Neuvième Jour - Semper Fidelis (8/8)
Une bonne douche plus tard, dans une chemise propre qui m'a tristement fait me rendre compte à quel point je sentais effectivement la mer, je retrouve Hannibal et Oscar au salon, en pleine conversation. Elle est assise par terre, son menton sur sa main, son coude sur la banquette du canapé sur lequel l'ange a pour sa part pris place, et elle ne semble pas très bien suivre ce qu'il explique pourtant avec un flegme hors pair. Seuls ses yeux bougent à mon intrusion, l'espace d'un instant, pour ne pas perturber le grand blond dans son histoire. Il s'interrompt néanmoins tout seul, plus parce qu'il m'a entendu arriver que parce qu'il a remarqué quoi que ce soit chez Oz. Il me sourit, et je remarque l'absence de son long manteau, rare même lorsqu'il est à l'intérieur. Je préfère ne pas relever. Pas maintenant, en tous cas.
Je cherche LeX des yeux et la trouve dans un coin de la pièce, de retour dans ses vêtements à elle, un débardeur noir, des shorts blancs, ses converses habituelles, des chaussettes rayées lui arrivant aux genoux, et bien sûr des mitaines, quoique cette paire ne lui arrive qu'aux poignets et non pas aux coudes. La Messagère nous tourne le dos, apparemment intriguée par l'une des peintures accrochées au mur. Comme je sais qu'il y a un coffre-fort derrière ce tableau, je ne me demande pas pourquoi c'est sur celui-ci qu'elle a jeté son dévolu, et la laisse faire son truc, quel qu'il puisse bien être.
Dwight est toujours un étage plus bas, sous un flot d'eau froide, mains plaquées au mur, tête baissée. Rien que ça. Je serais bien resté avec lui pendant qu'il déchargeait toute sa frustration à la désertion de Vik sur un pauvre punching-ball innocent, mais il m'a avoué préférer rester seul, même s'il appréciait l'intention. J'ai bien évidemment tout à fait compris son point de vue et l'ai laissé. En tout cas, donner des coups a bien eu l'effet exorcisant que j'avais en tête, parce que ses émotions ne sont plus complètement mélangées, ce qui rendait ma lecture difficile, mais proprement compartimentées à présent. C'est loin d'être la joie, mais au moins je sais ce qui se passe. M'efforçant de ne pas trop me laisser affecter par tout ça, je vais m'asseoir dans le canapé perpendiculaire à celui qu'occupe H, dans lequel Oscar me rejoint.
— Ça va pas ? je me vois interrogé gentiment.
Si on me démasque aussi aisément, je vais devoir travailler sur mon bluff.
— Moi, ça va ; Dwight, moins.
Oz n'a rien à répondre à ça, et se contente de se serrer un peu plus à moi. Je ne sais pas si c'est en signe de soutien ou simplement pour être plus confortablement installée, mais ça m'est égal.
— Vous savez quoi ? J'aurais aimé que vous rencontriez Vik dans d'autres circonstances, s'exclame tout à coup LeX, se retournant enfin vers nous, qui tournons en retour la tête vers elle.
— Qui peut être en désaccord avec ça ? je réponds, ayant certainement rencontré la Botaniste sous de moins bons auspices que quiconque ici présent.
— Perry et June l'ont effectivement rencontrée dans "d'autres circonstances", fait ensuite remarquer H, impartial.
— Eh ben… ils cachent bien leur affection ! se justifie maladroitement la Panthère, croisant les bras avant de commencer à nous rejoindre.
— Elle les y oblige plus ou moins, rétorque l'ange, placide.
— On est obligé d'parler d'ça maint'nant ?
Tout le monde sursaute, même moi.
Une serviette autour du cou, torse nu, les cheveux encore humides, Dwighty se tient dans l'encadrement de la porte du salon. Je sais bien que je vis avec lui et que c'est mon meilleur pote, et que je l'ai par conséquent plus vu à moitié nu que quiconque ici présent, mais la seule fois où ça s'est produit ces sept derniers jours, j'ai été plus surpris qu'autre chose, parce que ça sortait de nulle part. Tout ça pour dire que je n'ai pas tellement eu le temps de m'habituer à ces quatre longues cicatrices qui barrent son pectoral gauche, fines lignes un peu plus claires que le reste de sa peau, en imperceptible relief. J'ai réussi à m'adapter à voir LeX évoluer près de lui, mais les images qui traversent mon esprit à ce moment me feraient presque régresser sur ce point. À mes côtés, Oz est encore plus choquée. J'avoue que quand on ne sait pas d'où ça vient, on doit imaginer quelque chose de pas très sympa. Même si la réalité est bien pire…
— Laisse-moi deviner : tes affaires sont dans l'appart', à toi aussi ? demande LeX, blasée.
