Onzième Jour - La belle (11/12)
Le voyage de retour se déroule dans un silence des plus absolus. Avant que nous ne soyons tous tout à fait certains d'avoir quitté l'île, c'est-à-dire repassé la douane dans l'autre sens, tout le monde est d'abord trop stressé pour dire quoi que ce soit. Personne n'ose même croiser le regard de quelqu'un d'autre, comme si bouger pour autre chose que respirer pouvait influencer l'issue de notre trajet. LeX est la première à se détendre, évidemment, faisant jouer les articulations de ses poignets et de son cou. Elle reste indifférente aux regards en biais qui se braquent alors sur elle, et achève ses étirements en s'adossant à la parois du fourgon et fermant les yeux, retrouvant la position qu'elle avait à l'aller, sereine. À sa gauche, Dwight est le seul à ne pas l'avoir dévisagée, plus préoccupé par son mal des transports que par le respect de notre façade. Il place sa tête entre ses genoux à peu près au moment-même où les paupières de la Messagère se ferment. Assis à côté de lui, ayant laissé Oz et Clay s'asseoir seuls sur la banquette de gauche, je fais tout mon possible pour compenser son malaise, bien que contrecarrer une aversion aussi fondamentale n'ait rien de facile, surtout sous le nez d'un Humain.
Me voyant serrer le poing et retenir des grimaces, Oscar vient poser sa tête sur l'épaule de son frère, lui faisant passer son bras autour d'elle et fermer les yeux. J'en profite pour placer ma main sur la nuque de Dwight, un contact direct permettant toujours une meilleure influence. La contrepartie est que je ressens son inconfort beaucoup plus intensément. J'ai toujours eu connaissance de son problème, mais je ne l'ai jamais vu y être confronté. Et bien entendu, ce n'est pas comme si j'avais jamais été malade en voiture de toute mon existence moi-même. Le plus proche que je me suis retrouvé de cet état a été le jour où j'ai été coincé dans une voiture de Police avec une incarnation de la Justice invisible, très ancienne, et occupée à flouter les traits de mon conducteur. Ce souvenir me fait penser à demander à LeX pourquoi elle lui a demandé de faire ça. Je ne vois pas de quelle autre patronne il aurait pu parler, qu'il aurait pu désigner par "petite", et qui serait encline à me protéger. Non pas que je puisse être certain qu'il était Neutre, pas seulement parce que je n'avais pas conscience qu'il existait des pôles, mais aussi parce qu'au moment des fait mon radar n'était pas encore ce qu'il est aujourd'hui.
Après ce qui me semble être une éternité, le van s'arrête enfin, au point mort. Avant qu'aucun d'entre nous n'ait le temps d'esquisser un geste vers les portières, Scott les ouvre en grand. Il fixe son frère comme s'il n'arrivait pas à croire qu'il était là, comme s'il avait peur que d'une seconde à l'autre il disparaisse. Un sourire étire peu à peu les lèvres de Clay, qui descend le premier de la fourgonnette et vient prendre son petit frère par l'épaule, son autre main sur sa nuque. L'étreinte est repoussée, par fierté masculine, mais juste une seconde trop tard pour qu'on ne devine pas son importance. Ce n'est que maintenant que je les vois côte à côte que je note que le plus jeune des deux frères est en fait plus grand de quelques centimètres. Le plus âgé, cependant, est clairement plus athlétique. Dwight descend à son tour de la camionnette, sa main plaquée devant sa bouche, suivi d'Oscar, moi-même, et enfin LeX. Nous retrouvons Hannibal, adossé au véhicule à moteur, un sourire tranquille sur le visage.
— J'arrive pas à croire qu'on vient d'faire ça, déclare Scott, une main dans ses cheveux, toujours à regarder son frère comme un fantôme.
— Ça fait deux d'entre nous. Qu'est-ce qui vous a pris, huh ? l'admoneste son aîné, croisant les bras.
Il est toujours là-dessus ? Ne peut-il pas simplement apprécier sa liberté retrouvée ? Et méritée, en plus.
— Waw ! De rien, surtout, raille le benjamin en reculant d'un pas, blessé.
— Tu vois parfaitement où je veux en venir. Vous savez très bien que j'ai rien fait. Pourquoi est-ce que vous n'avez pas laissé la justice suivre son cours ? questionne Clay, sévère.
— Depuis quand on fait confiance au système ?
Scott a la même question que sa sœur plus tôt dans la journée. Ces deux-là pourraient être jumeaux.
— Sans compter que c'est le système qui t'a mis en taule pour commencer, renchérit cette dernière, les mains dans ses poches arrières et les yeux fixés sur le sol, comme depuis le moment où son aîné a repris sa réprimande.
— Peu importe ! Vous avez pris des risques inutiles, Clay explique le fondement de son objection aux faits, écartant les bras, son attention allant de sa sœur à son frère.
— Qui a dit qu'ils étaient inutiles ? rétorque Oz presque tout bas, risquant un regard furtif dans ma direction.
Elle et moi sommes les seuls à savoir qu'il risquait plus que l'enfermement dans cette prison. Je me demande si nous saurons jamais d'où venait le danger exactement.
— Qu'est-ce que c'est supposé vouloir dire ? relève Clay, à l'ouïe fine, apparemment.
— Que tu n'aurais peut-être pas tenu la distance à l'intérieur. Il t'a fallu moins d'une semaine pour te faire botter les fesses, je ne vois pas pourquoi tu aurais échappé à pire indéfiniment.
Dire ses quatre vérités à son aîné n'a rien d'évident pour Oscar, mais elle tient bon. Elle parvient même à relever les yeux vers lui.
— Depuis quand c'est un problème ? Depuis quand je peux pas me défendre ? Vous avez pris le risque de vous faire enfermer vous aussi juste sur l'hypothèse que si ça se trouve je pourrais me faire tabasser ? il monte en puissance, ne semblant pas reconnaître les deux individus qu'il a élevés.
— C'était pas un risque, puisqu'on a réussi, suggère Scott, toujours aussi froissé du peu de reconnaissance de son grand frère.
— Ce que vous avez surtout réussi à faire, c'est convaincre le monde entier que j'étais coupable, oui. M'évader équivaut plus ou moins à des aveux. Ce n'était pas à vous de prendre cette décision pour moi. Tout comme c'était encore moins votre place de vous mettre dans la même galère que moi !
À chaque fois qu'il met ostensiblement les intérêts de son frère et sa sœur avant les siens, je ne peux me retenir d'être impressionné. LeX et Hannibal suivent la dispute sans même sembler avoir besoin de contenir leurs réactions.
