Dixième Jour - 7. 8. 9. (4/10)
Plus tard, autour de la table du déjeuner, mes inquiétudes sont loin. Nous sommes restés un long moment à regarder Meri et Septy gambader, parfois pris à parti, comme des troncs d'arbres autour desquels des enfants tourneraient pour échapper l'un à l'autre (en plus intimidant, peut-être). Puis, sortis de nulle part, Hémistash et Sam se sont manifestés sur les épaules de leur Messager respectif, et il fut décidé qu'il était temps de laisser les animaloïdes entre eux. C'est là que LeX a entraîné Zed à l'écart, et Hannibal a suggéré que le reste d'entre nous prépare à manger, ce qui ne pouvait pas ne pas être secondé par Dwight. Rien de tel que de confectionner un repas en groupe pour se changer les idées, n'empêche. Pour le dessert, Dwighty insiste pour qu'Oscar et moi restions assis à tables pendant qu'il nous concocte ses fameux milkshakes. Hannibal est fidèle à lui-même, adossé au mur, dans un coin, mains dans les poches, bretelles pendantes à ses côtés, les manches de sa chemise retroussées laissant voir de multiples générations de cicatrices.
Je m'étais attendu à entendre diverses imprécations en provenance des étages supérieurs, mais rien ne filtre de la réaction du Messager canin aux révélations de son homologue féline. Et il n'y a aucun moyen de savoir si cela tient uniquement au fait qu'ils se sont suffisamment éloignés ou bien au fait que Zed n'élève pas la voix. En tous cas ils en mettent, du temps. Dwighty nous amène enfin ses chefs-d'œuvre, et il n'y en a pas un de nous qui résiste à observer la réaction d'Oscar, ne serait-ce que du coin de l'œil. Pas même H, qui n'a pourtant jamais eu l'occasion d'en goûter. Elle s'arrête de boire après sa première gorgée, et relève les yeux vers moi, comme si quelque chose n'allait pas. Je m'efforce de garder un air détaché. Ces milkshakes ont charmé mes parents, ce n'est pas rien.
— Il y a un piège, c'est ça ? Il y a un ingrédient magique dedans ou un truc du genre ? elle demande, sans oser éloigner ses lèvres de sa paille, pour une raison méconnue.
— Nope, 100% maison. Et les Jumpers font pas trop dans les bidules magiques.
Fier, mon Tuteur s'appuie en arrière sur le bar et sourit.
— C'est… incroyable ! Tu te ferais une fortune en vendant ça près de Central Park, elle lui expose en désignant sa boisson du doigt.
— P't-êt'e que j'f'rais ça quand j'aurai b'soin d'fraîche, il répond, haussant les épaules.
— Non pas qu'il y ait une chance que ça arrive, commente Hannibal de là où il est, provoquant un silence gêné.
Je lève vers mon parrain un regard un rien agacé par son manque de subtilité, mais si pour une fois il semble comprendre ce que je lui reproche, ce n'est pas la culpabilité qui lui fait détourner la tête. Je suppose qu'il estime que je ne suis pas en position de lui reprocher quoi que ce soit, ce que je me suis de toute manière dit de nombreuses fois. Mais il est tout de même imprévisible. Est-ce que ce serait geignard de ma part de trouver qu'on me donne beaucoup de responsabilités et peu de crédit ? Je n'ai l'un dans l'autre pas le temps de m'attarder sur cette triste ironie, car une suite de grondements se met à résonner dans la pièce, irrégulière, comme si des quilles de roche géantes étaient renversées par une boule de bowling de même gabarit, quoique sans les tremblements associés. Vous m'excuserez ma comparaison maladroite, mais je ne trouve rien de plus proche.
— C'est quoi, ce bruit ? s'écrie Oscar, à deux doigts de plaquer ses mains sur ses oreilles.
— Hum. Quelqu'un doit être en train de frapper à la porte, déclare tout simplement H, imperturbable.
— Quoi ? je m'exclame, par-dessus le vacarme.
— La porte de ton appartement. HAG peut percevoir les bruits extérieurs et les retransmettre, amplifiés de manière à ne tenir compte que de ses dimensions extérieures et non intérieures, il explique, étrangement non affecté.
