Dixième Jour - 7. 8. 9. (3/10)

Lorsque notre petit groupe de cinq rejoint Dwight au rez-de-chaussée, il est effectivement debout, ce qui est une amélioration par rapport à l'état dans lequel je l'ai laissé plus tôt. Il paraît cependant toujours un peu perdu. Je m'approche, Oscar sur les talons, tandis que LeX et Zed restent au pied des escaliers, lui nonchalamment accoudé à la rambarde, elle à son bras. Hannibal ne descend carrément pas les dernières marches. Lorsque le Jumper se tourne vers nous, il a une main derrière la tête et cette expression sur le visage qu'il n'a que lorsqu'il se passe quelque chose qui lui échappe. Ce n'est pas une mimique que j'aime particulièrement, parce qu'il est d'un naturel assez imperturbable, même par des choses franchement dérangées.

— Hey, Dwighty ! Tu te sens mieux ? je lui demande prudemment.

— J'crois qu'j'ai un traumatisme crânien.

Il n'utilise pas des mots aussi longs à la légère.

— Qu'est-ce qui te fait dire ça ? je l'incite à élaborer.

— J'ai vu un ch'val dans ta chambre.

Certes. Techniquement, c'est insolite, mais en y repensant il y a déjà eu un équidé dans mon appartement il y a quelques jours, donc je ne sais pas si c'est réellement un signe de lésion cérébrale.

— Meri, intervient Zed avant que je ne puisse répondre, attirant l'attention de mon Tuteur.

— Qui ? je relève, laissant à Dwight le loisir de chercher s'il connaît celui qui vient de prendre la parole.

— Ma Monture, explique le Messager en se redressant.

— Oh.

Je pensais qu'il était arrivé sous forme de loup…

— Elle m'a suivi.

Il est très perceptif.

— Alors j'ai pas d'trauma' ? demande Dwighty, plus soulagé qu'intrigué par l'intrus.

(Quand je vous dis imperturbable.)

— En tous cas, tu n'hallucines pas, lui répond Oscar, optimiste.

— Cool.

Et le Jumper retrouve son sourire.

— Pas frappé assez fort, de toute façon, renchérit Zed, faisant à nouveau froncer le sourcils à Dwight.

— Er… J'me suis fait attaquer par un chien géant, il explique, faisant fermer les yeux au Messager l'espace d'un instant, l'ayant sans doute quelque part un peu insulté.

— J'étais un loup, il corrige, serrant les mâchoires.

— Oh, d'accord. Mais t'es qui, en fait ?

Si Dwighty n'existait pas, il faudrait l'inventer.

— Zed, Dwight. Dwight, Zed. C'est un Messager, je fais rapidement les présentations, désignant du geste qui de droit.

— Ah ouais ? s'exclame mon Tuteur, croisant les bras, l'air impressionné.

— Ouais, confirme l'intéressé avec un hochement de tête honoré, tout froissement oublié.

Il n'y a décidément que Vik pour en vouloir à Dwighty pendant plus d'une minute.

— Et pourquoi t'es arrivé en mode vénère ? interroge ensuite le Jumper, entrant finalement dans le vif du sujet.

— Ma belle, lui répond tout simplement l'autre en souriant, glissant à nouveau son bras autour de la taille de la petite blonde à ses côtés.

— Tu sais ce qu'elle te dit, ta belle ? rétorque cette dernière, lui jetant un regard partagé entre le sensuel et l'assassin.

— Que trop, il répond, lui rendant son regard et resserrant son emprise sur elle.

Et il vient l'embrasser encore…

Je fais volte-face, plus dérangé que je ne le devrais. Je ne sais pas quel est mon problème. Ils se comportent de façon tout à fait acceptable, et sont tout ce qu'il y a de plus assortis. Secouant la tête à ma propre puérilité, je profite de mon demi-tour pour faire un pas vers la porte d'entrée, de manière à juger par moi-même du nouvel occupant de mon appartement. Un équidé blanc à crins noirs se tient bien droit sur ma moquette, mais il n'est cependant pas seul. Un renard de feu est assis sur son dos, les pattes soigneusement enroulées dans sa proéminente queue, et un serpent à plumes ondule à ses sabots. Je suppose que l'une des deux créatures surnaturelles doit être l'animal de compagnie de LeX, et par déduction, l'autre celui de Zed. Je ne m'en inquiète pas. Je ne suis plus à ça près.

