Douzième Jour - Réinitialisation (1/9)

Ce n'est pas la première fois que je me réveille aux côtés d'Oscar. Cependant, je ne peux pas nier qu'il y a quelque chose de fondamentalement différent entre s'être endormis sur l'épaule l'un de l'autre dans un canapé, et avoir dormi serrés l'un contre l'autre dans un lit, même avec une épaisse couverture entre nous. De plus, la dernière fois, c'est elle qui m'a veillé alors que je tombais d'épuisement, et s'est finalement endormie sur moi par accident ; aujourd'hui, elle est délibérément venue chercher mon contact, et c'est moi qui l'ai veillée jusqu'à ce que ses pleurs se tarissent et qu'elle trouve enfin le sommeil. La nuance peut paraître subtile, et pourtant, elle suffit à tout changer.

Oz ouvre les yeux quelques minutes à peine après que j'ai moi-même repris connaissance. Je n'ai pour ma part pas ouvert les paupières, préférant rester parfaitement immobile, occupé à savourer les imperceptibles vibrations de son signal en réponse à mon effet naturellement sécurisant. Elle est si proche et tranquille que j'arriverais presque à distinguer les contours de ma propre aura, qui se reflète comme en négatif dans la sienne. Mais maintenant qu'elle est réveillée, d'autres émotions apparaissent peu à peu, brouillant ma perception. Autre signe indéniable qu'elle ne dort plus : la légère accélération de sa respiration, que je ne peux qu'entendre, dans le silence absolu qui nous entoure.

Après que j'ai senti son regard peser sur moi pendant une longue minute, elle se dégage discrètement de sous la couverture et s'assoit sur le bord du matelas, me tournant donc le dos. J'ouvre enfin les yeux, tourne la tête, et la vois en train de tenir le bas de son visage dans ses mains, illustrant parfaitement ce que je sais être en train de se passer dans sa tête. C'est un doux mélange de culpabilité, de panique, et d'anticipation. Rien de grave, mais il n'y a aucun doute qu'elle est en train de décliner mentalement le champ lexical de la stupidité pour elle-même. Je n'arrive pas à me retenir de sourire, tout en me redressant sur mon coude. Je m'en suis déjà fait la remarque hier soir, mais accepter les implications du rapport des Magnets aux dérivés lui rendrait décidément l'existence beaucoup plus facile.

- Je sais ce que tu penses, je dis doucement, la faisant sursautes et tourner la tête vers moi.

- Ce n'est pas dans tes cordes, elle me lance, sûre d'elle.

Et à raison, d'ailleurs, puisque je n'ai effectivement aucun réel talent de télépathie.

- Tu te demandes comment tu vas bien pouvoir me dire de ne pas me méprendre sur ce qui s'est passé hier et cette nuit sans me froisser, j'affirme posément, m'efforçant de diminuer mon sourire amusé.

- … Comment est-ce que tu as fait ça ? elle me demande avec une certaine alarme, plissant les yeux.

- Je sais comment tu te sens, Oz.

J'ai l'impression de passer mon temps à lui expliquer ça, mais je peux comprendre que ce soit difficile à accepter, et qui plus est à garder à l'esprit.

- Intrusif, elle proteste, par réflexe, comme à chaque fois qu'elle est confrontée à mes dons de plein fouet.

- Ce n'est pas comme si j'avais le choix, je me défends.

- Quand même intrusif, elle persiste. Puisqu'elle a raison, je n'insiste pas dans ma défense.

- Peu importe. Ce à quoi je veux en venir, c'est que tu avais peur. Et je t'ai sauvée d'une situation pour le moins terrifiante, alors il est rationnel que tu m'associes à la sécurité. Crois-le ou non, on m'y a déjà associé pour beaucoup moins que ça.

Si je lui dis que la majoritédes dérivés le font par défaut, ça ne passera pas, alors je modère mon propos.

- Donc… c'est pas bizarre ? elle demande, son embarras commençant à retomber.

- Non. D'autant que je préfère largement ça à ce que tu me déboîtes l'épaule, je plaisante, achevant de détendre l'atmosphère.

- Je pourrais en revenir à ça, elle réplique, un sourire pointant au coin de ses lèvres.

