Treizième Jour - Jeu (1/8)

Mon horloge interne sait définitivement choisir ses moments pour manifester son formatage digne d'un coucou Suisse. À bien y réfléchir, tous mes instincts, physiologiques ou non d'ailleurs, ont un haut sens du timing. En l'occurrence, il aurait certes été étonnant que je ne sois pas au moins un petit peu programmé par mes deux décennies de routine rétrospectivement assommante, mais j'aurais quand même pensé que ces derniers jours auraient suffi à estomper un réflexe aussi bassement pavlovien que celui de la cyclicité hebdomadaire de mes horaires de réveil. Je n'avais même pas conscience que nous étions Lundi avant de me poser la question, après avoir ouvert les yeux et rapidement compris que j'étais le premier de la maisonnée à le faire. Pas d'alarme, plus de cours, et pas d'urgence à gérer, donc aucune raison de tomber du lit, et pourtant, je m'éveille comme une fleur à une heure qui pourrait tout à fait être raisonnable pour chacune de ces situations. Stupide cervelle.

Pour une fois, je ne lui en veux cependant pas. Sans bouger de ma position allongée, je pousse un soupir qui se termine en sourire. Je reste là, à gésir immobile entre mes draps, et referme les paupières pour mieux profiter du silence ensommeillé qui règne dans la maison. C'est un évènement rare et beau que de n'avoir personne en action entre ces murs, et d'avoir moi-même l'occasion de m'y attarder. Deux étages au-dessus, Hannibal se repose. Un étage en-dessous, Oscar dort profondément et Dwight ronfle comme un loir. Quant à LeX, si elle est en présence, quoi qu'elle fasse, la quiétude des lieux n'en est pas perturbée. Je n'étends pas ma perception plus loin, d'une part parce que je n'ai pas envie d'en faire l'effort, préférant profiter de mes capacités dans leur état basal, et d'autre part parce que j'ai envie d'apprécier le calme aussi longtemps que possible.

Je ne sais pas combien de temps passe avant que quelqu'un ne s'active, mais à partir de ce moment tout s'enchaîne assez vite, et la maison entre graduellement dans l'état d'ébullition que j'ai appris à considérer comme habituel au cours de cette dernière semaine. Oz se lève la première, rapidement suivie de Dwighty. Leurs déplacements alertent H, et ce qui me parvient des quelques échanges de paroles prenant place me convainc que LeX est de la partie. Une durée indéterminée s'écoule ensuite avant que deux nouvelles auras ne fassent leur apparition dans mon champ de perception. Cet évènement me pousse à enfin rouvrir les yeux et me redresser, en appui sur mes bras tendus derrière moi, autant à cause de la surprise de la visite que par le simple aspect éblouissant des visiteurs, à défaut d'un terme plus adéquat. Avant que je ne sois parvenu à me convaincre tout seul qu'il était temps pour moi de sortir à mon tour du lit, l'une des deux nouvelles auras prend cependant le chemin de ma chambre. Ce n'est que cette arrivée imminente qui m'incite à m'asseoir sur le bord de mon matelas, face à la porte :

- Qu'est-ce que tu fais dans ma chambre, June ? je lance à l'infirmière à peine a-t-elle franchi le seuil.

Sans frapper, évidemment.

- Je cherche Oscar, elle répond sans même interrompre son entrée dans la pièce, au milieu de laquelle elle s'arrête sans le moindre complexe.

Elle n'a même pas la bienséance de faire semblant de regarder autour d'elle pour s'assurer que celle qu'elle dit chercher n'est pas là.

- Pourquoi est-ce que tu la cherches ici ?

Avant même qu'elle ne fasse son apparition, je savais qu'elle venait pour une raison qui allait m'agacer, de toute façon. Mes questions sont pratiquement rhétoriques. Je me demande d'ailleurs pourquoi je suis si courtois…

- J'ai entendu dire qu'elle avait dormi là, la nuit dernière.

Sérieusement ? Je soupire et prends momentanément le pont de mon nez entre mes doigts.

- C'était UNE nuit ! Je suis un Magnet et elle était triste d'avoir laissé ses frères en cavale. Vous n'avez vraiment rien de mieux à faire que de partager des potins ?

Dès le matin, qui plus est.

- Tu es au courant que j'ai dû laisser Perry pour venir, n'est-ce pas ?

Comme je l'ai déjà noté, ces deux-là sont désormais difficiles à manquer pour quelqu'un comme moi, leurs auras déjà honorables auparavant ayant gagné en radiance depuis leur réunion.

- Il est dans la maison ! je proteste.

Sous-entendre mon irritation est apparemment trop subtil pour atteindre la Jardinière, et surtout très insatisfaisant pour moi, qui ai un peu besoin de cristalliser cette émotion.

- Je ne suis pas à ses côtés. J'ai dû m'arracher à lui pour venir aider Oscar. Tu comprends donc pourquoi il est essentiel que je la trouve le plus rapidement possible.

Il n'y a même pas une once de culpabilité dans sa voix, c'est dingue. Et je ne crois pas une seconde que c'est une quelconque aide qu'elle veut apporter à Oz.

- Qu'est-ce que tu lui veux ?

