Huitième Jour - Credo (5/7)

D'un geste fluide, je retire ma montre et la pose quelque part sur mon passage, en évidence. À part mon père, je suis le seul en mesure de m'en servir, mais sa signature Magnétique propre devrait être suffisamment repérable pour que Dwight et Hannibal, au moins, la localise. À défaut de me trouver moi, c'est ça qu'ils chercheront. Et ça les mènera droit à Oscar, en espérant qu'elle ne bouge pas d'ici après que mon influence se soit dissipée, ou bien qu'elle ait la présence d'esprit d'emporter mon accessoire avec elle. Alors que je me rapproche lentement de la porte, la lutte pour se lever d'Oz s'intensifie, sans grand succès il faut bien le dire, et elle finit par m'interpeller, pour le moins furieuse :

— Josh ? Qu'est-ce que tu fais ?

Bien qu'elle parvienne à garder sa voix blanche, on sent que ma manœuvre d'immobilisation a déclenché chez elle une panique immédiate. C'était inévitable.

— Je vais aller voir Oudamou. Et je vais y aller seul, j'explique calmement, faisant halte mais sans me retourner.

— Sois pas bête. Ce type doit être la personne la plus dangereuse sur Terre !

C'est mignon de sa part de croire qu'elle pourrait m'être d'une aide quelconque, même si je comprends qu'elle ne voie pas à quel point sa présence pourrait au contraire me déconcentrer.

— Une chance qu'on ne soit pas sur Terre, alors.

Tentative d'humour ratée.

— Tu sais que je n'aime pas ça.

Elle n'a pas besoin de préciser qu'elle parle de mon emprise Magnétique sur elle. Sa réaction d'hier, pour beaucoup moins que ça, ne laissait déjà aucun doute là-dessus.

— Je suis désolé, Oscar, mais je ne peux pas t'avoir avec moi pour ça.

Je ne dis pas à haute voix que je la pense trop têtue pour rester là où elle est sans que je ne l'y force, mais je pense qu'elle a reçu le message.

— Qu'est-ce que tu ne me dis pas ?

Pars, Josh, va-t'en, ne te retourne pas. C'est déjà assez dur comme ça.

— Je n'ai pas le choix…

Je murmure, mais le placard a un écho.

— Qu'est-ce que tu racontes ? insiste à nouveau Oscar.

— Il est dans son droit, Oz. Oudamou a le droit de me tuer, parce que je suis coupable des crimes dont il m'accuse.

Ça m'a littéralement échappé. J'ai l'impression que quelqu'un d'autre l'a dit, et pas moi. Je ressens pourtant quand même un certain soulagement que tout soit enfin révélé, malgré ce que ça va engendrer.

— N'ose même pas me dire que me sauver était un crime…

Comment peut-elle encore penser ça ?

— Pas en soi, mais empêcher l'enfant de naître en était un. Et il en va de même pour le reste.

Le reste, dont elle ignore tout.

— L'ENFANT ? elle s'offusque.

On ne peut pas lui en vouloir.

— Je ne m'attends pas à ce que tu comprennes. Et je ne préfère pas d'ailleurs, c'est mieux pour toi. Tu ne l'as pas vu. Tout ce que tu as vu c'était une échographie floue. J'ai vu ses yeux, ses membres, ses appendices, tout. Je l'ai vu. Et je l'ai senti. Tout ce que tu as reçu de lui, c'est de la douleur. Moi, j'ai dû aller voir sa famille. Tu savais que les mères de son espèce ne survivent pas à la perte de leur petit ? J'ai trouvé son père en train de pleurer sur le cadavre de sa compagne. Tu n'as pas idée de combien un alien adulte portant le deuil d'à la fois sa partenaire et leur fils peut être fort. Et j'ai eu à le maîtriser, d'abord physiquement, puis mentalement. J'ai eu à me battre avec lui, à plaquer sa tête au sol, et à vaincre ses défenses mentales pour lui faire oublier qu'il avait jamais eu une famille. Ça l'a tué. Et ensuite, j'ai dû répéter la manœuvre pour tous les membres de sa tribu, pour leur faire oublier qu'ils avaient jamais été plus nombreux qu'ils n'allaient l'être après mon passage. Heureusement, eux, ils ne sont pas morts à la suite de l'opération. Mais j'ai eu à les enfermer dans leur propre campement, les pourchasser un par un, me battre avec eux, et ensuite briser leur esprit. Je suis coupable, Oz. Je n'ai aucun doute qu'il fallait que je fasse ce que j'ai fait, et je le referais sans hésitation, mais c'était mal, je ne peux rien contre ça.

