Dixième Jour - 7. 8. 9. (2/10)

Je ne rejoins pas les autres en bas, les ayant laissés seuls suffisamment longtemps pour que, connaissant leurs propensions respectives à la catastrophe, ils aient inventé la bêtise du siècle. Et puis, je n'ai pas besoin de les voir pour savoir qu'ils vont bien, donc c'est bon. Je prends une douche, me brosse les dents (ce que je n'ai pas tellement osé faire la veille, pour une raison évidente), et me change. Ce n'est qu'en sortant la tête par le col de mon pull gris à manches vertes que je me rends compte de quelque chose que j'aurais dû remarquer bien avant. Il y a eu une bataille de nourriture, d'eau, de savon, et d'oreillers dans cette maison. Dans toute la maison. À tous les étages, et dans toutes les pièces. Or, tout est nickel. Comment est-ce que j'ai pu rater ça ? Je veux bien croire que j'ai été un peu occupé, avec Oscar puis Perry, mais tout de même. J'ai horreur de remarquer des choses trois jours plus tard. C'est comme quand j'ai détruit mon appartement et que je n'ai pas prêté attention au fait que quelqu'un avait pratiquement tout réparer derrière moi. Pour quelqu'un de mon QI, je peux vraiment être à la ramasse.

Un hurlement de fille, appartenant de toute évidence à Oscar, me fait sursauter, si violemment que je manque de perdre l'équilibre. Je ne reste figé qu'une seconde avant de me précipiter au-dehors de la pièce, traversant mon couloir et m'élançant dans les escaliers plus rapidement que je ne l'ai jamais fait de toute ma vie. Je suis cependant contraint de m'arrêter un instant à l'étage de la salle de Bal, mon souffle brusquement coupé ; Dwight vient d'être neutralisé. Ma panique grandissante, je reprends le plus vite possible ma hâtive descente du colimaçon et arrive enfin au rez-de-chaussée. Oz est assise par terre contre un mur, près du salon, immobile, terrorisée. Dwighty est à plat ventre sur le sol à quelques mètres d'elle, sans connaissance. Je me retiens pourtant au dernier moment de poser le pied sur le plancher, stoppé dans mon élan par ce qui se tient dans le hall, qui a certainement envoyé Dwight valser, et qui tient Oscar en respect.

Au beau milieu du passage, un canidé surdimensionné, lointainement apparenté à un loup, est campé sur ses quatre pattes, ses griffes plantées dans le parquet. Ses babines retroussées dévoilant un assortiment de crocs aussi immaculés qu'affûtés, l'animal surréaliste tourne son énorme tête vers moi et me dévisage d'un regard mauvais. Son épais pelage blanc brossé de gris très clair fait ressortir l'éclat orange tirant sur le rouge de ses yeux, braqués sur moi. Le grognement qui émane de sa poitrine puissante n'est définitivement pas amical. La porte d'entrée, par laquelle il s'est certainement introduit ici, est encore ouverte dans son dos, et on peut entrevoir l'intérieur du placard de mon appartement, qu'il a mis sens dessus dessous sur son passage.

- Où est-elle ? retentit dans la pièce, faisant sursauter Oscar et moi.

J'aurais dû me douter, à partir du moment où je ne percevais aucun signal, que j'avais sous les yeux un Messager. La méthode de communication, en forme animale, me le confirme. Je suppose qu'ils ont tous une capacité de métamorphose similaire à celle de LeX. Génial. Je me rends compte que je ne sais décidément rien des Messagers, alors qu'ils sont censés tous me rendre visite à un moment donné ou un autre dans les… waw, cinq jours qui viennent. Le temps passe vite. Mettant - une fois de plus en moins d'une minute - mon ignorance de côté, j'essaye d'analyser la situation présente. Il n'y a que deux personnes de sexe féminin dans cette maison, et l'une d'elle est à un mètre de la bête. Je doute que quelqu'un comme lui (puisque sa voix est indiscutablement masculine) irait chercher une personne sans savoir à quoi elle ressemble, donc, par déduction, soit il cherche LeX, soit celle qu'il cherche n'est pas ici. La fourrure le long de l'échine de la bête se hérisse, sans doute par impatience, et je n'ai pas d'autre choix que de répondre en me basant seulement sur mon début de raisonnement.

- C'est LeX que vous cherchez ? je demande, prenant mon courage à deux mains.

- Où est-elle ?! il répète, sans me lâcher des yeux. Je prends ça pour un oui.

