pas chaussée de Converses, à semelles en caoutchouc silencieuses, mais de bottines à talons. Le martèlement de ces derniers sur le parquet, accompagné du cliquetis des boucles ornant l'extérieur de ses chevilles, à chacune de ses enjambées, apparente son avancée à celle d'un funeste cowboy de western. Il n'y a bien qu'elle pour porter des chaussures pareilles avec une robe. Mais je dois admettre que ça lui va bien, même si je ne l'aurais jamais imaginée arborer autre chose que ses habituelles baskets. Je m'abstiens donc de tout commentaire sur le sujet. Il est de toute façon rassurant qu'elle puisse encore me surprendre, car j'ai déjà pris l'habitude de trop de choses en ce qui la concerne.

D'un grand geste théâtral, la petite blonde soulève le rideau, dont maintenant que j'y prête attention la teinte du métal me semble s'être petit à petit fondue avec le décor initial du hall, sans doute par un besoin inconscient de ma part ; d'un gris clair classique plutôt brillant, il est passé à un gris un peu plus foncé, et surtout bien plus mat. Soit. Ma maison est mon psychanalyste. Pourquoi pas. Je ne suis plus à ça près. LeX ouvre la marche sur la fine couche de sable qui recouvre le sol de ce qui fut un jour le sanctuaire des protégés de ma mère. Incités du geste par Hannibal, qui choisit comme souvent de fermer le cortège, Oscar et moi ne tardons pas à la suivre, elle devant moi. Deux chevaux nous attendent, côte à côte, l'un d'eux un étalon de trait noir à l'épaisse crinière blanche et ondulée, l'autre un cheval de selle pie noire, buvant dans son blanc – c’est-à-dire au museau et à la bouche exceptionnellement immaculés -, et aux yeux bleus. Si mes calculs sont corrects, ce dernier n'est en fait autre que le petit Shetland alezan qui a essayé de me soutirer des friandises lors de mes entretiens avec les Messagers. Voilà qui est déstabilisant, et sur plus d'un plan.

LeX est déjà à flatter l'encolure du cheval de trait, qu'à sa robe j'ai identifié comme son fidèle Septentrional. Il ne semble plus carnivore, comme la dernière fois que je l'ai croisé, mais n'en impose pas moins le respect. La grande bête baisse sa grosse tête, laissant sa partenaire lui frotter le chanfrein. L'autre Monture, dont je n'ai pas retenu le nom, pour peu que je l'aie déjà effectivement entendu, semble bien plus abordable. Même s'il n'est pas moins grand au garrot que son compère, tout en lui a un côté un peu enfantin, de sa silhouette plus frêle à son coloris, sans oublier son comportement vif et curieux. Il vient de lui-même vers Oscar et moi, qui nous figeons à son approche, nous souvenant tous les deux très bien du danger présenté par la jument de Zed, électrique. L'équidé effleure cependant l'épaule d'Oscar du bout des naseaux sans réaction explosive, et nous nous détendons.

- C'est Occidental. Il est un peu cinglé, mais il va se tenir à carreau spécialement pour l'occasion, nous apprend LeX, sans interrompre ses longues caresses à sa propre monture.

- Vous avez nommé toutes vos Montures d'après les points cardinaux ? je m'enquiers, laissant Occidental renifler ma paume ouverte. Je me suis toujours bien entendu avec les chevaux.

- Oui et non. Leurs véritables noms nous sont inconnus, à défaut d'une communication bilatérale. Mais il faut bien pouvoir les appeler, parler d'eux. Du coup, on a pris cette convention des points cardinaux, oui, parce que c'était une série de quatre mots neutres. En théorie, les quatre Complices du Bien sont nommés d'après les saisons, qui ont une connotation un peu plus positive. Mais avant nous, la Neutralité, les Quatorzes n'étaient que les Six, et ils étaient tout simplement désignés par une terminaison différente sur un mot commun, elle répond, avec plus de détails que je n'en avais demandés, comme à chaque fois qu'elle maîtrise un sujet.

