Onzième Jour - La belle (9/12)

Le pénitencier dans lequel est enfermé Clay me faisait déjà l'effet d'une forteresse de l'extérieur, et l'intérieur n'est pas beaucoup plus accueillant. C'est certainement intentionnel de la part des architectes ayant conçu puis révisé l'édifice, mais tout de même, je trouve que ça vaut la peine de le noter ; c'est dire si c'est réussi. Le grand portail d'entrée est suivi quelques mètres plus loin d'une autre porte. Dans le couloir légèrement lugubre entre ces deux passages, une petite vitrine, sur la droite, dans laquelle on ne voit d'abord personne, avant d'arriver à sa hauteur et d'y découvrir un garde inconscient sur le sol. La porte devant nous grésille, et alors qu'Oscar se précipite pour la pousser et ainsi faire cesser le bruit caractéristique, je m'empresse de figer la vidéo surveillant l'autre côté. Je relance celle concernant le grand portail dès que nous n'y figurons plus. LeX nous attend dans la prochaine vitrine, un autre garde à ses pieds. Avec un sourire radieux, elle nous fait coucou de la main, avant de remonter l'échelle par laquelle elle est entrée. Je soupire et secoue la tête.

Nous poursuivons notre avancée dans le couloir, et tombons sur une fourche. Droit devant mène dans la cour intérieure, tandis que gauche et droite amènent plus profond dans la prison. D'après ce que j'ai vu du plan, le complexe forme un L. Nous sommes présentement à l'angle de ce L, dans le bâtiment qui contient les zones de vie commune, tandis que les cellules sont équiréparties entre les deux branches. Dwight et Oscar se tournent vers moi, attendant que je leur dise quelle direction prendre. D'un geste intuitif, j'éclate les vidéosurveillances auxquelles j'ai accès sur mon petit écran, et m'attarde successivement sur toutes celles où je détecte du mouvement, pour repérer le directeur, puisque c'est notre première cible. Je n'ai cependant pas de chance, et ne trouve que des gardes. Je ne peux m'empêcher de remarquer qu'ils ont un certain talent pour continuer à ne pas se croiser comme il leur est certainement ordonné, tout en s'arrangeant pour ne surtout pas passer à proximité de là où je me trouve. Impressionnant.

— Vous en êtes où ? interroge tout à coup la voix de Scott, que le silence radio doit rendre nerveux.

— Je ne trouve pas le directeur, j'avoue tout bas, tout en continuant de chercher sur ma console miniature.

— Tu le trouves vraiment pas, ou bien t'as pas fini de chercher ? m'interroge le grand brun.

— C'est la troisième fois que je fais le tour, je réponds.

Oscar fronce les sourcils, prompte à s'inquiéter.

— T'es sûr que t'as bien accès à tout ?

Je devine que la question ne m'est pas adressée, et l'inspiration outrée qui ne peut provenir que d'Hannibal confirme mon intuition.

— Oui, je suis sûr, rétorque l'ange, contenant difficilement son indignation.

— Ce que je vois est conforme aux plans que j'ai vus tout à l'heure. Et tout se suit. Sauf…

Tout en parlant, je détecte une incohérence dans mes observations.

— Sauf quoi ? me presse Scott.

— Il y a un endroit où je vois une porte, mais je n'ai pas accès à ce qu'il y a derrière, j'explicite ma découverte.

Les vidéos sont encodées selon leurs coordonnées géographiques, et les surveillances des zones adjacentes sont donc commodément présentées côte à côte.

— C'est qu'il n'y a pas de vidéosurveillance derrière, c'est tout, explique immédiatement Hannibal, refusant que la faute retombe sur lui à tort.

— Qu'est-ce qui ne serait pas surveillé dans une prison ? demande Oscar.

— Le bureau du directeur…? répond LeX avec sarcasme, comme si personne d'autre qu'elle n'en était arrivé à cette conclusion tout seul.

— À gauche, j'intime alors à Oz et Dwight, choisissant de ne pas relever le mauvais esprit.