Je suis emporté par mon propre récit. Au fur et à mesure que je lui raconte ce que j'ai fait, les images me reviennent en mémoire, violentes et douloureuse.

Courir, sous la pluie, dans la boue. Déraper, se relever, continuer. Je ne connais même pas le nom de cette planète. Je ne sais même pas si elle en a un. Chercher, alors qu'on ne voit rien à cause des intempéries, et que le paysage défile sans paraître changer. Trouver, avoir mal avec lui, serrer les dents parce qu'on sait que c'est sa faute. Nager, ramper, se cacher. Retenir son souffle. S'introduire dans la tente funéraire, attaquer par derrière. S'en vouloir de se défendre. Maudire sa propre nature, si dévastatrice, si puissante, si violente. Si efficace. Trop facile. Partager la sensation d'un tisonnier chauffé à blanc traversant son crâne de part en part, d'une tempe à l'autre. Se faire repérer. Tout recommencer. Encore. Et encore. Et encore. Arrêter de compter. Fermer les yeux, ne pas penser. Virevolter, presque danser. Vouloir oublier. En venir à apprécier d'être touché, ne même pas crier. Ou peut-être s'arrêter. Tomber à genoux, s'immobiliser, enfin. Sentir le sang couler, goûter la douce justice salée des Univers, et sourire. Avant de grimacer, puis de tomber à quatre pattes. Cracher, ranger son arme, puis plonger ses doigts dans la terre, et en finir, terminer ce qu'on est venu faire. Prendre feu, quelque part à l'intérieur de soi, comme boire de la lave en fusion. Lever ses yeux brûlants vers les cieux, prier alors qu'on ne sait même pas comment, essayer de s'excuser, sans succès. Ne même pas se rendre compte qu'on se fait renverser par un grand trait de fourrure et de plumage sombre.

— Tu as fait tout ça pour moi. Si c'est la faute de quelqu'un, c'est la mienne, pas la tienne.

La voix d'Oscar me rappelle au temps présent. Je ne lui fais toujours pas face.

— N'essaye pas de retourner la situation. J'ai fait un choix, et j'ai décidé de m'y tenir, c'est mon problème, pas le tien.

On ne lui a jamais demandé son avis. Elle ne voulait pas mourir, mais elle n'a jamais souhaité de mal à personne d'autre. Elle n'était jusqu'à maintenant même pas au courant de ce qui s'est passé sur cette planète. Moi, en revanche…

— Très bien, vas-y, sacrifie-toi ! Mais alors qu'est-ce que tu fais de ta promesse, justement ? Ne pas me laisser mourir va être assez difficile quand tu seras mort et que je serai toujours enfermée ici.

Waw. Colère et négociation en une seule prise de parole. Je sens qu'elle se débat aussi toujours physiquement, mais elle n'est même pas un dérivé à part entière ; la retenir est un jeu d'enfant.

— Est-ce que tu as déjà lu Harry Potter ?

Si je suis préparé à cette question-là, c'est parce que j'ai déjà eu cette conversation hier, avec Dwight puis LeX, et la seconde n'a que confirmé ce que m'avait dit le premier.

— C'est censé être un grand auteur ?

Je n'ai pas encore acquis le réflexe de penser que ce que me lisait ma mère quand j'étais petit était potentiellement quelque chose plus conservé par la communauté dérivée que par la communauté humaine. Je retiens un sourire.

— Non, c'est le personnage principal d'une série de livres, qui porte son nom. Mais lis-les un jour, tu comprendras comment je t'aurai protégée.

C'est cliché, mais c'est l'exemple qu'a utilisé la Messagère, et je ne le trouve pas si mal choisi, même si un peu déplacé.

— Et si tu protégeais la mauvaise personne ? Oscar ne lâche pas l'affaire.

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

Je ne devrais pas m'aventurer sur cette pente, entrer dans sa danse. Et pourtant…

— Je suis une criminelle, Josh.

