Neuvième Jour - Semper Fidelis (2/8)

Hannibal et moi apparaissons dans un vaste entrepôt vide, bien évidemment pas sur Terre, même si rien de visible ne confirme cet état des choses. À peine nous sommes nous matérialisés que l'ange me lâche et a un mouvement de recul, accompagné d'un froncement de sourcils. Je comprends sa réaction une seconde plus tard, lorsqu'un cercle de sept hommes apparaît et commence à se refermer sur nous, d'une démarche qui est à ne pas s'y méprendre hostile. Leurs visages sont dissimulés par des capuches, et je ne peux pas m'empêcher de faire rouler mes yeux. Pourtant nos assaillants ne sont pas des Assassins, loin de là. Tour à tour, sans ordre particulier, les Jardiniers passent en position d'attaque, et leurs mains s'allument d'autant de couleurs flamboyantes qu'ils sont nombreux. Ils n'ont même pas l'air d'avoir réfléchi à une stratégie particulière en conséquence de ceux qui leur font face, leur réaction est systématique.

- Je veux bien t'en laisser trois, me souffle Hannibal, avec lequel je suis à présent dos à dos.

- Si ça t'enchante de compter…

Je sors pour ma part mon héritage maternel de son fourreau et me concentre.

Sans plus de cérémonie, les sept individus nous encerclant passent à l'action. Un Jardinier vert olive bondit sur moi le premier, et je m'aplatis au sol pour éviter son assaut. Il se réceptionne sans difficulté derrière moi, où j'aurais juré que se trouvait Hannibal une seconde plus tôt. L'ange est en réalité déjà loin, ses grandes ailes métalliques s'ouvrant et se repliant à une vitesse folle, successivement parant des coups et lui laissant la place d'en asséner lui-même. Trois Jardiniers virevoltent autour de lui, l'un illuminé de violet, l'autre d'orange, et le dernier de marron. Je n'ai pas le temps d'en observer beaucoup plus. Un autre Jardinier verdoyant, plutôt émeraude celui-là, se jette sur moi. Je roule par terre et me relève juste à temps pour contrer l'offensive d'un troisième assaillant, rosé celui-ci, avec mon bâton. Avec un couinement de douleur, l'homme retire son bras. Voilà ce qui arrive quand on touche à ce qui ne nous appartient décidément pas du tout.

L'idée que nous aurions pu venir en plus grand nombre m'effleure, mais je me console en me disant que Vik aurait probablement refusé de se battre contre des Jardiniers, et LeX aurait fait un massacre inutile. Un cri à l'autre bout du champ de bataille, dans la direction approximative où se trouve Hannibal, me fait tourner la tête. Ce n'est pourtant pas l'ange qui s'est exclamé mais l'un de ses adversaires, celui au halo marron, profondément entaillé à l'abdomen et par conséquent hors-course. Bien joué, H. J'espère juste qu'il ne va pas les abîmer plus que nécessaire. Je pivote sur moi-même pour repousser le dernier Jardinier du groupe ne m'ayant pas encore attaqué jusqu'ici, au halo blanc cassé. Le premier vert tente bien de revenir à la charge à ce moment-là, par derrière, mais son nez laisse entendre un craquement funeste sous l'impact de mon coude. Désolé, mais ça, c'est l'un des premiers réflexes que Dwight m'a inculqué.

Dans un hurlement terrorisé et à grand renfort de battements de bras, le Jardinier au halo orange traverse soudain le hangar sur toute sa longueur, attirant l'attention d'à peu près tout le monde dans son vol plané. Un arc électrique relie le sol au plafond, en passant par H. D'un geste désinvolte, ce dernier jette ses gants de cuir, qu'il vient de retirer, par terre. Tête penchée sur le côté, il suit sa victime des yeux, et grimace même au moment de son atterrissage, bien que l'infortuné semble parvenir à limiter les dégâts. Lorsque l'ange se retourne vers le Jardinier violet, seul restant face à lui, celui-ci n'ose même plus l'attaquer. J'avoue que mon parrain est d'une bien plus grande efficacité que moi. Le vert au nez cassé et le rose à l'avant-bras endolori tiennent toujours debout, et le second vert ainsi que le blanc n'ont rien. Sans se presser, Hannibal vient à ma rescousse, certainement plus pour avoir son compte d'adversaires que pour réellement me défendre, et le Jardinier blanc se retourne alors pour lui faire face, me laissant seul avec les verts et le rose. À m'entendre, on croirait que je me bats contre des Power Rangers, mais ils font quand même beaucoup moins de gesticulations inutiles dans le vide.