— Depuis quand un coup frappé sur une porte fait un boucan pareil ? Oz m'ôte les mots de la bouche.
Bon, d'accord, peut-être pas exactement, mais l'idée y est.
— Certes, ce n'est pas super au point. Mais ce n'est pas comme si cette fonctionnalité avait déjà servi.
Je trouve que l'ange choisit son moment pour soudain prendre la défense de la maison.
— En un sens, c'pratique, propose Dwight, décidément aujourd'hui d'encore plus excellente nature que d'habitude.
— C'est surtout insoutenable ! Comment est-ce qu'on l'arrête ?
Et bien sûr, à peine les mots ont-ils franchi mes lèvres, le bruit s'interrompt.
— Comme ça… juge bon de tout de même répondre le grand blond, recevant mon regard le plus sombre en récompense.
Secouant la tête à l'intention de mon parrain, je me lève et sors de la pièce. Si quelqu'un frappe à la porte, il faut bien que j'aille ouvrir. À dire vrai, je me demande qui ça peut être. Ce n'est qu'en atteignant le seuil de ma chambre que je ralentis. La dernière fois que quelqu'un a frappé à ma porte, c'était un adolescent aux pieds ailés qui m'apportait la dernière partie de mon funeste héritage. June s'est bien présentée à la porte entre-temps, mais elle n'a pas daigné frapper. Cela dit, cette histoire-là ne s'est pas spécialement mieux terminée que la précédente, en ce qui concerne mon appartement du moins. Je n'ai d'ailleurs qu'à mettre un pied dans le couloir pour en avoir la preuve en image, de grandes traînées carbonisées sinuant sur les murs, entremêlées de lézardes et autres marques de sinistre. Au moins tout dégât antérieur, qui aurait éventuellement été oublié, est masqué.
J'ai un moment de pause devant ce décor un peu chaotique, sur lequel je n'avais finalement pas encore posé les yeux. Visiblement, les autres pièces ont échappé au plus gros de la catastrophe, n'en ayant subi que les conséquences indirectes, déjà annulées la veille par LeX – sans quoi nous aurions eu du mal à aller chercher les Quatorzes dans ma chambre ce matin. Le corridor, en revanche, a contenu l'épicentre de la crise de Perry, à savoir le Jardinier lui-même, et les longues traces s'y étendant du sol au plafond ont quelque chose de particulièrement lugubre, notamment à cause des silhouettes qu'elles découpent en négatif à plusieurs endroits. Nos silhouettes. Dans ce coin, LeX, debout. À ses pieds, Oscar et moi, allongés. De l'autre côté, June, agenouillée. Et bien sûr, un cercle de vide, au sol, pour l'endroit où se trouvait l'homme masqué lui-même, également à genoux.
Alors que je m'apprête à effleurer le mur du bout des doigts, plusieurs coups se font entendre, frappés à la porte. Je sursaute, ayant complètement oublié ce qui m'avait amené ici. Je ferme les yeux une seconde pour reprendre mon calme, puis vais ensuite ouvrir. Sur le pas de la porte se tiennent deux individus, un jeune homme aux yeux bleus et aux cheveux noirs lui tombant sur le front, et une jeune femme aux yeux marron et aux cheveux quelque part entre le châtain, le blond, et le roux, coupés irrégulièrement. Il me dépasse de quelques centimètres, je la dépasserais du double sans ses hauts talons. Il me dévisage, elle contemple sa manucure. Tous les deux portent de grands trench-coats beiges encore humides du dehors. Tout cela est très bien, sauf que je n'ai pas la moindre idée de leur identité, ce qui me laisse muet.
— Potentiellement impoli. Check.
Le jeune homme, jusqu'ici exemplairement inexpressif, a un bref sourire mystérieux avant de franchir le seuil, me laissant à peine le temps de m'écarter de son passage.