- Qu'est-ce que vous lui voulez ?

Vu l'état dans lequel est LeX, je ne voudrais pas lui envoyer un ennemi.

- OÙ EST-ELLE ?!

Le grognement s'intensifie en même temps qu'il répète encore sa question, faisant également un pas en avant.

- Troisième étage, au fond à droite.

Je ne peux pas l'expliquer, mais j'ai l'impression qu'il est plus inquiet qu'hostile, bizarrement. S'il avait voulu lui faire du mal, il aurait juste tout détruit sur son passage. Non pas qu'il n'ait pas déjà commencé, mais bon…

Le loup géant se ramasse sur lui-même avant de s'élancer au-dessus de moi. J'ai à peine le temps de me baisser, mais je suppose qu'il n'y avait aucun risque qu'il ne me touche. Je me retourne pour apercevoir le bout de sa queue disparaître dans les escaliers, qu'il parcourt à grands bonds. Oscar se redresse lentement, restant en contact avec le mur, encore sous le choc. Puisqu'elle ne semble pas blessée, je me précipite aux côtés de Dwighty, que je retourne sur le dos, pour évaluer son état. Il s'est cogné le coin de la tête et saigne un peu, mais autant que je puisse en juger il devrait aller bien. Je le relève et le conduis tant bien que mal, à moitié conscient, jusqu'à un canapé au salon, où je l'allonge le plus confortablement possible. Seulement ensuite je rejoins Oz, qui n'a pas bougé d'où elle était.

- Tu vas bien ? je m'assure, cherchant à confirmer mes observations.

- Je sais pas comment il a fait pour entrer…

Elle plisse les yeux sans me regarder, tentant de donner du sens à ce qui vient de lui arriver.

- On verra ça plus tard. Il ne t'a rien fait ? j'insiste, posant une main sur son épaule.

- Non, il a juste bousculé Dwight. Il va bien ?

Elle semble seulement se rendre compte que le Jumper n'est plus où il est tombé, et ça la sort un peu de sa stupeur.

- Il devrait s'en sortir.

Je lui souris, et elle me le rend avec un petit temps de latence, retrouvant peu à peu ses moyens.

L'attrapant par la main, je l'entraîne avec moi dans l'escalier, à la suite du Messager. J'espère que je n'ai pas fait une erreur en révélant où était LeX et qu'elle n'a pas été dévorée, ou que sais-je encore. Seulement à ce moment précis je songe que, peut-être, ce qui a mis la Panthère hors d'état de nuire hier soir, c'est l'approche de notre nouvel ami Croc Blanc. J'accélère mon ascension. J'aime à croire que je ne suis pas un mauvais juge de caractère. Ceci étant dit, j'ai eu une vie parfaite parmi les Humains, et n'en ai donc rencontré aucun de particulièrement malveillant, et en tant que Magnet, j'ai un léger avantage pour déterminer les intentions d'un dérivé. Pour ce qui est des Messagers, c'est une autre histoire. Faillait-il vraiment qu'ils soient TOUS inaccessibles à mon radar ? Était-ce nécessaire ? N'y avait-il pas moyen que LeX soit la seule à échapper à mon espèce ?

Oscar et moi atteignons l'étage parental, et freinons brusquement sur la moquette de la chambre pour ne pas entrer en collision avec le canidé, qui s'est contre toute attente simplement couché devant la porte de la salle de bain. Le museau sur ses pattes de devant, la bête souffle dans l'espace entre le sol et le bois, l'air passablement plus doux qu'à notre rencontre. J'ai aussi l'impression que ses dimensions ont légèrement diminué, mais je n'en mettrais pas ma main à couper. Ses oreilles s'orientent imperceptiblement vers nous, l'espace d'une fraction de seconde, signe qu'il nous a entendus arriver, mais il ne change rien d'autre à son comportement, le reste de son être immobile, jusqu'à sa queue, soigneusement posée sur le sol, bien droite derrière lui.

- Il ne fait rien. Pourquoi est-ce qu'il ne fait rien ? me demande Oz, le plus bas qu'elle peut dans son état d'alarme.

- Je ne crois pas qu'il ne fasse rien…

J'ai remarqué que, quel que soit le dérivé concerné, il n'est jamais complètement inactif. Je ne dispose pas de mon sixième sens pour les Messagers, ni pour les Humains, mais je subodore qu'il en va de même pour eux. Ce n'est pas parce qu'on ne voit rien que rien ne se passe.

