Onzième Jour - La belle (10/12)

Un déclic, satisfaisant même pour un néophyte comme moi, nous signale qu'Oscar a fini son ouvrage. Tout en essuyant son front sur sa manche, de son autre main elle rassemble les outils qu'elle a éparpillés autour d'elle au cours de ce qui n'a été ni plus ni moins qu'un tour de force. Je pense que le fait qu'elle ait passé plus de temps sur ce verrou que sur n'importe quel autre n'est pas étranger au fait que la porte en question est coulissante et non battante. Je suis très loin d'être un expert sur le sujet du crochetage de serrures, mais je connais les lois de la physique, et de ce que je l'ai vue faire à l'instant par rapport à toutes les fois précédentes, je déduis que les mécanismes qu'elle a dû forcer n'étaient pas exactement conventionnels. Après avoir fourré tout son matériel dans son sac et tiré la fermeture de ce dernier, elle passe une main dans ses cheveux, les ramenant en arrière, puis se redresse en prenant appui sur ses genoux avec ses mains. Le temps à l'appréhension passé depuis le moment où elle s'est agenouillée, elle pousse la porte sur la droite sans plus de cérémonie.

Il aurait été absurde que l'occupant de la cellule n'ait pas entendu que quelqu'un était en train d'essayer d'y pénétrer. À la façon dont il se lève d'un bond à notre irruption dans la pièce, depuis sa position sagement assise sur son lit, le plus loin possible de l'entrée, il nous attendait même de pied ferme, en fait. Et pourtant, même avec toutes ces longues minutes de préparation mentale, il ne s'était visiblement pas imaginé voir apparaître sa petite sœur. Même moi, un parfait étranger, je ne retiens pas son attention pour un vingt-quatrième de seconde. Ses yeux glissent sur moi comme si j'avais toujours été derrière sa porte, et se plantent sur la jeune fille brune qui occupe son seuil. Si ça ne faisait pas dix jours que je vivais avec Hannibal, je n'aurais pas cru qu'on puisse s'immobiliser de façon aussi fulgurante et surtout aussi absolue.

— Oz ?! il prononce finalement, un mélange complexe d'émotions dans la voix.

Rencontrer quelqu'un en personne après l'avoir uniquement vu en photo est toujours étrange. Non pas que ça m'arrive spécialement souvent, mais c'est le type d'expérience pas si fréquente pour une personne et pourtant traversée par la majorité de la population au moins une fois. Mais peut-être sont-ce cette chemise et ce pantalon orange, ou encore ce petit hématome à peine jauni qui entoure la fente qui barre sa lèvre inférieure, qui rendent Clay beaucoup plus effrayant en chair et en os que sur le papier. La façon dont il fronce les sourcils, bien que je déduise que ce soit par incompréhension de ce qui est en train de se passer, pourrait tout aussi bien signifier une colère froide. D'ailleurs, si je n'étais pas paralysé par une expression aussi intense, j'aurais sans doute retenu Oscar lorsqu'elle s'élance vers lui. Mais c'est mon tour d'être surpris, car bien que son visage ne change en rien, la façon dont Clay ouvre les bras pour accueillir sa sœur efface instantanément toute réticence que j'aurais pu avoir vis à vis de lui.

Physiquement, la différence d'âge entre eux deux n'est pas flagrante. Du point de vue du comportement, en revanche, il est très clairement son père. Rien d'autre ne devrait pouvoir justifier la façon dont ses bras se referment sur elle, la serrant contre lui alors même qu'il n'arrive pas à faire sens de sa présence, ou bien au contraire qu'il n'a que trop conscience des conséquences que cela pourrait avoir. Tristesse et inquiétude s'enchaînent rapidement sur son visage, avant que ses traits ne se détendent et qu'il ne ferme les yeux, se laissant enfin aller à apprécier d'avoir retrouvé sa cadette. Dwight et moi, toujours dans le couloir, regardons en l'air ou par terre, leur laissant leur intimité. Je ne sais pas comment Oz n'est pas exténuée de passer de l'angoisse au soulagement à peu près toutes les heures, alors que simplement ressentir tout ça à travers elle me donne des vertiges. Une seule chose est sûre, je ne pourrais pas vivre de telles montagnes russes émotionnelles tous les jours, même par procuration. Bientôt, Clay met fin à l'étreinte et attrape sa sœur par les épaules :

— Ce n'est pas un garde. Et ce n'est de toute façon pas comme ça que se déroulent les visites. Je peux savoir ce que tu fais ici ?