Franchement, je dois pratiquement me mordre la langue pour me retenir de faire remarquer qu'elle et Perry ont été séparés pendant des milliers d'années, et que par conséquent deux minutes de plus ne vont pas les tuer. Qu'est-ce qu'ils sont, siamois, maintenant ? Sans compter que c'est grâce à moi qu'ils sont désormais réunis, donc elle pourrait ne serait-ce que faire semblant de faire un effort.

- Je suis le comité de garde-robe. LeX m'a demandé d'aider Oz à trouver quelque chose à se mettre, pour le bal.

Si je m'attendais à ne pas être hyper emballé par ce qu'elle allait me dire, je concède que je n'aurais absolument pas pu en prévoir la nature. Je ne sais pas ce qui me prend le plus de court : que LeX soit préoccupée par la tenue d'Oscar, qu'elle ait délégué une tâche quelle qu'elle soit, ou bien qu'elle ait délégué cette tâche en particulier à June, même si autant que je sache ses amies de sexe féminin ne font certes pas légion dans les parages.

- Est-ce que tu as déjà ta propre tenue, pour commencer ? je renvoie, essayant de l'envoyer paître le plus posément possible.

Et échouant relativement lamentablement sur tous les tableaux, j'en conviens.

- S'il te plaît… Alors ? Où est-elle ?

Discuter avec ces gens est parfaitement inutile.

- Cuisine. Est-ce que ma chambre est le premier endroit où tu as cherché ?

Mais pourquoi est-ce que je reste si poli ? Je connais la réponse à cette question. Et June n'a aucune excuse, car au moment de son arrivée, Oz était dans la salle de bain de l'appartement, donc elle ne peut pas ne pas l'avoir remarquée.

- Bien sûr.

Elle n'essaye même pas de nier qu'elle est de toute évidence uniquement venue me voir pour m'asticoter. Le culot de cette fille n'a aucune limite.

- Sors d'ici, je craque enfin, lui montrant la porte.

Elle commence à s'exécuter sans même négocier, mais sa docilité n'est que de courte durée et elle fait volte-face avant d'avoir atteint la sortie :

- Excuse-moi, mais je ne peux pas m'empêcher de te demander : serais-je la raison pour laquelle tu ne dors plus en sous-vêtements ? elle s'enquiert en désignant mon T-shirt et mon jogging.

Mais c'est quoi, son problème ? Elle me cherche, ou quoi ?

- Devine. Dehors !

Je me lève pour souligner mon geste. Je suis à deux doigts de l'accompagner d'une action véritable. Ce n'est que par respect pour Perry que je me retiens.

- Pourquoi est-ce que tu es si en colère après moi ?

June perd un peu de son ton taquin, sincèrement confuse quant à mon niveau d'agacement, qu'elle ne pensait sans doute pas élever si radicalement avec si peu. Peu selon ses standards, en tous cas.

- Parce que tu n'as jamais fait que me mentir, June. Je sais que tu es quelqu'un de bien, et pas seulement par ton alignement, mais pour moi tu es essentiellement une menteuse, et c'est actuellement trop présent à mon esprit pour que je l'ignore.

Ma rancœur sort toute seule. J'ai littéralement sauté à la gorge de LeX hier soir, et si l'envie de m'en prendre physiquement à qui que ce soit est passée, j'ai toujours le sentiment d'avoir des comptes à régler avec pas mal de monde.

- Qu'est-ce que LeX t'a fait ? demande l'infirmière en plissant les yeux, sa confusion à mon agressivité n'allant qu'augmentant.

- À quel moment ? je réplique, la liste longue.

- Hier. Je sais que tu as passé la journée avec elle, mais personne ne veut me dire ce que vous avez fait. Et en me basant sur ton comportement, je dirais pourtant que ce n'était pas rien.

J'étouffe un éclat de rire. C'est le moins qu'on puisse dire.

- Ce ne sont pas tes affaires, j'envoie cependant la Jardinière voir ailleurs, peu désireux d'en parler, surtout avec elle.

- Vu la façon dont tu me traites, un peu, elle se permet d'insister, attisant sans s'en rendre compte ma rancune.

Cette journée commençait pourtant si paisiblement…

- Devrais-je te rappeler combien de temps tu m'as caché la situation avec Perry, alors que ça m'affectait clairement ?

Sans parler de sa nature dérivée tout court.

- La minute où il est entré en contact avec toi, je t'ai tout dit, elle objecte.

- En fait, il t'a fallu deux semaines. Après notre premier face-à-face, pas notre premier contact. Et c'est moi qui suis venu te voir, je la corrige, pointilleux.

- Même différence, elle rejette mes précisions, non sans un geste dédaigneux.

- Non, pas même différence. Tu sais quoi ? Reviens me voir dans deux semaines, peut-être que j'aurai envie de te parler de la journée d'hier, je lui propose, jugeant que faire l'expérience de ses propres tactiques ne peut pas lui faire de mal.

Surtout qu'on sait tous comment s'est terminée notre entrevue le jour où elle m'a enfin raconté son histoire - elle m'a ni plus ni moins congédié d'un regard noir.