— Je t'emmerde, Clay. Je me fiche qu'on ait à se cacher sous un rocher pour le restant de nos jours. Au moins on se cachera ensemble sous le même rocher. Je préfère encore ça à être libre avec toi en cage.
Le problème avec le lien de fraternité, comme toute relation sociale d'ailleurs, c'est que ça peut fonctionner dans les deux sens. C'est bien beau de vouloir se sacrifier pour les autres, mais il ne faut pas oublier qu'ils ont non moins envie d'en faire autant pour soi. Clay a visiblement beaucoup de mal à accepter cet état des choses. Je vois ce qu'Oz voulait dire quand elle disait qu'il avait un relationnel particulier. Non pas qu'on puisse lui en vouloir, avec son passé.
— Et puis bon, tu n'as pas VRAIMENT avoué avoir commis le crime dont on t'accuse à tort, intervient tout à coup LeX, faisant faire volte-face à la famille toute entière comme une seule personne, tourner la tête à moi, et relever le menton à Hannibal.
(Dwight est encore en train de se remettre, dans son coin.)
— Ah non ? relève Clay, l'énervement alourdissant le sarcasme dans sa voix.
— Tu n'es pas au courant ? On t'a extrait sous la contrainte, explique la Messagère avec un sourire malicieux.
Cette expression ne peut signifier qu'une chose : elle a une carte dans sa manche.
— Ce n'est pas comme si qui que ce soit qui n'est pas ici maintenant le saura jamais, se méprend Clay sur le sens de la phrase de la petite blonde, prenant sans doute son ton innocent au premier degré. Erreur de débutant.
— En fait, tout le monde va savoir. J'ai laissé un petit message pour couvrir nos arrières, elle s'explique.
Il cligne. Plusieurs fois.
— Qu'est-ce que tu as fait, LeX ? j'interroge la Panthère à la place des McAddams laissés sans voix, m'attendant déjà au pire.
— J'ai des connections. Les autorités ont tout pour croire qu'un gang au bras long a orchestré l'évasion. Après tout, quel genre d'organisation criminelle ne sauterait pas sur l'occasion d'avoir Clay McAddams leur devoir sa liberté ? elle poursuit, on ne peut plus fière d'elle.
— Tu dis ça comme si j'avais une réputation, lui oppose le principal intéressé, méfiant.
— Tu as un casier. On a vu plus absurde, comme supposition, de la part des services de Police.
Je ne trouve pas ça très indulgent de sa part, mais comme nous sommes tous là parce que les forces de l'ordre ont supposé qu'un type rendu catatonique par la vue du sang avait assassiné quelqu'un à grandes effusions d'hémoglobine, je peux difficilement la contredire dans l'immédiat.
— Wow. J'arrive pas à croire que tu as fait un truc pareil, la remercie indirectement Oscar, une fois qu'elle a tout à fait intégré l'information.
Elle est sincèrement touchée par le geste, mais l'exprimer explicitement n'est pas encore dans ses cordes. Oz n'est pas la première et ne sera certainement pas la dernière personne à avoir du mal à cerner LeX.
— Je m'ennuyais. Et je suis intelligente, se justifie la Panthère, haussant une épaule comme si ce n'était rien.
— Ça veut pas dire qu'ils vont pas venir après nous, fait remarquer Scott, pessimiste même après notre succès auquel il ne croyait pas trop.
Une bonne nuit de sommeil ne sera décidément pas de trop pour lui.
— Non, mais on a une longueur d'avance, positive Clay, sans quitter LeX des yeux, à l'instar du reste de sa fratrie.
Après leur avoir retourné leur regard à chacun, jugeant le débat clos, la Messagère se détourne et décide qu'il est temps d'aller rendre ses émetteurs factices à Hannibal. Elle a sans doute dans l'idée de faire voir les gadgets à tout le monde au moins une fois, refusant de se les être trimballés pour rien. Lorsqu'elle les tend à H, non sans les appuyer contre lui puisqu'elle n'a apparemment pas envie d'utiliser des mots, le grand blond se contente de mimer la sangle du sac que je porte à l'épaule du geste, signifiant qu'elle peut les y ranger elle-même directement. Comme j'ai suivi l'action silencieuse, préférant me concentrer sur ça que sur les retrouvailles des McAddams, qui ont repris et que je me sentirais indiscret d'épier davantage, je me défais de la sacoche avant même que LeX ne se soit retournée vers moi. Elle vient s'en saisir avec un petit soupir d'exaspération à l'intention de l'ange, et y remet ses accessoires avant de la passer à sa propre épaule.
Ne voulant pas subir les foudres de la Panthère, même pour une si petite chose, H recule, en direction de l'avant de la camionnette, jusqu'à disparaître à notre vue. Mais LeX a visiblement déjà oublié le menu affront qu'elle vient de subir. Cependant, cette clémence n'est hélas pas due au hasard mais au fait que son esprit est préoccupé par autre chose. Profitant du fait qu'elle se tient juste en face de moi, qui la dissimule donc partiellement de nos comparses humains, elle masse ostensiblement ses poignets, comme le ferait un prisonnier à qui on vient d'ôter ses liens. Elle ne m'accorde qu'un bref coup d'œil par-dessous ses cils, mais je ne peux pas me tromper sur la valeur de message de son comportement. J'aurais bien aimé oublier un peu plus longtemps que je n'ai qu'un temps limité parmi les humains, mais lorsque mes yeux tombent sur ma montre à mon propre poignet, je ne peux plus l'ignorer. Alors que je ferme les poings de frustration, Hannibal nous rejoint, et tend son clavier devant lui, à l'intention de la porteuse du sac. Elle s'en saisit un peu brutalement, lui promettant sans un mot qu'il paiera pour avoir profité de la situation, même si seulement de manière proportionnée.
— On devrait aller à l'intérieur. Votre longueur d'avance ne tiendra pas bien longtemps si vous restez à découvert comme ça, conseille l'ange aux trois McAddams, en comité restreint à quelques mètres de nous.
Si toutes les têtes se tournent, y compris celle de Dwight cette fois, personne n'a aucune objection, et après qu'Oz a récupéré son sac et Scott fermé la porte du garage avec la clé qui pend autour de son cou, c'est ensemble que nous nous dirigeons vers la planque. Marcher à sept de front au milieu de la route est sans doute un peu théâtral, mais il fait pratiquement nuit noire, et nous n'aurons certainement pas d'autre occasion de nous réjouir tous ensemble de notre succès, alors on nous le pardonnera. Les bruits de la ville nous parviennent, de plus ou moins loin, sirènes, klaxons, et crissements de freins, entre autres signaux sonores n'émanant pas toujours de véhicules. Les lumières, elles, proviennent toutes de la distance, le quartier tout à fait plongé dans l'obscurité, même les réverbères s'avouant vaincus, pour une raison à laquelle il vaut probablement mieux ne pas songer. Nous n'avons cependant pas une grande distance à parcourir, et ça profite non seulement à notre élan de dramatisme mais aussi à notre besoin de furtivité, alors tant mieux.
