Onzième Jour - La belle (12/12)
À peine nous sommes-nous matérialisés dans le hall de la maison qu'Hannibal retire ses lunettes de soleil, avec un soupir d'aise. LeX lui tend alors sa sacoche en faisant jouer ses épaules, contente d'en être débarrassée. De son côté, Oscar laisse simplement glisser son sac à terre, encore secouée par la séparation qu'elle vient de vivre. Je suppose qu'elle n'aurait pas été contre un nouveau trajet en train pour avoir le temps de digérer. L'ange et la Panthère totalement indifférents aux sentiments des autres, seul Dwight montre un peu de compassion. Non seulement il aime bien Oz, mais il a également plus en commun avec elle et ses frères qu'il ne l'aurait cru au matin. Se penchant pour capter son regard, lui à ma droite et elle à ma gauche, il lui sourit jusqu'à ce qu'elle s'en rende compte. Elle lance un bref coup d'œil dans sa direction, avant de retourner bien vite à son inspection des lattes du parquet.
— I's vont s'en sortir, décrète le Jumper avec ferveur, déterminé à lui remonter le moral.
— Ils sont malins, ajoute LeX, avec un haussement d'épaules représentatif de son absence d'inquiétude.
— Et ils sont protégés, n'est-ce pas ? renchérit H avec un petit sourire.
— De quoi tu parles ? relève Oscar, à fleur de peau.
— Quelle carte de visite crois-tu que LeX a laissée, sur le toit de la prison ? guide l'ange.
Son regard hétérochrome m'avait un peu manqué, même si, comme beaucoup de choses, je n'aurais jamais cru penser ça un jour.
— Tu as menti à propos de la mafia ? je m'étonne, me disant que c'était une des seules choses sur lesquelles il était plausible que LeX ait dit la vérité.
— Pas exactement. Mes relations ne sont pas ce qu'il y a de plus respectueux de la loi, elles ne sont juste pas spécifiquement organisées, répond la Messagère, jouant sur les mots.
— Tu as laissé ta propre signature, si je comprends bien, je raisonne tout haut, la fatigue des dérivés autour de moi m'affectant plus que je ne le voudrais.
— C'est pas un peu dangereux ? interroge Oscar, prête à paniquée au quart de tour.
— Pour qui ? interroge LeX en fronçant les sourcils, ne voyant pas le problème.
— Pour Scott et Clay, insiste Oz, pressante.
— Quand je mets ma signature quelque part, ça signifie chasse gardée. C'est une pro-tec-tion, l'assure la Panthère, allant jusqu'à accompagner le dernier mot du geste pour le souligner, détestant être blâmée à tort.
— J'arrive toujours pas à comprendre pourquoi tu t'es autant impliquée, déclare alors Oscar, se radoucissant peu à peu.
— Pour protéger Josh, quoi d'autre ? explique la Messagère, comme si c'était une évidence.
— Moi ? je m'étonne, n'arrivant pas à trouver de lien logique entre ma protection et celle des frères McAddams.
— Vu ce que tu es enclin à faire pour mademoiselle, je préfère éviter les ennuis à tous ceux qui lui sont chers, pour ne pas que tu sois à nouveau tenté de faire quelque chose de stupide, elle élabore, pointant qui de droit du doigt au cours de sa phrase.
— Tu penses à tout, je remarque, à moitié sarcastique seulement.
— Mouais. Je me dis souvent ça, et puis quelques millénaires plus tard, ça revient me mordiller les jarrets, commente la Messagère avec une brève grimace.
— Et la fille ? je demande tout à coup, une idée me venant.
— Quelle fille ? n'arrive pas à suivre Hannibal.
— La victime ? LeX est plus réactive.
— Oui. Elle doit savoir qui est le coupable, elle, non ? je poursuis mon raisonnement.
Inutile de préciser que trouver le véritable assassin diminuerait grandement l'effort de recherche lancé après Clay, puisque la petite blonde en a déjà fait mention à la planque. Non pas que je n'aie pas confiance en la réputation de LeX pour que les autorités soient suffisamment effrayées par sa signature pour tout faire pour retarder leur enquête, mais obtenir ce même résultat dans les règles de l'art ne serait pas de refus.
— Pas nécessairement, répond lentement LeX, yeux levés au plafond dans sa réflexion.
— Comment ça ? je demande, ne la suivant pas.
— Même si elle se souvient d'un évènement aussi traumatique, il se peut qu'elle n'ait pas vu son agresseur, ou bien qu'elle ne sache pas qui il est, argumente la Panthère.