Je précise qu'il n'a pas encore vu Dwighty, hors de son champ de vision, d'où sa mention d'un seul non-garde, à savoir moi, qu'il désigne d'ailleurs furtivement du menton.

— Tu es au courant que tu es en prison, là ? lui demande Oscar avec incrédulité, estimant que la situation devrait s'expliquer d'elle-même.

— Tu connais la règle, il lui répond.

Il a beau être très calme, il n'y a malgré tout pas besoin d'un sixième sens pour comprendre qu'il est plus inquiet pour elle que pour lui-même.

— J'emmerde la règle. À cause de cette stupide règle, j'ai dû apprendre que tu étais derrière les barreaux dans le journal. Le journal, Clay ! elle explose, faisant passant ses mains de sur les bras de son frères à en-dessous de ceux-ci, de manière à le repousser.

Peut-être que hausser le ton est toujours une manifestation d'affection, chez les McAddams.

— On s'est mis d'accord pour une bonne raison, il lui rappelle, rationnel.

Si quelqu'un a la moindre chance de convaincre Oscar de quoi que ce soit, ce sera lui.

— On s'est mis d'accord sur la conduite à suivre quand on est pris. Pris pour un crime qu'on a commis. Je vais pas rester les bras croisés alors que tu récoltes perpète pour quelque chose que t'as pas fait.

Ironiquement, elle croise justement les bras pour souligner sa détermination. Quoi qu'il en soit, je trouve que l'adage selon lequel il n'y a pas d'honneur entre voleurs est efficacement réfuté, même si je suppose qu'en l'occurrence les liens familiaux priment sur le partenariat professionnel.

— Mon jugement n'a même pas encore eu lieu ! modère Clay, écartant les mains.

Il n'a pas tort, mais autant elle est très négative, autant je le trouve excessivement posé.

— Depuis quand on fait confiance au système ? l'interroge alors Oz, l'irritation prenant de plus en plus le pas sur le bonheur des retrouvailles.

— Je n'ai rien à craindre, Sis. Comme tu viens de le dire toi-même : je ne suis pas coupable.

Hors contexte, j'aurais été tout à fait d'accord, mais là…

— Parce que se faire arbitrairement enfermer est toujours bon signe, elle raille, secouant la tête et levant les yeux au ciel.

— J'ai un casier. Ce n'était pas complètement arbitraire, Oz.

Oui, bon, là, il tend le bâton pour se faire battre, et je commence à me dire qu'il doit y avoir une raison à cela, même si je ne peux pas imaginer laquelle. Le fait qu'il parvienne à rester tout à fait insensible aux foudres d'Oscar, dont les yeux lancent des éclairs, ne fait qu'entériner ma suspicion, grand frère ou pas.

— J'arrive pas à croire que tu te ranges de leur côté ! Est-ce que tu te rends seulement compte d'à quel point tu es dedans jusqu'au cou ? Est-ce que tu sais au moins qui est la fille qu'ils t'accusent d'avoir tuée ?

Puisque c'est un peu cette partie du problème qui m'a convaincu que l'extraction était la marche à suivre, il est possible que ça ait le même effet sur lui. Il semble après tout à peu près aussi indifférent à son propre sort qu'un parti extérieur comme je l'étais alors peut l'être. Voire plus, même.

— Oui.

La réponse est discrète mais ferme. Je fronce les sourcils, quelque chose dans la façon dont ça a été dit me faisant tiquer.

— C'est la fille d'un sénateur ! Ils vont te crucifier sur place !

Oscar enchaîne si vite que je doute qu'elle ait réellement entendu ce que venait de dire son frère. Ou en tous cas, pas le lourd sens que je pressens caché derrière ce simple mot.

— Oz, je la connaissais, Clay détaille sa précédente déclaration, confirmant mon mauvais pressentiment et éclaircissant grandement la situation.

Et la changeant du tout au tout, par la même occasion.

— … Quoi ? relève Oscar après une courte pause, soudain perdue.

— Elody. Cette "fille", comme tu dis. Je la connaissais. J'étais sur les lieux du crime. C'est pour ça que j'ai été suspecté en premier lieu.

Cette révélation a au moins l'avantage de me redonner un peu confiance en le système judiciaire, bien que je continue à croire Oscar quant à l'innocence de son grand frère. Au moins, il n'a pas été arrêté totalement par hasard, même s'il y a quand même eu abus de pouvoir.