Avant que je ne comprenne ce qu'il est en train de se passer, encore tourné vers l'intrus qui se tient maintenant au beau milieu de mon vestibule, celle qui l'accompagne imite son entrée, à ceci près qu'elle ne fait pas plus d'un pas à l'intérieur. À la place, elle se saisit de moi, me plaque au mur avec une force inattendue, et me lèche lentement de la base du cou à l'angle de la mâchoire. Détournant la tête, je retiens difficilement un haut-le-cœur à la brutale invasion de mon espace vital. Sans me lâcher, un genou remonté au niveau de ma cuisse, elle ferme les yeux et rit, ce que je ne sais pas trop comment interpréter.
— Il a un goût extrrra, elle commente avec un grand sourire, rouvrant lentement ses paupières assombries de maquillage.
— Ew…
Oscar, qui a dû se demander ce qui me prenait si longtemps, surprend la scène.
— Tu dois être la copine, l'interpelle l'inconnue, un large sourire aux lèvres, sans me laisser partir.
— Sweetie, la copine n'est plus parmi les vivants, tu te souviens ? On a parlé de ça, la corrige l'autre, sans même se retourner vers son interlocutrice, trop occupé à reluquer Oz de bas en haut.
— Il en a pas trouvé une nouvelle ? rétorque la fille, se détachant enfin de moi, quoique sans me laisser me dégager pour autant, malgré mes efforts.
— Shhh. Ce n'est pas encore officiel.
Il porte momentanément son index à ses lèvres pour lui intimer le silence.
— Vous êtes qui, vous ? Oscar, bras croisés, me vole ma réplique, en plus agressif peut-être.
— Maintenant, ÇA, c'est ce que j'appelle du potentiel !
La façon dont l'intruse la détaille, encore plus malsaine que celle du jeune homme, me rend ma voix.
— Laissez-la tranquille ! je préviens, les faisant enfin se retourner vers moi.
— On verra… me répond la jeune femme, sans perdre son sourire.
Retirant finalement ses mains de mes épaules, elle se déhanche ensuite jusqu'à son compagnon, croisant ses chevilles de façon presque exagérée, et vient s'agripper à son bras. J'ai du mal à déterminer s'ils sont effectivement un couple, à la façon dont il reste parfaitement indifférent à sa présence à ses côtés. C'est tout juste s'il ne la repousse pas. Ceci étant dit, elle n'a pas l'air de s'en formaliser le moins du monde. La paire entre en mouvement, forçant Oscar à s'écarter de leur passage lorsqu'ils entament la traversée de ma chambre. Je m'essuie le cou de la manche, encore dégoûté de ce qui m'a été imposé, tandis qu'Oz les suit des yeux, elle aussi plus que stupéfaite de ce qui est en train de se passer. Je la rejoins dans l'encadrement de ma porte juste pour voir nos visiteurs s'engouffrer dans le placard. Nous échangeons un regard, avant de nous élancer à leur suite. C'est au beau milieu du hall que nous les retrouvons, en plein face à face avec LeX et Zed, au bas des escaliers.
— Jeter ton portable dans un volcan : pas très malin, LeXie, déclare l'étranger, glissant sa main libre dans la poche intérieure de son imperméable et en sortant l'exact même téléphone que celui que la Messagère a pourtant réduit en poussière quelques jours plus tôt.
— Ne m'appelle pas comme ça, l'interpellée gronde en réponse, seule la main de Zed sur son poignet la retenant de bondir en avant.
Je remarque qu'elle a pris une douche, sa chevelure humide, et seuls ses vêtements gardant de rares traces d'hémoglobine. Elle a également retrouvé ses mitaines et ses Converses.
— Toi. Attrape.
L'inconnue plonge à son tour sa main dans son imper, quoique probablement plus dans son décolleté que dans une poche, et en sort un morceau de papier. Une fois lancé, il atterrit directement dans la paume tendue du Messager, après une trajectoire tout bonnement impossible selon les lois de la Physique.
— Et c'est ? répond le récepteur.
Il a enlevé sa veste, mais est-ce que c'est mon imagination ou bien il a aussi les cheveux mouillés ?
— L'adresse à laquelle tu vas envoyer le tapis pour remplacer celui que tu as ruiné, répond le jeune homme à la place de sa compagne, visiblement dominant dans le duo d'intrus.