- Qui sait si je pourrai venir te voir dans deux semaines… elle minaude alors, regardant ses chaussures d'un air ingénu.

Comment est-ce qu'elle parvient toujours à esquiver mes réparties en changeant de sujet ? Ça ne l'aidera pas cette fois.

- Tu ne sais pas la décision que j'ai prévu de prendre ! je déduis de sa remarque, d'un ton surpris tirant sur le triomphal.

Si elle savait ce qu'il en sera de ma possibilité ou non d'être en contact avec de Bons dérivés après mon Choix, elle n'aurait pas tourné sa réplique de la sorte. J'éprouve une étonnante satisfaction à l'idée de détenir une information qu'elle aimerait connaître.

- D'après ce que j'ai cru comprendre, tu as effectivement une idée de la décision que tu vas prendre mais, à nouveau, je n'ai pas réussi à en savoir plus.

Je ne sais pas ce qui m'atterre le plus : la sournoiserie dont elle est capable de faire preuve dans le but de se renseigner, ou bien la facilité avec laquelle elle se tourne vers cette méthode.

- Et c'est très bien comme ça. Tu n'auras pas à faire semblant d'être surprise, au moins.

Je me retiens de lui lancer qu'elle n'aurait de toute façon pas de mal, connaissant ses talents d'actrice. Et puis, c'est demain, elle peut bien attendre, ma cruauté n'est pas si grande.

Jugeant qu'elle ne tirera rien de plus de moi, que ce soit en termes d'amusement ou de nouvelles, l'infirmière quitte enfin la pièce, après avoir plissé une dernière fois son regard bleu. J'ai beau ne pas lui avoir encore tout à fait dit ses quatre vérités, je me sens tout de même plus léger après cette conversation. Je ne me considère pas comme quelqu'un de fourbe, mais peut-être que je ne m'exprime pas suffisamment auprès de ceux qui m'entourent, peut-être que je ne communique pas assez. Ce qui est étrange, car je ne considère pas non plus que je me laisse particulièrement marcher dessus. Même s'il est vrai que je tolère la présence chez moi de personnes ayant plus ou moins directement assassiné des gens qui me sont chers. Ciel, qu'est devenue ma vie ?

Après une grande inspiration confiante, histoire de relancer la journée sur la note sur laquelle elle avait débuté, et comme personne d'autre ne semble avoir besoin de moi, je m'en vais prendre une douche et m'habiller. Je me suis attelé à la tâche de mettre un peu d'ordre dans ma chambre lorsqu'on toque à la porte. Je fais volte-face alors que Perry pousse timidement le battant. Les paroles de Vik, comme quoi un couple comme Perrune n'aurait jamais dû se former, me reviennent en mémoire. Certes, c'était dans un contexte Paradisiaque, mais sur le moment je me demande si ça ne serait pas applicable tout court. Le cliché de leur complémentarité tend parfois vers le ridicule. Y a-t-il seulement une situation qu'ils aborderaient de la même manière ? Et le plus curieux reste qu'ils ont des réputations opposées aux tempéraments que je leur connais. Il faudra qu'un jour on m'explique comment il s'est retrouvé le hors-la-loi et elle la petite fille modèle.

- Debout ? s'enquiert le Jardinier, me rappelant de manière saisissante la version de lui venue soutenir la version de moi ayant perdu Oscar, sans doute parce qu'il porte exactement la même tenue.

Je me demande s'il est particulièrement prévisible ou bien si la puissance de calcul de la machine est réellement impressionnante. Quoi qu'il en soit, il fait incommensurablement plus plaisir à voir que sa moitié, et sur plus d'un tableau.

- Hey. Oui, j'ai été réveillé par ta dulcinée…

Bon, d'accord, j'ai été cueilli au saut du lit, mais dans ma position l'intéressée considèrerait sans doute que c'est la "même différence", et pour cette fois je décide de m'abaisser à son niveau.

- Je sais. C'est peut-être ma faute, désolé, s'excuse alors le grand brun, avec une brève grimace conflictuelle.

Il semble à la fois sincère et l'opposé de penaud.

- Ah bon ? je relève, haussant un sourcil, cherchant à comprendre où il veut en venir.

- Disons que je suis plus matinal qu'elle. De peu, mais ça suffit à bouleverser ses habitudes. Non pas qu'elle s'en plaigne, mais bon, les filles, qu'est-ce qu'on y peut.

C'est drôle d'avoir une conversation de ce type avec Perry, mais il y a juste une chose qui cloche dans ce qu'il vient de me dire :

- Vous ne dormez pas… je me permets de souligner, croisant les bras et haussant un sourcil suspicieux, soupçonnant tout à coup le Jardinier de tenter de couvrir sa compagne.

- … On a eu besoin, il m'oppose avec concision.

La façon dont il détourne brièvement le regard me fait instantanément voir ce qu'il veut dire. J'ouvre et referme la bouche sans un mot avant de répondre :

- N'en dis pas plus, je clôture le sujet, levant la main pour entériner ma demande, et me détournant à mon tour, gêné.

Trop d'informations. Beaucoup trop.