— Ouais.
Dwight hausse les épaules. Je ne crois pas qu'il avait spécialement l'intention de remettre quelque chose sur le dos, mais puisque la Messagère propose.
— Je m'en occupe. Suis-moi.
La petite blonde souligne son ordre d'un geste du menton puis quitte la pièce, le Jumper sur les talons.
— Qu'est-ce qu'il lui est arrivé ? demande Oscar lorsqu'elle estime qu'ils sont suffisamment loin pour ne pas l'entendre.
— Ce n'est pas quelque chose dont on est censé parler, me devance Hannibal.
— Ah bon ?
Je pensais que c'était les vingt-quatre heures précédant l'obtention de la cicatrice, qui étaient tabou.
— Le moins elle en sait, mieux c'est. Je n'ai pas fait tous ces efforts pour qu'elle ne sache que le strict minimum pour que tu puisses tout royalement ruiner maintenant.
Elle en sait déjà pas mal, de ce que Dwight lui a raconté, et de ce qu'elle a déduit de tout ce qui lui est arrivé…
— Qu'est-ce qui se passe si j'en sais TROP ? interroge la principale intéressée, yeux plissés.
— Des dommages cérébraux, principalement.
L'ange est toujours dans l'idée qu'on va tout lui faire oublier. De ce que j'ai compris, elle ne compte pas laisser faire ça.
— Et si je ne laisse personne toucher à ma mémoire ? poursuit Oscar, confirmant mon entendement des choses.
— Tu auras droit à de meilleurs gardes du corps, explique l'ange sans même ciller.
— En quoi mes connaissances m'imposeraient une garde rapprochée ?
L'éternelle question.
— Un être humain conscient de ce qui l'entoure est… précieux, en un sens. Pour diverses raisons. Et plus l'individu en sait, plus il est précieux. Laisser quelqu'un comme ça sans surveillance, c'est s'exposer à pas mal de problèmes.
Il tire une grimace qui en dit long sur l'exemple auquel il doit penser en disant cela.
— Et la leçon s'arrête là, parce que sinon, c'est carrément avec moi qu'elle va devoir traîner.
LeX est de retour, avec un Dwight vêtu, qui vient se jeter dans le canapé faisant face à celui qu'occupe H.
— Alors, on la fait c'te fête ou pas ? demande le Jumper à la ronde,
— Je m'occupe des victuailles, propose l'ange en se levant.
— Je me charge de la boisson… LeX se porte volontaire, ne s'étant de toute façon pas assise.
J'apprécie l'accalmie. Ça faisait trop longtemps que je n'avais pas eu droit à une petite pause. Ça va faire trois jours que je cours à droite et à gauche sans vraiment m'arrêter. J'admets que c'est partiellement un choix de ma part, que ce soit sauver Oz ou aider June et Perry, mais bon, ça ne m'empêche pas d'être un peu fatigué sur les bords. Cela dit, ce moment de répit n'en est de toute façon pas vraiment un. Le fait que la présence d'Oscar à mes côtés ne me soit repérable pratiquement que par les cinq sens conventionnels m'inquiète plus que je ne voudrais me l'admettre. J'avais bien pensé que rester ensemble plus longtemps que nécessaire, sur notre temps emprunté, ne ferait que rendre la séparation plus difficile, et j'avais encore plus raison que je ne le pensais. Après, c'est sûr que la première journée qu'on a passée ensemble au sens strict n'a pas tellement été une décision de notre part, mais aujourd'hui en a été une. Ma tête me dit de regretter de l'avoir laissée rester avec nous, de ne pas l'avoir poussée à partir au plus vite, avec ou sans mémoire. Le reste de ma personne, en revanche, préfère ne pas penser au moment où elle ne sera plus là.
— Au fait, qu'est-ce que Vik t'a dit ? je demande, repensant soudain à l'évènement du Paradis, mon esprit parfois plein de ressources pour éviter les sujets difficiles.
— De quoi tu parles ?
Oscar fronce les sourcils, comme si elle avait déjà oublié.