- Cette fois, ça suffit, ça commence à bien faire ! Pourquoi est-ce que…

Hannibal, qui descend en tempêtant du bureau de mes parents, s'interrompt brusquement lorsqu'il aperçoit l'animal.

- Est-ce que vous avez la moindre idée de ce que c'est que ÇA ? interroge alors l'ange, baissant de plusieurs tons et pointant le loup du doigt.

- Messager. C'est tout ce que j'ai, je réponds avec un sourire contrit.

- Oh. D'accord.

H hausse alors les épaules et paraît rassuré.

- Tu n'as pas de précisions à offrir ? demande Oscar, ne comprenant pas plus que moi la réaction du grand blond.

- S'il peut se changer en bestiole, c'est un Neutre. Enfin, le Neutre qu'on n'avait pas encore, en l'occurrence, il explique posément.

- Tous les Messagers ne peuvent pas se métamorphoser ?

Merci de me prévenir !

- Ce n'est pas une impossibilité, mais ils n'en ont jamais besoin. Et puis, honnêtement, quel autre Messager irait veiller au chevet de LeX ?

Bonne remarque.

- Peut-être qu'on devrait les laisser, suggère alors Oz, pas encore à l'aise avec l'animal à quelques mètres de nous.

- En même temps, j'aimerais bien savoir ce qui l'a amené ici. Si c'est le malaise de LeX, avec un peu de chance il sait ce qui l'a causé.

Et sincèrement, elle me turlupine, la réponse à cette question.

- Elle n'a pas été capable de te le dire ? s'étonne H, qui ne m'a pas revu depuis que je suis allé voir la principale concernée.

- Elle a dit qu'elle n'avait pas besoin de quelque chose d'extérieur pour se mettre dans cet état, je résume grossièrement.

- Ce qui n'est pas faux non plus, confirme l'ange, en penchant la tête sur le côté.

- Et tu n'aurais pas pu le dire avant ? je m'offusque.

Il m'a sincèrement fait flipper, hier soir !

- Je ne m'en souvenais pas, se défend-t-il, l'air offensé.

- Et ça t'est revenu d'un coup maintenant ? s'étonne à son tour Oscar.

- Ce genre de connaissance, concernant les faiblesses des Messagers, est protégée par un système d'amnésie très particulier. Puisque ça a été évoqué par quelqu'un d'autre, il n'y a plus de raison pour que je ne m'en souvienne plus, explique le grand blond, sous nos regards incrédules.

- Même si ça ne sert à rien que tu t'en souviennes, puisqu'elle lui a dit à lui, fait remarquer Oz, à juste titre.

- Ce n'est pas moi qui ai créé cette règle ! il s'exclame, exaspéré.

La queue du loup géant qui se met à s'agiter interrompt la discussion. Bientôt, l'animal se redresse en position assise et penche sa grosse tête sur le côté, oreilles dressées. Je n'ai pas tellement l'habitude des chiens, alors je ne saurais trop dire ce que ce changement d'attitude peut bien signifier, mais je crois pouvoir affirmer que ça n'a aucun rapport avec nous. Bientôt, il se relève complètement, fait un pas en avant, et vient poser son énorme patte sur la porte. Il ne gratte pas, il pose simplement ses coussinets sur la paroi, dans un geste plus humain qu'animal. Sans raison, ce comportement me file un frisson le long de la colonne, et à la façon dont Oscar resserre ses bras autour d'elle, je devine qu'elle a un peu la même sensation. On croit toujours qu'on a atteint le summum du bizarre, jusqu'à ce qu'on rencontre quelque chose d'encore plus étrange. C'est comme pour bien des choses…

- Qu'est-ce qu'on sait de lui ? je demande à Hannibal, toujours tout bas.

- Pas grand-chose. Il n'est pas du genre à laisser des témoins de ses exploits. Pas seulement parce qu'il fait des carnages, mais aussi parce qu'il aime bien agir dans l'ombre. À part qu'il peut se transformer en loup arctique, et qu'il est fan d'explosifs et de répliques monosyllabiques, je crois que sa caractéristique la plus distinctive est le fait qu'il peut toucher LeX.

Un silence suit cette courte et sommaire description, le temps qu'Oz et moi prenions conscience du poids de ce dernier détail.

- D'accord, nous répondons à l'unisson, en hochant la tête.

Pas besoin de nous faire un dessin ; ce type n'est rien de moins qu'un terroriste.