Le visage de Perry se fend alors d'un grand sourire tandis qu'il se retient de tout bonnement éclater de rire. Et oui, même alors que la torture de son âme n'est désormais plus qu'un (très) mauvais souvenir, son rire est toujours l'un des sons les plus satisfaisants que je connaisse. Il y a bien évidemment une intonation différente, la tristesse et l'amertume qui ne le quittaient jamais auparavant transformées en allégresse pure, mais l'exubérance que son caractère peut à nouveau se permettre d'exprimer n'efface pas pour autant cette impression de rareté, comme si son hilarité était quelque chose de précieux, qu'il retenait et distribuait avec une parcimonie raisonnée. C'est une sensation erronée, puisqu'on ne peut pas dire que Perry soit quelqu'un de particulièrement taciturne et au rire difficile, mais c'est néanmoins l'impression qu'il laisse. Je souris à mon tour avant de reprendre la parole :

- Qu'est-ce qui t'amène ? Tu cherches désespérément à tromper l'absence ?

Mon cerveau est décidément cruel : pourquoi est-ce que j'arrive à plaisanter sur sa tragique romance avec lui, mais pas à rabattre son caquet à June avec le même sujet ?

- Non, ça n'a rien à voir. Il s'avère que LeX a assigné certaines personnes à la supervision de la tenue de certaines autres, pour demain. June s'occupe d'Oscar, Hannibal de Dwight, et j'ai l'honneur d'être affecté à ton cas.

Je serais vexé que la Messagère ait considéré que je nécessite une supervision vestimentaire, si autre chose dans ce que m'apprend Perry ne me surprenait (et inquiétait) pas plus.

- LeX a envoyé H voir Dwight EXPRÈS ? je relève, grimaçant à cette idée.

Disons que les deux Tuteurs ne sont pas toujours les meilleurs compagnons. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'ils ne s'apprécient pas, mais je pense que le fait que le Jumper n'ait pas encore réellement riposté aux moqueries et autres brimades de l'ange ne tient qu'à son incroyable bonne nature.

- Vu ce qui s'est passé la dernière fois que ton parrain t'a habillé, je peux comprendre cette décision. Après, je ne saurais pas te dire si elle vient plus de LeX que de lui, fait remarquer Perry.

Je n'avais pas du tout considéré la situation sous cet angle. Quoi que Dwight puisse faire à H s'il finit par craquer, ça ne peut effectivement sans doute pas être pire qu'une réminiscence angélique. Mais nous n'aurions pas à faire ce compromis si je savais ce qui avait provoqué la réminiscence en premier lieu le jour du mariage de Zarah !

- Je n'avais pas pensé à ça… Mais pourquoi diable est-ce que LeX pense qu'on a besoin d'aide pour se saper, franchement ?

Puisque je ne peux rien faire vis-à-vis de la confrontation des deux Tuteurs, qui en fin de compte ne sera pas forcément une mauvaise chose, je peux enfin m'agacer du tempérament contrôlant de la Messagère, qui en l'occurrence me vexe un brin.

- Oz n'a pas porté de robe depuis son entrée en puberté, et Dwight se sent étranglé par une cravate ; un coup de main n'est sans doute pas malvenu en ce qui les concerne. Mais j'avoue que dans ton cas, c'est superflu ; je suppose que tu possèdes plus d'un costume noir ?

Merci. Enfin un peu de respect. Avec des parents comme les miens et une ex styliste, je pense être tout à fait capable de choisir une tenue pour toute circonstance sans commettre d'impair. Non pas que j'aurais pensé avoir à défendre cette capacité un jour.

- Pourquoi noir ? je demande, la précision attisant ma curiosité.

- C'est le code vestimentaire de l'évènement : Oscar, Dwight, et toi-même serez les seuls à ne porter exclusivement que du noir et du blanc.

Je conçois la symbolique. Que trop bien pour l'avoir tant de fois observée appliquée par LeX.

- Je ne sais pas si je trouve ça classe ou insensé.

Côté signification cachée, n'est-ce pas un peu mesquin de mettre les apolaires dans les trois couleurs représentant les trois choix qui s'offrent à eux ?

- C'est surtout stimulant pour le reste des convives. Noir et blanc, c'est un peu la solution de facilité, Perry argumente en haussant les épaules.

Il n'a pas tort. Et puis, je n'ai pas d'alternative à proposer.

- Donc, on part sur un basique costume noir/chemise blanche/cravate noire ? je m'assure.

- Précisément. Ça nous laisse du choix ? confirme mon tailleur pour la journée.

- J'aimerais pouvoir répondre non.

C'est curieusement l'inconvénient des choses basiques ; on les a en plusieurs exemplaires. Différents, aussi contradictoire que cela puisse paraître.

- Une préférence personnelle ?

Ce n'est pas comme si je portais un costume tous les jours, et les évènements auxquels j'en ai effectivement arboré un noir sont tous liés soit à mes parents soit à Zarah, voire les deux, donc je n'ai pas exactement de critère discriminant pour guider ma décision.

- Indifférence totale, je réponds, concluant mon court instant de réflexion par une moue et un haussement d'épaules.

- La première combinaison qui me tombe sous la main ? suggère le Jardinier.