— D'accord ! Et si on s'occupait du cheval qui est dans mon appart' ? je propose, cherchant simplement à interrompre toute démonstration d'affection.

— Un problème ? me demande Zed, ses lèvres toujours à moins d'un centimètre de celles de LeX.

— Ça ne doit pas être super confortable pour lui.

Ce n'était pas mon idée première, mais je suppose que je n'invente rien pour autant.

— Elle. Meri est femelle. Sam aussi.

Il reporte enfin son attention vers moi, et son sourire mais fait baisser les yeux ; il voit clair dans mon jeu, mais a apparemment la bonne grâce de ne pas m'en tenir rigueur, ce dont je lui suis reconnaissant.

— Sam ? H est le seul à relever.

— Mon Compagnon, explicite le Messager.

Serpent à plumes ou renard de feu ?

— Son équivalent d'Hémistash, simplifie LeX, au cas où certains d'entre nous n'auraient pas compris.

— D'accord. Et son confort à elle aussi est important, non ? H, est-ce qu'il n'y aurait pas un moyen d'amener tous les animaux dans l'Arène ? je demande à mon parrain, le plus apte à savoir.

— Quatorzes, corrige Zed avant que l'ange n'ait le temps de répondre.

— Pardon ? Je ne vois pas de quoi il parle.

— On ne sait pas si ce sont effectivement des animaux. C'est la principale raison de leur existence. Le terme exact est Quatorzes, prend à nouveau le relais LeX.

— Pourquoi un nombre ? demande Oscar, bien que ce ne soit plus exactement un nombre, la faute d'accord pouvant pratiquement s'entendre.

— Parce qu'il y a quatre Montures, quatre Compagnons, et six Complices.

Si la présence de Zed a toujours cet effet sur la Panthère, je vote pour qu'ils ne se séparent jamais.

— Vous en avez quatorze comme ça ? Oz s'exclame en désignant du pouce, par-dessus son épaule, les trois bestioles de l'appartement.

— Sur dix Messagers, c'est un nombre raisonnable.

LeX glisse sa main dans celle de Zed, et je comprends subitement ce qu'elle est en train de faire.

— Vous êtes dix ?

Je ne sais pas combien de temps la petite blonde peut retenir son partenaire de ne pas se formaliser de l'ignorance flagrante d'Oscar.

— Qui es-tu, déjà ?

Je l'avais bien dit. LeX ferme les yeux, et elle et moi soufflons de concert.

Le Messager se détache de l'escalier et de son homologue, puis s'approche d'Oz, intrigué. Cette dernière reste sans voix, ses yeux s'agrandissant imperceptiblement sous l'effet de la panique, provoquée à la fois par la question et l'approche de Zed, bien qu'il ne soit pas spécifiquement menaçant. Je ne sais pas quoi dire non plus, parce que je ne sais pas exactement ce qu'il sait. Si je ne lui avais pas parlé, j'aurais simplement supposé qu'il était au courant de tout, mais son attitude me laisse penser qu'il n'est pas tout à fait à jour dans ce qui nous est arrivé. Pourtant, ça a touché toute la communauté dérivée, il me semble. Plusieurs fois de suite. (Oui, on fait les choses en grand, et alors, ça vous pose problème ?) Tout à coup, et enfin, Hannibal descend les marches, et vient se placer à la droite d'Oscar, protecteur.

— Vous n'étiez pas une priorité quand il a fallu lui inculquer les bases, il intervient, responsable des lacunes dans l'éducation de la jeune fille, si on peut dire.

— Je t'expliquerai plus tard.

LeX s'avance jusqu'aux côtés de son partenaire, l'air agacée de la tournure de la conversation, mais résolue à gérer.

— Il était sous un rocher ? demande alors H, comprenant à son tour – il était temps – que Zed a comme qui dirait un train de retard.