- Et son nom ? Oscar reprend ensuite toute seule.

- Plaît-il ? demande l'ange.

- Tu ne connais pas son nom ? elle insiste.

- Je ne l'ai jamais rencontré auparavant, et les Messagers ne sont pas connus par leur prénom, pour peu qu'ils soient connus du tout. LeX est appelée la Panthère Ailée ou le Singe Sans Âme. Lui, autant que je sache, on ne l'appelle pas.

Le grand blond hausse les épaules.

- Peut-être que quand il nous le dira, ça va te revenir… elle raille.

- Hyper marrant. Je me tords de rire. On verra quand ça t'arrivera, lui rétorque-t-il en plissant les yeux.

- Pourquoi ça m'arriverait ?

Là, elle ne rit plus.

- Lui, il a une chance d'y échapper. Toi, aucune. C'est pas comme s'il y avait une manip' à faire, c'est automatique. Demain matin tu ne te souviendras pas que LeX se neutralise parfois toute seule. Sans jeu de mot…

C'est vrai que je me disais aussi que j'étais au courant d'autres faiblesses de LeX, notamment depuis notre séjour en territoire alien. Ceci dit, elle m'a fait promettre de ne rien dire, donc le résultat est le même.

- Je croyais avoir dit que je ne voulais pas qu'on touche à ma mémoire ! s'insurge Oscar.

- Ce n'est pas comme s'il s'agissait d'une personne ou d'une expérience. Et puis c'est comme ça pour tout le monde, alors tu ne vas pas faire ta mijaurée, la rembarre l'ange, catégorique.

- Ma quoi ?! elle relève, froissée.

- Vous avez fini, oui ?

Je croyais qu'ils s'entendaient bien. Et surtout, ce n'est franchement pas le moment.

Une nouvelle fois, le canidé géant coupe court à la conversation. Il retire sa patte de la porte et recule de quelques pas. Oscar retient tout juste un cri lorsqu'il reprend forme humaine, en plaquant sa main devant sa bouche, et je dois admettre que j'ai moi-même un sursaut, et pas seulement parce qu'elle m'a aussi attrapé le bras. C'est tout de même assez déconcertant, cette absence de transition quelle qu'elle soit entre l'animal et l'homme. Je me demande vaguement si c'est un choix personnel ou un impératif de ce type de métamorphose. Seul Hannibal reste impassible, mais là encore il est capable d'exprimer un grand éventail d'émotions par son immobilité, donc ça ne veut pas vraiment dire qu'il n'a pas lui aussi été surpris.

Dos à nous, le Messager ne doit pas être loin de faire ma taille. Il a des cheveux bruns, et porte un hoodie gris sous une veste militaire noire, ainsi qu'un pantalon cargo aux motifs de camouflage urbain, et des Converses (je sais, c'est un grand choc pour moi aussi) intégralement noires. Ma première impression est que, dans un duo méchant flic/gentil flic, ce serait LeX la gentille. Et cette idée n'a rien de particulièrement réconfortant. Loin s'en faut. C'est même le genre de scénario que je n'aurais jamais pensé imaginer un jour. L'inconnu fait d'abord craquer sa nuque puis jouer ses épaules, avant de tourner la tête vers la gauche, certainement pour s'adresser à nous. Je ne sais pas si ça vous intéresse, mais il a les yeux bruns.

- En arrière, il commande, avec un accent inattendu, quoique je sois incapable de le replacer.

- … Pourquoi ? est la première réaction qui me vient à l'esprit.

Je devrais obéir sur-le-champ, mais il faut croire qu'il y a une part d'insubordination à ma personnalité, et qu'elle choisit toujours le meilleur moment pour pointer le bout de son nez.

- Verrouillée.

Ordinairement, je ne crois pas que je compterais cette réponse comme valable ni même cohérente.

- S'il y a que ça, ça peut s'arranger, commente Oscar, certainement par réflexe, à la façon dont elle regarde par terre et se mord légèrement la lèvre inférieure juste après avoir parlé.

- Cambrioleuse ?

L'ex-loup a un éclat de rire, et Oz plisse les yeux à son intention, comme vexée qu'il ait deviné.

- Il est bon, observe Hannibal, non sans un hochement de tête admiratif.

- Pressé, corrige le Messager, retournant son attention sur la porte devant lui.