Astucieux. Ça pourrait tout à fait brouiller le souvenir des précédentes occasions inévitablement liées à ma tenue.

- Excellente idée ! Mais je crois que je peux m'occuper de cette partie moi-même, tu sais.

Il a déjà plus aidé que nécessaire, et je me sens par conséquent plus assisté que je ne l'aurais voulu.

- Ne dis pas de bêtises. Ça ne me dérange pas, et de toute façon LeX ne va pas me laisser partir tant que je ne lui aurai pas apporté la preuve que j'ai fait ce qu'elle m'a dit de faire.

Certes. J'oubliais qui était le cerveau de cette opération.

- Qu'est-ce qu'elle peut être contrôlante ! je m'exclame.

Une obligation de résultat ne lui suffit-elle donc pas ? Il faut qu'elle flique tout le monde pas à pas ?

- Elle a juste besoin qu'on la respecte, me tempère Perry, à ma plus grande surprise.

- Tu es un saint.

Je ne trouve pas d'autre explication. D'une part, c'est la Panthère qu'il défend, et d'autre part, il la défend de pas grand-chose, vraiment.

- Non, mais c'est gentil de le penser, il me réplique en souriant.

- Est-ce que par hasard tu saurais si elle a prévu autre chose de particulier aujourd'hui ? je l'interroge alors, soudain inquiet de moi-même pâtir, encore, des accès d'autorité de la Messagère.

- Rien qui concerne qui que ce soit dans cette maison, je pense. Et puis, elle t'en a déjà assez fait voir hier, si je ne m'abuse. Je crois que tu peux disposer de ta journée comme bon te semble, il me rassure.

Il n'a visiblement aucune information avérée, mais je choisis de lui faire confiance.

- C'est bon à savoir. Merci.

Non pas que quelque activité en particulier me fasse envie, maintenant que j'y pense, mais sur le principe, c'est toujours ça de pris.

- Il n'y a vraiment pas de quoi, me répond le Jardinier en quittant la pièce, faisant demi-tour au beau milieu de son habituel hochement de tête, par lequel il est capable d'exprimer à peu près tout de la simple salutation à la déférence profonde.

C'est un talent.

À nouveau seul dans ma chambre, j'ai perdu toute motivation pour ranger. Je ne sais même pas ce qui m'a poussé à le faire pour commencer. J'avais laissé cette pièce en parfait état lors de mon départ pour Cambridge, et de ce que j'ai compris personne n'y a mis les pieds entre ce moment et le jour où mes parents ont décidé de me faire livrer les clés de ma maison d'enfance par l'intermédiaire d'un Hermès adolescent. Une bataille d'eau et de nourriture y a bien pris place ce jour-là, mais le ménage semble être l'un des services offerts par HAG. Après ça, je n'ai rien déplacé d'autre que ma literie et mes vêtements. Et je n'y ai rien apporté de nouveau à part mes trois héritages parentaux : montre, bâton, et clés, le dernier des trois présentement sur ma personne. Pas vraiment de quoi créer un désordre particulier. Peut-être que je fais partie de ces personnes qui s'occupent de tâches ménagères pour en éviter d'autres encore plus rébarbatives. Mais qu'est-ce que je pourrais vouloir esquiver, si je n'ai rien de prévu ?

De soudains éclats de voix, venus de l'étage inférieur, me font seulement remarquer ce sentiment d'appréhension que j'ai eu depuis ma sortie de la douche, allant grandissant. Parfois, ce que je perçois s'insinue particulièrement subrepticement. Je me demande si avec le temps un Magnet devient plus attentif à ce genre d'alerte furtive. Et surtout si toutes mes perceptions me feront un jour sens dès leur apparition, ou si je continuerai à avoir ces intuitions en apparence infondées, du moins jusqu'à ce que je me retrouve confronté au problème de plein fouet, à me demander pourquoi je n'ai pas déchiffré la situation plus tôt parce que ça m'aurait bien aidé. Avec un soupir, plus agacé par moi-même que par le réel problème que je m'apprête à gérer, j'emprunte les escaliers jusqu'à la salle de bal, où je retrouve June et Oscar. Les deux grandes brunes sont derrière un rideau, mais c'est insuffisant pour dissimuler la dimension sonore de leur dispute.

- Mais lâche-moi, j'te dis ! la voix de la plus jeune me parvient.

Celle vers qui l'invective était dirigée sort à reculons de derrière la draperie, elle aussi visiblement fulminante, mais silencieuse.

- Qu'est-ce qui se passe ? j'interroge calmement, attirant l'attention des deux furies.

- J'ai l'air ridicule, voilà ce qui se passe ! répond sèchement Oz, sortant à son tour de derrière le rideau.

- Er… est tout ce qui sort de ma bouche, et ce pour plusieurs raisons.

Premièrement, je ne m'attendais pas à la découvrir en robe de soirée. Deuxièmement, elle est en robe de soirée. Visiblement prévue pour être portée avec des talons hauts, sa tenue l'a contrainte à rassembler une partie du tissu dans sa main droite même pour seulement quelques pas, et je peux entrevoir son pied nu tapoter du talon au rythme de son agacement, en accord avec le regard noir que ses cheveux, pour une fois tirés en arrière, ne masquent même pas. Conformément aux couleurs choisies pour l'évènement de demain, la robe est noire et blanche, la plus claire des deux teintes apparaissant subtilement dans le drapé de la plus sombre. Toutes les bonnes manières qui ont jamais pu m'être inculquées passent à la trappe alors que ma mâchoire se décroche.