— Mission, répond simplement l'intéressé, commençant seulement à froncer les sourcils, et ne sachant plus trop vers qui se tourner.

— Oh. Depuis quand ? poursuit l'ange, pour être sûr.

— Nous avons été en contact un peu avant que je vienne ici, répond la Messagère, alors que son homme comprend que quelque chose d'important lui échappe.

— Ah, commente H, obtenant confirmation en même temps que le reste d'entre nous que nos récents exploits et désastres vont sous peu être une complète exclusivité pour notre nouvel invité, ce qui n'est pas forcément une plaisante perspective.

— Ça fait beaucoup d'onomatopées.

Zed se retourne vers LeX, un sourcil légèrement haussé. Il ne semble pas en colère, mais en même temps, il me paraît être quelqu'un de plutôt impassible dans son genre, alors je peux me tromper.

— C'est sous contrôle, lui répond la petite blonde, le fixant droit dans les yeux, ses iris perdant leur couleur pratiquement à vue d'œil.

— Un rapport ? est la seule question de l'autre.

À sa main vers le plafond, je comprends qu'il veut parler de l'état dans lequel il l'a trouvée.

— Aucun.

Elle secoue vivement la tête de gauche à droite.

— Alors ça peut attendre.

Là, je dois bien reconnaître une chose, c'est qu'il a une confiance béton en elle. Moi, je lui aurais demandé si elle était sûre, parce qu'elle n'avait pas l'air de savoir d'où ça venait, ce matin.

— Pour en revenir à un sujet moins tendu, si tu demandes gentiment, Josh, oui, il y a un moyen d'ouvrir un passage d'ici à l'Arène.

Oh, Hannibal et sa subtilité hors du commun. Je me retiens de porter ma main à mon visage.

— Er… S'il te plaît, Hannibal, y aurait-il un moyen d'accéder à l'Arène depuis ici ? je réponds machinalement en me retournant vers lui, encore trop perturbé pour songer à lui faire remarquer son manque de finesse.

— Pas à moi, à elle !

L'ange blond croise les bras et a un sourire moqueur.

— Elle n'est pas vivante, H ! Et c'est toi qui l'as programmée, je proteste doucement, comprenant hélas de qui il veut parler.

— J'ai participé, mais son architecture a principalement été programmée par ta mère, qui en a ensuite rétrocédé le contrôle à la machine-même.

Personne n'a décidé d'être serviable, aujourd'hui, c'est ça ?

— LeX, comment avais-tu fait pour amener Septentrional à l'appartement ? je demande alors.

Elle n'a certainement pas fait monter les escaliers à son étalon. Pas plus que Zed à sa jument, d'ailleurs.

— Portail, répond la Messagère sans même cligner.

— Un portail. Génial. On n'a qu'à faire ça, je propose.

— Tu n'as pas besoin de portail dans HAG, voyons, s'exclame H, levant probablement les yeux au ciel.

— Alors quoi ? je l'interroge, commençant à être un tout petit peu irrité sur les bords.

— RDIS ? demande Zed tout bas, l'air surpris.

— Oui, lui répond LeX sur le même ton, ce à quoi il hoche la tête, impressionné.

— Bon, est-ce que quelqu'un a l'intention de m'aider ou bien je vais devoir m'escrimer tout seul encore longtemps ?

Je prends le pont de mon nez entre mes doigts, sentant une migraine venir.

— Écoute le déchu. Demande, me dit le Messager en souriant.

Y a-t-il un humour caché dans cette situation ?

— S'il te plaît, HAG, un passage ?

Je déteste faire ça.

Et la raison principale pour laquelle je déteste faire ça, c'est que ça fonctionne. Je peux gérer d'attirer le métal et de repousser les gens, je peux gérer de guérir à une vitesse ahurissante, même sur mon visage, je peux gérer de parler à des monstres, de me téléporter, de me battre avec un bâton, d'avoir des amis télékinésistes, télépathes, ou ailés, mince, je peux même gérer que LeX soit en couple, mais s'il y a un truc qui me file plus la nausée que tout le reste des choses extraordinaires qui m'arrivent depuis quelques mois, c'est bien que la maison dans laquelle j'ai grandi m'obéisse. Ce bâtiment est ancré trop profond en moi pour que j'accepte qu'il soit révolutionné sans broncher. La salle de Bal a toujours eu des capacités diverses, alors qu'elle le fasse sur commande n'est pas un trop grand pas à faire. Mais une porte qui apparaît au milieu d'un mur, ne donnant qui plus est pas sur la pièce se trouvant techniquement derrière ce mur, j'ai plus de mal. Surtout quand ça se produit sur ma demande personnelle.