— Là-haut. Elle t'a murmuré quelque chose à l'oreille. C'était quoi ? j'insiste.
— Oh ! Ça ! Elle… m'a plus ou moins menacée.
Elle grimace, mais n'a pas l'air plus troublée que ça.
— Quoi ? je m'indigne.
— Elle m'a dit que rien ne restait impuni, un truc du genre. J'ai pas tout compris, si tu veux tout savoir.
Oz a un sourire maladroit.
— Et c'est tout l'effet que ça te fait ?
Je suis presque sans voix devant l'aplomb de cette fille.
— Elle ne me fait pas peur.
Et de nouveau, cette expression qu'elle avait face à Oudamou, belliqueuse et fière, revêche et véhémente.
— Je voudrais dire qu'elle devrait, mais je suppose que ce n'est pas la chose la plus rassurante à dire, si ?
C'est mon tour d'avoir un sourire maladroit.
— Pas vraiment, non, elle confirme en étouffant un éclat de rire.
À ce moment précis, H revient dans la pièce, une guirlande de paquet de chips et autres apéritifs dans les bras. Littéralement, je veux dire. Il les a attachés entre eux avec… je ne sais pas avec quoi, mais en tous cas ça lui a permis d'en transporter une quantité impressionnante pour une seule personne. Sous les regards attentifs de l'assemblée, il vient déposer son chargement sur la table basse, ou plutôt ensevelir la table basse sous son chargement, après quoi il se tient simplement debout, planté là, et penche la tête, comme intrigué par quelque chose qu'il est le seul à pouvoir voir, ce qui n'est hélas pas si inhabituel pour lui. Dwight est le premier à hausser les épaules et entamer les provisions. L'ange le regarde faire sans le voir, avant d'enfin revenir à la vie.
— Moi, ce que j'aimerais savoir, c'est ce qu'il va advenir des filles…
Et après cette remarque, de toute évidence dirigée à Oz même s'il ne la regardait pas spécialement, le grand blond retrouve sa place dans son canapé.
— Le tournoi est demain, répond Oscar, restant vague.
— Tu veux y aller ? je lui demande, surpris qu'elle n'en ait pas fait mention plus tôt.
— Je peux pas. C'est le premier endroit où mon agent de probation me cherchera.
Elle secoue la tête de gauche à droite.
— On a les moyens de t'y emmener incognito, propose Hannibal, un sourire commençant à étirer ses lèvres.
— Sérieux ? relève Oz, intéressée.
Ce serait après tout l'excuse rêvée, pour son cerveau qui émerge doucement de son bain de molécules dérivées, de se séparer de moi.
— Nos méthodes de camouflages ne sont pas des plus moisies, effectivement, confirme l'ange.
— Merci, mais non merci, elle finit par répondre après avoir considéré l'offre un court instant.
— Pourquoi pas ?
Je ne comprends pas. Elle devrait à peine être encore capable de se tenir dans la même pièce que moi.
— Je ne peux pas tout avoir, elle se contente de répondre.
— Mais tu peux avoir quelque chose quand même, je rétorque.
— Tu veux que je m'en aille, c'est ça ?
Aouch. Elle dit ça sur le ton de la plaisanterie, mais la simple idée m'est inconfortable.
— Je tiens à ce que tu considères soigneusement tes options, c'est tout.
Je détourne les yeux, essayant de cacher à quel point j'ai juste envie de lui dire "non".
— Ce que je voulais dire, c'était que je ne comptais pas y retourner, même si… même si je dois vous laissez.
Elle a du mal à le dire.
— Et si je ne dois pas y retourner pour les entraîner, je ne vois pas ce qui m'autorise à les voir se produire. C'est ça que je voulais dire par ne pas pouvoir tout avoir.
Elle ose à peine m'accorder un coup d'œil.
— C'était ton plan depuis le début, de lâcher ton agent de probation, pas vrai ? demande H, perspicace.
— Pas concrètement, mais dans le fond, sans doute, elle finit par avouer.
— C'est p't-êt'e pour ça qu'l'alien t'a choisie, lâche alors Dwight, revenant dans la conversation.