- Tu vois ?

Oscar méprend malheureusement ma perte de vocabulaire pour une confirmation de ce qu'elle vient de dire, et me désigne de sa main libre à June, me prenant malgré moi à témoin.

- Tu crois vraiment qu'il perd ses mots parce que cette robe ne te va pas ? Est-ce que tu as seulement déjà impressionné un garçon ? rétorque la Jardinière, croisant les bras.

- Je ne sais pas ce qui te fais penser que j'hésiterais à te frapper, réplique l'orpheline, plissant son regard encore plus intensément qu'auparavant.

- Je voulais dire par quelque chose de féminin. Comme ta tenue, ne se démonte pas la Paradisiaque.

D'un côté, j'ai toutes les raisons de penser qu'une dérivée aussi puissante qu'elle n'a effectivement rien à craindre d'une humaine en presque tout point. D'un autre côté, si ça devait en venir aux mains, je ne parierais pas non plus contre la délinquante pour autant.

- Qu'est-ce que ça peut bien faire ? grogne pratiquement Oz, la façon dont elle resserre son poing faisant onduler sa robe, soulignant sans qu'elle s'en rende compte son irritation.

- Je ne sais plus quoi faire…

La condescendance de June est la goutte d'eau qui fait déborder le vase, et Oscar éclate :

- Tu sais quoi ? Je n'ai absolument aucune raison d'accepter ton aide. La dernière fois que j'ai entendu ta voix avant aujourd'hui, tu étais en train de militer pour mon euthanasie, alors je ne vois vraiment pas pourquoi je voudrais faire amie-amie. Et pour info, des conseils sur les mecs de la part d'une fille qui a attendu le sien pendant perpète, je m'en passe très bien.

C'est bas, mais en même temps mérité. Je mentirais si je disais que l'outrage qui s'affiche sur le visage de l'infirmière ne m'arrache pas un petit pincement de satisfaction.

- Tu as de la chance d'avoir raison de penser que je n'oserais jamais te frapper, elle répond après avoir regagné une contenance.

Belle symétrie de l'argumentaire, même quand elle est mise en défaut, je note. Il est temps pour moins d'intervenir, et je lève les mains pour signifier à tout le monde de se calmer :

- Okay. Ça suffit. J'en ai assez entendu. Oz, tu n'as pas l'air ridicule… du tout. Mais June, si elle n'a pas envie de porter ça, elle n'a pas envie, tu es là pour la conseiller, que je sache.

J'ai du mal à croire que mon conflit du jour concerne un choix vestimentaire, mais il n'y a pas de sous-missions, après tout.

- C'est demain. L'échéance est proche. Je n'ai pas beaucoup de temps pour faire des miracles, proteste la Jardinière.

Vu qu'elle est toujours impeccablement vêtue, je comprends qu'elle prenne cette responsabilité à cœur, mais il y a des limites.

- On ne te demande pas de faire des miracles. Et très honnêtement, l'échéance n'est pas demain ; on ne va certainement pas passer la journée à décider quoi se mettre, je la tempère.

Certes, ces dames sont toujours plus longues à s'habiller que ses messieurs, mais encore une fois, il y a des limites.

- Facile à dire, pour un Rykerson, tente de me provoquer June.

- L'offre de te frapper tient toujours, Oscar se vexe à ma place.

- Va voir LeX. Elle a dit hier qu'il lui était arrivé pas mal de fois de ne pas savoir quoi mettre dans ce genre de circonstances, non ? Peut-être que sur ce terrain vous pourrez vous entendre.

C'est peut-être triste à dire, mais on ne peut pas nier que la Panthère a effectivement un style plus proche de celui de la cambrioleuse que l'infirmière.

- Peu probable, m'oppose tout de même Oz, dubitative.

- Ça ne peut pas être pire que ce qui se passe maintenant, j'insiste, la fixant jusqu'à ce que ses yeux croisent enfin les miens.

L'ombre de mon sourire suffit à achever de la calmer.

- Ne me porte pas la poisse… elle me lance avant de capituler et prendre la direction de l'étage inférieur, faisant toujours attention à ne pas se prendre les pieds dans sa robe.

June et moi la regardons descendre les escaliers avec précaution, par-dessus mon épaule, puis conservons notre silence encore un moment après sa disparition de notre champ de vision. Ma maîtrise d'une situation aussi explosive aussi rapidement et aisément m'impressionne grandement. Je n'en suis décidément pas peu fier, et regarde un instant par terre pour contenir mon expression avant de ramener mon regard sur l'infirmière face à moi. À la façon dont elle fronce légèrement les sourcils, je pense qu'elle se demande ce que je fais encore là. Mains dans les poches, il y a encore une toute petite partie de moi qui espère qu'elle fera le premier pas, mais après plus d'une minute de silence j'y renonce définitivement.