Prenant les choses en main, H nous pousse en arrière, dans le couloir, jusqu'à ce que nous soyons dos au mur, après quoi il se place ostensiblement devant nous. Je lève les yeux au ciel. Il ne va qu'enfoncer une porte. Et ça a beau être LeX derrière, ce n'est pas comme si elle allait agresser son propre partenaire. Enfin, je suppose… Je grimace lorsque je me rends compte que je ne suis pas totalement certain de cet état des choses. Soit, recroquevillons-nous donc dans un coin comme des gerbilles apeurées alors qu'un mec va juste ouvrir une fichue salle de bain. Celui qui fut un loup donne un coup de pied expert dans la porte, à un endroit manifestement stratégique puisque celle-ci tombe carrément à plat, ne tenant même plus dans ses gonds. Je me demande combien de fois il a répété ce geste au cours de sa longue existence pour en arriver à une telle désinvolture et en même temps une telle efficacité.

- Non.

Une syllabe, une seule, en provenance de LeX alors que celui dont on ne connaît toujours pas le nom est sur le point de faire un pas.

Il s'interrompt au beau milieu de son geste, et je mettrais pratiquement ma main au feu qu'il sourit lorsque les yeux de son homologue apparaissent dans l'obscurité, ses pupilles encore et toujours énormes réfléchissant le peu de lumière leur parvenant depuis la chambre. Nullement impressionné, le Messager reprend sans tarder son avancée, grondant tout bas en réponse au feulement sourd que laisse échapper LeX à son approche. Ça promet. Il est rapidement englouti par la pénombre, et j'ai alors, contre toute logique, une vilaine envie de m'approcher, qu'Oscar semble partager, à la façon dont elle se hisse sur la pointe des pieds pour mieux voir par-dessus l'épaule de l'ange, qui nous dépasse tous les deux d'une petite dizaine de centimètres. Notre curiosité nous perdra. Le grand blond lève toutefois une main, nous retenant de bouger, et son ordre silencieux est entériné par un miaulement rageur reprit en écho par un court aboiement. Voilà qui douche notre envie de nous approcher.

- Depuis quand les loups aboient ? je remarque ensuite, attirant l'attention de mes deux compagnons.

- Ou les panthères miaulent… ajoute Oz après une courte réflexion.

- Vraiment ? C'est ça, votre question ?

H nous dévisage tour à tour, l'air atterré. Pour une fois que c'est nous qui sommes un peu à côté de la plaque…

Ni elle ni moi n'avons le temps de répondre, les Messagers surgissant de la salle de bain dans un roulé-boulé digne d'un dessin animé. C'est tout juste s'ils ne sont pas entourés d'un nuage de poussière affublé de symboles divers. Ils semblent avoir apparence humaine, mais ils se déplacent si vite qu'il est difficile de distinguer les détails de leur joute. Ravageant pas mal sur son passage, le duo se retrouve successivement aux quatre coins de la chambre, tantôt au sol, tantôt pratiquement au plafond, dans ces moments seulement alors nous permettant d'entrevoir ce qu'il en est. Sauf qu'il n'en est rien du tout, en fait. L'un prend le dessus sur l'autre aussi souvent que l'inverse ; un coup elle le plaque au mur, son avant-bras sous son menton, un coup c'est lui qui la maintient à terre, les mains derrière le dos, et ensuite elle retourne la situation, ses dents à sa gorge, avant d'être finalement saisie à bout de bras par le cou.

Ils essayent de s'entre-tuer comme ça pendant plusieurs minutes, mais plus ça va, moins ils y mettent de conviction. Leurs diverses exclamations reprennent de plus en plus des consonances humaines, et je les surprends à plusieurs reprises en train de sourire, qu'ils soient en position de force ou non. Le rythme effréné de leurs traversées de la pièce diminue également, peu à peu, si bien qu'on finit par pouvoir suivre ce qui se passe exactement. On dirait une chorégraphie répétée tant c'est sans effort. Elle frappe il pare, il attaque elle esquive, et ce à une vitesse tout de même toujours hallucinante. Finalement, alors qu'on peut sentir que le spectacle touche à sa fin, il attrape son bras et le fait pivoter de manière à ce qu'elle n'ait d'autre choix que de tomber à genoux. Immédiatement, elle fauche l'une de ses chevilles, l'obligeant à la rejoindre s'il ne veut pas perdre sa prise, après quoi elle se jette purement et simplement sur lui, s'asseyant sur son ventre avec une moue pour le moins satisfaite. Il ne lui faut pas un grand effort pour prendre le dessus, et là, il vient capturer ses lèvres des siennes, alors qu'elle croise ses poignets derrière sa nuque…

- Okay ! Je n'avais pas besoin de voir ça.