En silence, je guide notre trio vers notre destination. Les portes s'enchaînent mais ne se ressemblent pas vraiment. LeX a moins de gardes à neutraliser qu'elle ne le voudrait, mais s'amuse tout de même. Une fois, elle nous fait même signe avec la main d'une de ses victimes, ce à quoi Dwight est le seul à sourire, avant de se retenir pour faussement se ranger à la désapprobation qu'Oz et moi accordons à la mauvaise plaisanterie. Les talents de la cambrioleuse sont mis à l'épreuve, mais ceux du Jumper que rarement mis à contribution, la jolie brune n'acceptant son aide que face à une impossibilité. Le reste des portes est géré par Hannibal, à mon signal, tantôt ouvert, tantôt codé lorsqu'il s'agit de ce dont je devrais théoriquement me charger moi. L'ange mécanique ne cache pas avoir un certain mal de crâne lorsque nous arrivons enfin à la limite entre les zones commune et de détention. Je compatis. À mon avis, même les gardes en ont assez de devoir pousser autant de portes pour circuler.

En parlant des gardes, leur parcours s'adapte comme prévu à notre avancée. Cela n'empêche pourtant pas Oscar de n'être pas tranquille à l'idée que des gardiens se tiennent techniquement entre nous et la sortie, même sachant pertinemment que si nous venions à y retourner, ils nous laisseraient comme par magie la voie libre. Et le fait qu'à quelques reprises je fasse semblant que nous ayons besoin de faire un détour pour justement éviter un garde ne l'aide pas à conserver son calme, même si ma feinte n'est que dans les mots et pas dans les faits. Je suis pour ma part heureux de ce dernier état des choses, car je pense que si nous avions réellement dû faire des détours, nous aurions encore été là demain, tellement ces fichues portes nous ralentissent, aussi faciles à ouvrir puissent-elles être parfois. Bon, toute chose considérée, nous progressons dans une prison, et il est donc logique que notre avancée ne soit pas des plus célères, mais ça n'en est pas moins rageant. Même Scott perd patience, et en vient à s'inquiéter de la durée d'action du tranquillisant dont se sert LeX. Celle-ci le rassure en l'embrouillant de termes techniques sur l'agent chimique supposément utilisé. C'est plus ou moins du charabia scientifique saupoudré d'anecdotes certainement adaptées au public concerné, mais ça fonctionne à merveille.

Pour ajouter à cette impression de lenteur insoutenable, la tâche qui m'incombe, de désactiver et réactiver la vidéosurveillance au besoin, s'avère assez répétitive, bien qu'elle nécessite toute mon attention, une fausse manipulation irréparable. Le guidage, par chance, est relativement simple ; nous n'avons à choisir une direction parmi plusieurs qu'à deux reprises après ce premier virage à gauche, le reste des directions plutôt instinctives. Je pourrais m'inquiéter que, pour une raison ou une autre, le directeur ne soit pas dans son bureau, car il n'est pas inimaginable qu'il soit en déplacement, mais le seul cas de figure dans lequel cela serait un problème est si, alors que nous faisons semblant de l'avoir trouvé, il revient et entre dans la prison sous le nez de Scott. Pour le moment, je me contente d'être heureux qu'aucun des McAddams n'ait encore imaginé l'absence du directeur tout seul, et qu'aucun de mes autres complices n'ait eu l'idée stupide de le leur suggérer. Ils sont suffisamment anxieux comme ça, l'un comme l'autre. Je ne décrirais pas Oscar comme quelqu'un de particulièrement patient, mais j'apprends vite que son cadet gère encore moins bien l'inaction qu'elle…!

Alors qu'Oz, Dwight, et moi arrivons au passage entre le bloc B et le bloc A, sachant que le bureau du directeur se situe dans le bâtiment de l'autre côté du bloc A dans lequel nous nous apprêtons à entrer dans quelques mètres, je les arrête du geste. Plus j'y pense, plus ce réalisme me tape sur les nerfs. Je n'aurais jamais cru dire ça, mais c'est vrai : l'humanité est terriblement contraignante. Certes, il n'est pas censé être aisé de s'introduire clandestinement dans une prison, mais tout le monde commence à être à bout, et on dispose d'une solution très simple pour régler ce problème ; Hannibal peut obtenir l'information dont nous avons besoin sans que nous ayons réellement à nous approcher de son détenteur. Et Scott ne peut pas savoir si nous avons eu le temps de parcourir la distance nécessaire. Si j'étais à sa place, j'aurais d'ailleurs pour ma part eu l'impression que quelqu'un aurait eu le temps de faire le tour du complexe. J'ai bien envie de faire croire que nous avons atteint le bureau du directeur, mais il faut d'abord que je ratifie mon idée auprès de mes compagnons de route. Toujours sans un mot, je leur fais signe de couper la communication :

— Je ne sais pas vous, mais je pense qu'on a suffisamment avancé sans raison, je leur expose tout bas.