— Ça me paraît peu probable, vu la nature du crime, j'oppose, les quelques lignes descriptives de l'article de journal m'ayant suffi à me faire une image mentale de l'évènement déjà trop vive à mon goût.
— Assez ! Demander à la victime d'un meurtre qui est son meurtrier est au-delà du ridiculement absurde ! Est-ce que vous avez seulement la moindre idée de ce que ça fait de se faire tuer ? éclate soudain Hannibal, gesticulant brièvement des bras.
— Moi, oui. J'me suis fait tuer. I' y a moins d'deux s'maines. Par elle. Et j'me souviens, Dwight douche l'indignation de l'ange, d'un ton très détaché, désignant LeX du geste, à sa droite.
— Ce n'est pas pareil. C'était protocolaire. Le meurtre d'un être humain est entièrement différent, la Panthère justifie son acte.
Est-ce une pointe de culpabilité dans sa voix ?
— Ça m'a pas donné l'impression d'un protocole, à moi, se permet Dwighty, même si à moitié dans son absence de barbe.
Enfin ! Une once de rancœur ! Ça fait dix jours que j'attends ça !
— On devrait tous aller se coucher, la Messagère coupe court au débat, peu désireuse qu'on lui fasse un procès maintenant, ou quand que ce soit, d'ailleurs.
Sans attendre de réponse, la petite blonde va disparaître derrière la porte de l'Arène. En considérant le rideau métallique, je me demande ce qu'elle dirait si je le supprimais entre maintenant et demain matin. Sans doute pas grand-chose, puisqu'elle aurait toujours moyen de nous rejoindre en passant par chez Hannibal. L'ange blond salue justement tout le monde bien bas, avec moult fioritures de la main, avant de s'engager dans les escaliers, en direction de ses quartiers, sa sacoche sous le bras. Dwighty étouffe alors un bâillement derrière son poing, et suggère vaguement par le reste de sa gestuelle qu'il va suivre le conseil de la Messagère, avant de s'évaporer. Resté seul avec Oscar, je plie les genoux pour attraper son sac au sol, avant de lui indiquer du geste d'ouvrir la voie vers les étages. Arrivé à la salle de Bal, je dépose ses affaires au pied de son lit, qui l'y attend toujours. De l'autre côté de la pièce, Dwighty est déjà en train de ronfler dans le sien. Je souris devant sa position toujours plus improbable que la précédente, puis vais pour laisser Oz se changer en paix. Je me reprends cependant au dernier moment, ne pouvant me résoudre à la laisser dans son état actuel, qui a glissé de la détresse à la dépression :
— … Je peux demander ? je m'enquiers, la main sur la rampe de l'escalier.
— Demander quoi ? elle répond, tournant la tête vers moi.
— Ton tatouage.
Du menton, je désigne son avant-bras, la faisant tirer inutilement sur la manche correspondante, comme si elle était embarrassée.
— Je t'ai dit de ne pas dire un mot.
Un faible sourire transparaît presque sur ses lèvres, m'encourageant à continuer la conversation.
— Je me doute bien que c'est une coïncidence, mais quand même, j'insiste très doucement.
— C'est à cause de mon collier. Quoi d'autre ? Il ne me sert pas qu'à récupérer mes clés. Pendant longtemps ça a été mon outil de prédilection.
Elle porte la main à l'objet mentionné, se mordant la lèvre inférieure dans sa nostalgie.
— Je peux demander autre chose ?
Je prends un risque, mais son geste m'a trop fait penser à celui de Clay un peu plus tôt.
— Vas-y, elle m'autorise avec haussement d'épaules.
— La gourmette médicale, je mentionne sur le même ton avec lequel j'ai abordé son tatouage.
— … C'était à mon père, elle révèle après une hésitation, qui tient plus de la colère que d'un manque de confiance en moi.
— Ça explique pourquoi Scott et toi la détestez, je commente, ne voulant pas demander directement pourquoi Clay, lui, est si attaché à l'objet.
— Clay a connu mon père. Il a connu nos parents. Pendant cinq ans. Il sait ce dont Scotty et moi avons été privés. Je pense pas que ce soit tout ce que ce stupide bracelet représente pour lui, mais il m'a dit une fois qu'il le portait pour ne jamais oublier qu'il était le seul à pouvoir nous apporter ce qu'on avait perdu. C'est un peu sa version perso d'un flambeau paternel, elle a un sourire amer, sa main toujours à son pendentif.