Échangeant un regard, les trois Jardiniers se précipitent sur moi tous en même temps. Paniqué, refusant d'utiliser mon Magnétisme pur et dur, je plaque mon bâton au sol, sans réfléchir. J'avoue que je ne savais pas du tout que ça allait avoir le même effet que si j'avais retiré un tapis de sous leur pied, mais cette arme est plutôt instinctive à utiliser, après tout. Le petit groupe se ratatine par terre, avec une réception de plus ou moins bonne qualité selon les individus. Je me relève juste à temps pour voir H saisir le Jardinier violet par la gorge et l'électriser. L'homme est parcouru de violents spasmes pendant plusieurs secondes, les yeux révulsés, puis le grand blond ouvre les doigts et laisse tomber le corps inerte au sol, tel une poupée de chiffon. Si je n'avais que mes cinq sens de base, j'aurais juré qu'il était mort, mais je sens heureusement une étincelle de vie en lui, faible mais suffisante. Je laisse échapper un soupir de soulagement, puis retourne à mes propres rivaux.

Ayant compris que le contact avec mon arme est peu recommandé et ne disposant d'aucun équipement sur eux, les Jardiniers ont eu la bonne idée de solidifier leur lumière. Les verts ont maintenant respectivement un long et deux petits bâtons, tandis que le rose, plus habile, s'est confectionné deux lames courtes. Génial, j'avais besoin de nouvelles coupures. D'un autre côté, je trouve ça vexant qu'ils pensent à faire ça seulement maintenant, comme si j'étais un adversaire si facile qu'on pouvait m'avoir à mains nues. Je concède que j'ai quelques réticences à faire usage de mon Magnétisme, mais tout de même. Dans un effet de style aussi bien qu'un mouvement d'échauffement, je fais tournoyer mon bâton sur lui-même, m'amenant en position d'attaque, prêt à les accueillir.

Un cri, venant bel et bien d'Hannibal cette fois, me fait perdre ma concentration au dernier moment. Le Jardinier blanc a réussi à le frapper dans le dos, pile entre les ailes, zone la plus sensible de son anatomie, et l'ange s'est effondré. À la vision de mon parrain au sol, mes iris virent instantanément au gris, et j'ai beau leur tourner le dos, les Jardiniers fonçant sur moi percutent un mur invisible, s'assommant tous les trois. D'un geste fluide, je remets mon arme au fourreau et me précipite vers l'ange déchu. Le Jardinier blanc esquisse un geste, mais il me suffit de lever la main sans même me retourner pour le stopper dans son élan. Hannibal se redresse bientôt, prenant appui sur ses paumes, non sans un rictus de douleur.

- Si j'avais su que c'était ce qu'il te fallait pour que tu sortes ton mojo, je serais tombé plus tôt, est la première chose qu'il trouve à me dire.

Mes épaules s'affaissent.

- Ce n'est pas drôle, H.

Je l'aide à se relever, mais il me repousse doucement dès qu'il est sur ses pieds.

- Si, c'est un peu drôle, quand même.

Lentement, il rentre ses ailes là d'où elles viennent, et ça semble le soulager un peu.

- Tu vas bien ? je lui demande, pour être sûr.

- Tu crois peut-être qu'une demi-douzaine de Jardiniers du Paradis va m'apprendre la mort ?

Je n'ai rien à répondre à ça, mais je le prends comme un oui.