— Tu es… témoin ?

Oscar essaye de raccorder ce dont elle est certaine de ce qu'il est en train de lui dire, et à la tête qu'elle fait, elle a visiblement beaucoup de mal.

— Non. Elle m'a appelé, ce jour-là, le jour où elle a été tuée. Elle voulait me voir, et m'a dit de passer à son appart'. Je l'ai trouvée sur le palier.

Il laisse son explication en suspens, car sa sœur peut aisément deviner la suite : sa phobie l'a laissé planté là jusqu'à ce que la Police arrive. Le journal a bien qualifié le meurtre d'horrible.

— Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? finit par éclater Oz, agacée de chercher à comprendre toute seule.

Dans la catégorie révélation choc, Clay obtient effectivement une excellente note.

— C'est tout toi, ça, foncer tête baissée sans même avoir tous les faits ! il lui fait remarquer en secouant la tête, un sourire triste aux lèvres, amusé par son incorrigible petite sœur, mais toujours aussi désespéré par les ennuis que ça lui cause.

— C'est vraiment pas le moment de me faire la morale. Tu as intérêt à t'expliquer vite fait ! C'est quoi l'embrouille ? Tu te la tapais ?

La virulence de l'attaque dénote d'à quel point Oscar est perturbée.

— Oz ! Non. On s'est bousculés dans la rue, et on a sympathisé. On prenait le café ensemble de temps en temps et on discutait, c'est tout. Je l'ai rencontrée quelques semaines après que tu as été prise, et elle me faisait un peu penser à toi, par moment. C'était juste une amie.

Que cette réponse soit plus détaillée que nécessaire pourrait signifier que Clay cache quelque chose, mais j'ai du mal à imaginer qu'il mentirait. J'en déduis donc que ce n'est pas la première fois le sujet est au cœur d'une dispute. La fraternité n'est peut-être pas une relation qui me manque tant que ça, finalement.

— Tu ne bois pas de café, relève Oscar, puérile.

— Ne joue pas sur les mots avec moi.

La discussion s'enfonçant dans la stérilité, je décide d'avancer d'un pas, pour entrer dans la cellule et dans la conversation.

— Er… Si je peux me permettre, j'apprécie le respect que tu as pour ton amie, je l'admire même. Et je comprends que tu veuilles honorer sa mémoire. Mais ce n'est pas toi qui lui as fait du mal. Te faire injustement enfermer ne lui apportera rien.

J'espère faire subtilement comprendre que maintenant n'est pas exactement le bon moment pour se disputer. Il y aura tout le temps pour ça lorsque nous serons sortis d'ici.

— Et tu es ? me demande Clay, détachant enfin ses yeux de sa sœur pour me détailler de haut en bas et de bas en haut.

— Un ami de ta famille, je résume, non sans prendre quelques libertés, je suppose.

— Tu as entraîné Scott là-dedans, déduit Clay en se retournant vers Oscar, me reléguant à nouveau à l'état d'élément de décoration murale.

Sérieusement ? C'est tout ce qu'il retient de mon intervention ?

— Tu aurais préféré qu'il vienne tout seul ? lui rétorque sa sœur, relançant leur altercation et achevant de mettre à bas tous mes efforts.

— Tu as violé ta liberté conditionnelle pour venir aider ton petit frère à commettre le crime le plus grave que vous ayez jamais perpétré. Est-ce que tu y as seulement réfléchi plus d'une seconde ? il tempête, portant ses mains à ses tempes pour souligner à quel point la démarche lui paraît absurde.

— Pour ton information, j'ai officiellement violé ma conditionnelle il y a trois jours, à cause de quelque chose qui s'est passé il y en a cinq, totalement sans relation avec Scott ou toi. J'ai appris que tu étais en taule que ce matin. Dans le journal, si tu te souviens bien.

À la place d'Oscar, j'aurais rappelé à mon interlocuteur que toute cette folle entreprise a pour seul et unique but de le tirer d'un mauvais pas. Mais j'ai comme l'impression qu'une querelle de frère et sœur n'est pas censée répondre à la logique.

