Neuvième Jour - Semper Fidelis (6/8)

Puisqu'il est impossible d'apparaître à l'intérieur du Paradis, Dwighty nous amène devant la porte sur laquelle Vik a frappé quelques heures plus tôt. Nous nous détachons les uns des autres, et Perry ne peut pas réprimer un mouvement de recul. Mauvais souvenir, sans aucun doute. Je le vois déglutir, et puisque son aura n'est plus complètement emmaillotée, son anxiété m'est plus palpable que jamais, si c'est possible. Dwight et moi ne bougeons pas, lui laissant une nouvelle fois le temps de s'acclimater. Le Jardinier finit par souffler silencieusement, puis nous accorde à l'un et à l'autre un bref sourire, signe que nous pouvons continuer. J'avance jusqu'au portail et frappe plusieurs coups, mais rien ne se passe. Je pourrais attendre, mais je sens bien que personne ne réagit à l'intérieur, certainement parce que personne n'a rien entendu. C'est malin. Je me retourne vers les deux autres avec une grimace d'incertitude.

Prenant son courage à deux mains, Perry s'avance alors à son tour. Il est sur le point de frapper, mais s'arrête tout à coup dans son geste, et vient poser sa main à plat sur la porte, tout simplement. Je fronce les sourcils et Dwight en hausse un ; pourtant la manœuvre, quelle qu'elle ait été, fonctionne, et les lourdes portes s'ouvrent en grand. Peter n'est pas présent de l'autre côté, uniquement LeX, Oscar, et Hannibal, qui sont d'ailleurs pris par surprise. H se lève d'un bon, Oscar, déjà debout, sursaute, et si la Messagère prend son temps pour sortir de son siège, elle affiche clairement un air perplexe. Tous leurs regards braqués sur lui, Perry ne trouve rien d'autre à faire que de hausser les épaules. Dwight avance de manière à se retrouver à ma hauteur, un pas derrière le Jardinier, toujours sans entrer.

— Ça faisait un bail que je n'avais pas vu ce visage. Bienvenue chez les morts libres, Perry.

LeX, toujours le mot qu'il faut.

— Merci.

J'entends néanmoins l'intéressé sourire, et il a un de ses hochements de tête révérencieux qu'il sait si bien faire à l'intention de la Panthère.

— C'était comment ? finit par demander Hannibal, n'y tenant plus du silence s'étant installé après ce bref échange.

— J'ai trouvé ça… rapide. Dans tous les sens du terme.

Perry me laisse répondre avec plaisir.

— Tout ne tourne pas toujours autour de toi, Lil'Hu.

La voix de Vik fait tourner toutes les têtes, et la Botaniste apparaît bientôt derrière LeX.

— Pardon ? je demande, pas sûr de comprendre où elle veut en venir.

— Tu étais si inquiet de ce que les Paradisiaques allaient penser de toi que tu n'as même pas pensé qu'on serait peut-être plus intéressés par le sort de Perry et June. Les Silencieux étaient très en colère, certes, mais moins envers Perry qu'envers toi. Ils sont obtus, pas sadiques.

Alors pourquoi avoir justement tenté de me convaincre qu'ils ne voudraient pas m'aider à cause de ce que j'avais fait ? Je me retiens de souligner ce détail.

— Je n'en demandais pas plus, je me contente de répondre.

D'autant qu'elle a tort, j'ai effectivement espéré que les Paradisiaques passe outre mon "dossier criminel" si je pouvais venir en aide à Perry.

— Que d'être méprisé par la majorité d'une population ?

Là, elle cherche juste à me provoquer.

— Viky, intervient alors Perry, attirant l'attention de la brunette pour la première fois.

— Viens, on t'attend, elle se contente de lui répondre comme si il ne s'était rien passé, après l'avoir rapidement détaillé de haut en bas et de bas en haut. Ce ne sera pas long… elle ajoute alors qu'elle nous a déjà tourné le dos, ayant certainement deviné ce que Perry était le plus pressé de faire.