Nous n'avons pas le temps de profiter de ce bref instant de connivence, car LeX fait bruyamment irruption dans la pièce. Oscar se lève alors d'un bond, comme si elle avait été prise en faute à être assise sur mon lit. Il est vrai que nous ne sommes initialement pas allés nous coucher dans la même pièce, hier au soir, mais ce n'est pas comme s'il s'était passé quoi que ce soit de scandaleux. Et même si ça avait été le cas, je doute que la Messagère y accorderait une quelconque importance. De plus, si quelqu'un est en mesure de comprendre le lien étrange qui unit un Magnet à ses protégés, ça doit être elle, puisqu'elle l'a mis au point. Mais je suppose que si Oz a déjà du mal à accepter que je puisse entièrement comprendre ses sautes d'humeur les plus impénétrables même pour elle-même, intégrer que Lex est la mieux placée pour comprendre que je les comprenne est sans doute trop lui en demander. Il m'est déjà suffisamment pénible à moi de penser que toutes les relations les plus significatives de mon existence sont toutes de près ou de loin basées sur un lien affectif qui a été créé de toute pièce par cette sociopathe homicide, alors bon.

- Super ! Vous êtes debout, s'exclame la Messagère, ne démontrant effectivement pas la moindre surprise à trouver Oz et moi ensemble.

- Tu ne frappes jamais ? je laisse échapper, plus par principe qu'agacement véritable.

- Je ne vous accorderais pas la répartie classique du "Vous ne verrouillez jamais ?", premièrement parce que je l'ai apprise dans une série, et deuxièmement parce que la porte était grande ouverte, réplique l'interpelée en désignant le battant du geste.

Argument valide et incontestable. Je hoche la tête.

- Qu'est-ce que tu veux, LeX ? je l'interroge alors.

- Er… Vous deux. J'aurais pensé que ça au moins était clair.

Ce n'est pas la première fois que je suis content de ne pas recevoir de signal de sa part. Ça m'aiderait peut-être à la comprendre, mais je préfère encore ne pas savoir ce qui se passe dans sa tête.

- Et pourquoi est-ce que tu as besoin de nous, au juste ? je poursuis mon questionnement, placide.

- Tu te souviens de ce choix hyper important que vous devez faire dans moins de trois jours ? Mieux encore, tu te souviens que j'ai promis d'aider avec ça ? Eh bien, je n'ai plus beaucoup de temps pour le faire, comme je viens de le sous-entendre, alors il est temps que je m'y mette.

Au moins, elle semble motivée. Peut-être fait-elle semblant, ceci dit.

- Qu'est-ce que tu as en tête ? je lui demande avec un soupir résigné.

Il est vain d'essayer d'aller à son encontre sur ce coup. Je commence à avoir suffisamment de recul sur la question pour l'accepter.

- On va avoir besoin de toute l'aide disponible pour les préparatifs de la cérémonie, et puisqu'elle doit encore avoir une montagne de questions, j'ai pensé que Miss Oscar pourrait honorer Dwight et Hannibal de son assistance. Une sorte d'arrangement gagnant-gagnant.

Je ferme les yeux. Je ne sais pas ce qui est pire : devoir choisir entre les trois courants manichéens parmi lesquels les Humains n'ont, eux, jamais à choisir, ou qu'il y ait une célébration entourant cet évènement.

- Si moi j'aide, lui, il fait quoi ? demande Oz, relevant que je n'ai pas été mentionné par la petite blonde.

- Lui, il vient avec moi, LeX complète son plan, toute sourire.

- Donc, pas littéralement besoin de toute l'aide disponible, en fait, je ne peux pas m'empêcher de commenter, sachant combien la Panthère a déjà joué sur les mots avec moi.

- Tous les préparatifs ne consistent pas en bassesses matérielles, elle rétorque, quoique semblant avoir apprécié ma répartie.

- Mais… Si tu comptes me préparer mentalement, pourquoi est-ce qu'Oz et Dwighty ne se joignent pas à nous ? je raisonne, cartésien.

- Parce qu'ils n'ont pas le même problème que toi, répond la Messagère en haussant les épaules, comme si c'était une évidence.

- Qui est ? je demande précision, Oz me renvoyant mon regard perdu.

- Tu verras bien, LeX refuse de répondre, arquant un sourcil pour se donner l'air mystérieux.