Clay marche entre son frère et sa sœur, un bras passé autour de chacun. Le profond sentiment de sécurité ressenti par Oscar ne fait qu'intensifier mon envie que ce court trajet dure toujours. Je n'ai décidément pas besoin de plus de raison de ne pas vouloir quitter la famille McAddams, que j'en suis venu à apprécier autant que leur sœur. Mais ce n'est pas comme si je pouvais me retenir de capter ce genre de chose. À côté du trio, LeX, qui a offert son bras à H, me fixe intensément, et pas seulement parce qu'elle ne peut pas se permettre de regarder en direction des humains, à la façon dont sa rétine réfléchit le peu de lumière qui y parvient ; étant donné que je n'ai pas exactement agi en conséquence de son rappel, un peu plus tôt, elle me surveille. C'est peut-être dérangeant, mais je préfère encore ça à l'alternative, c'est-à-dire qu'elle prenne les choses en mains elle-même. Je ne sais pas ce qui la pousse à tant de générosité, mais je choisis d'en être reconnaissant.
Nous arrivons finalement au niveau de la planque, jusqu'à la porte de laquelle nous descendons par l'étroit escalier prévu à cet effet. Clay laisse Scott se dégager de son emprise, et le benjamin vient retrousser sa manche et passer son avant-bras devant le capteur. En repensant au message qu'il a laissé à Oscar dans les égouts, je crois effectivement que le motif de son tatouage y était glissé : il s'agit d'une étoile filante, aux bras inégaux et à la traînée détriplée. Vous pourriez dire que j'aurais dû reconnaître un symbole aussi classique qu'une étoile à cinq branches, même au beau milieu d'un graffiti indistinct, mais pour ma défense je n'avais rien pour appuyer que ce gribouillis-ci était plus une étoile que celui-là. Ça aurait été une présomption aussi rationnelle que de dire que les nuages font des moutons exprès. Ce qui n'est pas faux pour absolument tous les types de nuages, comme je l'ai appris un jour, mais là n'est pas la question.
La porte se déverrouille, et pourtant Clay vient quand même à son tour passer son avant-bras devant la lumière noire. Une pyramide inversée, aux briques apparentes et au milieu de laquelle s'ouvre un œil, fluoresce alors doucement sur sa peau, surmontée de la même couronne qui chapeaute le pingouin de Dwight, les ailes en moins. Le design central m'est familier, mais je n'arrive pas à mettre le doigt dessus. Avant que je n'aie pu resituer où j'ai aperçu le symbole, Oscar vient à son tour révéler son tatouage invisible, quoique ce qu'il représente me soit déjà connu. J'aurais pensé que Dwighty suivrait l'exemple des deux frères et de leur sœur, mais il s'abstient. Il n'y aucun doute qu'il respecte une logique que seuls les membres de leur réseau peuvent comprendre. Je l'interrogerai sur le sujet plus tard, peut-être. Pour l'instant, je ne suis pas mécontent, parce que je n'ai de toute façon pas besoin qu'il me rappelle qu'il a porté une marque tout le temps que je l'ai connu sans jamais m'en parler.
Tout le monde pénètre dans le semblant d'appartement, manifestant un soulagement plus ou moins intense au fait de ne plus être soumis au froid hivernal. Puisque tenir à quatre dans le hall était déjà difficile en début d'après-midi, y tenir à sept n'est même pas envisageable, et nous nous étalons sur toute la longueur de l'espèce de couloir central qui traverse l'habitation. Oscar pose son sac contre un meuble de la cuisine, contre le mur du fond, avec un léger soupir de soulagement. LeX dépose le sien dans l'entrée, non sans m'accorder un regard ce faisant. C'est bon, j'ai compris qu'on devait partir au plus vite, pas la peine de démultiplier les allusions ! D'autant que mon contre-signal n'a pas encore perdu de son effet, alors rien ne presse. Et ce n'est pas comme s'il allait se dissiper brusquement, d'après ce que j'en ai lu.
— Je suis affamée. Quelqu'un veut un truc ? propose Oz à la ronde, la main déjà sur la poignée d'un placard.
— Tu vas pas trouver de quoi faire grand-chose, la prévient Scott, avec un mouvement du menton vers le garde-manger.
Sa sœur lui accorde un regard atterré, comme s'il ne savait pas à qui il s'adressait.
— Donc, c'est un oui pour toi, elle déduit, presque maternelle.
— Ouais, confirme son petit frère avec un sourire en coin, avant de se détourner en se frottant les yeux d'une main, fatigué.
— Compte-moi dedans, s'ajoute Clay, son sourire attendri, lui.
— Quelqu'un d'autre ? s'assure Oz, le reste de l'assemblée ne faisant pas mine de réagir à sa proposition.
— Er… Non, merci. On est bon, je réponds pour toute ma troupe.
Je manque de préciser que nous avons bien déjeuné, mais pense juste à temps que cela pourrait conduire les deux frères à se demander pourquoi nous n'étions pas avec Oscar à ce moment-là.
LeX et H hochent fermement la tête pour corroborer mes dires, accompagnés de Dwight, encore barbouillé de son voyage. Si je n'avais pas eu un aperçu de ce qu'il a traversé et pouvais ainsi comprendre son état, j'aurais été incapable de me retenir de rester bouche bée que quoi que ce soit puisse lui couper l'appétit. Pendant qu'Oz fait une descente en règle des divers endroits de rangement de la cuisine, le reste d'entre nous allons nous asseoir au salon. Clay prend place là où s'est mis Scott lors de l'élaboration de notre plan, poussant ce dernier à se laisser tomber dans le fauteuil précédemment occupé par sa sœur. Dwighty, LeX, Hannibal, et moi sommes ainsi en mesure de prendre les mêmes places que plus tôt. Personne ne trouve rien à dire jusqu'à ce qu'Oscar soit de retour, une assiette de sandwichs dans les mains, qu'elle pose solennellement au milieu de la table basse, au beau milieu des plans bleus que personne n'a pris soin de ranger où que ce soit.
— Attaquez, elle annonce en montrant l'exemple, ce à quoi ses frères ne se font pas prier.