Laissant les deux aînés McAddams ressasser plus ou moins les mêmes arguments encore et encore – sauf le mien, évidemment – je recule jusque dans le couloir, de manière à croiser le regard de Dwight. Ce dernier est plaqué au mur, et me regarde avec de grands yeux écarquillés, clairement effrayé par le comportement d'Oscar et Clay. Je grimace et hausse une épaule, devant bien admettre que je ne suis pas ce qu'il y a de plus rassuré non plus. J'aurais pensé que le plus dur était passé. D'un mouvement de la tête et en bougeant les lèvres, je demande au Jumper de retourner dans la salle ronde, pour avertir les autres de la situation. Je dois réitérer plusieurs fois ma requête avant qu'il ne la comprenne, mais il finit par acquiescer du chef et disparaître. J'aurais pu y aller moi-même, mais je fais plus confiance à Dwighty qu'à moi-même pour expliquer ce qui se passe sans faire totalement paniquer Scott. Aussi, pour une raison que j'ignore, je n'ai pas envie de laisser Oz.

À vrai dire, cette sensation de malaise ne fait que s'intensifier au cours du temps, à tel point que je doive plaquer ma main contre le mur pour ne pas m'effondrer. Par chance, le frère et la sœur sont trop occupés pour remarquer que je suis pratiquement en train de suffoquer sans raison apparente. Frénétiquement, je cherche la source du danger, finissant par reconnaître le genre de pressentiment que j'ai eu quand Vik a rencontré Telrah, voire pire, celui que j'ai eu me dictant que je devais sauver la vie d'Oscar à tout prix. J'ai cependant beau parcourir tout ce qui m'est accessible, aucun signal ne me répond. Même le seul signal dérivé présent dans la prison – heureusement pour nous un prisonnier et non un garde – est paisible. Ne pouvant déterminer la provenance du danger malgré tous mes efforts, je décide d'en chercher la cible, et évidemment, comme j'aurais dû m'en douter pour que ce soit aussi fort, ça ne pouvait être dirigé que vers Oz. Je lève les yeux, la regarde continuer à parlementer à grand renfort de gestes avec son aîné, puis décide d'agir, me disant que ce serait franchement une trop grosse coïncidence que mon pressentiment n'ait pas à voir avec ma mission en cours, aussi peu magnétique soit-elle, techniquement.

— D'accord, ça suffit, vous deux, j'en ai assez entendu. Vous résoudrez vos problèmes quand on ne sera plus clandestinement infiltrés dans une prison. Il est tant qu'on sorte d'ici, j'annonce, interrompant la joute verbale.

— Ce n'est pas ta décision à prendre, me réplique Clay, nullement impressionné.

— Vraiment ? Tu comptes te tenir là et me dire que tu vas laisser ton frère et ta sœur avoir pris le risque d'un aller-retour dans un pénitencier haute-sécurité pour rien ?

Je n'apprécie pas spécifiquement de frapper là où ça fait mal, mais la priorité absolue qu'il a pour son frère et sa sœur a été particulièrement facile à lire, et je suis pressé.

— …

Si je n'étais pas galvanisé par la certitude que mener à bien ce pour quoi je suis venu ici est une absolue nécessité, le regard que m'accorde Clay m'aurait sans aucun doute glacé le sang. Je prends mentalement note de m'excuser plus tard d'avoir osé lui dire ça, et de ne plus jamais faire quoi que ce soit qui puisse l'énerver.

— Quoi ? Viens par-là, toi… Qu'est-ce qui te prend ? Qu'est-ce qui est arrivé à "c'est toi qui prends les décisions" ?

Oscar m'attrape par le bras et m'entraîne dans le couloir, laissant Clay serrer les dents et les poings en silence. Je suis d'ailleurs content qu'elle fasse demi-tour et me place dos à lui, car je ne crois pas que j'aurais pu soutenir une telle intensité de colère à mon égard plus longtemps.

— S'il reste ici, je pense qu'il va mourir.

Les mots sortent d'eux-mêmes. Mon inconscient Magnétique fait parfois des liens qu'il ne juge pas forcément bon de partager avec la partie consciente de mon cerveau.

— Comment est-ce que tu pourrais savoir ça ? me demande Oscar.

Si elle pose la question, c'est qu'elle me croit. La confiance qu'elle m'accorde me fait encore plus regretter de ne pas avoir une meilleure nouvelle à lui annoncer.

— J'ai ces… pressentiments. À propos de dangers imminents. Pas tout le temps, mais parfois je peux comme… analyser inconsciemment une série d'évènements qui va se conclure par un dérivé blessé. C'est plutôt court terme, mais ça a déjà fait ses preuves, j'explique sommairement, peu désireux d'entrer dans les détails, en partie parce que je n'en serais pas tout à fait capable.