— Je vais le tailler dans mon pelage, rétorque le Loup, acerbe.
— Je n'en attends pas moins, ne se formalise pas l'autre, élargissant au contraire son sourire.
— J'aimerais bien savoir ce qui t'a pris. Des mois en immersion, sous forme animale en plus, juste pour que ça se termine comme ça…
L'inconnue fait la moue, moqueuse.
— On a eu besoin de moi, est tout ce que Zed est enclin à offrir.
Ah, sa mission était sous forme de loup ! Ça explique sans doute ses petites difficultés à reconnaître les différents degrés de langage, tiens.
— Mouais…
Elle ne semble pas satisfaite, mais personne n'a de toute évidence l'intention de lui donner quoi que ce soit d'autre comme explication.
Dwight apparaît tout à coup à côté d'Oscar, la faisant sursauter comme jamais, et surtout faisant se retourner les deux étrangers. Dans la seconde qui suit, Hannibal surgit de la cuisine, l'air furieux, et à en juger par la façon dont le Jumper évite son regard, c'est après lui que l'ange en a, certainement pour avoir quitté la pièce contre son avis. Le grand blond reprend vite une contenance lorsqu'il envisage nos deux nouveaux invités, lâchant le montant de la porte, baissant la tête et croisant ses mains devant lui. Il a cependant beau être en position de déférence, son aura renvoie tout à fait autre chose. Rien ne peut jamais être simple. L'attention des deux étrangers est cependant toujours portée sur mon Tuteur, et ils lui accordent sensiblement la même inspection qu'à Oscar un peu plus tôt.
— Salut ! Je suis Pro, annonce la jeune femme à Dwighty, prenant pratiquement la pose dans sa direction.
— Pro de quoi ? demande-t-il, avec légitimité.
— C'est comme ça qu'elle s'appelle, idiot, l'admoneste celui qui ne s'est toujours pas présenté, faisant se hérisser toutes les fibres de mon être Magnétique.
— Bats les pattes !
Une nouvelle fois, Oscar me devance. Je ne sais pas si elle est particulièrement vive ou si je suis tout simplement un peu lent aujourd'hui.
— Qu'est-ce que vous faites ici ? intervient LeX, à point nommé.
— On en a eu assez d'attendre. Et puis, pour ne rien gâcher, ton petit protégé s'est mis à faire des vagues…
Pourtant tourné vers son interlocutrice, le jeune homme me toise par-dessus son épaule.
— Vous êtes supposés vous annoncer, proteste la Panthère, quoi que calmement.
— Comme je l'ai dit, tu as détruit le seul moyen de te contacter.
Ses yeux toujours posés sur moi, ce qui n'est pas franchement agréable, il secoue l'appareil téléphonique qu'il a toujours dans la main à l'intention de LeX.
— Ce n'est pas moi que vous deviez prévenir, elle le corrige, luttant apparemment pour ne pas hausser la voix.
— Et sinon, vous êtes qui, exactement ? je daigne demander, prenant mon courage à deux mains, quoique j'aie une vague idée.
— Tellement de choses… murmure la dénommée Pro, d'un ton dérangeant.
— Eren, Pro. Petit demi-frère, grande demi-sœur. Le fils de son oncle, la fille de son grand-père. Maître interrogateur et empoisonneur, maîtresse tortionnaire. J'ai oublié quelque chose ? débite Zed d'une voix presque monocorde, tout en s'approchant.
— Je suis vraiment très douée au lit, lui répond Pro, loin de contester la description qui vient d'être donnée d'elle, pourtant si peu flatteuse que je me demande si j'ai bien entendu.
— Ne le sommes-nous pas tous ? relève le dénommé Eren, me quittant enfin des yeux.
— Ce sont des Messagers du Mal, résume LeX en s'avançant à son tour.
Voilà qui éclaircit certaines choses.
— Les, s'il te plaît, LeXie, la reprend le jeune homme.
— Encore une fois. Essaye, pour voir, elle le menace, n'appréciant définitivement pas ce surnom.
— Chérie fais-moi mal, il répond, doucement joueur.