- Et les deux du Mal ? Pas de nouvelle convention à votre arrivée ? je continue mon enquête, ma curiosité encouragée.

- Pro et Eren ne les respectent pas suffisamment pour leur donner un nom.

Ce que je n'ai pas de mal à croire, me souvenant de leur arrivée dans deux petites fioles, ensuite jetées négligemment par terre par Pro.

- Ces machins ont l'air plutôt durs à cuire. Ils ne pourraient pas se rebeller ? s'étonne Oz, récoltant un nouveau petit coup de museau sur l'épaule, un peu moins doux que le précédent, sans doute à cause de l'utilisation du terme "machins".

- L'irrespect est mutuel, ne t'en fais pas. C'est une relation difficile à comprendre, mais pourtant pas moins solide, explique LeX avec un sourire, semblant apprécier la réaction d'Oscar face au mauvais traitement d'animaux.

- Et vos Compagnons, ils sont nommés par rapport à quoi ? j'enchaîne, exhaustif.

La Panthère grimace.

- Plus ou moins n'importe comment. Plutôt plus que moins, même, elle confesse, après quoi elle hausse les épaules.

- Pourquoi ? je ne peux m'empêcher de demander, laissant Oscar se familiariser avec notre monture.

Elle n'a visiblement pas du tout l'habitude des chevaux. Une chance que celui-ci n'en soit pas vraiment un, sinon elle aurait probablement déjà été mordue.

- Parce que la légende nomme ton épée et ton destrier, moins ton aide de camp, m'explique LeX de manière expéditive, avec une nouvelle grimace.

- Okay, est tout ce que je trouve à répondre.

Je suis à peu près certain qu'il y a quand même une explication derrière chacun des noms des Compagnons, connaissant son goût pour les symboles. Puisqu'elle ne me l'a pas offerte d'elle-même, je n'ose cependant pas insister.

- Ils sont pas censés avoir des trucs sur le dos et la tête, pour qu'on puisse monter dessus ? interroge tout à coup Oscar, décidément dans une lancée terre-à-terre depuis qu'il est question de se déplacer.

- Ça s'appelle un harnachement. Mais vous allez rester en selle moins de dix minutes ; on s'en passera, adjuge la Messagère, nous laissant pour le moins sceptiques à cette perspective.

- Sauf qu'on ne sera pas en selle, justement… j'ose marmonner tout bas, oubliant temporairement à qui j'ai affaire.

- Tais-toi et grimpe, Lil'Hu ! m'ordonne LeX, rien ne lui échappant.

Du bon côté de l'animal pour ça, je m'exécute sans tarder. Attrapant une touffe de crinière au niveau de son garrot de ma main gauche, ma main droite en appui à la limite entre ses reins et sa croupe, je me hisse sur son dos. Il y a longtemps que je ne m'étais pas retrouvé à cheval, et j'avais un peu oublié à quel point je trouvais ça confortable. C'est très étrange de le faire en costume, mais étant donné le récent recalibrage de mon échelle de normalité, ce n'est vraiment pas si dérangeant. Je lisse juste ma cravate, que j'ai mis tant d'attention à bien positionner tout à l'heure, mais à part ça tout va bien. Oscar, toujours au sol à ma droite, me regarde, partagée entre l'admiration et la jalousie. Je suis sur le point de tendre la main pour l'inviter à me rejoindre, comme ma mère l'a tant de fois fait lorsqu'elle m'a appris à monter, mais elle fait volte-face.

- Et comment je suis censée monter, moi ? elle interroge, désignant d'un mouvement descendant sa tenue moins qu'adaptée.

Je dois dire que je n'avais pas pensé que ça poserait problème, puisqu'elle est commodément parée d'un short.

- Comme une dame, tout simplement, lui répond cependant LeX, avec un haussement de sourcil et un sourire énigmatique.

Sérieusement ? Elle n'a jamais vu un cheval de près de toute sa vie, et elle veut la faire monter en amazone ? Mon début de geste n'a en plus pas échappé à la Messagère, et ma confusion ne fait qu'élargir son sourire.