— Qu'est-ce que vous comptez faire, maintenant ? demande alors Hannibal, l'accord implicite de silence rompu par Oz.
Assise sur l'accoudoir de son aîné, la question fait s'immobiliser la jolie brune une seconde, comme si elle lui était compromettante. Une chance que Scott soit trop fatigué pour remarquer quoi que ce soit, et que Clay ne soit pas tourné vers elle.
— Je suppose que ce coup-ci on peut vraiment pas rester dans les parages. Je pense qu'on va se regrouper ici pour la nuit, et décider de notre destination demain matin. Vous ? répond ce dernier, confirmant le statut de chef de famille qu'on lui avait de toute manière déjà attribué.
— Il faut qu'on rentre. On est attendus, se charge de répondre LeX avec un sourire qui se veut déçu.
Oscar pâlit, alors que pour une fois la Messagère n'a pas caché quoi que ce soit entre ses mots.
— Même pas le temps de vous offrir un coup à boire ? plaisante l'ex-détenu, dissimulant par la plaisanterie sa prise de conscience que nous avons laissé tomber quoi que ce soit que nous étions en train de faire pour venir le secourir.
— C'est l'intention qui compte, je l'assure, à la fois honoré que quelqu'un d'aussi méfiant et indépendant que lui se sente nous être redevable, mais également déconcentré par la panique croissante d'Oz, initiée par la simple question d'Hannibal et amplifiée par la prise de parole de LeX, sans que je me l'explique encore tout à fait.
— C'est ce qu'on raconte. Je n'y ai jamais vraiment cru, rétorque Clay avec une petite grimace, démontrant une fois de plus son tempérament non conventionnel.
— C'est plus qu'une intention, puisque ça a été dit, je raisonne machinalement, mon cerveau rendu hyper-pragmatique par la distraction que représente la détresse inexpliquée d'Oscar.
— J'aime la façon dont tu penses. Vous savez, j'ai entendu pas mal de rumeurs sur de bonnes équipes ici et là, mais jamais de Boston. Comment ça se fait ?
Je suppose qu'il a déduit notre provenance de ce qu'il sait de là où se trouvait sa sœur.
— En fait, on vient de Cambridge, je ne peux m'empêcher de corriger, presque toujours par automatisme.
— Et on n'est pas dans l'réseau, ajoute Dwighty, s'adressant à la méprise la plus importante de Clay.
Bien, que quelqu'un prenne le relais de la conversation, je ne peux décidément pas analyser deux choses à la fois.
— Quoi ?! Mais… ?
L'incompréhension la plus totale se dépeint sur le visage de Clay. Comme lorsqu'il a vu Oscar ouvrir la porte de sa cellule, même si ça n'avait pas été dilué par d'autres émotions conflictuelles.
— Moi ouais, mais pas eux, reprend Dwight, précisant sa déclaration.
— Vous devriez. Après ce que vous avez fait aujourd'hui, vous le méritez.
Il a visiblement beaucoup de mal à faire sens de notre intervention tout en sachant que nous ne faisons pas partie de sa famille élargie.
— Je ne suis pas fan des aiguilles, se justifie LeX en tapotant l'intérieur de son coude, faisant référence aux tatouages visiblement obligatoires pour tous le membres de la communauté en question.
— Je suis un Senior. Si vous changez d'avis, n'hésitez pas, nous propose Clay en se redressant dans son siège, mettant un nom sur le rang qui se cache derrière le symbole de la couronne sans ailes.
— Laisse tomber, frérot. C'est un Patriarche. Ils ont pas besoin de toi, intervient alors Scott, désignant Dwighty du menton, avec un haussement de sourcil rendu vague par la fatigue.
— Et tu n'y as jamais pensé ? s'étonne Clay en se tournant vers le Jumper, qui danserait d'un pied sur l'autre s'il n'était pas assis.
Il présuppose évidemment une grande expérience de notre part dans le domaine de l'entrée par effraction, ce que je me retiens sagement de corriger, cette fois.
— Les circonstances s'y sont jamais prêtées, se contente de se justifier Dwighty.
Comme je le sais mauvais menteur, je suppose qu'il s'en tient à la vérité, et que par conséquent cette excuse est aussi valable pour moi, au regard du fait qu'il ne m'a jamais parlé de son tatouage. Comme si je pouvais lui en vouloir pour de vrai…!
— Trouve-leur un symbole sympa de ma part, si ça se concrétise, l'enjoint Clay en hochant lentement la tête, ce à quoi Dwight acquiesce du chef.
— Il faut que j'aille aux toilettes, déclare tout à coup Oscar tout en se levant précipitamment, son sandwich terminé.
Ce qui la dérange me frappe soudain. Écouter son frère converser tranquillement avec nous, faire des plans pour l'avenir, alors qu'elle sait pertinemment que nous devons partir et ne reverrons certainement jamais les deux grands bruns de leur vivant, a tout pour l'écœurer. Sans compter que cette idée doit en plus lui rappeler qu'elle va devoir mentir à ses frères dans quelques jours, lorsqu'il faudra qu'elle s'éclipse pour participer à mon Choix. Elle m'a confié hier au soir ne pas savoir quoi dire à ses frères, et je doute que quoi que ce soit ait changé de ce côté-là. Elle n'a pas eu d'autre choix que de revenir, pour sauver son aîné, mais elle n'en est pas moins dans l'embarras quant à justifier certaines choses qu'elle pourrait être amenée à faire en conséquence de ce qui lui est arrivé sur le campus. J'aurais dû mieux anticiper cet aspect du problème.
Bon, en un sens, je suis content qu'elle réagisse enfin extérieurement, car même si ce n'est pas plus agréable que cet affolement catatonique qui montait en elle jusqu'à présent, je peux potentiellement plus gérer cet état que le précédent. Clay la regarde s'enfuir en fronçant les sourcils. Très honnêtement, je m'étais attendu à ce qu'il soit la source de la mimique commune à ses deux cadets, de plisser les yeux, mais apparemment non. Intéressant. L'aîné fixe la porte derrière laquelle a disparu sa sœur un instant, avant de baisser les yeux puis de se réorienter vers nous, quoique son regard toujours au sol. Ce n'est qu'à ce moment-là que ça me percute qu'autant il va être difficile pour Oscar de quitter ses frères sur une excuse bidon, autant il sera encore plus difficile pour eux d'accepter de laisser repartir leur sœur pour quelque raison que ce soit, même pour une durée déterminée. Elle ne va pas seulement devoir leur mentir, elle va devoir trouver le mensonge parfait. Comme si les choses n'étaient pas suffisamment difficiles comme ça.