J'aurais voulu m'exclamer, mais on ne sait jamais qui pourrait être à portée de voix.

— Comment ça, sans raison ? me reprend Oscar, ne comprenant pas ce que je veux dire.

— On peut savoir ici et maintenant dans quelle cellule se trouve Clay. On aurait pu le savoir avant même d'entrer, d'ailleurs. Je propose qu'on fasse comme si on avait atteint le directeur maintenant, et qu'on ne perde pas plus de temps à le rejoindre inutilement, j'explique.

Plus vite on sera sortis, mieux ce sera pour tout le monde.

— Si on peut l'faire maint'nant, pourquoi on l'a pas fait plus tôt ? demande Dwight, tolérant mais tout aussi lassé que le reste de l'équipe par cette progression monotone au possible.

— Scott n'est peut-être pas en mesure de vérifier où nous sommes, mais il faut quand même qu'il puisse croire que nous y sommes, je justifie l'attente.

— Je sais pas, annonce Oscar, hésitante.

Le plan lui rappelle trop qu'elle est en train de mentir à son petit frère, et pas assez que c'est pour le bénéfice de son aîné.

— Oscar. Plus vite on a la cellule, plus vite on trouve Clay. Si vraiment tu ne le sens pas, on peut tout à fait continuer jusqu'au bout de cet interminable couloir et maintenir notre charade au plus près. Je t'ai dit que tu étais aux commandes, et je compte tenir parole. Mais ce détour est une perte de temps, et je pense qu'à ce stade on peut s'en passer.

Je m'efforce de rester aussi clinique que possible.

— Scott a étudié ce plan en long, en large, et en travers. Il doit se douter qu'il faut plus de temps que ça pour accéder au bureau du directeur, elle m'oppose.

— Alors pourquoi il aurait d'mandé à LeX si son tranquillisant allait t'nir ? Dwight vient à ma rescousse.

— Je…

Elle ne sait pas quoi répondre à ça, car c'est un excellent contre-argument à la connaissance de Scott des durées de trajets à travers la prison.

— Oz ? je l'interpelle, cherchant à la sortir de son état d'hésitation, qui ne me plaît pas du tout sur elle.

— Je n'aime pas ça, elle lance, piquée au vif.

Au moins, j'ai obtenu qu'elle retrouve ses moyens.

— Les gars, on vous entend plus. Tout va bien ? interroge tout à coup Scott à nos oreillettes, seule leur fonction émetteur désactivée.

Oscar plante ses yeux dans les miens et je soutiens son regard. Ni Dwight ni moi ne répondons à Scott. C'est à elle de choisir ce qu'elle va lui dire. Je me sens pas mal coupable d'imposer des choix aussi difficiles à tous les membres de cette famille que je rencontre, mais c'est pour leur bien. Non pas que cette justification n'ait jamais été utilisée de manière abusive par qui que ce soit… Il est d'une part évident que la jolie brune m'en veut de la mettre dans cette position. Elle a accepté de mentir à ses frères, certes, mais ça ne lui plaisait pas depuis le départ, et je comprends qu'elle n'aime pas que je lui rappelle ce qu'elle est en train de faire. D'autant qu'elle a initialement refusé mon aide. Mais d'autre part, elle a accepté que nous lui prêtions main forte justement parce qu'elle savait qu'elle n'y arriverait jamais seule. Il faut juste qu'elle compose avec le principe de justifier la fin par les moyens. Lentement, elle amène sa main à son oreille, et réactive la communication. Elle attend quelques secondes encore avant de parler :

— Oui, tout va bien. On est à la porte et on voulait pas déconcentrer Josh pendant qu'il mettait le transmetteur en place, c'est tout. À toi de jouer, Hannibal, elle transmet, son regard toujours planté dans le mien.