— Vous êtes coordonnés ? change alors de sujet Zed, que sa partenaire retient à son tour.
— Er… Nan, pas du tout, répond Pro en pouffant.
Personne ne voit ce qui l'amuse, mais en même temps je n'ai pour ma part même pas compris la question.
— Félicitations, à cause de votre manque de communication, il va y avoir assemblée.
LeX secoue la tête et se détourne, allant s'asseoir sur les premières marches de l'escalier, le visage dans ses mains.
— Pour de vrai ? demande Pro, son sourire s'effaçant.
— On dirait bien, confirme Zed, laissant échapper un soupir et sortant un cellulaire de sa poche arrière, sur lequel il pianote un court instant.
— Voilà qui craint, commente Eren, mélangeant les registres sans problème.
— Et sinon, pour les non-Messagers, ça donne quoi ? je demande, ne voulant pas rester trop perdu quand même.
— Ils viennent tous. Aujourd'hui, répond LeX, sans sortir sa tête de ses mains.
— Hein ?
Dwight et Oscar me regardent, perdus, et Hannibal serre les dents.
— Huit Messagers, deux Témoins, et tous les Quatorzes qui vont avec. Ici. Dans la journée.
La petite blonde se relève et souffle, harassée.
— Vous vous payez ma tête ?
Ils étaient supposés venir séparément. Et si ce sont tous des numéros comme ceux que j'ai rencontré jusqu'ici, je ne crois pas pouvoir les gérer tous simultanément.
— Ça explique tout, avoue Zed, qui range son téléphone où il l'a pris.
— Aurais-tu été indisposée ? s'exclame Eren à l'intention de LeX, avec plus d'engouement qu'on ne devrait en faire preuve lorsqu'on pose ce type de question.
— À ton avis ?
Elle lui jette un regard si noir qu'il arrive même à diminuer un peu son sourire.
— Je croyais que ce n'était pas une indication précise de quoi que ce soit ? je m'étonne, voyant très bien ce que "indisposée" signifie dans le cas présent.
— Sauf que ça ne peut pas se produire à l'approche d'un clan Messager, pas s'il est isolé. Ne cherche pas une logique. Il y en a une, mais on n'a pas le temps, explique LeX.
— Aha ! C'est ça que ça voulait dire ! s'écrie tout à coup Hannibal, perdant son attitude prostrée et attirant tous les regards.
— Quelqu'un m'explique pourquoi il y a deux Tuteurs en présence ? demande Eren, désignant Dwight et H de chaque main.
Il va finir par avoir le tournis à se réorienter sans cesse.
— Je ne suis pas Tuteur pour le moment, réplique sèchement l'ange blond.
— Des ennuis au paradis ? taquine Pro, se faisant foudroyer du regard par l'intégralité de l'assistance.
Il y a des choses avec lesquelles on ne plaisante pas, surtout devant certains auditoires.
— Qu'est-ce que quoi voulait dire, H ? j'invite Hannibal à développer son idée, une fois le silence provoqué par la Messagère du Mal passé.
— Les photographies d'hier soir n'en étaient pas. C'était des captures d'écran. "Ils arrivent". Gandalf dans les mines de la Moria dans le tout premier Seigneur des Anneaux, les enfants de la Terre de Torchwood, le patronus de Kingsley Shacklebolt au mariage de Bill Weasley dans l'une des premières adaptations du dernier tome d'Harry Potter, … "Ils arrivent." Voilà ce que ces images ont en commun. Voilà ce que LeX m'a répété hier soir !
Mon parrain s'adosse au mur, bras croisés, satisfait d'avoir enfin résolu le mystère. Ma mâchoire se décroche à la révélation. Certains des éléments mentionnés par l'ange sont à peu près dans mes cordes, mais jamais je n'aurais fait le lien avec ces images dans ce livre. Et même si je les avais replacées, je ne pense pas que j'aurais trouvé le message commun.
— Tu n'as pas perdu ton goût pour les références hautement culturelles, fait remarquer Eren à sa collègue Neutre.
N'empêche que personne n'avait compris…
— Où sont vos Complices ? enchaîne l'interpellée sans relever.