Oz à nouveau absente, le silence s'abat une nouvelle fois sur l'assemblée. LeX a visiblement eu la même analyse que moi, quoiqu'elle en soit beaucoup moins perturbée, évidemment. Hannibal reste immobile, et Scott et Dwight semblent tous les deux prêts à dormir les yeux ouverts. Clay reste songeur, essayant sans doute d'appréhender en détails la situation dans laquelle son frère, sa sœur, et lui se trouvent. Si seulement il savait combien il lui manque de données. Tout à mon observation, je remarque qu'il joue avec quelque chose dans sa main gauche. Je crois d'abord que c'est une pièce de monnaie, mais à y regarder de plus près, bien que ce soit effectivement métallique, il s'agit en réalité d'une sorte de gourmette. À force d'en suivre le mouvement hypnotique entre ses doigts, je finis par distinguer la petite plaque que le bracelet sert à afficher, et ne peux pas retenir une inspiration surprise :
— C'est ce que tu as récupéré dans tes effets personnels ? Ils ont le droit de te l'enlever ? j'interroge en désignant la chaînette médicale, censée signaler que son porteur est épileptique.
— Ce n'est pas à moi, me détrompe Clay, relevant le menton et interrompant le mouvement de ses doigts.
— J'arrive pas à croire que t'es revenu en arrière pour ce truc, crache Scott dans son coin, à moitié somnolent.
Je ne suis pas certain de comprendre d'où peut venir tant de hargne pour un simple accessoire, déjà démontrée par Oscar dans la prison. Et je n'arrive surtout pas à croire qu'un objet puisse être important pour l'un des membres de la fratrie et détesté par les autres.
— Ce n'est pas tout ce que j'ai récupéré, se défend Clay, allant chercher son portefeuille de la poche intérieure de sa veste et en tirant une photo toute cornée.
— T'es vraiment trop ringard, lui lance son frère, sachant pertinemment, comme nous pouvons le deviner, que le cliché est des deux frères et leur sœur.
— Je peux voir le tien ? lui rétorque son aîné, tendant la main et haussant un sourcil, plein de défi.
— Nan ! proteste le benjamin, assurément parce qu'il a le même type de souvenir dans son propre portefeuille, ce qui ferait tomber sa critique à plat.
Non pas que ce déni n'ait pas exactement le même effet.
— Alors la ferme, conclut Clay avec un sourire ravageur, gentiment autoritaire.
— Puisqu'il est établi que tu as été choisi comme bouc émissaire, je pense qu'il ne serait pas idiot d'essayer de déterminer le véritable coupable du crime dont on t'accuse. Est-ce que tu sais qui aurait pu vouloir du mal à ton amie ? LeX demande soudain à Clay, refusant de laisser le silence retomber.
— Si tu crois que je n'ai pas ressassé cette question encore et encore… lui répond l'intéressé avec un rire triste.
— Et ? insiste la petite blonde, insensible aux émotions des autres, surtout quand celles-ci portent sur d'autres encore.
Parfois j'ai l'impression qu'elle s'améliore, et parfois je me demande si au contraire son état n'empire pas avec le temps.
— Elody était une gentille fille. Jolie. Intelligente. Le plus près qu'elle s'est retrouvée d'un criminel, c'est en traînant avec moi.
Il est vrai que je n'ai pas côtoyé beaucoup d'humains depuis que je suis devenu Magnet, mais Clay est quand même le premier dont je suis curieux de connaître l'aura. Les collections de sentiments conflictuels qui s'affichent parfois sur son visage, en l'occurrence à la mention de feu son amie, sont des plus singulières.
— Est-ce qu'elle avait un petit ami ? LeX poursuit son questionnement.
Clay a un petit soupir amusé et baisse les yeux sur ses mains jointes, sans doute parce qu'on lui a déjà posé cette question, malgré la superficialité de l'interrogatoire qu'il a dû subir.
— Quand on s'est rencontrés oui, mais ils ont rompu il y a un peu plus d'un mois.
La précision de la date confirme mon intuition qu'on l'a déjà poussé à réfléchir sur le sujet.
— Il était comment ? insiste de plus belle la Messagère.
— Je ne l'ai jamais vu. Je ne sais même pas si elle a déjà mentionné son nom.
Il passe ses mains sur son visage, comme s'il se sentait coupable de ne pas en savoir plus, alors qu'il est plus qu'évident que rien de tout ce qui est arrivé à son amie n'est sa faute.
— C'est quand même une piste, positive LeX, montrant enfin une once de compassion.
— Mais où est-ce qu'Oz vous a trouvés ? demande Clay en relevant les yeux, l'incrédulité perçant dans son sourire triste.
Il a déjà du mal à faire sens de notre participation désintéressée à son évasion, alors que nous voulions continuer à l'aider n'est pas près de lui paraître évident.
— C'est c'que j'ai demandé, renchérit Scott depuis son demi sommeil.
— Vous devriez sortir plus. Ils ne sont pas si extraordinaires qu'ils en ont l'air, déclare Oscar, enfin sortie de la salle d'eau.
S'il est clair à mes yeux qu'elle n'a pas encore trouvé de solution à son problème, ce qui aurait de toute façon tenu de l'exploit vu le peu de temps durant lequel elle s'est absentée, elle a néanmoins réussi à retrouver une contenance. Elle toise son frère aîné, le seul d'entre nous qui a eu besoin de se retourner dans son siège pour lui faire face, d'un regard de fer, comme elle sait si bien les faire, une main sur sa hanche, tête imperceptiblement penchée sur le côté. Très honnêtement, elle est si convaincante dans son aplomb que j'en suis pratiquement à douter de mes perceptions. Et c'est ainsi que, pour la première fois depuis que j'en ai héritée, mon intuition Magnétique trouve son maître. Pas dupe pour deux sous, Clay bascule la tête sur le côté, de manière plus marquée que sa sœur, et il se lève, non sans prendre appui sur son accoudoir, ce qui donne encore plus de poids à son geste. Il avance jusqu'à sa petite sœur, marque un temps d'arrêt, puis replace fraternellement une mèche de cheveux bruns derrière son oreille.
— Est-ce que… je peux te parler, une minute ? il lui demande, redressant la tête.