Ce dernier me jette un regard furtif, puis franchit le seuil et rejoint Vik qui s'est déjà éloignée. Ils disparaissent tous les deux dans le fameux escalier par lequel est arrivé Aaron en début d'après-midi, après quoi Dwighty et moi nous décidons enfin à rejoindre les autres. H et LeX regardent encore dans la direction que Vik et Perry ont prise, mais Oscar me dévisage bizarrement, déviant de temps à autre, l'espace d'une fraction de seconde, vers mon Tuteur sur ma gauche. Je fronce les sourcils à son intention, pas certain de comprendre, et elle secoue alors la tête en souriant, l'air de dire que ce n'est rien de grave. Le fait que je ne me repose que sur ma lecture de son visage pour savoir de quoi il retourne m'est plus insupportable qu'il ne faudrait. Elle a encore un signal, mais il est si faible qu'il n'y a bien que son existence que je puisse détecter. Perry qui refait soudainement son apparition, descendant l'escalier en trottinant, me tire de mes considérations moroses.

— Hey. Ce serait pas mal que vous veniez avec moi, en fait. Vous méritez de voir ça…

Sa façade humaine étrangement active, il semble essoufflé. Devant notre courte hésitation, il réitère son invitation d'un geste du menton, souriant.

Personne ne répond quoi que ce soit. Quelques regards sont simplement échangés avant que nous lui emboîtions le pas sans plus de tergiversations. Hannibal suit LeX, et Dwight, Oscar, et moi avançons de front derrière l'ange. Très honnêtement, gravir des escaliers qu'on ne distingue pas est assez déroutant, et les premières marches sont assez vacillantes pour la majorité d'entre nous. Oscar se rattrape à moi, qui me rattrape à Dwight qui a, contrairement à ce que suggèrerait sa légendaire maladresse, un excellent équilibre. Une fois le rythme trouvé, nous pouvons cependant tous nous lâcher les uns les autres sans trop de risques. Notre ascension ne dure pas très longtemps au total, et en chemin nous retrouvons Viky, l'air encore plus agacée que tout à l'heure, certainement parce que Perry l'a plantée là pour aller nous chercher.

Lorsque nous arrivons au sommet, non sans pour la plupart lever le pied dans le vide avant de se rendre compte qu'il n'y a plus de marches, la Botaniste pousse quelque chose devant elle, et une portion de ciel bleu apparaît, laissant deviner qu'elle a probablement ouvert une porte. Elle s'aventure au travers du passage, et par contraste on devine qu'elle se trouve alors sur un balcon. Elle se retourne ensuite vers nous, nous faisant à contrecœur signe de la rejoindre. Perry se décale, nous incitant du geste à le devancer. LeX est encore la première à s'exécuter, toujours suivie par Hannibal. Oscar se rapproche de moi, et Dwight vient se placer derrière mon épaule gauche, tous les deux me laissant décider pour eux d'avancer. Je ne vois pas vraiment où est le danger, et rejoins le gros de la troupe, laissant Perry toujours en retrait.

Nous nous approchons du bord, autant que nous l'osons, et le spectacle qui s'offre à nous est pour le moins fabuleux. Le ciel d'un azur parfait s'étend au-dessus de nos têtes et à perte de vue au loin, dans toutes les directions, tandis qu'en contrebas, vraiment très en contrebas, une immense clairière occupe l'espace. Contre toute attente, elle n'est pas blanche comme les décors rencontrés jusqu'ici mais bel et bien remplie de verdure, et même limitée à l'horizon par divers types de forêts, et pas des moins luxuriantes. Mais surtout, dans cette plaine est rassemblée la totalité des Paradisiaques (à l'exception d'une, évidemment). Bien que leur nombre soit des plus impressionnants, j'aurais quand même cru qu'en existant depuis aussi longtemps que l'Homo Sapiens l'espèce aurait engrangé une plus grande population. Après, il est particulièrement difficile d'obtenir des Jardiniers, et on ignore encore à ce jour comment les Botanistes sont choisis exactement, donc, il y a une explication.

De nombreux regards se braquent sur nous, et j'ai la vilaine sensation qu'aucun des observateurs ne pense que du bien de moi. Discrètement, en tirant sur sa manche, j'incite Oscar, légèrement penchée par-dessus la rambarde, nullement affectée par le vertige, à reculer un peu. Nous ne disparaissons pas totalement, mais nous plaçons en retrait tout de même. Assumer ses actes est une chose, les revendiquer en est une autre. Si je peux de toute évidence me permettre d'assumer, sans quoi je ne serais pas vivant aujourd'hui, la revendication serait tout bonnement insultante pour tout le monde, j'en suis conscient. Ce serait idéal si tout le monde avait compris ce dernier fait et que je n'avais pas à sans cesse considérer l'impact diplomatique de mon comportement en public, mais on ne peut pas tout avoir. Pour ce qui est d'Oz, je ne sais pas si elle a compris mon geste, mais elle n'a en tous cas pas l'air perturbée. Elle doit simplement penser que je ne veux pas qu'elle tombe, ce qui n'est de toute manière pas complètement faux.