- Je compte sur toi pour aller t'excuser, je lui annonce, avec un vague mouvement de tête vers l'escalier, voulant évidemment parler d'Oscar.

- Tu plaisantes, j'espère ? réagit immédiatement la Jardinière, amenant une main sur sa hanche.

- June. Je ne t'ai pas tout déballé, tout à l'heure, je commence.

- Pourtant, c'est toi qui m'as dit de partir, elle m'interrompt pratiquement.

Elle ne me prend de toute évidence pas au sérieux, comme toujours.

- Est-ce que tu te souviens de ce que tu m'as dit la dernière fois que nous nous sommes parlés ? Avant que tu n'ailles rejoindre Perry ?

Parce que plus j'y pense, moins ça fait sens que je l'aie laissée dire ça. Surtout en lumière de ce que j'ai appris - ou plutôt compris - hier.

- Oui.

Elle réfléchit une seconde avant de répondre, mais n'hésite pas.

- Et tu ne comptes pas revenir là-dessus ? je lui tends la perche, préférant apparemment croire au meilleur en ceux qui m'entourent.

- Je ne vois pas ce qui a changé entre temps, elle déclare.

Elle n'a pas tort. Dans les faits, rien n'a changé. C'est ce dont je suis au courant qui a évolué.

- Tu savais que je ne pourrais pas faire de mal à Vik, n'est-ce pas ?

Je l'ai compris, LeX me l'a confirmé, et pourtant il faut que j'en aie le cœur net de la part des principaux intéressés.

- De quoi tu parles ?

Je suppose que je ne peux pas lui en vouloir de ne pas comprendre à quoi je fais référence sur-le-champ, puisque j'ai eu plus d'une occasion d'avoir envie de m'en prendre à la Botaniste.

- Du piège que tu m'as aidé à lui tendre, à Harvard. Tu savais que c'était une entreprise stérile. Vik n'a techniquement jamais fait quoi que ce soit de mal, donc je n'ai jamais réellement été en position de la punir. Tu ne pouvais pas ne pas savoir ça. Notamment parce que tu as été sa complice dans la plupart de ses méfaits. Mais tu savais aussi que LeX était en chemin, alors tu t'es dit que je pouvais quand même avoir ma catharsis en capturant ton amie Paradisiaque, et que ton amie Messagère m'empêcherait d'aller plus loin que ça. Tout le monde gagne.

Quand je pense au temps qu'elle a dû passer à mettre au point toutes ses petites manigances, j'en ai la tête qui tourne. D'autant plus que j'étais parmi ses marionnettes.

- Je ne sais pas ce que tu veux que je te dise, elle répond après une brève pause, encore une fois pas hésitante mais mesurant ses mots.

Elle a au moins la décence de ne rien nier.

- Que nous sommes quittes.

C'est aussi simple que ça. Comme je l'ai dit, plus j'y pense, moins je comprends par quel calcul elle peut m'estimer avoir une dette envers elle.

- Tu t'es rendu compte que je t'ai permis d'un tant soit peu tourner la page vis-à-vis de la mort de ta petite amie, et ça te fait me blâmer ?

Il est après tout normal qu'elle se focalise plus sur les conséquences bénéfiques de ses actions que sur leur caractère douteux.

- Je ne suis pas en train de te dire que je t'en veux, June. Je suis en train de te dire que je n'ai pas à t'être reconnaissant de quoi que ce soit. Parce que tu m'as menti. Encore et encore. Tu ne t'es jamais arrêtée. Tu m'as caché être une dérivée pendant des semaines, et tu as refusé de me dire quel type lorsque je l'ai enfin découvert ; tu m'as dissimulé être de mèche avec mes parents ; tu ne m'as rien dit à propos de Perry. Et j'ai conscience que tu avais toujours une excellente raison et que c'était toujours pour mon bien, je t'assure, mais ça n'efface pas les mensonges. À la rigueur, ça les excuse, ça les contrebalance, mais c'est tout. Et Jeudi dernier, alors que je venais de te rendre ton âme sœur, tu m'as dit que je n'étais pas pardonné de ne pas t'avoir tenue informer de la situation avec Oscar. Est-ce que tu te rends seulement compte de combien c'est hypocrite de ta part ?

Pourquoi est-ce que je n'aurais le droit de voir que le bien qu'elle m'a voulu quand elle ne semble voir que le préjudice que j'ai pu lui causer, dont je ne suis, soit dit en passant, toujours pas convaincu ?

- Nous avons donc tous les deux fait des choses pas très correctes pour le bien de l'autre, au final.

Je ne sais pas pourquoi, mais je n'ai pas l'impression que ce sont des propos qu'une Jardinière devrait tenir. Ne sont-ce pas les Botanistes, l'espèce Bonne mais peu scrupuleuse ? Peut-être qu'elle a passé trop de temps en compagnie de Vik. Espérons que faire partie d'un couple comme il se doit pour les Jardiniers va lui rendre la vertu originelle de son espèce.

- Oui. Ce qui nous rend quittes. Tu n'as pas plus de raison de m'en vouloir que je n'en ai de t'en vouloir. Je ne te suis pas plus redevable que tu me dois quoi que ce soit.