Son ton est posé. Il a glissé ses mains dans ses poches, et bien qu'il me tourne le dos, je ne doute pas qu'il sourit. Pourtant, cette requête me semble plutôt tenir de l'injonction. Je ne sais vraiment pas ce qui me fait dire ça, mais j'en ai la certitude. Oscar soupire et baisse les yeux, mais acquiesce vigoureusement. Les deux se rendent alors à la cuisine, dans mon champ de vision mais hors de portée de voix, Clay toujours dos à nous et Oscar à moitié cachée derrière lui. Scott se redresse dans son siège, pour ne pas les perdre de vue de là où il est. Plus encore que moi sans doute, il a dû sentir que quelque chose d'important était en train de se passer. Les dynamiques familiales ne sont définitivement pas mon fort. Mais après tout, même si mon propre schéma familial avait été classique, ça ne m'aurait pas aidé à appréhender cette étrange organisation hiérarchique à laquelle se réfèrent les McAddams. Non pas qu'il ne soit pas déjà impressionnant qu'ils en aient une, avec leurs antécédents qui auraient brisé une fratrie moins bien constituée que la leur.
— Ça sent pas bon, commente le benjamin, plissant les yeux.
— Tu devrais dormir un instant, lui propose alors Hannibal, après quoi il pose sa main sur la sienne, ce qui plonge instantanément le grand brun dans les bras de Morphée.
— H ! Mais qu'est-ce que…? je m'offusque.
Je pensais qu'il était établi que personne ne devait user de capacité surnaturelle sur quelque membre de la famille McAddams que ce soit ! Et je ne perçois aucun cas de force majeure justifiant le geste de l'ange.
— Shush. On a besoin d'entendre, LeX m'intime de silence, accompagnant son ordre d'une main levée dans ma direction.
— Parce que tu as cette expression sur ton visage, déclare ensuite Hannibal, comme s'il répondait à une question, et surtout avec une voix différente de la sienne, que je ne reconnais pas tout de suite.
— Quelle expression ? répond LeX d'un ton monocorde, mais sans poser ses yeux sur qui que ce soit en particulier.
— Cette tête que tu tires quand tu as décidé que tu allais renoncer à quelque chose parce que tu t'imagines que c'est ce qu'on voudrait, poursuit H, toujours avec cette même voix étrangère.
— Est-ce que… vous êtes en train de… répéter ce qu'ils sont en train de se dire ? Oh mon Dieu ! Arrêtez ça tout de suite ! je m'exclame lorsque je me rends compte que c'est la voix de Clay qu'imite l'ange, et que la Panthère et lui ont l'oreille tendue en direction d'Oscar et son frère, en pleine messe basse à l'autre bout de l'appartement.
— Tais-toi, il faut que tu entendes tout autant que nous. Comment tu peux savoir si je renonce à quoi que ce soit ?
LeX reprend son ton monocorde sur sa dernière phrase, que je devine ne pas venir réellement d'elle. Ceci est officiellement la chose la plus intrusive que j'ai jamais vu qui que ce soit faire. Et June et Vik m'ont un jour accueilli au saut du lit, pratiquement dans mon plus simple appareil. Et le pire du pire, c'est que mon parrain et la Messagère n'ont même pas eu à se concerter pour perpétrer ce méfait.
— Ne joue pas avec moi, tu as passé l'âge, les lèvres de l'ange blond transmettent le discours de Clay.
— Okay, admettons. Ça veut dire que c'est pas la première fois. Or, je t'ai jamais vu tiquer sur un truc pareil, proteste LeX en écho à Oscar.
— J'en ai peut-être marre de voir cette expression et de rien y faire, répond le grand frère.
— Tu n'es pas responsable de la tête que je tire, Clay, lui rappelle sa sœur.
— Bah… si. Qui à part Scott ou moi peut te faire renoncer à quoi que ce soit ? Je dis pas qu'on le fait exprès, mais c'est quand même notre faute, proteste l'aîné.
— Ça suffit ! Stop ! je supplie l'ange et la Panthère, tout en me retenant pour ne pas élever la voix et attirer l'attention de ceux qu'ils sont en train d'espionner.
(À ma droite, Dwight dort au moins aussi profondément que Scott dort artificiellement.)
— Et qu'est-ce que vous m'empêcheriez d'avoir cette fois, d'après toi ? LeX continue de transmettre, sans même réagir à ma supplique.
— Ce garçon, aux cheveux noirs et aux yeux foncés, transcrit Hannibal.
— Josh ?
À la mention de mon prénom, mon regard, qui jusqu'ici passait des intrusifs à leurs victimes, se braque tout à coup sur ces dernières.
— Il me semble t'avoir entendu l'appeler comme ça, oui, confirme Clay.
De mieux en mieux. Ils parlent de moi, maintenant.
— Si je le voulais, je l'aurais. En quoi est-ce que Scott ou toi pourriez me dissuader d'un truc pareil ?
Je voudrais protester à la façon expéditive dont Oscar résume notre situation, mais trop conscient du fait qu'elle a probablement raison, je préfère baisser les yeux.
— Il part ce soir, rappelle Clay, comme si ça expliquait tout son raisonnement.
— Quel rapport avec vous ? l'interroge Oz, ne le suivant pas.
— Tu veux rester avec nous, donc tu ne pars pas avec lui, explicite son aîné.
Elle comme moi manquons de nous étouffer à cette déclaration. (Quoi qu'on puisse dire de la moralité de son entreprise, LeX n'est rien moins que consciencieuse dans sa tâche.)
— Wow. À quel moment de la conversation on en est arrivé à dire que je voulais m'enfuir avec qui que ce soit ? Oscar attaque son frère, piquée au vif.
Clay n'a pas complètement tort en ce qui concerne le départ, mais il confond l'obligation avec l'envie, ce qui a tout pour la blesser.
— C'est toujours comme ça. Tu as toujours envie de t'enfuir avec un garçon, il lui dit, sur le ton de l'évidence.
— C'est JAMAIS arrivé ! se défend Oz avec véhémence.
— À cause de Scott et moi. Ce dont, jusqu'ici, je me satisfaisais totalement, il lui avoue, conservant parfaitement son calme face au feu de sa sœur.
— Et qu'est-ce qui est différent aujourd'hui ? elle enchaîne, cherchant la faille.
— Honnêtement ? Je l'aime bien, Clay déclare alors, provoquant une nouvelle fois la même réaction chez Oscar et moi, c'est-à-dire un hoquet de surprise.
— Tu le connais même pas, elle modère son frère.
— Peut-être que je l'aime bien parce que je ne le connais pas, justement, il approuve l'argument censé lui être opposé.
— Tu vois ! Oz pense tenir la victoire.
— Je veux dire que je l'aime bien parce que ce n'est pas quelqu'un que je suis supposé connaître, il corrige la méprise de sa petite sœur, avec un faible éclat de rire, sans doute attendri par la posture défensive qu'elle prend.