Les Paradisiaques, tantôt assis par terre, tantôt adossés à un arbre, tantôt debout, parfois seuls, parfois en groupes, commencent soudain à s'agiter. Le brouhaha ambiant émanant de la foule s'intensifie progressivement, et un frisson remonte la long de ma colonne vertébrale à la façon dont la vague d'excitation qui se répand parmi les milliers d'auras fait écho à ce que j'ai perçu lors de la libération de Perry. C'est bien normal, puisque ce sont exactement les mêmes dérivés qui sont concernés, mais c'est quand même bizarre. Chaque signal est comme une empreinte digitale, quoiqu'encore plus unique probablement, alors l'unisson d'une telle quantité de signaux est particulièrement singulier. Les têtes qui n'étaient pas encore levées vers nous se tournent, et certains qui étaient par terre se redressent voire se remettent sur leurs pieds. En cherchant bien, on peut repérer les Silencieux, leurs capes assorties et leur attitude un brin austère. Le reste de la population possède également des capuchons, décidément leur gimmick, mais les formes et les couleurs varient grandement, probablement selon l'époque de vie de ceux les portant.

Perry commence timidement à se rapprocher, mais Vik en a décidé autrement ; elle vient l'attraper par le bras et le tire violemment en avant, l'amenant tout contre la rambarde, à la vue de tous. Le silence s'abat sur l'assistance, et la brunette croise les bras avec un sourire satisfait. Lui n'a pas le temps de lui en vouloir, découvrant à son tour sa communauté entière rassemblée sous ses yeux. Le même sourire incrédule qu'il avait après s'être finalement écrasé sur la banquise étire ses lèvres, et il cligne des yeux pour refouler une larme d'émotion. Je n'imagine pas ce que se tenir là où il est peut signifier pour lui. Ce n'est pas comme s'il n'avait jamais rencontré de Jardiniers ou de Botanistes, mais rentrer au Paradis n'a jamais été une option pour lui. Le laissant à sa contemplation, Viky se hisse sur le parapet, puis se laisse tout à coup tomber en arrière, sans que personne n'ait le temps de faire quoi que ce soit. Si nul ne peut s'empêcher de se crisper, seule Oz esquisse un geste, encore pas suffisamment habituée aux gens qui ont des ailes. Heureusement, on distingue bientôt à nouveau Vik, qui survole la foule avant de trouver un point de chute favorable.

Une paire de minutes plus tard, Aaron fait à son tour son apparition, s'élevant gracieusement à notre hauteur sans pour autant nous rejoindre sur le balcon à proprement parler. Il incline respectueusement la tête devant Perry, qui lui rend la pareille. Je ne saurais pas dire qui des deux maîtrise le mieux ce geste, surtout que je ne suis pas particulièrement impartial, mais j'aurais quand même envie de dire que Perry a plus la classe. Derrière le recruteur s'élève une seconde silhouette, féminine et voilée celle-ci, sans aucun doute celle de sa compagne. Après qu'elle ait à son tour payé ses respects, le couple redescend dans la plaine avec les autres. Après ça, je me dis que la cérémonie est terminée, mais je suis très rapidement détrompé.

Le bruit de milliers de paires d'ailes se déployant au même moment nous fait tous sursauter sur le balcon, sans exception. En un clin d'œil, la foule désordonnée s'avère, on ne sait trop comment, parfaitement organisée. Des rangées successives de Jardiniers et de Jardinières, ici et là intercalées de rangées de Botanistes, quoi qu'il n'y ait que moi qui puisse noter ce détail, s'établissent d'un moment à l'autre, sans qu'on n'ait pu distinguer le processus ayant mené à ce résultat. D'abord tous figés bien droits et les bras croisés sur leur poitrine, ils débutent ensuite un complexe ballet, dans lequel tout le monde semble connaître sa place. Certains s'élancent dans un sens, d'autres dans l'autre. Il y en a qui s'abaissent, des qui bondissent. On tourbillonne, s'arrête, se décale, recommence dans l'autre sens. Bref, les Paradisiaques dansent. Je suis tellement soufflé par le spectacle que je n'arrive pas à retenir Oscar de se rapprocher du bord. Je pensais que le fait qu'ils se tiennent tous là était déjà fabuleux, mais je dois mettre à jour mes références.