Je jette un regard circulaire à l'entrepôt, pour être sûr que tous les Jardiniers hostiles nous ayant accueillis sont hors d'état de nuire. Cinq sont sans connaissances, l'un est trop grièvement blessé pour bouger, et j'ai le dernier sous mon contrôle. Il me regarde d'ailleurs d'un œil mauvais, bien qu'il ne fasse étrangement pas mine d'ouvrir la bouche. Avant que je n'aie le temps de m'adresser à lui, H l'a déjà rejoint et il lui suffit d'une simple pression sur le côté du cou de l'homme pour que celui-ci tombe à son tour dans l'inconscience. Je sermonnerais bien l'ange mécanique sur son comportement, mais je ne vois pas trop l'influence que mes paroles pourraient avoir sur lui, et le Jardinier qu'il a "anesthésié" ne nous aurait de toute façon probablement rien appris que nous ne puissions découvrir par nous-mêmes. Relâchant ma restriction Magnétique devenue inutile, je suis mon parrain, qui sait visiblement où il faut aller.

- Tu connais cet endroit ? je l'interroge, surpris de l'assurance dont il fait preuve.

- C'est toujours pareil…

Je ne vois pas de quoi il veut parler, mais je suis bien content que ce soit lui qui m'ait accompagné. Si je sais dans quelle direction et à quelle distance se trouve Perry, je serais en revanche bien incapable de deviner le chemin pouvant mener jusqu'à lui.

Après avoir franchi une porte, au fond du hangar, le grand blond me guide à grands pas et sans hésitation à travers une série de couloirs sombres et étroits. Ce que j'ai d'abord pris pour un entrepôt était en réalité le hall d'entrée d'une sorte de donjon. Et rappelons que dans tout bon donjon, on est censé se perdre. Nous ne croisons heureusement personne sur notre route, hormis quelques dérivés inférieurs proches des rats, et après avoir marché pendant vingt minutes environ, nous arrivons enfin jusqu'à une série de portes. H va pour ouvrir la première, mais je l'en empêche, lui faisant silencieusement comprendre que Perry est derrière la suivante, et surtout qu'il n'est toujours pas tout seul à l'intérieur. Le blondinet pondère un instant la situation, puis me force à reculer, et vient tout simplement poser sa main sur la poignée en métal. La grande plaque de bois, pourtant solide, jaillit de ses gonds et vient s'écraser au fond de la pièce dans un vacarme assourdissant. Hannibal sourit, puis franchit le seuil d'une enjambée outrancière.

L'endroit n'est ni trop vaste ni trop exigu, mais la présence d'une seule fenêtre et l'absence de toute autre source de lumière le rend néanmoins étouffant. Dans un coin, un nouveau Jardinier, qui a visiblement évité d'être écrabouillé par la porte de peu à la façon dont il est plaqué au mur, ouvre de grands yeux. Sans attendre qu'il reprenne ses esprits, Hannibal s'approche de lui, ses mains soigneusement croisées dans son dos, et lui murmure quelque chose à l'oreille. Je n'entends rien, mais en plus de devenir de plus en plus livide, le geôlier voit son aura diminuer en intensité, à tel point que je finis par moi aussi avoir un peu peur. Satisfait de son effet, l'ange se redresse et laisse sa victime plantée où elle est, certain qu'elle n'en bougera pas avant un bon bout de temps. Je suis à deux doigts de lui demander ce qu'il a dit, mais décide finalement que je ne veux pas savoir.

De toute façon, j'ai mieux à faire que de m'occuper d'un Jardinier simplement pris d'effroi, il s'en remettra. En revanche, à l'autre bout de la pièce gît Perry, et il est en très piteux état. La voie étant désormais libre, je me précipite à son chevet, m'apercevant seulement lorsque je pose le genou à terre que le sol est imprégné de sang. Qu'est-ce que c'est que cet endroit ? J'avoue ne pas avoir été plus surpris que ça lorsque nous nous sommes retrouvés face à des Jardiniers en arrivant, mais si je pouvais concevoir qu'ils l'emprisonnent après son évidente transgression de leurs règles, je n'aurais jamais cru qu'ils iraient jusqu'à le punir. Le grand brun est allongé sur son côté, pieds et torse nus, inanimé. Son masque lui a été retiré, et son corps tout entier semble avoir subi le même traitement que son visage tuméfié. On a du mal à croire qu'il y a encore à peine plus de vingt-quatre heures il allait parfaitement bien…

- Qu'est-ce qu'ils lui ont fait ? je demande dans le vide, horrifié.