— Bonne nuit, Oscar, je lui souhaite alors, satisfait que ses frères et le lien qui l'unit à eux, ainsi que son intangibilité, soient sur le devant de ses pensées.
J'ai eu un coup de chance avec la gourmette, mais l'important est que mon objectif ait été atteint.
Oz ne me répond que par un hochement de tête, mais je m'en contente, mon rôle joué, ma tâche accomplie. Les trois prochains jours vont être éprouvants pour elle, mais ce ne seront que trois jours. Ensuite, elle pourra rejoindre sa famille, et reprendre le cours de son existence humaine. Ça lui donnera peut-être même le temps de penser à ce qu'elle va leur dire. Et ensuite, elle n'aura plus à s'inquiéter de ce monde déjanté dans lequel elle s'est retrouvée plongée malgré elle avant au moins une dizaine d'années. Il ne faudrait pas qu'elle oublie tous ces états de choses. Il lui est arrivé beaucoup en très peu de temps, et il est donc tout à fait normal qu'elle soit émotionnellement lessivée. Elle ne s'en rend peut-être pas bien compte à cet instant précis, mais elle est forte, elle s'en sortira haut la main. En tous cas, moi qui n'ai jamais réellement eu l'occasion de suivre les progrès d'un de mes protégés suite à mon intervention sur autre chose que du très court terme, ce que j'ai pu observer chez elle me rend fier.
Bien que la fatigue de Dwight, Hannibal, et Oscar joue beaucoup sur mon propre taux de fatigue, j'ai tout de même une réelle part de besoin de sommeil bien à moi. En mode automatique, je balance mes Converses et mes chaussettes dans un coin, jette ma veste sur ma chaise de bureau, échange le pull que j'ai porté toute la journée pour un T-shirt large, et mes jeans pour un jogging. Je m'abats ensuite raide sur mon lit, à plat ventre, sans même prendre la peine de me glisser sous la couette. Une partie de moi est contente que je ne rêve pas, car elle se demande ce que mon inconscient serait capable de concocter avec mes activités récentes. Certes, traiter les informations reçues la journée pendant son sommeil permet de mieux les assimiler et ainsi pouvoir mieux gérer une fois réveillé, mais le traitement de données en question implique parfois des cauchemars. Étant donné que ce que j'ai traversé ces derniers jours n'a qu'une faible chance de s'amalgamer en quelque chose d'agréable, pour moi, le choix est vite fait.
Je ne sais pas combien de temps s'est écoulé exactement entre le moment où j'ai fermé les yeux et celui où je les rouvre, mais je peux dire avec certitude que ce n'est pas une nuit complète. Déjà parce que j'ai encore les paupières lourdes de sommeil. Ensuite parce qu'il fait toujours noir à la fenêtre. Enfin parce que j'ai été réveillé par une force extérieure à ma personne, et non pas mon horloge interne. Me redressant sur mon coude, je me frotte les yeux de l'autre main, avant de distinguer une silhouette dans l'encadrement de ma porte. Je savais que dans certains cas extrêmes les Magnets pouvaient être réveillés au milieu de la nuit par leur sixième sens, mais je n'en avais encore jamais fait l'expérience jusqu'à maintenant. Hannibal bricole dans son atelier/laboratoire/foutoire, LeX toilette sa ménagerie personnelle, et Dwight est toujours en train de ronfler à l'étage inférieur, mais Oscar est debout, immobile mais bien éveillée, sur le pas de ma porte. Autant j'aurais préféré éviter d'en arriver là, autant je peux convenir que ce dernier comportement est effectivement suffisamment anormal et proche de moi pour me tirer du sommeil.
— Comment est-ce que j'ai pu te réveiller ? s'étonne l'intruse, à peine assez fort pour que je l'entende.
— Système d'alarme interne, je brode expéditivement.
— On a vu plus rapide, elle me réplique, sur la défensive malgré elle, par automatisme sans doute. Je souris.
— Qu'est-ce qui se passe ? je m'enquiers, accueillant.
— J'arrive pas à dormir, elle déclare, jouant avec la couture de la manche de son pull de pyjama.
— Je peux voir ça. Qu'est-ce qu'il y a ? je reformule ma question, patient.
— C'est pas grave. Tu peux te rendormir. Désolée de t'avoir réveillé, elle balbutie avant de tourner les talons.
— Oscar, je la rappelle doucement, mais suffisamment haut pour qu'elle m'entende.