- Je peux ? s'avance alors Hannibal jusqu'à la grande brune, lui qui était jusqu'ici resté en retrait, de nous comme des deux équidés.

Ses mains dans son dos lui donnent des airs de majordome, et je fronce les sourcils de manière encore plus accentuée, me demandant ce qu'il va faire.

- Tu peux quoi ? ne comprend pas Oz.

Sans plus attendre son consentement, l'ange la saisit alors par la taille et la soulève pour la déposer devant moi, les deux jambes du même côté de l’animal, me laissant à peine le temps de me repositionner en conséquence. Elle pousse un cri, mélange de surprise et de peur, à la manœuvre, et s'agrippe immédiatement à moi une fois en selle. Saisissant les crins de notre monture de ma main qui est techniquement dans le dos de ma co-cavalière, sans quoi sa prise d'équilibre nous aurait fait basculer tous les deux, je referme également mon bras libre autour d'elle. Content de lui, H s'essuie tout simplement les mains et tourne les talons pour rejoindre la Panthère. Sa frayeur passée, Oscar lui accorde un regard sombre, mais rien d'autre, encore trop fébrile en termes d'équitation pour oser bouger. Je me retiens de rire, de peur de moi aussi m'attirer ses foudres.

À l'approche de l'ange mécanique, Septentrional semble le toiser de haut en bas et de bas en haut. Puis, sans prévenir, il plie un genou, puis l'autre, s'inclinant, avant de plier jarrets et de basculer la croupe, allant jusqu'à se coucher entièrement. LeX désigne la bête dans sa nouvelle posture d'un grand geste théâtral, telle une assistante de magicien. Je vois la tête d'H se pencher sur le côté, et le devine partagé entre être vexé et reconnaissant. Il enjambe le corps de l'animal et se place convenablement sur son dos, après quoi celui-ci se redresse majestueusement, son avant-main d'abord, puis son arrière-train ensuite, emmenant son nouveau cavalier avec lui. L'ange déchu grimace imperceptiblement aux vieux réflexes que ses épaules n'ont pas oubliés, et pas encore assimilé qu'elles ne peuvent plus faire sans douleur.

- Cochon ou rat ? demande alors LeX de nulle part, s'adressant apparemment à Oscar, puisque c'est sur elle qu'elle pose son regard.

- Er… Quoi ? ne comprend toujours pas Oz, mais que la désorientation à ce sujet rend plus à l'aise pour se faire sa place sur notre monture, au moins.

- Cochon ce sera, conclut la Messagère.

À ces mots, un petit porcelet rose et noir apparaît de la pénombre de l'Arène, avec un petit grouinement que je ne peux qualifier d'autre chose que mignon, et se précipite aux pieds de LeX. Celle-ci se baisse et saisit le porcidé à deux mains tandis qu'il se tortille, quoique sans vraiment se débattre. Elle l'amène ensuite jusqu'à nous, et le tend à Oscar, qui a toujours les bras autour de mon cou. Devant l'immobilité de la Panthère, bras tendus vers elle, elle parvient à se détacher de moi, faisant confiance à ma propre prise autour de sa taille, et récupère le porcelet. Immédiatement, il vient fourrer son groin au creux de son coude, s'installant confortablement contre elle. Elle reste bouche bée, totalement perdue. Il y a de quoi devant cette scène particulièrement surréaliste. Je crois qu'elle n'a pas vu plus décousu depuis son arrivée parmi nous, ce qui n'est pas rien.

- C'est Plutark. Il faut que quelqu'un le tienne pendant le voyage, et Josh et moi avons les mains pleines, explique gentiment quoique peu la Messagère.

- Est-ce qu'il ne peut pas se déplacer tout seul ? je me permets.

- C'est un cochon. Qu'est-ce qu'il va faire ? Frapper ses petits sabots fendus l'un contre l'autre et penser à sa destination ? me rétorque LeX.