— Tu n'es pas vraiment en position de me dire que les voleurs sont des gens infréquentables, elle objecte, à raison si j'ose dire.
— Je SUIS un voleur. Bien sûr que je suis en position de te dire que nous sommes infréquentables ! il proteste à son tour.
J'admets ne pas être en mesure de déclarer quelle logique est la plus valide à ce stade.
— Non pas que tous les voleurs aient autant de bagage que toi, mais je signale que Josh est quand même un criminel, rappelle Oscar.
Elle n'est évidemment pas à l'aise en faisant cette déclaration, qu'elle sait vraie uniquement à cause d'elle. Son argument n'en est cependant pas moins valable.
— Après ce qu'il a fait aujourd'hui, oui, mais j'ai comme un doute pour avant.
Une nouvelle fois, Clay n'est pas trompé par la façade de sa cadette. Ni la nôtre, sans doute. Je suppose que ne pas porter de chemise n'est pas suffisant pour m'ôter mes airs de premier de la classe.
— Tu crois vraiment que j'aurais risqué ta liberté avec un amateur ? demande alors Oscar à son frère, refusant d'admettre la défaite si facilement.
— Je dis pas que c'est un amateur, mais je pense pas qu'il soit exactement un col bleu non plus, transige l'aîné.
— Alors quoi ? Tu veux que je me retire, c'est ça ? elle change de tactique, puisqu'insister sur notre criminalité pourrait conduire à devoir fournir des preuves qui n'existent pas.
— Nan. Non, Oz, pas spécifiquement. Toi et moi, on est trop vieux pour encore croire à ça. Ou le vouloir, d'ailleurs. Ce que je veux dire c'est… Il m'a sorti de prison.
Clay fait apparemment partie de ces personnes qui présument qu'il suffit de fournir les données de leur raisonnement pour que tout le monde en sache le résultat.
— Et ? Oz l'incite à élaborer.
— Et il fait pas partie du réseau, et je l'ai jamais croisé de ma vie.
Son idée devient un peu plus claire.
— Et ? elle insiste, voulant entendre l'explication de manière explicite.
— Cite-moi une seule autre personne qui aurait fait ce qu'il a fait pour quelqu'un qu'il ne connaît même pas.
Elle soupire, choisissant de se contenter de ça, puisqu'elle n'en tirera sans doute pas plus.
— J'ai pas rencontré tout le monde sur Terre, elle répond, se calmant peu à peu.
— Sis, je crois pas que tu as envie de le laisser s'envoler. Pas encore, en tous cas, il lui dit, ne tenant pas compte de sa répartie, plus symbolique de son refus de capituler qu'autre chose.
— C'est toi que je ne veux pas laisser t'envoler. Je viens juste de revenir, je ne suis pas près de repartir.
Cette déclaration a beau être l'absolue vérité, il ne peut pas échapper à Clay que sa sœur a cessé de se défendre.
— Tu as quelque chose à terminer avec ce Josh. Va t'occuper de ça, et après tu nous rejoins. De toute façon, d'ici à ce qu'on retrouve un endroit où s'enterrer pour de bon, on sera moins suspects séparés. Tu traînais bien avec lui avant de venir sauver mon derrière, non ? Il était suffisamment bien pour toi avant, il n'y a pas de raison qu'il ne le soit plus maintenant, va pour conclure le grand frère.
— C'est insoutenable. Arrêtez ça ! Maintenant !
Le déchirement d'Oscar devant le fait que son frère la chasse en croyant bien faire n'est ni plus ni moins qu'un supplice.
— Et Scott, tu vas l'envoyer au large aussi ? elle demande, la gorge serrée.
— Nan, lui, je vais garder un œil sur lui, répond Clay.
Comme je relève les yeux, je le vois redresser la tête d'Oscar, d'une main sous son menton.
— Tu peux pas tout gérer pour nous en permanence, Clay, elle lui annonce.
— Je m'en suis très bien sorti jusqu'ici, non ? il réplique en essuyant une larme sur la joue de sa sœur.
— Pas ce que je voulais dire, elle déclare en baissant la tête à nouveau.
— Assez ! je réitère mon ordre, avec plus de force.
— D'accord, d'accord… On en a suffisamment entendu, de toute façon, cède enfin LeX, en se renfonçant dans le canapé, non sans un soupir soulagé de ne plus avoir à tendre l'oreille.
— C'est plutôt arrangeant qu'il la pousse à partir, tu ne trouves pas ? observe H, flegmatique.
— Ça lui évite d'avoir à le convaincre, lui accorde la Messagère.
— Vous êtes des démons, je leur crache, n'arrivant pas à comprendre comment ils peuvent rester aussi détachés vis à vis de ce qu'ils viennent d'entendre.
— Est-ce que c'est supposé être une insulte ? demande alors Hannibal, la part d'ange déchu en lui partagée quant à l'apostrophe.
— Je signale que c'est sa propre faute, si elle doit rentrer avec nous. Si elle était restée humaine, elle n'aurait pas eu le moindre souci, croit bon de me rappeler LeX.
— Et qu'elle ait changé de statut n'a rien à voir avec une petite brune que nous connaissons tous, je raille entre mes dents serrées.
— On a déjà statué sur ce problème, la Panthère tente, trop tard, d'éviter le sujet qui fâche.
— Qu'importe ses raisons, les moyens de Vik étaient viciés, et les conséquences ne sont pas toutes heureuses, de toute évidence, je réplique, la conclusion d'hier soir ne m'ayant pas autant satisfait que la créatrice de mon espèce.
— Est-ce que tu sais combien Vikt est plus vieille que moi ? me demande tout à coup la Messagère.
— Pas la moindre idée, je réponds du tac au tac, pris au dépourvu par la question hors sujet.
— Elle ne l'est pas. Elle plus jeune de cinq jours, en fait. C'est exact, j'ai existé cinq jours sans elle, m'apprends LeX, d'un ton dégagé.
— C'est rien du tout, je n'arrive pas à me retenir d'observer, agacé de la déviation inutile de la conversation.
— Précisément. Alors pourquoi tu me pardonnes tout et pas à elle ? me demande la Messagère, l'objectif de sa digression désormais apparent.
— Je n'ai jamais dit que je te pardonnais quoi que ce soit, je lui oppose.
D'ailleurs, elle n'a de toute façon jamais cherché à obtenir mon absolution.