On tourne tous la tête vers le Jumper. Il s'arrête un instant de mâcher, se demandant qu'est-ce qu'on a à le fixer de la sorte, mais se replonge rapidement dans son paquet de crackers alors qu'on se met tous à pondérer son idée, détachant par la même occasion nos yeux de lui. Comme souvent, Dwighty sait des choses, mais il n'estime que rarement qu'il pourrait être utile de partager ses connaissances, notamment parce que je crois qu'il a du mal à différencier ce que tout le monde est censé savoir du reste, et quitte à choisir il préfère ne pas passer pour un idiot en énonçant des évidences. En conséquence, lorsqu'il décide d'intervenir de façon illuminatrice, ça prend tout le monde un peu au dépourvu, même si dans le bon sens. Il serait effectivement logique que, parmi toutes les athlètes en présence pour le tournoi, l'alien ait choisi Oz parce que c'était celle qui était le moins à sa place. Ça ou bien, étant une cambrioleuse de haut vol, elle est une gymnaste plus "complète" que les autres candidates, comme l'a suggéré Perry, à ce que m'a raconté la principale intéressée par la question hier soir. Mais après tout, aussi viables ces deux théories soient-elles, on s'en fiche un peu, non ?
— Er… Les gens ?
La voix de LeX, enfin de retour de la cuisine, nous fait tous sortir de notre réflexion.
— Quoi ?
Je fronce les sourcils en la découvrant appuyée d'une main sur l'encadrement de la porte, plus pâle encore que d'ordinaire.
— Je me sens pas super bien…
Et sur ces mots, elle s'écroule.
Il y a quelque chose de particulièrement dramatique dans la chute de la Messagère. J'ai l'impression qu'elle tombe au ralenti. Je l'ai vue se transformer en félin ailé surdimensionné en moins d'un clin d'œil, je l'ai vue soulever une Botaniste du sol avec une seule main, je l'ai vue littéralement trancher mon Tuteur en deux, je l'ai vue tenir en respect un bataillon d'aliens à elle seule, zut, je l'ai même vue victorieuse d'un chasseur de démon ! Quoi qu'elle en dise parfois, en ce qui me concerne, c'est une force de la nature, indestructible, invincible, et invulnérable, les trois à la fois même si ce sont des synonymes. Je ne pensais pas qu'il y avait une limite à ses pouvoirs. Et là, elle glisse au sol, incapable de se soutenir, sans un son, juste comme ça. Hannibal est le premier à bouger, genou à terre aux côtés de LeX avant que qui que ce soit n'ait ne serait-ce que commencé à se lever. Il retire précipitamment ses gants et pose une main sur le front de la Panthère à peine consciente. À mon grand étonnement, aucune manifestation électrique n'a lieu. L'ange se met alors à froncer les sourcils, plus inquiet que je ne l'ai jamais vu. Et je l'ai vu très inquiet.
— Elle est brûlante. On se rejoint dans la salle de bain.
Le grand blond passe un bras sous les épaules de la Messagère et l'autre sous ses genoux, la soulève, puis disparaît avec elle dans un grésillement électronique.
Le reste d'entre nous, après avoir à peine pris le temps d'échanger un regard, se précipite dans les escaliers. Dwight ne songe même pas à jumper. On arrive dans la salle de bain de mes parents, où j'ai repéré l'ange, pour trouver la Messagère à demi immergée dans la baignoire, toute habillée. H, à ses côtés, ses manches retroussées laissant voir les nombreuses cicatrices de ses atterrissages ratés, l'examine aussi de manière aussi peu invasive qu'il en est capable. Oscar et Dwight restent à une distance respectable alors que je m'approche. Lorsque je suis à un mètre de l'ange, celui-ci lève sa main droite en l'air, me faisant signe de ne pas aller plus loin. J'obtempère sans discuter, mais après quelques minutes, je n'y tiens plus. Autant vous dire tout de suite que si elle avait été en état, jamais LeX ne l'aurait laissé ne serait-ce que la toucher, donc, tout ça ne présage rien de bon, et moi je m'alarme un peu.
— Qu'est-ce qu'il lui arrive ? j'interroge, un nœud dans la gorge.
Une soirée. Une soirée tranquille à la maison, est-ce trop demandé ?
— À vue de nez : radiations.
WTF [1] ?
— Pas possible. J'étais là-bas a'c elle ' y a pas vingt minutes. Et Oz avant ça. Et on va bien. Elle a géré.
Dwight, d'où il est, s'oppose au diagnostic.
— Pas tant que ça, apparemment, lui réplique l'ange en désignant sa patiente.
— J'te dis qu'c'est aut'e chose !