- Tu ne veux pas le savoir, fais-moi confiance.

Ce n'est qu'à cet instant précis que je me rends compte que le supplice de Perry est certainement très similaire à celui d'un ange déchu, d'où le comportement de mon parrain. Je voudrais bien dire quelque chose, mais je ne vois pas quoi.

Précautionneusement, je mets Babylone sur le dos. Un gémissement franchit à peine ses lèvres, premier signe de vie de sa part depuis que nous l'avons trouvé. Je ne sais pas si c'est à cause de la froideur de la pierre, de ses côtes certainement cassées, ou de n'importe laquelle de ses autres blessures, mais je ne peux de toute façon rien y faire maintenant. Des yeux, je cherche frénétiquement son masque dans la pièce. J'aurais préféré m'abstenir, car les débris d'argent que j'aperçois sur le rebord de la fenêtre me fendent le cœur. Je cligne des yeux pour en chasser les larmes qui menacent de couler et souffle un bon coup pour être sûr de ne pas craquer. Toujours avec autant de soin, je soulève le bras de Perry pour le passer par-dessus mon épaule, et me redresse. Malgré toute la douceur que j'emploie, une nouvelle plainte échappe au blessé, et je ferme les yeux.

- On ne peut pas rentrer d'ici. Il va falloir qu'on retourne dans le hall, m'annonce Hannibal, mains dans les poches.

- Le problème, c'est plutôt où on peut aller. Si les filles le voient sans masque dans la même ville que June, elles vont être obligées de le renvoyer ici. Toi aussi, d'ailleurs…

Autant que je sache, seul Dwight et moi, grâce à notre apolarité partagée, ne sommes pas dans l'obligation de dénoncer Perry à ses pairs lorsqu'il est plus proche de June qu'il ne lui est théoriquement autorisé, et sans porter son masque.

- Faute de mieux, je suis affilié à toi maintenant, alors je ne vais pas poser de problème sur ce point.

Oh. C'est LeX qui doit être contente.

- Bon, allons-y.

Je m'aide de mon magnétisme pour soutenir Perry, bien incapable de se tenir debout et encore moins de marcher seul.

Alors que nous sortons, l'ange ne peut pas s'empêcher de faire "Boo !" au Jardinier recroquevillé près de l'entrée, provoquant un irrépressible tremblement chez ce dernier. Je sais que c'est mal, mais sur le moment, je suis convaincu que c'est amplement mérité. Retourner sur nos pas nous prend pratiquement trois fois plus de temps qu'il ne nous en a fallu pour venir, mais ce n'est pas grave. Une fois arrivé à notre point de départ, H récupère ses gants qu'il avait jetés par terre pendant notre affrontement initial. Des sept Jardiniers constituant notre comité d'accueil, aucun n'est en vue. Je devrais m'en inquiéter, mais au contraire, une partie de moi les attend de pied ferme. L'ange vient ensuite poser une main sur mon épaule et l'autre sur celle de Per, puis un léger grésillement électrique plus tard, nous avons réintégré ma maison.

Il nous a ramenés dans la salle de Bal - sans jeu de mot, de ma part en tous cas. À peine sommes-nous apparus que la configuration de la pièce commence à changer, une cloison de toile se tendant pour isoler un lit, dans un coin. J'ai toujours été persuadé que cette salle fonctionnait mécaniquement, mais ce n'est pas le moment de ruminer sur ce qu'il me reste encore à découvrir sur la demeure où j'ai grandi et dont je suis supposé connaître tous les coins et recoins. J'allonge Perry sur le matelas, ce qui lui arrache une fois de plus un faible geignement malgré tous mes efforts. Je crois que ce qui me surprend le plus est que son signal ne m'ait pas prévenu de l'état dans lequel j'allais le trouver. C'est comme s'il s'était recroquevillé à l'intérieur de lui-même, pour se protéger, et que la torture qu'on lui avait fait subir n'avait atteint que sa chair. J'ai toujours admiré son endurance, mais une telle capacité d'introversion me donne carrément le vertige.