— C'est drôle, tu n'as pas du tout le même style que tes parents, commente Hannibal en contemplant le grand rideau de métal clair apparu à côté de l'ouverture menant au salon.

Je note que son visage ne reflète pas du tout ses propos.

Surveillant l'état du blondinet du coin de l'œil, conscient que trop de références à mes parents vont finir par le perturber franchement, je me rends jusqu'au portique et le replie en accordéon sur le côté, comme la porte de mon placard, finalement. Apparaît alors, de manière plus théâtrale que je ne l'aurais voulu, l'arène de ma mère. J'entends Oscar avoir la respiration coupée derrière moi. J'oubliais qu'elle n'avait jamais vu cette partie de la maison. L'entrée que j'ai créée mène sous les escaliers qui descendent de part et d'autre de la sortie de l'ascenseur, comme probablement tout accès ouvert vers cette pièce. Je me demande si je pourrais en ouvrir deux en même temps. Ça poserait certainement problème… Toujours est-il qu'on a une vue imprenable sur l'incroyable étalage de pièces vitrées dans lesquelles ma mère accueillait ses protégés en son temps. Oz s'avance jusqu'à ma hauteur, bouche bée, comme je l'étais à peu de choses près la première fois que j'ai découvert l'endroit. Elle me surprend à un moment donné en train d'observer sa réaction, mais retourne bien vite à sa contemplation, trop émerveillée pour m'en tenir rigueur.

— Okay, tout le monde attrape une bestiole, propose LeX en frappant à plusieurs reprises dans ses mains, lorsqu'elle estime que suffisamment de temps a été accordé à la fascination.

— Ils ne peuvent pas se déplacer tout seuls ? je m'étonne.

— Si, mais j'en soupçonne certains de se demander s'ils sont doux depuis bien dix bonnes minutes.

Elle penche ostensiblement la tête vers Dwighty.

— Même pas vrai, d'abord ! se défend le Jumper lorsque tous les regards se tournent vers lui, arrachant un sourire à la ronde.

— Alors tu vas pouvoir m'accompagner chercher Septy, lui lance la Panthère, s'approchant déjà.

— Peur de quelque chose ? je lui demande, surpris qu'elle veuille une escorte.

— Envie de compagnie, elle rétorque.

Sur ce, elle attrape le bras de mon Tuteur et se hisse sur la pointe des pieds pour lui souffler une destination (puisqu'on ignore en fait où elle a rangé son propre fidèle destrier) après quoi, une fois que le Jumper a hoché la tête en signe de compréhension, les deux disparaissent, dans ce bruit si familier à mes oreilles. Et bien, voilà qui était bizarre. La façon dont Zed baisse la tête ne fait que confirmer mon impression du comportement de la petite blonde. Même H se met à froncer les sourcils à la mine sombre du Messager. Oscar m'accompagne lorsque je retourne près du centre de la pièce, que ni l'ange ni l'autre n'ont quitté. Personne ne dit cependant rien, laissant au Messager le choix de s'expliquer ou non.

— Elle ne peut plus se déplacer par elle-même, il gronde entre ses dents après une petite minute.

— Hein ? Mais pourquoi ?

Ça expliquerait qu'elle ait voulu de Dwight avec elle, ceci dit.

— C'est ce que j'aimerais savoir, il relève les yeux vers moi, sans pour autant avoir l'air en colère après qui que ce soit.

— Alors tu n'as vraiment aucune idée de ce qui l'a fait… faire ce qu'elle a fait là-haut ?

J'ai failli dire "dessiner dans son sang", mais me suis souvenu à la dernière seconde qu'Hannibal et surtout Oscar n'avaient pas été témoins de cet épisode.