— Qu'est-ce qui se passe ? je demande discrètement à la Messagère, dans le dos de Perry et Dwight.

— C'est le protocole standard pour un retour de voyage périlleux. Quoique la danse et l'effectif changent, il paraît…

La blonde hausse les épaules, pour une fois pas agressive dans sa réponse.

— C'est… impressionnant, j'avoue sans honte.

Il y a de quoi se sentir tout petit.

— Il te reste tellement à découvrir, Lil'Hu.

La Panthère secoue la tête, puis retourne à sa contemplation de la chorégraphie, elle aussi penchée par-dessus la balustrade.

Sur ma gauche, entre Perry et moi, Dwight hoche la tête au rythme de la musique pourtant absente, appréciant visiblement beaucoup la représentation. Je suis sûr qu'il s'y joindrait bien, ce grand taré. À l'autre bout du balcon, à gauche de LeX, elle-même située à gauche de Perry, Hannibal s'est adossé au mur derrière nous. Bien qu'il serre les mâchoires, ses yeux semblent suivre les arabesques des danseurs. Je suppose que le Paradis duquel il a été déchu, aussi différent de celui-ci soit-il, ne doit pas être complètement absent de ses pensées à cet instant précis. Sentant mon regard peser sur lui, l'ange tourne la tête vers moi, puis voyant que je ne détourne pas les yeux, la penche exagérément sur le côté. Je souris avant de finalement moi aussi retourner au spectacle. Les Paradisiaques virevoltent encore quelques minutes, puis, aussi subitement qu'ils se sont mis en mouvement, s'interrompent, tombant tous simultanément un genou et la main opposée à terre, tête baissée, selon les mêmes rangées qu'ils avaient au début.

S'il n'y avait pas de musique, un aussi grand ballet faisait mine de rien pas mal de bruit, et le silence qui s'installe est frappant. Personne n'ose cependant le briser, même pour des applaudissements, qui seraient de toute façon très certainement perçus comme insultants. Dwight, toujours le plus perdu dans ce genre de situation, regarde les uns et les autres, pour savoir quoi faire. J'admets que je suis un peu comme lui. Quoi, maintenant ? Tous nos regards finissent par se reporter sur Perry, qui lui observe toujours l'immense plaine étalée devant nous, pratiquement sans ciller. Petit à petit, je me rends compte que ce qu'il regarde, c'est le départ de ses collègues. Les uns après les autres, dans diverses manifestations colorées et avec diverses formes de salutations plus ou moins sophistiquées, les Paradisiaques s'en retournent d'où ils sont venus. Ils l'ont accueilli comme il se doit, c'est désormais son tour de les remercier comme il faut. C'est compréhensible, même si ça peut prendre un certain temps.

Aucun d'entre nous n'interrompt Per dans sa tâche, mais Vik qui arrive depuis l'intérieur, sans qu'on ne sache par où elle a bien pu passer, nous fait signe de le laisser seul sur le balcon. H se redresse mais cède le passage à LeX, en parfait gentleman comme ça lui arrive ponctuellement. Je n'ai pas le temps de penser à faire de même avec Oscar, car elle s'est déjà faufilée entre le mur et moi avant même que je n'ai esquissé un seul geste. Je suppose que je peux mettre sa furtivité sur le compte de son passé criminel, comme son absence de peur du vide, d'ailleurs. Je rejoins le groupe, et Viky referme les portes derrière moi.

— Er… J'aurais pensé qu'on allait l'emmener voir June, j'observe.

— Je ne vais pas vous en empêcher. J'ai juste quelque chose à dire, et il n'est pas nécessaire qu'on le déconcentre.

C'est honnête.

— D'accord. Vas-y, je l'invite à poursuivre, curieux.

— Je reste.

Hein ?

— Quoi ?

Je ne suis pas sûr d'être le seul à avoir dit ça.

— J'ai dit : je reste.

Mains dans le dos, se tenant bien droite, elle ne fait qu'énoncer un fait. Je suis peut-être fatigué, mais je ne m'attendais pas à ça.

— Hein ?

Là, en revanche, je sais que je suis le seul à avoir pris la parole.