— Bien reçu, répond l'ange, le bruit de ses doigts sur le clavier se faisant déjà entendre.

— J'espère vraiment qu'il est dans le bloc A ou B, parce que j'en ai marre de traverser ce toit de long en large, commente LeX, faisant, sciemment ou non, retomber la tension pour ceux qui en avaient besoin.

— Pourquoi ? relève Scott, s'imaginant sans doute le pire.

— Relax, c'est pas comme si j'avais une crampe. J'en ai juste marre.

Le benjamin McAddams soupire bruyamment, à la fois soulagé et exaspéré.

— Tiens bon, au pire c'' ton dernier trajet, offre Dwight, instinctivement solidaire, mais grimaçant immédiatement après avoir parlé, incapable de croire qu'il vient de donner un conseil à la Panthère.

— Et les émetteurs de notre aveugle préféré, je les récupère comment ? lui rétorque l'intéressée.

La charade de camaraderie lui est plus facile à accepter venant de certains que d'autres. Je ne sais pas si elle aurait réussi à se contenir si le conseil avait été juste un petit peu moins prévenant.

— Désolé de te décevoir, LeX, mais Clay est dans le bloc C, annonce finalement Hannibal.

— Il n'y a pas qu'elle qui doit tout retraverser, fait remarquer Oscar, comme son cadet agacée de la désinvolture de la petite blonde.

Sur cette remarque, tout le monde se tait, et tous ceux qui n'occupent pas le van reviennent sur leurs pas. Heureusement, l'aller nous a familiarisés avec les obstacles, et nous avançons à l'intérieur un tout petit peu plus vite qu'auparavant. LeX a déjà endormi les gardes, Hannibal s'est déjà connecté aux portes qu'il nous faut passer, et Oscar sait comment attaquer tel ou tel verrou. En dehors de nous aider à avancer plus vite, connaître le terrain aide aussi surtout beaucoup la cambrioleuse à se détendre. C'est absurde quand on y pense, parce que nous sommes loin d'être sortis de l'auberge, mais ce n'est pas moi qui vais le lui rappeler. De plus, je trouve particulièrement intéressant de voir Oz progresser dans son élément. Il n'était pas aussi évident, jusqu'à présent, qu'utiliser ses talents lui avait manqué. La dextérité avec laquelle elle manie ses outils est impressionnante. Elle ne regarde même pas sa main lorsqu'elle la plonge dans son sac. Même Dwight est fasciné. C'est presque mieux que de regarder un dérivé utiliser sa capacité, puisque son talent est acquis, et non d'existence.

En y réfléchissant, nous avons beau avancer à un rythme saccadé qui donne une impression de lenteur, il faut tout de même reconnaître qu'il est assez incroyable de se déplacer avec autant d'aisance à travers une prison haute sécurité. D'autant que, bien que nous fassions un effort pour être les plus furtifs possible, ce n'est pas comme si nous n'entendions jamais personne, non plus. Les gardes peuvent modifier leur parcours, mais les prisonniers, eux, n'ont pas cette liberté de mouvement. Derrière certaines portes, on entend des détenus discuter, à travers les parois ou entre compagnons de cellule, ronfler, et même, à une occasion, chanter, quoique les vocalises en question soient vite étouffées par une vague de protestation des voisins. Je crois même que le colocataire du chanteur lui jette quelque chose, à l'onomatopée qui lui échappe lorsqu'il met fin à son chant. On entend également d'autres activités, pas toujours non-identifiables, mais dont je tairais la nature exacte, par respect pour l'intimité des prisonniers, tout criminels qu'ils soient.

Nous finissons par arriver à un point par lequel nous n'étions pas encore passés, et à partir de là, notre avancée reprend le rythme qu'elle avait initialement, quoique s'être calmée un peu permette à Oscar d'être plus efficace qu'elle ne l'était au début de notre entreprise. Non pas qu'elle ait jamais tremblé, ce qui n'aurait pourtant pas été surprenant avec le niveau de stress dans lequel elle se trouvait, et dans une moindre mesure se trouve toujours. Dans des circonstances différentes, cette fille aurait pu être neurochirurgien tellement ses mains sont stables. De son côté, Dwight n'a toujours plus ou moins rien à faire, et continuer à se promener le nez en l'air, tranquille. Le contraste entre sa désinvolture distraite et la concentration tendue d'Oz est à vrai dire tel que je n'arrive même pas à savoir comment je me sens moi. Je m'apprête à faire une nouvelle feinte d'évitement du chemin d'un garde, lorsque Scott prend la parole :

— C'était quoi, votre plus long casse ? il demande, cherchant sans doute à tromper son impatience.