Le Jumper croise les bras, sûr de lui.
— Est-ce que ça pourrait avoir un lien avec ce qui s'est passé quand tu t'es fait…
Attirant mon attention, Oscar porte la main gauche à son côté droit, ne trouvant pas le mot pour décrire ce qui m'est arrivé sur la planète sans nom.
— Non, j'élimine la théorie sans hésitation.
— Son visage était couvert de sang, et elle a voulu nous faire croire que ce n'était pas le sien.
J'avoue, vu comme ça.
— C'était le sien, oui, mais elle m'a dit pourquoi il était là, et ça ne cause rien d'autre, faites-moi confiance.
La Messagère m'a fait promettre de ne rien dire, et je ne vois aucune raison de ne pas m'y tenir. Aussi bizarre puisse-t-elle être, elle n'est pas une menteuse.
— Bon, alors quoi ? s'exaspère l'ange.
Juste comme il dit ça, LeX reprend connaissance, dans une grande inspiration, se débattant brièvement dans l'eau, visiblement désorientée. Elle reprend vite ses esprits mais pas son souffle, restant assise dans la baignoire, haletante. Personne ne bouge, puis elle saisit Hannibal par le bras, l'attirant à elle. Sur le moment je me dis qu'elle va soit l'embrasser soit le mordre, mais elle ne fait qu'amener sa tête à côté de la sienne. D'où je suis, son visage est dans l'ombre de l'ange, mais je peux tout de même distinguer ses yeux, en mydriase complète, ses pupilles énormes dans ses iris gris-bleu, ses rétines réfléchissant plus que jamais la lumière crue du néon au plafond. Par intermittence, on entrevoit également le reflet de ses crocs, impressionnants, se dévoilant plus ou moins selon les mots qu'elle prononce tout bas à l'oreille d'Hannibal. L'ange hoche la tête, acquiesçant à ce qui lui est dit, puis il est enfin libéré, et LeX retombe en arrière dans le bain, s'immergeant entièrement sous la surface cette fois.
— Tout le monde dehors.
Le blondinet se relève, à moitié trempé.
— Pardon ?
Je ne suis pas certain d'avoir bien compris.
— Tu m'as très bien entendu. Tout le monde sort. Et on ferme derrière nous.
Il fait volte-face, et m'incite du geste à me diriger vers la sortie.
— On va juste la laisser comme ça ?
Je garde ma position, désignant la Messagère de la main, visiblement mal en point.
— Oui.
L'ange réitère ensuite son geste.
— C'est une côte cassée ! Comment est-ce que…?
L'eau a légèrement soulevé le haut de LeX, l'espace d'un seconde, et je connais trop bien ce type d'hématome pour ne pas l'identifier.
— Dehors, j'ai dit !
Cette fois, Hannibal se saisit de moi et m'entraîne à l'extérieur.
Je ne vois pas l'intérêt de me débattre outre mesure, puisque même si la Panthère avait effectivement besoin d'aide, je serais certainement la dernière personne en mesure de la lui apporter. Dwight et Oscar ont déjà quitté la pièce et nous attendent dans le couloir, anxieux. Dès que nous sommes sortis, H referme la porte derrière nous avant d'y apposer ses paumes. Un lourd déclic se fait entendre, comme d'énormes rouages se mettant en mouvement, puis l'ange retire ses mains. Il se retourne ensuite vers nous, de plus en plus perplexes. Il ne nous accorde cependant pas un regard, et se met presque immédiatement à monter les escaliers. Un nouveau coup d'œil est échangé entre Oz, Dwighty, et moi, puis nous emboîtons une nouvelle fois le pas à mon parrain, le rejoignant dans le bureau de mes parents à l'étage supérieur.
— H ! Qu'est-ce qui se passe ? je demande, de plus en plus alarmé.
— Je ne sais pas.
Sérieusement ?
— Quoi ?
Dwight ne comprend pas plus que moi. On l'a tous vu, où qu'on ait été par rapport à la scène, hocher la tête aux propos de la Panthère.
— Je ne sais pas, et je crois que LeX pas vraiment non plus.
Erratique, il parcourt la bibliothèque en zigzaguant, comme s'il cherchait quelque chose.
— Tu CROIS ? je relève.