— Un tas de choses peuvent l'amener à faire des glyphes.

Il semble réfléchir tout haut.

— Un peu comme ma désynchronisation, marmonne H dans sa barbe inexistante.

— Plus qu'un peu, reprend Zed en se tournant vers l'ange, quoique toujours un peu pour lui-même.

— Qu'est-ce que tu veux dire ? relève néanmoins le grand blond, penchant la tête sur le côté.

— Rien. Ce n'est de toute manière pas votre job de régler ce genre de situation. C'est pour ça que je suis là. Je vais m'en occuper, ne vous inquiétez pas.

Il sourit, bien que toujours un peu perdu dans ses pensées. Qu'il soit capable de longues phrases me rassure un peu.

— Tu es sûr ?

Je ne comprends pas l'insistance de mon parrain. C'est mon tour, d'avoir raté quelque chose ?

— Oui. Maintenant nous devrions plutôt nous préoccuper de suivre les instincts du Magnet, parce que je crois que Meri va effectivement finir par se mettre de mauvais poil, ce qu'il est en général préférable d'éviter.

Il semble revenir à la réalité pour de bon, et ouvre la marche jusqu'aux trois Quatorzes squattant la moquette de ma chambre. Il faut bien reconnaître une chose aux familiers, c'est qu'ils sont plus polis que l'un de leurs maîtres, et attendent qu'on vienne les chercher avant d'entrer.

J'emboîte le pas à Zed, accompagné d'Oscar, et Hannibal ferme une nouvelle fois la marche. Je ne manque pas de remarquer son air perplexe, mais il lui arrive d'être complètement désarmé devant la plus basique des tâches, et comme son aura ne me renvoie rien de particulièrement anormal, je décide de ne rien dire. Je ne peux décidément pas tout gérer pour tout le monde. Si tout pouvait être parfait, ne serait-ce qu'à un seul instant t donné dans le temps, ça se saurait, non ? Pourquoi est-ce que je n'arrête jamais de me prendre la tête ? Je n'ose pas imaginer ce que ce serait si je n'avais pas reçu de Dwight, dès mon premier jour en tant que Magnet, le conseil de garder la tête froide… Il n'est peut-être pas un si mauvais prof. C'est peut-être moi, le mauvais élève, finalement. Il y a une première fois à tout.

Oz ne peut pas se retenir de regarder autour d'elle lorsqu'elle franchit le seuil de la maison, encore un peu perturbée par le concept de sortir d'un grand hall pour se retrouver dans un placard. Une fois dans ma chambre, nous nous dispersons autour des trois créatures, qui nous regardent avec un air plus intelligent qu'on a l'habitude d'en trouver chez les animaux dont elles ont pris l'apparence. LeX m'a présenté Septentrional et Hémistash, mais à part les entrevoir de temps à autre, je n'ai jamais réellement interagi avec eux. Je n'ai d'ailleurs aucune idée du rôle véritable que les Quatorzes peuvent bien jouer. Ce sont des métamorphes de tailles diverses, mais à part ça, autant que je sache, ils pourraient aussi bien être de simples animaux de compagnies que des outils indispensables à la fonction Messagère.

— Pas celui-là ! s'écrie Zed alors qu'Oscar tend la main vers la tête de Meri.

— Pourquoi ?

Elle se fige, seuls ses yeux se tournant vers le Messager.

— Électricité, il explique.

Je suis aussi surpris qu'Oz, n'ayant vraiment rien remarqué sur la jument. C'est traître…

— Je m'en occupe ! s'exclame Hannibal, levant les bras et s'approchant de la pauvre bête avec enthousiasme, bien que celle-ci le regarde d'un œil mauvais.

Cela dit, lorsqu'il pose sa main sur sa robe, on peut nettement voir que le courant passe entre les deux… au sens figuré comme au sens propre.

— Et celui-ci ? demande alors Oz, désignant le renard, toujours perché sur le dos de Meri.

— Enflammée.