— Qu'est-ce que ça peut bien te faire ?
Pro est sur la défensive.
— Assemblée, intervient Zed calmement, voulant désamorcer la situation.
Ce simple rappel doit cacher toute une explication, car avec un lourd soupir, Pro tend sa main au niveau de son épaule, paume vers le haut, laissant son partenaire y déposer ce qui ressemble fortement à un tube à essai muni d'un bouchon de liège. Toujours sans tourner la tête vers Eren, elle referme ses doigts sur l'objet, puis en sort un similaire de son propre manteau, certainement à nouveau en provenance de son corsage, après quoi elle se dirige sans un mot vers la grande ouverture métallique menant toujours à l'arène. J'ai refermé tout à l'heure, mais n'ai pas jugé utile de complètement condamner l'entrée. Pro entrouvre le rideau, jette les deux récipients par terre, les brisant dans la manœuvre, puis referme, alors que deux râles funestes commencent à se faire entendre. Je suppose que le peu de considération pour leurs Quatorzes fait partie des personnages des Messagers du Mal, mais ça me met quand même mal à l'aise.
— Contente ? lance Pro à LeX tout en revenant vers nous.
— Ravie, répond l'autre, lui rendant son sourire outrancier.
— Trêve de civilités ; comment procède-t-on ? demande Eren, sur lequel vient à nouveau lascivement s'appuyer sa comparse.
— En d'autres circonstances vous auriez eu carte blanche, mais maintenant, il ne nous reste qu'à attendre que tout le monde soit là, annonce LeX, avec une mimique accusatrice.
— Je ne dois pas être la seule qui a l'habitude de commencer les choses en solo, si ? se plaint Pro.
S'en suit sur les visages de l'assistance une ola de divers signes de compréhension, plus ou moins rapide, du sous-entendu grivois.
— Au risque de paraître peu brillant, je préfère demander confirmation : carte blanche pour quoi ? Qu'est-ce qu'on doit attendre les autres pour commencer ?
J'assume de mieux en mieux d'être perdu par la conversation.
— Notre campagne. Pour te faire découvrir ta véritable nature, expose Eren, presque doucereux.
— Est-ce que je dois demander ? me glisse Oscar, qui maintenant que j'y pense n'est pas super calée sur le système de polarité, pour ne pas dire pas du tout.
— Er… est la seule chose qui sort de ma bouche.
Sur le coup, je suis incapable de déterminer si c'est quelque chose qu'elle peut savoir ou non.
— Je m'en occuperai plus tard, me propose H.
Quand est-ce qu'il est arrivé à côté de moi ?
— Alors c'est vraiment elle ?
Au centre de la pièce, les Messagers du Mal ne sont plus à un demi-tour près.
— Je ne croyais pas que vous l'auriez gardée, renchérit Eren.
— Personne ne me garde. J'ai choisi de rester.
Il y a des moments où je me passerais bien de la combativité d'Oscar, même si ça a quelque chose d'irrésistible.
— Et c'est excellent ! Pour nous en tous cas, se reprend le Messager, de peur d'avoir été mal compris.
— Tu es l'incarnation de la pire chose qu'il a jamais faite, lui explique Pro, comme sur le ton de la confidence.
— Son prénom est Josh. Et je suis l'incarnation de que dalle.
C'est tout juste si Oz ne lui crache pas au visage. Je pose ma main sur son épaule, la modérant autant que je serre moi-même les mâchoires. Cependant, Pro a déjà changé d'idée.
— Oh, ça me fait penser : lequel d'entre vous s'est occupé d'Eames ?
Tout le monde la fixe sans comprendre.
— Grand, athlétique, cheveux ras, maîtrise l'électricité ? explicite Eren avec indifférence.
— L'InFamous ? demande Hannibal, les traits soudain défaits.
— Bingo ! Je suppose donc que c'était toi. Du bon boulot, vraiment. Eames était très doué. Ses capacités vont nous manquer.
Pro n'a pas l'air aussi affectée qu'elle le dit.
— Je ne suis pas à vendre, la prévient l'ange, détournant la tête.