- Est-ce qu'on peut savoir où elle aura lieu, cette cérémonie ? interroge tout à coup Oscar, pragmatique.

Excellente question, d'ailleurs.

- … En climat tempéré, répond LeX, après que plusieurs grimaces d'incompréhension se soient succédées sur son visage.

- Ce n'est pas une réponse, proteste Oz, aussi déroutée que moi par cette étrange réaction.

- Au temps pour moi, je pensais que tu me demandais ça parce que tu ne savais pas quoi mettre. Ce qui me fait penser : est-ce que tu as des fringues de fille ?

Ce qui ne répond toujours pas à la question du lieu des festivités, je note intérieurement. Mais bon, passons.

- Je SUIS une fille, rétorque Oscar, ironiquement avec son intonation sans doute la moins féminine.

- Non, je veux dire des fringues de FILLE, répète LeX, insistant cette fois sur le dernier mot.

Peut-être le sens de la question en est-il modifié, entre membres du sexe concerné, du moins.

- … J'ai un uniforme de cheerleader, répond Oz après une hésitation.

- Je vois. Je me moquerais totalement de toi si je ne m'étais pas trouvée dans l'exacte même situation moi-même un millier de fois. On s'occupera de ça à un autre moment. Bientôt, mais plus tard. Allez, chop chop, on n'a que la journée !

Frappant dans ses mains pour nous inciter à nous dépêcher, LeX disparaît ensuite dans les escaliers.

Laissés seuls, Oscar et moi nous dévisageons avec d'éclater de rire ensemble. Dans la catégorie interactions avec la Messagère, nous avons l'un comme l'autre connu bien pire. C'est même probablement la plus avenante que je l'ai jamais vue. Mais mes considérations sur l'humeur de LeX s'interrompent très rapidement ; après tout, du moment qu'elle ne semble pas représenter une menace directe pour qui que ce soit, je la laisse tranquille. Alors que le sourire d'Oz, ça, ça a déjà plus de quoi retenir mon attention. Depuis que j'ai commencé à avoir des problèmes majeurs, j'ai appris à mes dépens que la nuit ne porte conseil que jusqu'à un certain point. Et hier soir, voire très tôt ce matin, Oscar était dévastée d'avoir dû dire au revoir à ses frères, déchirée par un terrible et irrationnel sentiment d'abandon. Il va sans dire que c'est plus qu'une intuition qui me dicte que ce nuage noir ne l'a pas quittée, alors il m'est plutôt agréable de voir qu'il n'a plus suffisamment d'emprise sur elle pour l'empêcher d'étirer ses lèvres dans cette si charmante mimique.

- Ça va mieux ? je m'assure, tout en venant à mon tour m'asseoir sur le bord du matelas.

Ma question tend fortement vers l'affirmation ; je suis confiant qu'aborder le sujet ne va pas avoir d'effet néfaste.

- Je suppose. Merci. J'avais vraiment besoin de ça, apparemment, elle répond, passant une main dans ses cheveux et baissant la tête vers ses chaussettes, sans complètement cesser de sourire.

C'est bien qu'elle s'en rende compte, au moins, et ne continue pas à se sentir victime d'une pulsion qu'elle ne comprend pas.

- Quand tu veux, je me contente cependant de lui offrir avec sobriété, m'inclinant faiblement.

Je ne voudrais pas anéantir ses progrès vers l'acceptation du rôle d'un Magnet.

- N'en fais pas une habitude, elle me conseille, rivant ses yeux sur moi sans relever le menton.

Qu'elle puisse faire preuve de cette véhémence si caractéristique achève de me convaincre qu'elle va vraiment mieux.

- Bien reçu, je capitule avec plaisir, levant mes mains en l'air en signe de reddition.