— Mon système de décryptage n'est pas exactement adapté à ce qu'elle vient de me sortir. Du peu que j'ai saisi, il va se passer des choses pas jolies-jolies dans cette salle de bain, d'où la nécessité de sortir tout le monde de là et de bien fermer derrière nous. En espérant qu'elle n'éventre pas HAG purement et simplement…
Il grimace à cette dernière phrase, prononcée comme pour lui-même, mais il n'interrompt pas sa recherche pendant qu'il parle, allant à droite puis à gauche avant de retourner sur la droite.
— HAG ? relève Oz, encore plus perdue que nous autres.
— C'la maison, lui répond Dwight, laconique.
— La maison a un nom ? elle s'étonne.
— La maison est artificiellement animée, j'explique à mon tour.
— Quoi ?
Comme si c'était le plus surprenant qu'il lui ait été amené d'entendre ces derniers jours…
— Si vous voulez bien aller lui expliquer tout ça ailleurs, plus tôt j'aurai transcrit et traduit ce charabia, mieux ce sera, demande Hannibal, se retournant enfin vers nous, l'espace d'un instant du moins.
Alors qu'il retourne à sa mystérieuse recherche, je fais moi aussi volte-face, quoique dans l'autre sens, vers Oscar et Dwighty. Les deux se sont tus et en sont presque à regarder leurs pieds. Rapidement, le Jumper comprend le sens de mon regard soutenu, et il prend sa voisine par l'épaule, l'entraînant avec lui vers un étage inférieur. Oz ouvre la bouche pour protester, mais se ravise au dernier instant, se contentant de m'accorder un regard qui en dit plus long sur son insatisfaction à la tournure des évènements que n'importe quel discours. J'ai conscience qu'à chaque minute qui passe elle peut tout à coup se rendre compte qu'il faut absolument qu'elle s'en aille d'ici, et que par conséquent nous séparer maintenant signifie peut-être ne jamais se dire au revoir, mais quand il faut, il faut. No rest for the wicked [2]. Avec un soupir, histoire de me redonner un peu de courage, je reporte mon attention sur Hannibal.
— Qu'est-ce qui pourrait affecter une Messagère de la sorte ? Je ne te demande rien de précis, juste une vague idée. Qu'est-ce qui a ce pouvoir ? j'interroge, sérieux.
— Honnêtement, à distance, c'est délicat. Mais en personne, je ne dis pas…
Il grimace, puis se décide enfin pour un ouvrage sur une étagère, qu'il attrape.
— Tu veux dire qu'il y a quelque chose avec nous ? je déduis, ce qui n'a rien de rassurant.
— Peu probable.
Il a l'air sûr malgré la nuance.
— Alors quoi ?
Si on a le choix entre être la cible d'un truc très terrible et être en compagnie d'un truc pas forcément terrible, je prends la seconde solution n'importe quel jour.
— Aha !
L'ange ne m'écoute plus. Il a trouvé quelque chose dans son livre, qu'il brandit devant lui en signe de victoire, éclaboussant dans son geste encore un peu plus le parquet.
— H ? je m'enquiers, commençant à m'approcher, las de converser à distance.
— Il y a un passage qu'elle a répété plusieurs fois, et je crois que je viens de le décoder, m'expose mon parrain, assez fier de lui.
— Qu'est-ce que ça dit ? je demande.
Le visage de l'ange mécanique passe de jovial à neutre à ma question, et il retourne le livre dans ses mains de manière à ce que je puisse le lire à mon tour. Je comble le peu de distance qui nous sépare encore et me penche sur la lecture qu'il m'offre. Sauf qu'il ne s'agit en fait pas d'une lecture à proprement parler. Sur les deux pages auxquelles c'est ouvert s'étalent plusieurs clichés, plus ou moins anciens d'après leur aspect, maladroitement collés aux coins par des petits bouts de ruban adhésif transparent. Des enfants en uniforme dans une cour de récréation. Un vieil homme dans une crypte, un lourd grimoire entre les mains. Des personnes rassemblées autour d'une lueur argentée, la mine sombre. D'autres images encore, sans beaucoup plus de rapport entre elles que les précédentes, finissent de remplir la double-page. Je relève lentement les yeux vers l'ange. Je ne doute pas de son expertise, mais je me demande bien ce que ces images auxquelles LeX nous a menés peuvent laisser présager quant à ce qui va certainement nous tomber dessus sous peu.
[1] WTF = What the f*ck ~= C'est quoi ce b*rdel
[2] No rest for the wicked = Pas de repos pour les damnés.
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