— Oui ? elle répond sans se retourner, les doigts sur l'encadrement de la porte.
— Tu n'as pas besoin de demander, je lui dis, tout naturellement.
— Demander quoi ?
Cette fois, elle tourne la tête, au moins.
— Tu sais quoi.
Ce qu'elle a vainement tenté d'amasser son courage pour monter les escaliers, me réveiller, et me demander.
Relâchant sa prise sur le chambranle, la silhouette d'Oscar réapparaît en entier dans l'encadrement. Elle y reste un moment, pendant qu'elle délibère sans doute sur le fait que je puisse effectivement savoir quelle était son intention lorsqu'elle a pris les escaliers jusqu'à ma porte. Elle connaît mes capacités, mais c'est une idée tellement incongrue qui lui est passée par la tête, comment pourrais-je possiblement la deviner ? Sa posture change imperceptiblement lorsqu'elle abandonne son incertitude sur mes limites pour celle portant justement sur son intention en premier lieu, sur cette inattendue pensée qui lui est venue. Je referme les yeux, la laissant débattre intérieurement à loisir. Pas encore suffisamment à l'aise dans sa nature dérivée pour comprendre que je perçois réellement comment elle se sent, elle persiste à s'interroger sur des ramifications de ses décisions qui n'auront en réalité jamais lieu d'être. Pour son bien comme le mien, et celui de tout autre Magnet qui pourrait croiser son chemin dans le futur, j'espère qu'elle finira par s'y faire. Ça viendra, mais pour l'instant, je la laisse tergiverser inutilement, à son rythme, rien ne presse.
En l'occurrence, son idée a de toute façon eu une cause trop liée à l'affect pour que la logique puisse lui permettre de décider de la suivre ou non, et elle abandonne donc ses délibérations avant d'avoir abouti à une conclusion rationnelle. Elle n'a pas de choix à faire. La résistance est pratiquement futile. C'est un besoin qu'elle ressent, pas une envie. Pour être franc, je n'ai jamais rencontré aucun dérivé, quel qu'ait été son niveau de détresse, avec un besoin aussi simple que celui qu'elle ressent maintenant. C'est primitif, et ça en devient beau. Voilà peut-être ce qui arrive lorsqu'on atteint un certain stade de fatigue, tant physique qu'émotionnelle. Peut-être faut-il expérimenter la peur sous toutes ses formes pour qu'enfin cet instinct basique ressurgisse et soit à nouveau en mesure de guider nos pas vers ce qu'il nous faut réellement, comme il a toujours été censé le faire, mais que nous avons étouffé peu à peu au cours de notre évolution.
Malgré le poser calculé de ses pieds sur la moquette, j'entends Oz s'avancer dans ma direction. Rouvrant les yeux, je me décale alors pour ne plus occuper toute la place sur mon lit, et emmène avec moi un pan de la couette sur laquelle je repose. Sans un mot, la jolie brune vient se glisser sous l'édredon, et me laisse le rabattre sur elle sans rien ajouter non plus. Tandis qu'elle se replie en position fœtale, ramenant ses genoux et ses bras à sa poitrine et croisant ses poignets et ses chevilles, elle ferme également les paupières et vient appuyer son front contre mon épaule. Allongé sur le dos, je ne bouge pas et la laisse faire, la laissant prendre à travers la couverture la chaleur humaine qu'elle est venue chercher, tant au sens propre que figuré.
Dans des circonstances normales, l'envie irrépressible, au beau milieu de la nuit, d'aller se glisser dans le lit de quelqu'un qu'on ne connaît finalement que depuis cinq jours à peine, serait effectivement des plus singulières. Mais nous ne sommes pas dans des circonstances normales. Je suis très exactement là pour ça, après tout. Oscar n'a d'ailleurs hésité que parce qu'elle n'a pas encore tout à fait accepté ce principe, quoique ça ne saurait tarder, maintenant. Il ne faut déjà pas longtemps avant que des sanglots silencieux viennent secouer ses épaules, signe qu'elle se laisse enfin aller à ce qu'elle ressent, ne cherchant plus à faire sens du fait qu'une situation à laquelle elle sait très bien ne rien pouvoir faire la perturbe autant. Pour avoir déjà pleuré jusqu'à l'épuisement, je sais qu'il n'y a désormais rien de mieux à faire, pour elle comme pour moi, qu'attendre que ça se passe. En espérant que ma présence apporte ne serait-ce qu'une once de réconfort à cette pauvre créature exténuée blottie contre moi.
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