— Dans ce cas, il va vraiment falloir qu'on travaille sur ta définition du ressentiment, parce que les personnes que je n'ai pas pardonnées, moi, elles sont sur la liste des cobayes du Projet Cassandre. Ou peut-être que c'est ta notion d'équité qui pêche, vu que tu ne traites pas de manière égale deux personnes à qui tu es supposé en vouloir tout autant, m'assène durement LeX d'une traite, en se penchant vers moi.
Avant que je ne puisse répliquer, Clay revient vers nous, me l'interdisant. Oscar reste un moment là où elle est, une main posée sur un meuble de cuisine, avant d'essuyer son visage de l'autre et de se rendre dans ce qui doit être la chambre, attrapant son sac au passage. Son grand frère n'en mène pas large de l'avoir fait pleurer et surtout de ne pas avoir pu la consoler, mais seule sa mâchoire contractée indique sa frustration, le reste de son expression contrôlée. Malgré les regards interrogateurs de LeX et moi, il reste encore une minute debout à quelques mètres de nous, dos à la porte par laquelle Oz a disparu, avant d'achever de se rapprocher. Il ne se rassoit pas et reste planté devant la table basse pour nous parler :
— Hey. Est-ce que… ça vous dérangerait d'héberger Oz un petit bout de temps ? il demande, ne sachant pas trop vers lequel d'entre nous se tourner.
— Pourquoi ? Il y a un problème ? s'enquiert LeX, jouant les innocentes.
— Je n'ai pas envie d'ajouter l'évasion de prison à la violation de conditionnelle à ses chefs d'accusation. Si on se fait choper, je préfère encore qu'elle n'en soit pas, il déclare, tout à fait raisonnable.
— Est-ce que… tu vas te séparer de Scott également ? poursuit la petite blonde, feignant toujours l'ignorance sur le sujet.
— Si vous pouvez pas c'est pas grave, Clay esquive la question, n'appréciant probablement pas qu'on remette en cause ses plans.
— Bien sûr qu'on peut. Avec plaisir, même. Mais on ne voudrait pas que vous preniez de décision hâtive non plus, se rattrape la Panthère, son interprétation de la sympathie tellement convaincante qu'elle m'écœure.
— Ce n'est pas permanent, assure Clay, autant pour lui-même que pour nous.
— Très bien. Pas de souci, dans ce cas. Mais on part bientôt. Voire, tout de suite, en fait, LeX conclut l'accord, jetant ostensiblement un coup d'œil à ma montre pour justifier sa soudaine précipitation.
— Scotty. Debout, p'tite tête, l'aîné va alors réveiller son benjamin, contournant la table basse pour aller lui poser un main sur l'épaule.
— … J'te détesterais si j'étais pas aussi content qu'tu sois là, proteste l'intéressé en bâillant.
— Oz va partir, lui annonce Clay, ce qui a l'effet d'un seau d'eau froide, interrompant son étirement.
— Hein ? C'est quoi c'te connerie ? panique Scott en papillonnant des yeux.
Ça fait drôle d'entendre cette onomatopée dans la bouche d'un autre, mais au moins j'ai la preuve qu'elle n'est pas toujours déplacée.
— Elle va rester avec eux jusqu'à ce que les choses se calment un peu. C'est juste une précaution, le rassure Clay, tout en nous désignant d'un mouvement de tête.
L'effet tranquillisant escompté n'est pas exactement obtenu, il faut bien le dire.
— T'es complètement à la ramasse ! On va quand même pas se séparer maintenant ! s'offusque le plus jeune McAddams, qui semble commencer à douter d'être bien réveillé.
— Je serai revenue avant d'avoir le temps de vous manquer, promet Oscar, qui est ressortie de la chambre, son sac à l'épaule, attirant alors l'attention de tout le monde qui n'est pas aveugle ou en train de dormir.
— Si vous chercher à vous payer ma tête, bah vous auriez pu mieux choisir votre moment, lance Scott à ses aînés, son regard passant de l'un à l'autre, cherchant une quelconque preuve qu'ils le font marcher.
— Ce n'est pas comme si elle retournait en conditionnelle. Vous pourrez vous parler tous les jours, par exemple, offre LeX, satisfaisant son impatience tout en paraissant compatissante.
— Bah ' y a intérêt, ouais, puisque visiblement j'ai pas mon mot à dire dans cette p*tain de décision de merde ! achève de s'énerver Scott.
— Scotty, l'interpelle Clay, sans hausser le ton mais sa voix trempée dans l'acier.
— Vous avez intérêt à prendre soin d'elle, okay ? annonce le grand brun en se retournant vers LeX, Hannibal, et moi, un seul mot de son frère suffisant à le faire cesser les négociations instantanément.
— On va faire de notre mieux, je promets, me forçant à sourire, mais les émotions d'Oz ne me rendant pas la tâche facile.
— Si vous vous ratez, je vous préviens, je viendrai pour vous, insiste le petit frère, presque hargneux.
— On viendra pour vous, en fait, renchérit son aîné, plus calme mais non moins menaçant.
— Si quoi que ce soit lui arrive, ça voudra dire que ce ne sera pas nécessaire, je leur avoue en toute franchise.
Clay me regarde bizarrement, se demandant si j'ai réellement voulu prendre un engagement aussi fort que ce que je viens de dire. Que je soutienne son regard sans broncher ne l'aide pas à se faire un avis.
— Emmenez-la, avant que je change d'avis, il se contente de répondre.
— Vous avez intérêt à nous avoir trouvé un chez nous du tonnerre, quand je reviendrai, Oscar prévient ses deux frères, les yeux humides à nouveau.
— Hey. Chez nous c'est là où on est tous ensemble, pas vrai ? l'assure Clay, dégageant une mèche de cheveux de devant les yeux de sa sœur.
Oscar passe un bras autour du cou de son aîné et tend l'autre main vers son cadet pour qu'il les rejoigne dans une étreinte de groupe. Scott ne se fait évidemment pas prier. Voulant, comme à notre retour dans le garage, leur laisser un peu d'intimité, je me retourne vers Dwight, que j'entreprends de réveiller le plus doucement possible. Un petite pression Magnétique suffit à atteindre mon objectif, et je lui explique ensuite par geste et en bougeant simplement les lèvres que nous allons bientôt partir, et qu'Oz sera du voyage. Mon Tuteur opine de la tête, et se lève. Je l'imite, suivi de LeX, qui entraîne avec elle Hannibal. Séparés de leur sœur, les deux frères nous accompagnent jusqu'à la porte, mais pas au dehors, peu désireux de prolonger cet atroce sentiment de séparation qui doit certainement les étreindre autant qu'elle. Cinq minutes plus tard, nous avons retrouvé le point de jump de Dwight, et disparaissons dans la nuit New Yorkaise.
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