— Une nuit. Bien sonnée. Vous ? répond LeX.

Dwighty me regarde et nous haussons les épaules ensemble, laissant la Messagère mener la conversation. C'est la seule à même de partager des anecdotes criminelles de façon crédible, après tout.

— Galerie d'art. Presque pareil, intervient Oz, sans se déconcentrer de sa tâche.

— Rapidité n'est pas toujours synonyme de succès, note Hannibal à l'intention de son voisin.

— Cette fois-là on s'était entraînés pendant un mois pour rentrer dans les temps. C'était serré, précise Scott.

— Sur ce coup-ci, le temps ne nous est pas compté, insiste l'ange, se voulant rassurant.

— Faut jute qu'on ait fini avant la r'lève des gardes, observe Dwight, sans se rendre compte qu'il met à bas les efforts d'H.

Le silence suit la remarque du Jumper, qui pense alors qu'il a dit une bêtise, avant que je ne le rassure en secouant la tête. Un brin de réflexion suffit à balayer les craintes. Un tour de garde se doit d'avoir une durée régulière, sans quoi la gestion des horaires des gardiens serait un cauchemar logistique. À partir de là, il n'y a que deux durées possibles qui ne soient ni trop longues ni trop courtes : six et huit heures. Pour éviter que les relèves ne deviennent prévisibles, il est probable qu'il y ait une alternance entre ces deux rythmes, selon un calendrier quelconque. Comme nous sommes entrés un tout petit peu après quatre heures de l'après-midi, la prochaine relève doit donc se situer soit à six heures du soir, soit à minuit. Il est clair qu'il serait préférable qu'aujourd'hui soit un jour de tours de gardes de huit heures, mais même si c'est six, on a encore près d'une heure et demie devant nous, soit largement assez de temps pour aller chercher Clay et ressortir. J'espère que tout le monde en arrive à la même conclusion que moi, car je n'ai vraiment pas envie de donner cette explication à haute voix. Personne ne réclamant quoi que ce soit, je présume que c'est le cas, ou qu'en tous cas personne ne s'en inquiète.

Nous couvrons le reste de la distance qui nous sépare du bloc C sans autre échange de trivialités. LeX neutralise son onzième garde de la journée, pourvu qu'elle ne se soit pas occupée de celui supervisant l'entrée au bloc A en prévention de notre arrivée, et nous pénétrons enfin dans le bâtiment qui nous intéresse depuis le début. Je me fais la remarque qu'il est heureux que la Panthère ne signale pas chaque fois qu'elle use de ses talents, sinon Scott se serait rendu compte qu'elle ne s'était pas chargée du bon nombre de gardiens pour nous assurer notre parcours, même à un ou deux près. Ayant déjà pénétré dans un bâtiment d'incarcération à proprement parler, nous sommes tous les trois familiers de son agencement. Il est cependant plutôt inutile de savoir se repérer quand on ne sait pas où on veut aller.

— H. Tu peux nous donner une cellule précise, s'il te plaît ? je requiers de mon parrain.

— C-NE-127. Je répète : Charlie. November, Echo. One, Two, Seven.

Je hoche la tête, bien qu'il ne puisse pas me voir.

— Parle de coordonnées chelou, commente Dwight.

— Bloc C, aile Nord-Est, premier étage, cellule 27, décortique Oscar, d'une manière qui laisse deviner que c'est plus qu'un raisonnement logique.

— Je croyais que tu n'étais pas allée en prison ? je m'étonne.

— J'ai passé une journée dans le bâtiment d'en face, avant que l'assistant du procureur ne me propose mon marché, elle révèle, réajustant son sac à son épaule.

Ça explique qu'elle ait su que son frère serait ici, les centres sans doute non mixtes. Je hoche à nouveau la tête, ne trouvant rien à répondre.