— Je n'ai plus rien à faire de par chez vous. J'étais censée vous aider à réunir Perrune, et dans quelques minutes ce sera fait.

Sympa, le surnom.

— Ce que LeX a dit, en fait, c'est que tu devais rester tant qu'elle resterait, je ne peux m'empêcher de préciser.

— Oui, mais c'était surtout pour qu'elle puisse les aider. Je ne savais pas quand ça se produirait, alors j'ai vu large.

Je n'aurais jamais cru la Messagère capable de revenir sur ses propos.

— T'avais qu'à dire qu'i' fallait qu'elle reste jusqu'à c'que Perry et June soient réunis, alors ! intervient tout à coup Dwighty, l'air mécontent.

— Au temps pour moi, je le saurai pour la prochaine fois que je me retrouverai dans une situation pareille. Oh, mais attendez…!

Sarcastique, la Panthère le regarde comme si elle était à deux doigts de lui tirer la langue.

— Je t'ai connue plus inflexible, je note, perplexe quant à son comportement.

— Tu veux la vérité ? Vikt est ma meilleure amie. Si j'ai eu l'air de lui donner des ordres, de la menacer, ou de la dominer, c'était uniquement pour ton bénéfice. Que j'aie à t'expliquer ça me laisse penser que tu m'as crue quand je t'ai dit que je me nourrissais de chair fraîche.

Exact. C'est bien la première fois que je reçois une information qui me rassure à son propos.

— Si ce n'était qu'un conseil, pourquoi rester jusqu'ici, alors ?

Je me retourne vers Vik.

— Pour aider ses amis, par exemple, intercède LeX, protectrice.

— Et par honte, aussi, avoue ensuite la Botaniste, bras croisés.

— De quoi tu parles ? je demande, perdu.

— J'ai suivi de fausses infos et me suis faite capturée par un Magnet de quelques mois.

Elle estime que cette phrase se suffit à elle-même. Je saisis l'idée, mais je suppose que je n'appréhenderai toute la force de cette honte que dans un certain nombre d'années seulement.

— Et qu'est-ce qui fait qu't'aurais moins honte maint'nant ? interroge Dwighty, toujours aussi peu ravi de la conversation.

— Ma mission est enfin terminée. J'étais partie pour attraper Babylone, au départ, et maintenant il va effectivement pouvoir rentrer au bercail. Pas comme je l'aurais pensé, mais peu importe.

Vu comme ça.

— C'débile.

J'ai connu de meilleures réparties à Dwighty, mais il est vrai que s'il y a bien une personne pour qui je l'ai vu perdre ses mots, c'est Vik.

— Ton opinion sur le sujet ne m'importe que peu, elle rétorque, froide.

— T'veux même pas rev'nir a'c nous pour la réunion ? il insiste, le seul a encore en avoir le courage et l'envie.

— Je verrai tout d'ici, ne t'inquiète pas.

Elle détourne les yeux, comme lassée de cette discussion.

— Je ne pense pas que qui que ce soit va rater ça où qu'il soit, de toute manière…

Merci, H, tu aides vraiment. Le regard que Dwight lance à l'ange fait clairement passer le message.

— Bon ! J'espère en tous cas que la prochaine fois qu'on se croisera, on n'aura pas à se taper dessus.

Évitant un malaise général, LeX décide de précipiter les adieux. C'est étonnant que ce soit elle qui s'en charge, mais c'est bienvenu quand même ; Dwight n'est décidément pas ravi.

— Ou que ce sera mon tour, répond Vik à son amie du tac au tac, soudain souriante.

— Je ne ferai plus jamais appel à tes services, poursuit H, puisque personne d'autre n'a l'air de vouloir le faire.

— Comme si ça avait été ton idée à la base.

L'ange semble regarder en l'air, puis hausse les épaules, donnant raison à la Botaniste.

— Je ne peux penser à rien d'approprié à te dire, je m'empresse d'ajouter ensuite, achetant du temps à Dwighty, qui fait passer son poids d'un pied sur l'autre en regardant par terre.

— En même temps, il y a zéro chance pour que je te remette dans la position dans laquelle je t'ai mise, elle me fait remarquer, sans complexe sur ses actions.

C'est sûr, mettre ma petite amie dans le coma de sorte que je me retrouve dans l'obligation de l'achever, sous ordre de mes parents qui plus est, il y a peu de chances que ça se reproduise. Enfin, j'espère.