J'ai droit à un dernier sourire, avant qu'elle ne s'en aille en secouant la tête, amusée. Elle disparaît en direction de l'escalier, d'ores et déjà en route vers une nouvelle aventure. Je l'envie un peu. Maintenant que la question a été soulevée, je suis curieux de savoir où aura lieu la cérémonie de mon Choix. Et le fait que LeX ne nous l'ait pas tout simplement révélé à l'instant signifie certainement qu'elle compte garder cette information secrète aussi longtemps que possible. Ce qui, dans mon cas, sera probablement jusqu'au jour J, puisque je ne vais de toute évidence pas être du voyage pour les préparatifs matériels. Je suppose que la Messagère a choisi un endroit pour lequel je n'ai pas de référentiel, c'est-à-dire pas sur Terre, sachant qu'il m'est toujours facile de localiser mon Tuteur, mon parrain, et même Oz. Mais à partir de là, les possibilités sont littéralement infinies. Et ce serait sous-estimer la Panthère que de penser que je pourrais convaincre le trio de vendre la mèche à leur retour. Rageant.

Rageant, oui, mais ce n'est après tout pas la seule incertitude insoluble qui entoure l'évènement fatidique programmé pour dans trois jours. En plus du lieu des festivités, j'ignore également leur durée, la liste des invités, et même comment tout va se dérouler, de manière générale. Mais bien sûr, ce que j'ignore surtout, c'est ce que je vais faire. Ma décision ne pourrait pas être plus loin d'arrêtée. Sentant venir la prise de tête, je me laisse tomber en arrière en travers de mon lit, pieds au sol et bras en croix. Fixant le plafond, je fais défiler dans mon esprit tous les dérivés avec lesquels j'ai jamais été en contact, et les répartis selon leur alignement, quand je le connais. J'ai rapidement trois groupes assez conséquents, et essaye alors de m'imaginer aux côtés duquel je pourrais potentiellement être plus enclin à prendre les armes. Sauf que se ranger avec une équipe signifie affronter les deux autres, ce à quoi j'ai plus de mal à me faire. Personnellement, je n'arrive pas à voir ma place ailleurs qu'au centre, à empêcher le conflit plutôt qu'y prendre part. Mais même les médiateurs peuvent faire partie d'un pôle ou d'un autre.

Je me redresse sans l'aide de mes bras, soupire, puis me lève enfin, me disant que peut-être ce que LeX a prévu pour moi aujourd'hui va m'aider à y voir plus clair. Ça ne peut pas être plus embrouillant que les conseils et témoignages apportés par ses collègues avant-hier, en tous cas. Ceci dit, je me demande quand même ce qu'elle m'aurait dit, si elle avait elle aussi dû choisir une idée unique à me présenter. Je trouve que le fait qu'elle soit à mes côtés durant ma période de réflexion ne justifie pas qu'elle n'ait pas eu son tour, parce que jusqu'ici, autant que je sache, elle est toujours restée relativement impartiale dans ses explications, ce qui signifie que son accès à ma personne n'est pas vraiment un avantage, mais voire plutôt un handicap. Mais bon, je ne vais pas remettre en cause les décisions prises par les dix individus à la fois les plus et les moins puissants des mondes. Et qui sait ce qu'elle a effectivement décidé de me faire faire aujourd'hui.

J'expédie mon habituelle routine matinale, puis me mets en quête de la petite blonde. Comme j'ai senti Dwight emmener Oscar il y a une dizaine de minutes depuis la salle de Bal, c'est le premier endroit où je la cherche, supposant qu'elle était là pour donner sa destination au Jumper. Mais non, elle a dû lui donner ses instructions ailleurs, car elle n'est pas à cet étage. Je dois maintenant choisir entre monter et descendre les escaliers. Cette maison n'est pas exactement idéale pour y trouver qui que ce soit facilement, surtout quand on n'est pas spécialement familier avec la façon dont raisonne la personne en question. Quand elle n'a rien d'autre à faire, la Panthère est généralement avec sa Monture et son Compagnon, mais en l'occurrence elle a quelque chose de prévu, alors je doute qu'elle soit dans l'Arène. Mais alors où ? Où est-ce qu'elle pourrait bien m'attendre ? Où pense-t-elle que je la chercherais ?

En supposant qu'elle est restée dans la maison, ce qui ne me semble pas totalement absurde si elle espère que je la trouve rapidement, il est possible de procéder par élimination. Que je sache, elle ne s'est jamais rendue au sous-sol. Le rez-de-chaussée est l'étage où elle a accueilli ses collègues, avec fort peu de bonne volonté. Quant à la salle de Bal, c'est là qu'elle a eu une conversation particulièrement houleuse avec Zed, sans compter qu'on l'y a aussi bandé les yeux avant de l'attacher à une chaise, même si on avait son consentement, et je doute qu'aucun de ces évènements ne soit un bon souvenir pour elle. Je ne pense pas non plus qu'elle m'attende à mon étage, puisqu'elle n'a rien à y faire en patientant, et surtout, c'est là d'où je suis parti. Enfin, l'étage de mes parents est celui où elle a fait sa crise. En toute logique, elle pourrait tout à fait se trouver dans le bureau de mes parents. Et je n'ai rien à perdre à vérifier.