— C'est amusant, parce qu'Oscar représente la lettre O, annonce H hors contexte.

Je mets quelques secondes avant de comprendre qu'il parle de l'alphabet qu'il vient d'utiliser une minute plus tôt pour donner les coordonnées de la cellule de Clay.

Malgré le fait que l'humour d'Hannibal n'en soit pas vraiment un, Oz retient un éclat de rire. Ses nerfs sont sans doute en train de lâcher. Posant une main sur son épaule pour l'aider à se reprendre, je l'entraîne doucement vers les escaliers. Dwight nous emboîte le pas, front plissé, cherchant sans doute encore ce que l'ange a voulu dire. Le bloc C, à l'instar de ses trois homologues, est en forme de X. Quatre ailes, orientées selon les directions cardinales intermédiaires après lesquelles elles sont nommées, forment les branches de ce X, tandis qu'une salle circulaire matérialise l'intersection de ces branches. C'est dans cette salle ronde que nous nous trouvons. L'escalier est en son centre, et sur son pourtour il y a six portes : une entrée par laquelle nous sommes venus, une sortie menant au couloir qui amène lui-même au bloc D, et les quatre portes donnant sur chacune des ailes, qui ne communiquent donc pas entre elles. Nous grimpons les escaliers jusqu'à l'étage supérieur, strictement identique à l'inférieur que nous venons de quitter. Un rapide tour sur nous-même nous permet de détecter la porte qui nous intéresse, marquée des lettres N et E, pour qui aurait comme nous oublié sa boussole. Techniquement, je pourrais me fier au champ magnétique terrestre, mais ce serait de la frime.

Hannibal nous donne accès à l'aile Nord-Est sans même que nous ayons besoin de lui signaler que nous sommes devant. Il nous prévient à ce même moment qu'une fois que nous aurons passé l'avant-dernière porte qui nous sépare de notre objectif, nous perdrons le contact radio, les quartiers des prisonniers isolés de ce point de vue. LeX et Scott nous souhaitent alors bonne chance, et nous franchissons le seuil fatidique, qui nous amène sans surprise à un grand corridor. Malgré les portes numérotées en attestant, il est difficile d'imaginer qu'on puisse loger 35 personnes dans un espace aussi réduit. Pour la énième fois aujourd'hui, je dois me forcer à ne pas oublier qu'une prison est prévue pour justement ne pas être un endroit agréable à vivre. Tout ici n'est qu'espaces clos et restreints. En dehors de leurs rares horaires de sortie vitale, les hommes incarcérés ici ne doivent rien voir d'autre que les quatre murs de leur cellule, éclairés par le peu de lumière du jour que les microscopiques meurtrières à peine visibles du dehors peuvent laisser entrer. J'ai beau avoir eu connaissances de crimes assez infâmes, je n'arrive pas à imaginer qu'on ait pu faire quoi que ce soit pour mériter un tel traitement. Quoique je ne sois pas certains qu'une cellule à barreaux soit beaucoup plus clémente sur le moral que ces portes borgnes.

Oscar s'élance d'un pas vif, se faisant visiblement violence pour ne pas courir tout à fait. Bien que les numéros de cellules se suivent, sa tête oscille de droite à gauche avec rapidité alors qu'elle les inspecte un par un, pour être certaine de ne pas rater celui qu'elle cherche. Un pouf ! étouffé se fait entendre dans mon dos, et Dwight apparaît, pratiquement au bout du couloir, sans nul doute devant notre destination. Oz interrompt alors son examen frénétique et ralentit la cadence. C'est comme si, maintenant qu'elle savait où elle allait exactement, l'urgence était passée. Maintenant qu'elle est devant le fait accompli, elle doit considérer la concrétisation de ses retrouvailles avec son aîné, et autant elle avait de quoi être pressée que les divers obstacles que nous avons eu à surmonter jusqu'ici soient passés, autant sa confrontation avec son grand frère n'est pas quelque chose qu'elle doit entièrement vouloir précipiter. Lorsqu'elle et moi rejoignons enfin Dwight devant la porte marquée du nombre 27, elle prend encore une petite minute pour se composer, avant de mettre genou et sac à terre et de se mettre au travail.

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