— Clay n'est pas un dérivé.

Argument tout à fait raisonnable, légitime, et logique.

— Tout ce dont je suis sûr, c'est que si cette mission ne se termine pas bientôt, il va t'arriver quelque chose de très douloureux.

Et je n'ai pas besoin de préciser que perdre son frère, peu importe lequel d'ailleurs, serait la pire blessure envisageable pour elle.

Ma révélation laisse Oscar figée pendant près d'une minute. Les montagnes russes émotionnelles commencent à l'impacter elle aussi. Je ne saurais dire ce qui lui passe par la tête. C'est la scène des égouts qui se répète. Non pas que ce qui s'est produit après cette immobilité-là m'ait déplu, bien au contraire, mais j'aimerais néanmoins qu'elle évite d'avoir l'exacte même réaction cette fois-ci, notamment devant son frère aîné qui j'en suis sûr n'a pas encore eu le temps d'oublier ce que j'ai osé lui dire. J'entends justement ce dernier se rapprocher. J'ai un mouvement de recul, par instinct de conservation, mais heureusement, Oz passe encore devant sa propre personne, et son inquiétude pour son absence de mouvement a pris le pas sur le courroux causé par ma question rhétorique. En espérant que ça dure. Sa sœur reprend ses esprits au moment-même où il ouvre la bouche pour dire quelque chose :

— On est hors d'ici. Maintenant, elle lui annonce, plantant ses yeux dans les siens.

— Qu'est-ce qui vient de se passer, au juste ? il demande tout de même, pas si facilement rassuré.

— Josh a raison. Je peux pas te forcer à faire quoi que ce soit, mais si t'es pas content que Scott et moi on ait pris un tel risque, t'as qu'à le rentabiliser.

Bizarrement, quand c'est elle qui utilise cette carte, il ne réagit pas tout à fait comme quand c'est moi.

— Je…, il commence, le reste des mots pour exprimer ce qu'il ressent ne venant pas.

— Je répète : on est hors d'ici. Maintenant.

Les deux McAddams se fixent encore pendant un instant avant de tous les deux hocher la tête, comme s'ils en étaient venus à un accord silencieux.

— Bonne idée. J'aime beaucoup, vraiment. Mais… comment ? Comment est-ce que vous êtes seulement arrivés jusqu'ici ?

Clay a compris que l'heure n'était plus à la négociation et passe en mode participation, ce qui, pour lui, revient visiblement à tout remettre en question. On s'en contentera.

— Tu n'as qu'à accepter de n'être qu'exécutant, pour une fois. Tiens, change-toi.

Du pied, elle désigne son sac, qui était resté sur le palier et se trouve donc entre eux.

— Tu m'as amené des affaires ? il s'étonne, sans doute peu habitué à ce que ce soit elle qui s'occupe de lui.

— Tu es habillé en orange.

Oscar utilise exactement le même ton que LeX lorsqu'elle m'a fait remarquer que je portais une chemise blanche, ce matin.

Avec un soupir, Clay commence à faire passer son haut par-dessus sa tête. Oz et moi faisons volte-face, mais j'ai pour ma part le temps de voir que l'hématome qui accompagne sa lèvre fendue n'est pas apparu sans ramener ses copains. Je pourrais presque trouver gentil de la part de ses codétenus d'avoir épargné son visage, si seulement je ne devinais pas que ça ne tenait pas du tout d'un bon sentiment. Si sa plaie à la lèvre est survenue dès le premier assaut, il aura été à terre immédiatement, et dans l'incapacité psychologique de se relever. Les côtes sont une cible facile sur un homme à quatre pattes. À la façon dont elle contracte la mâchoire, Oscar a remarqué la même chose que moi. Ce ne doit en revanche pas être la première fois qu'elle voit son frère être victime de lui-même. Et dire qu'il n'a été enfermé ici qu'une semaine à peine.