Je reste atterré. Ha ha. Elle croit sans doute sa référence hilarante, en plus. Je suis sûr que personne ne l'a jamais faite à Oz, celle-ci.

- Est-ce que ce n'est pas à peu de choses près ce que vont faire ces chevaux ? je réplique à la place.

- Est-ce que ça va la tuer de porter un porcelet ?

Ce jeu de répondre à une question par une question ne m'amuse jamais longtemps.

- Est-ce que ce serait si difficile pour toi de lui offrir une raison valable pour cette demande un peu absurde ? je m'insurge, perdant patience.

- Je vais tenir le petit cochon ! C'est bon. Je vais le tenir, Oscar coupe court au débat, docile pour la première fois depuis que je l'ai rencontrée, je crois.

- Merci, la remercie LeX avec un large sourire, avant de tourner les talons.

- Et Hémistash ? je lui lance, ne lâchant pas l'affaire si facilement.

Si elle a décidé que les Compagnons ne pouvaient pas se déplacer à l'image des Montures, ça devrait concerner tous les Compagnons.

- Comment est-ce que tu retiens tous ces noms ? murmure Oz pour elle-même, avec une grimace de confusion totale.

- Je suppose que la tâche va m'en incomber, se dévoue Hannibal en réponse à ma question.

Il est décidément bien peu bavard, en cette fin de matinée.

- Tu vois, il y en a qui suivent ! s'exclame la Messagère en se baissant à nouveau, alors qu'un gros rat blanc aux yeux rouge surgit du fond de l'Arène.

Échec et mat. Si ni Oscar ni H ne vont me soutenir dans cette lutte contre les ordres injustifiés, je laisse tomber. Je suis incapable de gagner seul contre LeX. Pas à ce jeu, en tous cas. Un jour, peut-être. La petite blonde dépose son rat digne d'un laboratoire de science-fiction dans les mains en coupe de mon parrain, d'où le rongeur ne tarde pas à atteindre son épaule, à la plus grande perplexité du déchu. La Panthère le rejoint ensuite en selle, ce qui n'est pas un mince exploit, puisque la présence de l'ange l'empêche de pouvoir balancer sa jambe par-dessus la croupe de leur monture. J'ai cependant vu des défis de l'équilibre bien plus ahurissants que celui-ci, et parviens donc à contenir mon admiration à la façon dont elle a su conserver souplesse et élégance dans une gymnastique qui selon toute prédiction aurait dû, surtout dans une tenue pareille, relever du mortifiant.

- Voilà ce qui va se passer : nous allons faire demi-tour, pour faire face au fond de la salle et avoir de la marge de manœuvre. Ensuite, tu pars plein galop. Le reste, ils s'en occupent, LeX résume sommairement la procédure que nous nous apprêtons à entreprendre.

- Qu'est-ce qui pourrait mal se passer ? murmure encore Oz, toujours pour elle-même.

Tandis que je retiens un sourire trop large, déjà surpris que le commentaire ait échappé à la Messagère, cette dernière me fait signe d'ouvrir la marche. Je sais faire partir un cheval au galop. Je ne l'ai cependant jamais fait à cru, ou en tous cas pas sans rênes. Ni en costume, d'ailleurs. Et surtout toujours sans personne devant moi. Encore moins en amazone, sûrement l'une des façons de monter les moins stables qui soient, derrière certaines positions de voltige. Oz me regarde, bien plus inquiète que son petit passager porcin, pratiquement endormi dans ses bras. Silencieusement, je m'assure qu'elle est prête. Elle me rend mon hochement de tête, avant de prendre une respiration intentionnellement lente et de fermer les yeux, venant cacher son visage dans mon épaule. Un bras toujours solidement autour de sa taille, mon autre main n'ayant pas lâché une poignée de la crinière d'Occidental, je place mes jambes comme il se doit et serre à peine les talons. Pour être tout à fait honnête, je me retiens moi aussi de fermer les yeux lorsque la bête s'élance.

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