C'est avec grande satisfaction que je découvre le passage menant chez Hannibal ouvert, ce qui ne peut que signifier qu'il y a quelqu'un à l'intérieur. L'ange déchu avait déjà quitté les lieux à mon réveil, alors je parie que LeX profite tout bonnement de son absence pour explorer ses quartiers. Je passe le pas de la porte pour découvrir la petite blonde en plein émerveillement devant le bric-à-brac amassé par mon parrain. Tandis qu'elle effleure du bout des doigts les montres à goussets qui pendent du plafond, une partie des plumes blanches stockées dans des grands sacs en plastique virevoltent dans les airs, donnant à la scène une étrange allure de peinture. Je m'éclaircis la gorge pour signaler ma présence, et la loi de la gravité reprend immédiatement ses droits sur le duvet, en même temps que LeX fait volte-face. Elle arbore à nouveau du blanc, du gris, et du noir, et je dois avouer que c'est étrangement rassurant, par rapport à la tenue entièrement noire qu'elle s'est forcée à porter hier.

- Alors ? Quel est le programme ? je m'enquiers, après avoir attendu suffisamment longtemps pour être certain qu'elle n'a aucune remarque à faire à propos de mon intrusion.

- Est-ce que tu as déjà petit-déjeuné ? elle me renvoie une question, posant une main sur sa hanche.

- Er… Non, pas encore. Pourquoi ?

Si jamais elle a dans l'idée de me psychanalyser toute la journée au fil d'activités quotidiennes banales, je crois que je ne vais pas être d'humeur.

- Bien. On va faire en sorte que ça reste comme ça, elle déclare cependant avec un grand sourire un rien sadique, mettant à bas mon début de déduction.

- Je peux savoir pourquoi ? je demande, avançant de quelques pas vers elle, sourcils froncés, à court d'hypothèses sur ses intentions.

- Tu comprendras plus tard. Viens.

Elle m'invite à la suivre d'un mouvement de tête, et prend la direction de la seconde issue de la pièce.

Je lui emboîte le pas sans plus discuter, et m'exécute lorsqu'elle m'intime du regard d'appeler l'ascenseur, plaçant ma main sur le mur à côté de la double porte. J'aurais pu héler, mais je trouve que c'est moins élégant. Les panneaux métalliques s'écartent en glissant l'un sur l'autre, et LeX et moi prenons place dans la cabine. Je regarde la Messagère, pour connaître notre destination, et elle se contente de me montrer deux doigts, avant de pointer vers le bas, voulant sans nul doute me faire comprendre qu'elle veut descendre de deux étages. Quelle théâtralité. Et surtout, pourquoi veut-elle se rendre dans le garage de mon père ? J'obéis cependant, et enjoins mentalement l'ascenseur de nous amener à l'étage en question. Les portes se referment, et se rouvrent quelques secondes plus tard sur le vaste hangar. Je me pose brièvement la question de la nécessité d'un ascenseur lorsqu'on peut faire apparaître à l'envie et à peu près n'importe où une issue vers n'importe quelle autre pièce, mais il peut après tout y avoir de nombreuses raisons à ça, de l'envie de normalité au respect de la structure de certaines salles, notamment les quartiers personnels du Tuteur résident, par exemple.

- Qu'est-ce qu'on fait ici ? je demande, tout en soulevant la grille qui nous barre le passage une fois l'ascenseur arrêté et ses portes rouvertes.

- On a besoin d'un moyen de transport, explique posément la Messagère.

J'oubliais qu'aux dernières nouvelles, sa téléportation n'était pas au top. Ce doit être agaçant de ne pas pouvoir compter sur ses capacités, mais je ne pense pas qu'elle soit la plus ennuyée de l'univers par le manque de contrôle.