Deux bruits de fermeture éclair plus tard, Clay vient s'immiscer entre nous, posant une main sur l'épaule de sa sœur, pour nous signaler qu'il est présentable. Un regard en arrière m'apprend qu'il a laissé sa tenue de bagnard en évidence sur son lit, soigneusement pliée. C'est un peu arrogant, mais de la part d'un homme innocent, ça me plaît. Il rend son sac à Oz, qui le passe à son épaule, referme la porte de la cellule, puis ouvre la voie jusqu'à l'entrée du couloir. Dans la salle de l'escalier, Dwight est en plein débat avec le reste de notre équipe. Dès que nous le rejoignons, Oz et moi avons le même geste de retirer notre oreillette, non sans émettre une petite exclamation d'inconfort, le soudain retour des voix de LeX, Hannibal, et Scott peu clément vis à vis de nos tympans, surtout dans un tel mélange incompréhensible. Dwight se charge d'annoncer que Clay a finalement accepté de sortir de sa cellule, mais ni Oscar ni moi ne remettons notre oreillette, pas pressés de répondre aux interrogations des autres.

— Vous êtes plus que deux à l'intérieur. Fabuleux, note Clay, tout en détaillant Dwight comme il m'a détaillé plus tôt.

Il met décidément beaucoup de mauvaise volonté à être secouru.

— Tu me feras part de ton brillant plan permettant de te sortir d'ici avec seulement trois personnes plus tard. Avance, lui ordonne Oscar.

La menace de la mort d'un être cher peut apparemment être juste le coup de pouce qu'il fallait pour requinquer la détermination de quelqu'un à faire quelque chose. Il faut décidément que je sorte de cette prison, ça me donne trop d'idées que seul un dangereux criminel devrait avoir.

— Dis-moi que vous n'êtes pas plus que quatre, insiste Clay auprès de sa sœur, son ton indiquant qu'il s'attend à être déçu.

— On est six. Il y a quelqu'un sur le toit, et un hacker dans le van avec Scotty, expose Oz tout en désignant les escaliers du geste.

— Nom d'un chien, s'exclame son frère, tout en prenant le chemin indiqué.

Chacun de nous reprend son rôle. Oscar et Dwight font des portes mécaniques leur affaire, tandis que je m'occupe de la vidéo et supposément des portails magnétiques. C'est Dwighty qui se charge de prévenir Hannibal lorsque nous avons besoin de lui, officiellement ou non. À en juger par le côté de la conversation que je peux entendre, l'ange n'apprécie d'ailleurs pas du tout que j'aie retiré mon oreillette, ce qui ne m'incite pas à la remettre. Je le laisserai me lister ses griefs plus tard. Les rares fois où les services de Dwight sont réellement nécessaires, nous nous arrangeons pour que Clay regarde ailleurs. Comme l'inaction le met en fait très mal à l'aise et qu'il est avide de participer, une fois je lui passe la surveillance vidéo pendant que je refais mon lacet, et une autre Oz fait mine de ne pas pouvoir lâcher ses instruments pour lui demander d'en chercher un autre dans son sac à sa place. J'espère que nous n'aurons pas besoin de trouver une troisième excuse, car je ne peux penser à rien d'autre que l'interroger sur sa coupure à la lèvre, et je n'ose pas imaginer comment ça se terminerait. J'aurais certainement brisé ma promesse à moi-même de ne plus jamais rien faire pour le mettre en colère.

Rapidement, nous arrivons à un point par lequel nous ne sommes jamais passé. Ce parcours implique que LeX doit plonger de nouveaux gardes dans l'inconscience, mais d'une part ça ne l'embête pas le moins du monde, et de l'autre c'est le chemin le plus rapide jusqu'à la sortie, même s'il implique d'être confrontés à des portes que nous n'avons encore jamais rencontrées. Le calcul est vite fait. Clay est particulièrement intrigué lorsque la première porte contrôlée par un garde s'ouvre, et va même jusqu'à être impressionné lorsqu'il découvre le garde en question allongé sur le sol de son aquarium. Lorsque la deuxième porte de ce type s'ouvre, cependant, il vient soudain poser sa main sur mon épaule, me forçant à m'arrêter. Oscar et Dwight s'arrêtent sur le seuil et nous regardent, ne comprenant pas ce qui nous retient.

— Il faut qu'on passe par les archives, Clay déclare alors, on ne peut plus sérieux.

— Quoi ?! s'offusque Oscar, à juste titre si je peux me permettre.

— C'est pas pour être exigeant, mais il faut que je passe aux archives, il répète sa contrainte, d'un ton tout à fait égal.

— C'est pas pour être contrariante, mais on a pas vraiment le temps, lui rétorque sa petite sœur, lui faisant les gros yeux.

— Je sais où elles sont. Ça ne prendra pas plus de quelques minutes, il défend sa requête, comme si ce n'était rien du tout.