Quelques minutes plus tard, alors que H et moi sommes restés debout, immobiles et silencieux au chevet de notre rescapé, Oscar et Dwight descendent les escaliers, attirant notre attention. Elle a apparemment profité de notre absence pour prendre une douche et se changer, son débardeur couvert de sang remplacé par une chemise blanche trop grande pour elle. Ses jeans sont restés les mêmes, mais ils avaient échappé au plus gros, apparemment. Les deux orphelins s'avancent d'abord vers nous avec un certain entrain, mais perdent bientôt leurs sourires. Le Jumper est le premier à se décomposer. Oz met plus de temps à interpréter nos mines sombres. Il me connaît mieux, et il faudrait vraiment avoir un œil de lynx pour remarquer les taches rouges supplémentaires sur mes vêtements.

- Hey ! Vous en avez mis du temps. Oh mon Dieu !

Elle met ses mains devant sa bouche et fait brusquement halte, amenant Dwight, juste derrière elle, à la bousculer à défaut de freiner à temps.

- C'est ma chemise, est tout ce que je trouve à répondre, à la fois pour la distraire de l'état de Perry et aussi parce que la voir porter mes vêtements me fait, bizarrement, vraiment un choc.

- Ses fringues de r'change sont radioactives pour l'moment.

Dwighty hausse les épaules. Avec la piètre forme du Jardinier, j'en ai oublié qu'il a eu une crise monumentale hier matin.

- Je vais aller briefer les autres avant qu'elles ne décident de monter, annonce Hannibal, s'éclipsant ensuite par l'escalier.

- Qu'est-ce qui lui est arrivé ? reprend Oscar, s'approchant lentement du blessé.

- Je préfère ne pas savoir.

Si H considère que c'est mieux, sachant ce qu'il est parfois capable de dire, je lui fais confiance.

- On peut faire quelque chose ? elle demande, se tournant vers moi.

- J'y compte bien.

Même si, sur le coup, j'ai du mal à voir quoi, le nombre de personnes avec lesquelles il peut entrer en contact étant pour le moins limité.

- T'as l'air crevé. T'devrais manger un truc d'abord, me fait remarquer Dwighty.

- Je n'ai pas le temps.

Je secoue la tête. Oz m'attrape le poignet, attirant mon attention.

- Quoi qu'il te reste à faire, tu seras plus efficace après une douche et un petit-déjeuner.

Son regard soutenu achève le travail de conviction opéré par sa logique.

Encouragé par un hochement de tête de Dwighty, je file à l'étage. Je n'avais pas remarqué à quel point j'étais sale. L'eau sur mon visage manque de me faire hurler, et mes diverses coupures, au bras, à l'épaule, à la main, au ventre, et à la cuisse, ne sont pas non plus une partie de plaisir. Pourtant, je me sens tout de même mieux après. Alors que j'enfile une chemise à motif de tartan gris par-dessus un T-shirt, je me vois dans la glace pour la première fois depuis trop longtemps, et sursaute violemment ; ma blessure à la joue a un aspect plus préoccupant que je ne l'aurais deviné, il va falloir que je fasse quelque chose. Je désinfecte correctement la plaie et y place plusieurs fins sparadraps, diminuant un peu mes faux airs de Frankenstein. Ou pas, d'ailleurs. Comme je travaille sur mon propre visage, c'est assez sommaire, mais ça fera l'affaire. J'ai de toute façon mieux et surtout plus important à faire à l'étage inférieur, que je me dépêche donc de rejoindre.