— Er… Merci d'avoir réparé ma méprise ?

Je trouve Oz la plus inspirée de tous, alors que c'est pourtant celle qui a passé le moins de temps avec Vik.

— Quoi ? Ce que tu as fait à Lil'Hu ? Tu rigoles, c'était rien.

La Botaniste sourit d'abord, fière, puis son regard se plisse imperceptiblement.

Sans prévenir, elle se rapproche d'Oscar, met sa main sur une de ses épaules, et se penche à son oreille. Si toutes les mâchoires se décrochent à ce développement inattendu, personne n'est plus choqué qu'Oscar, qui met une telle application à rester parfaitement immobile qu'on pourrait croire qu'elle a peur que l'autre lui casse le bras. Pendant une fraction de seconde, je me dis que c'est possible, mais repousse immédiatement l'idée, même Viky n'étant pas aussi destructrice. Lorsqu'elle libère enfin Oz, la Botaniste se retourne vers nous, et nous découvre à faire les yeux ronds. Elle pose alors ses mains sur ses hanches et nous toise de haut en bas puis de bas en haut, un peu comme le fait souvent sa comparse Messagère.

— Jaloux ?

Tout le monde secoue la tête à la négative, avec plus ou moins de vivacité selon les personnes.

— Dans ce cas, je vous souhaite un bon retour. Je suggère que tu y ailles en éclaireur, Josh, si tu ne veux pas que Ju' soit toujours d'une humeur ruinée pour sa grande réunion.

C'est noté.

Vik regarde ensuite par-dessus mon épaule, ce qui fait faire volte-face à tout le monde, pour voir Perry émerger du balcon. La main sur la porte, il se fige, l'air dérouté, lorsqu'il remarque que nous le regardons tous. Il semble rapidement détecter que quelque chose cloche, notamment avec Dwighty qui boude clairement, mais il choisit sagement de n'émettre aucun commentaire. Il referme consciencieusement la porte derrière lui avant de venir nous rejoindre. Il ne comprend pas pourquoi nous nous efforçons tous à regarder un point différent du décor, ce qui tient en plus du prodige considérant l'uniformité de celui-ci, mais moi ça me laisse deviner que je ne suis pas le seul à avoir remarqué que Vik a dit au revoir à tout le monde sauf à Dwight. Ni l'un ni l'autre n'a cependant l'air d'être sur le point de faire ou dire quoi que ce soit, et personne ne veut s'en mêler, évidemment.

— Vous ne devez pas être quelque part ? finit par lâcher Viky.

C'est seulement à ce moment-là que Perry semble comprendre qu'elle n'a pas l'intention de revenir avec nous, et interprète alors notre comportement. Le plus courageux d'entre nous, comme toujours, il vient poser sa main sur l'épaule de Dwight. Le Jumper lève les yeux vers lui et ils échangent un long regard, après quoi mon Tuteur me fait faiblement signe de venir m'accrocher à lui. Perry lui offre le privilège de nous ramener, et depuis le Paradis qui plus est. Comme si jumper était réconfortant. Après, je n'ai pas de meilleure idée pour lui remonter le moral, alors… Je viens poser ma main sur l'épaule libre du Jumper et tends le bras vers Oscar, pour qu'elle se joigne à nous. Dwight n'étant pas non plus un mulet, Hannibal et LeX se débrouilleront pour rentrer, l'ange proposant d'ailleurs son bras à la Messagère, qui l'accepte en levant les yeux au ciel. Je passe mon bras autour de la taille d'Oscar, et nous disparaissons, sous le regard intense de Vik.

Je ne suis peut-être pas un expert, loin s'en faut, mais il y avait bien quelque chose entre elle et Dwight. J'ai mis un certain temps à m'en rendre compte, peut-être, mais au final je ne l'ai pas inventé. Même Oscar avait remarqué, après les avoir côtoyés pendant seulement quelques heures chacun, et la majorité du temps séparément. Si j'ai fini par concevoir que leurs étranges joutes incessantes étaient un genre de système de flirt, je ne comprends pas sa décision de s'en aller aussi subitement. Ce n'est pas comme s'ils allaient se marier ou quoi, mais tout de même, elle aurait au moins pu ne pas le snober lorsqu'il a fallu se dire au revoir. Les filles sont définitivement des êtres que les garçons sont de toute évidence incapables de comprendre. Le plus triste, c'est que cette idée s'applique à la vie comme à la mort.

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