— On a peut-être l'air pépères comme ça, mais on n'est pas en train de se balader dans un parc, Oz essaye de lui rappeler la gravité de la situation.

— Je ne vous ai pas demandé de me sortir d'ici. Si je dois partir, il y a des choses que je ne veux pas laisser derrière moi.

Il semble plutôt déterminé à obtenir ce détour.

— Merci pour la gratitude, l'admoneste sa sœur, ce à quoi il a au moins la bonne grâce de baisser les yeux.

— Qu'est-ce qu'il te faut qui se trouve aux archives ? je demande alors, comprenant que même au risque de se mettre sa sœur à dos il ne lâchera pas l'affaire.

— Ne l'encourage pas ! elle me lance, revenant sur ses pas jusqu'à nous.

— Comme je le vois, s'il est au moins à moitié aussi têtu que toi, le seul moyen qu'on a de sortir d'ici avec lui, c'est en passant d'abord par les archives.

Elle ne trouve rien à répondre, certainement parce qu'elle le connaît mieux que moi et donc sait à quel point j'ai raison.

— J'ai des effets personnels que je ne veux pas laisser ici, explique Clay, n'osant toujours pas croiser le regard de sa sœur.

— Sérieusement ? Tu vas prendre le risque de nous faire choper pour ÇA ?

Au ton d'Oscar, je devine que le pronom ne désigne pas simplement les effets personnels de son frère en général, mais quelque chose qu'elle sait s'y trouver.

— Comme si tu ne prendrais pas le même risque pour le même genre de chose, il lui réplique, ramenant enfin ses yeux aux siens.

Cette fois, c'est elle qui détourne la tête.

— Les aut'es disent qu'on a l'temps. Mais Scott dit qu'c'est quand même une conn'rie, intervient tout à coup Dwight, relayant l'opinion du reste de notre troupe, à qui il a transmis la conversation au fur et à mesure de son déroulement.

Oscar hausse les sourcils à l'intention de son aîné, soulignant le soutien qu'elle a de leur cadet à tous les deux. Clay secoue la tête et ouvre la marche vers notre nouvelle destination intermédiaire. J'ai pour ma part toujours cet impérieux besoin que nous sortions tous de cette satanée prison au plus vite, et revenir sur nos pas ne va pas pour le calmer. Nous passons une première porte sur notre droite, incroyablement facile à forcer car uniquement verrouillée par un cadenas. Nous descendons ensuite un escalier, direction le sous-sol, dont l'intégralité semble en fait réservée aux archives. Je n'ai pas le temps de me demander si Clay sait réellement où il va qu'il nous entraîne déjà à travers le dédale d'étagères sur rails. Tout est étiqueté et trié, et il n'est par conséquent pas difficile pour lui de trouver son numéro de détenu. Pour quelqu'un qui s'est fait tabasser, je trouve même qu'il court plutôt vite. Il fait tourner la roue permettant d'écarter l'étagère de ses voisines, et s'introduit seul dans l'interstice, Oz, Dwight, et moi jugeant qu'il n'a pas besoin de notre aide. Nous l'entendons desceller un carton et y farfouiller en vitesse avant de ressortir, un portefeuille dans une main et l'autre refermée sur un objet qu'on ne peut donc pas identifier.

— J'ai tout ce qu'il me faut, il déclare simplement.

Sa sœur secoue la tête avant de poser sèchement sa main sur sa joue, mimant une gifle sans en prendre l'élan.

Sans rien ajouter à son geste symbolique, Oscar ouvre ensuite la marche jusqu'à l'escalier. Il est enfin temps pour nous tous de quitter ce maudit complexe. Deux derniers gardes drogués et je-ne-sais-pas-exactement combien de portes plus tard, nous retrouvons l'air libre. La nuit est tombée, mais ça ne peut que nous rendre service, car non seulement nous serons dissimulés, mais surtout Clay ne peut pas voir LeX sauter du toit de la prison et se réceptionner en souplesse, d'abord sur ses pieds puis y ajoutant ses mains. Il est déjà suffisamment surpris de découvrir que notre homme sur le toit est en fait une petite blonde poids plume, bien qu'il n'émette aucun commentaire sur le sujet. Notre moyen de transport vient jusqu'à nous, et démarre dès que nous refermons ses portières derrière lui. À partir de cet instant, je sais que nous ne rencontrerons plus de problème, car le nœud que j'avais au ventre commence à s'évaporer.

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