Lorsque j'arrive, je ne peux pas manquer de remarquer que la configuration de la pièce a encore changé. L'isolement de Perry a été renforcé, et une demi-douzaine de fauteuils sont apparus autour d'une table ronde, le tout sur un immense et très épais tapis. Il y a également une cheminée sur l'un des murs, et il y brûle un grand feu. Vik et LeX ont chacune une main attachée à leur siège, et leurs yeux sont bandés, certainement pour la forme. Hannibal est assis en face d'elles, et Dwight et Oscar sont au chevet de Perry, elle agenouillée et lui debout. Je vais pour rejoindre les deux soigneurs de fortune, mais l'ange me stoppe en tendant un bras, me forçant à prendre une barre protéinée sur mon passage. Il remplace réellement mes parents, parfois. En parvenant finalement à sa hauteur, je découvre que l'état du Jardinier s'est considérablement amélioré, son visage toujours bien amoché mais le gonflement ayant pratiquement disparu partout où il était précédemment présent.

- Il va mieux, me confirme Oscar, qui s'est chargée de nettoyer ses plaies, d'après le seau d'eau rougie à côté d'elle et la serviette de la même couleur qui repose sur son bord, pourtant initialement blanche.

- Il ne s'est pas réveillé ?

Perry n'est pas humain, alors son prompt rétablissement une fois sorti de cet endroit sordide n'est pas si surprenant. Il a cependant des blessures, plus graves, qui ne lui viennent pas de ses confrères, et je soupçonne que ce sont celles-ci qui le maintiennent désormais inconscient.

- Pas encore, me répond Dwight, bras croisés, l'air sincèrement inquiet.

- Je sais que ce n'est pas tellement le moment, mais tu as cours aujourd'hui, Josh.

Hannibal est tout à coup debout derrière moi, et Oscar sursaute, ne l'ayant pas entendu arriver.

- Quoi ?

Je me retourne vers l'ange, à des années lumières de penser à mes études maintenant.

- Tu as déjà eu de la chance que rien n'ait été programmé hier, me fait remarquer mon parrain.

Il faut reconnaître que j'aurais effectivement eu du mal à trouver une explication pour avoir laissé passer la chance que m'offrent mes professeurs.

- Combien de temps ? je demande, me résignant à y aller.

- Une paire d'heures.

- Vas-y. Il n'y a rien que tu puisses faire ici de toute manière, se permet d'intervenir LeX, bien qu'elle ait toujours les yeux bandés et soit toujours attachée à son fauteuil.

- Ce serait bien si vous profitiez de mon absence pour réfléchir à ce que je pourrais faire pour aider Per, je propose alors.

- C'est-à-dire ?

La Messagère semble confuse.

- Ce qui s'est passé ne doit jamais se reproduire.

L'image du donjon me hantera sans doute pendant très longtemps. De plus, il est temps pour moi de m'acquitter de promesses que j'ai dû négliger jusqu'ici, car je n'ai pas oublié que mes jours d'apolarité sont comptés.

- Il est vraiment en train de suggérer ce que je pense ? demande alors Vik après un court instant de flottement.

- Oui.

- Tu es fou, déclare immédiatement la petite brune en secouant la tête, un curieux reflet jaune apparaissant sur ses lèvres.

Je hausse les épaules. Peut-être, et alors ?

- Vous avez deux heures pour trouver les arguments qui me convaincront de ça.

Je ne laisse à personne le loisir de rétorquer.

Sans concertation, Dwight sait que c'est lui qui m'accompagnera aujourd'hui. Je n'ai pas de temps à perdre. Mes affaires de cours sont restées à l'appartement et sont donc inaccessibles, mais il me reste des fournitures de bases dans ma chambre, qui devraient suffire pour ce que j'ai à faire. Hannibal, ayant saisi le caractère sans appel de ma décision, rejoint Oscar aux côtés de Perry. Toujours à genoux par terre, Oz regarde tout le monde d'un air un peu perdu. Je n'ai pas le temps de lui expliquer ce qui est en train de se mettre en marche, mais je suspecte l'ange d'avoir l'intention de s'en charger. Ce ne serait après tout que logique, puisque c'est déjà lui qui est responsable des autres connaissances qu'elle possède sur les dérivés et le reste. Ayant troqué mon héritage maternel contre des feuilles et quelques crayons, j'ai un dernier regard pour l'assemblée, puis pose une main sur l'épaule de mon Tuteur, déclenchant notre départ.

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