Je pense qu'il se moque un peu, parce qu'il est évident que ce renard est en feu. Je suppose que c'est moi qui vais devoir m'en charger. J'ai beau savoir que ce type de feu ne va pas me brûler, puisque lié à la bête et non indépendamment créé (comme celui de Perry hier), la perspective me laisse tout de même un peu mal à l'aise.

Cool, répond Oscar, son admiration des êtres fantastiques lui permettant de passer outre l'ironie du Messager.

— Tout le contraire.

Là, en revanche, elle fronce les sourcils.

— Très drôle…

C'est vrai qu'on a connu mieux. Il semble seulement se rendre compte du bas niveau de sa réplique.

— Désolé.

Oz plisse les yeux, pas plus certaine que moi de la signification de l'expression qu'il affiche alors, mais elle hausse rapidement les épaules et sourit.

— Pas grave. Je prends celui-ci alors, ou bien il y a encore une contrindication ?

Elle désigne le serpent à plumes, qui se dresse et sort sa langue fourchue lorsqu'il remarque qu'on parle de lui. C'est bizarre de dire ça d'un reptile…

— Ne touche pas aux plumes.

Elle fait rouler ses yeux, certainement frappée par l'absurdité de sa situation.

— Tu n'as pas peur des serpents ? s'étonne Hannibal, la voyant soulever l'ophidien et le regarder s'enrouler autour de son bras sans broncher.

— Pas vraiment, pourquoi ? elle demande, déconcertée par la question.

J'avoue qu'une fille qui n'a pas ne serait-ce qu'un tout petit frisson à la vue d'un serpent, c'est assez rare, mais bon, tout de même.

— Tu me rappelles quelqu'un, c'est tout.

L'électrochoc qui passe par H, et que je ressens donc également, me fait me figer dans mon geste de tendre les bras vers le renard de feu. Ce dernier en profite pour bondir sur mes épaules, manquant de me faire perde l'équilibre.

Par chance, je suis passé devant Meri lorsque nous nous sommes répartis dans la pièce, et je peux donc m'asseoir sur mon lit, juste dans mon dos. En face de moi, de l'autre côté de la jument, l'ange continue de caresser la robe immaculée, comme si de rien n'était. Il va falloir qu'il arrête de ressasser des souvenirs. Je ne sais pas à qui il pensait, mais je suis à peu près sûr que ce n'était pas à l'un de mes parents, et je n'ai pas besoin qu'il pense à une personne de plus qui lui fait de la peine, pour peu qu'il en connaisse qui ne lui fasse pas cet effet. Sa désynchronisation est encore trop récente pour qu'il se le permette sans effets secondaires particulièrement indésirables. Cependant, cette perturbation sortie de nulle part s'avère de courte durée, et tout semble rapidement revenir à la normale pour mon parrain, ce qui m'évite d'avoir à intervenir.

— Honneur aux dames.

Zed et Oscar sont les plus proches du placard, et il s'écarte pour lui laisser le passage.

— Jamais autant entendu ça de ma vie, elle grommelle en retournant sur nos pas, non sans secouer la tête.

— J'ai hâte de connaître son histoire, commente le Messager avec un sourire.

— Ou pas, je réponds tout bas, avant d'inviter le renard de feu à descendre de mes épaules jusqu'à mes bras, puis de me lever pour à mon tour retourner dans la maison.

Ni Hannibal ni Zed ne réagissent, mais je soupçonne l'un comme l'autre de m'avoir entendu. Le Messager saura de toute façon bien assez tôt ce qu'il en est d'Oscar, et à moins que LeX ne change d'avis à son sujet, je ne vois pas ce qu'il pourrait faire à part avoir l'air mécontent de la situation. Il a une confiance tellement absolue en sa partenaire que ça en fait presque mal à la tête. J'ai rencontré, pour quelqu'un de mon âge, un nombre assez conséquent d'âmes sœurs, à commencer par mes géniteurs, mais autant l'impression de perfection reste la même, autant chaque couple est différent. Chacun des duos a cet aspect de leur relation qui hurle à la figure de quiconque pose les yeux sur eux. Pour mes parents c'est leur timing, pour June et Perry leur cliché. Et pour les Messagers neutres, c'est leur confiance l'un en l'autre. Si on m'avait demandé, ne serait-ce qu'hier soir, de deviner comment était le couple de LeX, c'est probablement l'une des dernières choses que j'aurais dites. Mais d'un autre côté, je ne sais pas trop quelle aurait été ma première idée non plus.