- Quel type de moyen de transport ? je poursuis mon interrogation, soudain inquiet.

Pourquoi n'a-t-elle pas demandéà Dwight de nous déposer ? Quel genre d'endroit peut bien être accessible à l'un des engins ici présents et pas à un Jumper de son niveau ?

- Un fun, tu vas voir, elle m'assure, quittant la cabine et commençant à descendre la branche droite du double escalier surplombant l'entrepôt.

Avec un soupir, je sors à mon tour du cube de métal, rabats machinalement le grillage, puis prends le bras gauche de l'escalier, juste par esprit de contradiction. LeX déambule entre les véhicules, accordant plus d'attention à certains qu'à d'autres, mais globalement plutôt indifférente. Je prends un chemin parallèle au sien, suivant la direction générale de son avancée, vers le fond du garage. À un moment donné, je tombe sur ma voiture, et ne peux qu'être frappé par la redondance de la désignation, puisque je suppose que tout ce qui se trouve ici m'appartient, désormais. Mes parents m'ont légué quelque chose dont j'étais déjà le propriétaire. Très honnêtement, je ne m'étais même pas demandé s'ils avaient pris soin de la déplacer depuis là où je l'avais garée, sur le parking à l'entrée de notre parc, à Philly, mais il est après tout fort possible qu'ils n'aient rien laissé là-bas. Ce qui m'amène à me demander ce qu'ils n'ont pas stocké ici mais emmené avec eux. Et surtout, où ont-ils bien pu aller, exactement, puisque du peu que j'avais compris lorsque j'ai surpris leur conversation, ils parlaient d'aller "chez Hannibal". Où H a-t-il vécu après avoir été forcé de quitter HAG ?

Mes pensées sont interrompues par mon arrivée au bout du hangar, au pied du mur que j'ai vu liquide lors de mon premier passage, mais aujourd'hui bien solide. L'apparence fluide de la paroi était supposément due à la technologie Stargate lui étant associée. Ordinairement, une porte des étoiles est un double anneau de minéral inerte, de sept mètres de haut environ, au pourtour gravé de symboles, et doté de chevrons permettant de les sélectionner. Ici, le cercle a été transformé en rectangle, par souci d'être en harmonie avec la pièce, sans doute. Je trouve l'effort un peu insultant pour la technologie originelle, dans laquelle la circularité de la porte avait certainement une grande importance, mais soit. Alors que mon observation des glyphes s'achève, mes yeux tombent sur un sillon crénelé dans la paroi, visible maintenant que la porte n'est pas enclenchée. Pourquoi l'était-elle lors de ma première visite, je ne le saurai sans doute jamais. Je décide de m'approcher pour mieux voir, et emprunte la rampe d'accès jusqu'à me trouver pile à l'aplomb du moyen de transport. Comme je le soupçonnais, la fente a un tracé crénelé trop régulier pour être accidentel, et semble en fait déterminer la jonction entre les deux volets d'un gigantesque sas. Je fronce les sourcils, intrigué, et commence à avancer ma main pour parcourir l'impossibilité, mais suis interrompu dans mon geste par une interpellation de celle qui m'accompagne :

- Hey ! Lil'Hu ! Je te déconseille de rester planté là, elle me lance.

Par-dessus mon épaule, je la vois appuyée au panneau de contrôle, ses mains posées de part et d'autre du clavier, conservé circulaire, lui.

- Il y a une porte, derrière la porte, je lui apprends, toujours pas revenu de ma découverte.

- Ça te surprend ? Comment est-ce que tu croyais qu'on faisait décoller un avion de chasse d'ici ? elle me soumet alors, penchant la tête sur le côté, avec un petit sourire espiègle.

- On ne peut pas. Il n'y a pas la place, je raisonne simplement.

- De la place, tu peux en ajouter autant que tu veux, tu es dans un RDIS. Mais même sans qu'il soit question de piste, il faut bien une issue, pour sortir ton engin, non ? elle persiste à essayer de me faire trouver tout seul pourquoi ma surprise est en fait injustifiée.

- Bah…

Je n'avais pas pensé à ça, je l'avoue. Les portes d'entrée et de sortie deviennent rapidement superflues quand on vit avec un téléporteur, moi je vous le dis.