Nous nous détournons tous d'un même mouvement, par politesse mais aussi parce que nous ne nous étions pas préparés à ça.

- J'ai entendu dire que tu avais vu pire, me lance Oscar en se retenant de sourire trop largement.

Je fronce les sourcils, ne voyant pas à quoi elle fait référence.

- Je voudrais dire qu'il ne faut pas faire confiance à son Tuteur, mais ce serait bizarre venant de moi.

En opposition à tout ce que l'ange peut parfois nous sortir ?

- Peut-être que MAINTENANT on devrait les laisser…? suggère ensuite une nouvelle fois Oz, finalement la moins choquée de nous trois, probablement parce qu'elle connaît LeX depuis moins longtemps.

- Ça ne fait que dix jours qu'ils ne se sont pas vus… Oui, on devrait peut-être les laisser, conclut H après un rapide calcul mental dont les règles m'échappent.

- Vous savez qu'on vous entend, non ?

La voix de LeX nous fait tous sursauter, cette fois.

Les deux Messagers se tiennent sur le seuil de la chambre, à un ou deux mètres de nous, elle mains sur les hanches, lui derrière elle, bras croisés, et tous les deux ont ce même regard à la fois menaçant et amusé. Maintenant qu'ils sont immobiles et côte à côte, même si elle est pieds nus, mouillée, et ensanglantée, et qu'il a quatre petites entailles parallèles au coin gauche de la mâchoire, ils en jettent pas mal, je dois bien le dire. Hannibal se décale de devant Oscar et moi jusqu'à ma droite, me laissant mener cette conversation, le courageux. Le seul problème, c'est que je n'ai rien à répondre, en partie parce que la question était rhétorique. Le Messager remarque mon embarras et son sourire en coin s'accentue. Il passe ensuite une main parée de mitaines noires (là encore, gros choc) dans ses cheveux bruns en bataille, puis s'avance et vient entourer LeX par la taille, avant de prendre la parole :

- Zed.

On ne devine que c'est son nom qu'à sa main libre qu'il place sur son torse.

- Josh, je me présente.

- Oz, m'imite timidement Oscar.

- H, conclut mon parrain, d'une voix étonnamment timide.

- Tuteur ? lui demande Zed.

- Pas le sien.

J'ai décidément connu Hannibal plus bavard.

- Mon Tuteur est celui que tu as assommé en bas, j'explique avec une grimace.

- Désolé.

Hannibal n'avait pas menti pour les réponses succinctes.

- Je devrais justement aller voir comment il va, je suggère alors.

- Il vous a dit de reculer ; c'est vous qui avez choisi de rester, me fait remarquer LeX.

- Vous avez détruit la pièce !

Je pense que ça justifie ma présence.

- Une nouvelle fois, je crois que tu utilises certains termes un peu trop librement.

Elle hausse un sourcil, et va même jusqu'à regarder par-dessus son épaule pour évaluer les dégâts causés.

- Fais-moi un procès.

Je suis encore trop perturbé de la voir dans les bras de quelqu'un pour former une réponse d'un niveau plus élevé. Mais il faudra quand même qu'elle me montre ce qu'elle appelle "détruit", un jour, pour voir.

Secouant la tête de droite à gauche, je m'engage dans les escaliers, alors que les deux Messagers échangent un regard, jouant, délibérément ou non, avec ma désorientation de les voir ensemble. Oscar, qui a eu la chance de ne pas être inspectée de près, reste à ma gauche et m'offre son soutien, d'un léger coup d'épaule, ce que j'apprécie plus qu'elle ne peut l'imaginer au simple sourire que je lui rends. Pour sa part, Hannibal décide de fermer la marche, comme souvent. Il y a pourtant quand même quelque chose qui le dérange, bien que je ne saurais pas dire quoi, notamment parce que je ne suis pas certain du moment à partir duquel il a commencé à être mal à l'aise. Veiller sur tout le monde en même temps est vraiment une tâche épuisante ! Heureusement, en bas, Dwight a l'air d'être réveillé. Un de moins dont j'aie à m'inquiéter. Je ne remercierai jamais assez le Jumper d'être aussi accommodant, même s'il n'y a aucun doute qu'il ne le fait pas exprès.

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