— Si je voulais t'embaucher, je ne viendrais pas te voir directement. Mais en l'occurrence, même si elle pencherait d'emblée en ta faveur, la question de ton recrutement va devoir attendre ; on n'est pas là pour ça.
À ce stade, c'est de la provocation pure et dure.
— Je ne crois pas que nous ayons tout à fait la même perception de ce qui est ou n'est pas en ma faveur, rétorque le grand blond entre ses dents.
— Où est-ce que vous l'avez trouvé ? Il est adorable !
Elle le pointe du doigt et se retourne vers le reste d'entre nous, nous prenant scandaleusement à témoin.
— Ça suffit ! Je conçois qu'il vous soit pénible de devoir attendre vos collègues, mais vous n'avez rien de plus constructif à faire d'ici à ce qu'ils arrivent ? je m'interpose, avant que mon parrain ne perde le contrôle du courant qui s'intensifie dans ses mains depuis la mention de sa récente exécution.
— Je n'ai pas terminé.
La Messagère devient tout à coup très sombre.
— Je crois que si, je trouve le courage de répondre.
— Non. Il me reste encore à mentionner pas mal d'exploits de votre petite équipe ces derniers jours.
Son ton est lourd de sous-entendus, et elle fait un pas chaloupé vers moi, le bruit de ses talons aiguilles sur le parquet sonore dans le silence ambiant.
— Mais je t'en prie. Du moment que tu ne déformes pas les faits, il n'y a rien dont nous ayons honte.
H n'a pas honte d'avoir tué Eames, mais il n'en est pas spécialement fier pour autant. Il a fait ce qu'il avait à faire, rien de plus, et il n'en tire aucune gloire. Affirmer le contraire est un affront grave, surtout pour un dérivé comme lui, initialement pas meurtrier, voire l'inverse.
— C'est quoi, son nom de Magnet, déjà ? Pro demande à LeX après un court silence de réflexion, détournant légèrement la tête mais sans me quitter des yeux.
— Lil'Hu. Je vous l'ai déjà dit…
Probablement au téléphone, avant que la conversation ne tourne au vinaigre et qu'elle ne détruise l'appareil.
— Et bien, Lil'Hu, je tenais simplement à te féliciter officiellement d'avoir résolu le problème Babylone des Paradisiaques, hier au soir.
Voilà qu'elle est soudain tout miel. Je ne comprends pas où elle veut en venir.
— En quoi ç'pourrait être un avantage pour vous ? demande Dwight à ma place, voyant que je ne le fais pas moi-même, et se posant, comme presque tout le monde, la question.
— Ça l'a mise en chaleur, l'ami, ça l'a mise en chaleur… explique Eren en levant les yeux au ciel, alors que la principale intéressée éclate de rire, brisant l'atmosphère lourde qu'elle s'était fait un plaisir d'instaurer.
— J'suis pas ton pote, reprend Dwighty, candide, faisant brièvement hausser un sourcil au Messager.
— Je pense que maintenant est un bon moment pour te prévenir que tu as cours, Josh.
Je sauterais presque au cou de mon parrain.
— Jamais meilleur, je réponds avec soulagement.
Je ne prends même pas le temps de dire au revoir, et m'éclipse en direction de mon appartement. Oz, H, et Dwight me suivent, heureusement retenus par personne. Je laisse aux Messagers Neutres le soin d'expliquer la situation à leurs collègues du Mal ; moi, j'ai besoin d'air. Je choisis d'avoir Hannibal m'accompagner, d'une part parce que l'éloigner le plus possible de Pro, qui lui a vraiment mis les nerfs en pelote, semble une bonne idée, et d'autre part parce que je pense qu'Oscar préférera être sous la garde de Dwighty que celle de l'ange blond. Ou en tous cas qu'avec lui elle n'aura pas l'impression d'être sous garde. J'espère simplement qu'il ne va rien se produire de catastrophique en mon absence. Le doux sentiment d'apaisement que j'avais ce matin au réveil me manque soudain cruellement.
Commentaires
Enregistrer un commentaire
Alors ? Ça vous a plu ?