Je préfère être clair. Je ne voudrais pas qu'elle retourne quoi que ce soit contre moi sur un point de procédure.

- C'est la définition d'être quittes, elle souligne ma redondance, apparemment incapable de débrancher sa répartie.

- Je l'ai déjà dit, mais tu es une bonne personne, June. C'est juste que nous ne sommes pas amis.

Bien qu'il fallait que ce soit dit, je ressens une extrême tristesse à mes propres mots. Ce sentiment n'est que renforcé par le fait qu'il me percute plus fortement moi que celle à qui je m'adresse. Mon empathie n'est pas toujours un avantage.

- Est-ce que ça signifie que tu ne viendras pas à notre mariage ? une voix masculine dans mon dos me fait fermer les yeux avant de faire volte-face.

Bien qu'il vienne seulement de monter les escaliers pour nous rejoindre à cet étage, je sais que Perry a écouté pratiquement toute ma conversation avec June. Par conséquent, il sait que je suis au courant que j'ai été mené par le bout du nez pendant les deux semaines ayant précédé la capture de Vik. Et il ne doute pas que je le compte parmi mes manipulateurs, même si c'est sa compagne que je viens de confronter. Une nouvelle fois, ma tristesse à l'idée que June n'est finalement pas mon amie, après tout ce que nous avons pourtant traversé ensemble, n'est rendue que plus mordante par le fait que cet état des choses touche plus Perry qu'elle. La façon dont il me regarde me ferait presque monter les larmes aux yeux. Et cette question… Il devrait être interdit d'être aussi émouvant !

- Pour toi, si. Bien sûr. Je ne raterais ça pour rien au monde. Tu m'as menti une fois, mais tu m'as aidé en bien plus d'une occasion. Et sans rien attendre en retour.

Personne ne me fera croire qu'il a soutenu ma décision d'épargner Oscar simplement pour protéger ses propres intérêts, par exemple. À chaque fois que June m'a rendu service, en revanche, elle avait quelque chose derrière la tête.

- Non pas que tu ne nous aies effectivement rien apporté en retour, précise Per’.

Et ça aussi, c'est important. La reconnaissance. L'humilité. Peut-être que si June avait assumé tout ce qu'elle m'a fait au lieu de tenter de s'en dédouaner, j'aurais pu passer outre les moyens et me focaliser sur les résultats.

- Qui a décrété qu'on devait absolument être ami avec la conjointe de ses amis, de toute façon ?

Je m'arrache un sourire, et arrive à en tirer un de Perry.

- Je suis désolé de ne pas avoir été tout à fait honnête, en ce qui concernait Viky, il m'offre, bien que ça aille de soi.

- Tu vois, ce n'est pas si difficile ! je me retourne vers June, levant brièvement les paumes vers le ciel, et leur arrachant cette fois un éclat de rire à tous les deux.

- Il est une meilleure personne que moi, après tout, elle concède, bien que cela n'ait pas autant de valeur car complimenter son partenaire c'est un peu se complimenter soi-même, quelque part.

Mais je m'en contenterai.

- Blague à part, si vous célébrez vraiment votre union, je serai honoré d'être de la fête.

J'avoue ne jamais m'être demandé si les Jardiniers célébraient ce genre d'évènements. Mais s'ils sont tous des couples non-consommés, il va sans doute de soi qu'ils n'ont pas eu leurs noces de leur vivant, et auraient donc tort de s'en priver de leur gisant.

- Bien sûr que tu seras de la fête. C'est toi qui l'auras rendue possible, me rassure June en me dépassant pour rejoindre Perry.

L'avantage que le triste état des lieux de notre relation ne l'affecte pas plus que ça, c’est qu'au moins elle ne se retourne pas contre moi. Aussi blessante son indifférence au constat que je viens d'établir soit-elle, je ne peux en effet pourtant que la préférer à quelque niveau de colère que ce soit. Cette absence d'animosité va même sans doute aider Perry à gérer de son côté, deux proches qui se tolèrent toujours préférables à deux proches qui ne s'apprécient tout bonnement pas. June glisse son bras sous celui que lui tend son compagnon, et vient poser sa tête sur son épaule, après quoi le couple s'en retourne, avec un habituel salut silencieux de la part du grand brun, signifiant cette fois un véritable au revoir cérémonieux plutôt qu'un simple "à plus tard" comme un peu plus tôt.

Je les regarde descendre les escaliers, puis les suis mentalement alors qu'ils quittent la maison. Je pensais avoir été psychologiquement préparé à les voir ensemble, après leurs retrouvailles dans le parc du MIT, puis ce petit avant-goût hier, dans la simulation d'un monde dans lequel mes parents ne m'auraient pas laissé, et pourtant je ne peux pas m'empêcher de sourire niaisement. Il paraît inconcevable d'avoir dû se donner tant de mal pour quelque chose d'aussi normal voire banal. Même si leur association reste de toute beauté, et certes surprenante sous certains angles, les unions du même acabit que la leur ne sont pas exactement rares pour autant. Depuis le temps que l'espèce humaine est présente sur la Terre, et qu'elle clame haut et fort que l'amour fait tourner le monde, ce serait même étonnant.

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