Lorsque je retourne à l'arène, un peu flippé tout de même par les flammes qui me lèchent les bras sans me brûler – ce qui semble beaucoup amuser le petit mammifère dont elles proviennent, à la façon dérangeante dont il lève ses grands yeux vers moi – Dwight et la Panthère y attendent déjà. De part et d'autre de Septentrional, lui lui flattant distraitement l'encolure, elle adossée à son flanc, les deux conversent calmement. Impassible, l'étalon souffle sur le sol, son épais toupet blanc recouvrant pratiquement toute sa tête. Oscar, les mains dans ses poches arrières, adossée à un aquarium quelques mètres dans le dos de Dwight, a dû déposer son reptile quelque part, parce qu'il n'y a aucun signe de la petite bête. Je laisse à mon tour mon précieux chargement m'échapper, et il s'élance avec entrain dans le grand espace qui s'offre enfin à lui, l'air de savoir où il va, me laissant le loisir d'inspecter mes avant-bras avec un certain ébahissement.

Après avoir bruyamment traversé le hall, ses sabots résonnant sur le parquet mais n'y laissant étrangement aucune trace, Meri fait son entrée peu après moi, encadrée de Zed et Hannibal. Septy redresse la tête à l'arrivée de sa congénère et émet un puissant hennissement, auquel elle répond plus doucement, avant de s'élancer vers lui au petit trot, tête haute elle aussi. Zed et H viennent se placer respectivement à ma droite et à ma gauche, l'un les bras croisés, l'autre les mains dans les poches. LeX intime du menton à Dwighty de se détacher de Septentrional, ce qu'il ne se fait pas prier pour faire, les piaffements du massif animal constituant une excellente motivation. Il recule hâtivement jusqu'à se retrouver à côté d'Oscar, avec laquelle il échange un sourire avant qu'ils ne reportent tous deux leur attention sur les équidés qui viennent de se rejoindre, comme le reste de l'assemblée. Après s'être effleuré les naseaux, les Montures se mettent à gambader en tous sens, soulevant de gros nuages de poussière, secouant leurs crinières et se roulant dans le sable. Ce ne serait rien que je n'avais jamais vu s'il n'y avait pas les occasionnelles manifestations surnaturelles, discrètes mais bel et bien présentes, des lueurs sorties de nulle part aux flammèches et éclairs multicolores.

— Vos Montures sont en couple aussi ? demande l'ange, la tête penchée sur le côté comme très souvent.

Voilà une chose à laquelle je n'aurais jamais songé.

— Aucune idée, répond le Messager avec honnêteté, sans détourner ses yeux de la réunion.

Puisque je suis décidément à côté de la plaque aujourd'hui, je note seulement que Meri est de couleur exactement inverse à Septy. Et je me dis également que son nom complet doit très certainement être Méridionale, dans l'esprit d'opposition que semblent partager les deux Messagers associés aux deux créatures. C'est quoi, mon souci, là ? Je secoue la tête, attirant un regard en biais des deux hommes m'encadrant. Je les rassure d'un vague sourire et d'un geste de la main, l'air de dire que ce n'est rien, mais si ça semble fonctionner, la vérité c'est que je n'en suis pas certain. Je suis parfois distrait, et il m'arrive de manquer des évidences (le béguin de Dwight pour Vik étant l'exemple le plus flagrant de ce défaut chez moi) mais bon, pas à ce point. Je regarde LeX, au milieu du terrain de jeu des deux équidés, essayant de nous rejoindre sans les déranger. Elle est désormais tout à fait sèche, et n'a plus l'air aussi pitoyable que plus tôt dans la matinée, mais elle ne semble pas non plus au summum de ses capacités, ressemblant plus que jamais à une jeune femme normale, le sang mis à part. Est-ce que ce qui l'a mise dans cet état pourrait être contagieux ? Est-ce que mon propre état est aussi sérieux ?

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