- Exactement. HAG n'a pas cette apparence extérieure de cabine téléphonique en permanence. Ou tout du moins pas dans ces dimensions. Gold est un excellent pilote ; il aurait été dommage qu'il n'en fasse jamais profiter aucun de ses protégés, me raconte LeX, une toute petite pointe de nostalgie dans sa voix.

- Attends. Tu es en train de me dire que mon père venait ici, demandait à HAG d'allonger la pièce, ouvrait cette grande porte, là, et décollait avec l'un de ces vaisseaux qu'il y a autour de nous ? je reformule, pour être certain de bien comprendre ce qu'elle est en train de me dire.

- Je l'ai vu de mes propres yeux plusieurs fois, oui, elle confirme, hochant la tête.

- Mais si cette pièce est tout aussi extensible que les autres, pourquoi Hannibal a-t-il dit qu'elle était d'une superficie moindre que l'Arène à cause de la porte des étoiles, alors ? je demande immédiatement, le commentaire de l'ange sur le sujet m'ayant marqué malgré moi.

- H n'a jamais comparé le garage à l'Arène. Ce serait incohérent, même pour lui, vu qu'aucune pièce n'est effectivement une référence fixe du point de vue des dimensions. Non, ce qu'il a voulu dire, c'est que quoi qu'il arrive, cette pièce sacrifiera toujours un vingtième de sa surface pour pouvoir consacrer une partie de son énergie à recevoir ce petit bijou dans de bonnes conditions. Comme je l'ai déjà fait remarquer, le mélange de technologies n'est pas toujours sans danger. Et il s'avère que même un RDIS a ses limites. Qui n'en sont pas vraiment, puisque ça reste extensible, mais bon…

Elle hausse les épaules à la fin de son explication.

- Sauf que l'Arène est effectivement un vingtième plus vaste que le garage, je fais remarquer, perturbé d'avoir mal compris quelque chose à ce point.

- Triste à dire, mais coïncidence, résout LeX avec une grimace.

- Sérieusement ? je ne peux m'empêcher de lâcher.

- Sérieusement, elle confirme une nouvelle fois, toujours en hochant la tête.

- … Tu comptes me dire où on va ? j'interroge ensuite, après un courte pause durant laquelle je détourne la tête et mon regard tombe sur la porte des étoiles.

- Non, répond la Panthère avec un grand sourire, secouant cette fois la tête à la négative.

Levant les yeux au ciel dans mon atterrement, je redescends la rampe d'accès et rejoins la petite blonde derrière le tableau de bord. Je la regarde y presser neuf touches avec le talon de ses mains, avant d'enfin venir appuyer sur le bouton central, hémisphérique et coruscant. Je regrette de n'être calé qu'en constellations connues des Humains, sinon j'aurais peut-être pu avoir une vague idée de notre destination. Pendant que j'ajoute mentalement un domaine à la pile de ceux que je me promets de potasser à l'occasion, le portail se met en route. En lieu et place d'anneau intérieur, c'est une chenille qui "tourne" au fur et à mesure que Lex presse les caractères, et les chevrons se verrouillent et s'illuminent chacun leur tour, face aux symboles sélectionnés. Enfin, une surface miroitante apparaît, après qu'ait émané l'espace d'un instant un tourbillon horizontal écumant, long de plusieurs mètres. Je savais comment ça se passait, mais c'est impressionnant à voir en vrai.

Du geste, la Messagère m'invite à la suivre, prenant ostensiblement les devants. J'ai du mal à déterminer si cet ordre de passage est sécuritaire ou protocolaire, mais j'obéis sans poser la question. Elle contourne le panneau de contrôle par la gauche, et s'avance sur la passerelle. Lorsqu'elle est sur le point de traverser le rideau chatoyant, elle se retourne vers moi, pour vérifier que je la suis de près. Je lève un pouce, pour l'assurer que tout va bien se passer, et elle franchit alors le pas, disparaissant dans l'espèce de grande flaque verticale. Je prends une inspiration avant d'en faire de même, et ne peux pas me retenir de fermer les yeux, redoutant malgré moi la vision du vortex que je m'apprête à emprunter. Je ne sais pas vous, mais le peu de représentations que j'en ai déjà vues m'avaient déjà mis plutôt mal à l'aise, alors la vraie version, je vais éviter pour aujourd'hui.

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