Rien que ça ?

— Quoi ?

Je ne sais pas si je dois être amusé ou attristé qu'elle essaye de me sauver avec tant d'imagination. C'était censé être facile pour elle.

— Je suis une cambrioleuse. Je vole professionnellement. Je dévalise des banques, des galeries d'arts, des joailleries, la totale.

Je secoue la tête.

— Ne mens pas.

Je ne sais pas pourquoi je l'écoute.

— C'est la vérité. C'est pour ça que je suis dans le tournoi universitaire. Coacher une équipe est mon travail d'intérêt général.

Ce sont les détails qui font s'écrouler le mensonge, c'est bien connu.

— Conneries.

Je ne suis pas souvent vulgaire, mais là ça s'impose.

— J'ai l'air d'une cheerleader, selon toi ?

Je suis à deux doigts de faire volte-face.

Et je craque. Elle a posé la lampe torche. Ses mains de part et d'autre de ses hanches, elle essaye vainement de se détacher de ce sur quoi elle est assise. Même face à un autre Magnet elle n'aurait aucune chance, alors contre moi, qui en plus d'être un peu spécial ai ce lien avec elle, elle peut toujours essayer. Ceci étant dit, sa persévérance l'honore. En d'autres circonstances, je n'aurais pas le cœur de l'entraver plus longtemps, mais là c'est une question de vie ou de mort. À admirer sa combativité, je me dis que peut-être elle me dit la vérité. Ce n'est après tout pas si invraisemblable de l'imaginer commettre un larcin de haut vol. Au fond de moi, j'aimerais franchement que ce soit aussi simple, qu'Oscar soit un personne fondamentalement malfaisante, que je regrette ma promesse, que je sois capable de revenir sur ma parole et de tout simplement l'envoyer à l'abattoir, que je souhaite faire marche arrière et que la vie reprenne son cours comme si je ne l'avais jamais rencontrée. Mais il ne faut pas se leurrer. Indépendamment de ce que me dit son signal, j'ai l'intime conviction de ne pas avoir sauvé une personne qui ne le méritait pas. Et j'ai fait une promesse à cette personne, dont je n'arrive pas non plus à m'amener à me repentir, quel que soit mon angle d'attaque.

— Ça m'est égal, Oz, je lui avoue, authentique.

— Tu ne peux pas dire ça !

Je crois qu'elle a abattu sa dernière carte, et enrage de ne pas réussir à me convaincre.

— Je ne te laisserai pas mourir, je répète, fervent.

— Et tu crois que moi je veux te laisser mourir ?

Aouch. Une grimace furtive passe sur mon visage. Ma capacité à créer des liens de façon normale n'est pas si bienvenue, finalement.

— Je suis désolé.

Elle ne m'empêche plus de m'excuser, même pas du regard.

Je m'enfuis. Au sens propre du terme. J'en ai assez entendu. M'adossant à la porte, je pose ma main sur la serrure, prenant soin de verrouiller derrière moi (Magnétiquement). Une part de moi a cruellement besoin de paroles rassurantes et de conseils bienveillants. Malheureusement, en dehors du fait qu'ils me sont inaccessibles sur ordre Messager, mon père et ma mère n'auraient certainement qu'à me faire part de leur désapprobation de mes récentes décisions. Mon autre et relativement nouvelle figure parentale, Hannibal, est totalement indisponible, en proie à ses propres problèmes, et même s'il était avec moi à cet instant précis, en pleine possession de ses moyens, il ne pourrait sans doute rien me sortir de bien utile ou cohérent. La dernière personne d'autorité de ma liste est LeX, mais il est fort probable qu'elle ne me serait pas d'un grand support non plus. Reste Dwight, mon Tuteur et meilleur ami. Je préfère ne pas imaginer qu'il est avec moi, parce qu'il ne ferait qu'abonder dans le sens d'Oscar, peut-être même en pire. June serait moralisatrice. Perry n'aurait même pas besoin d'ouvrir la bouche pour me faire culpabiliser.

Malgré ma prise de conscience qu'aucun de mes proches ne serait d'accord, de près ou de loin, avec ce que je suis en train d'entreprendre, je commence à redescendre lentement les escaliers qu'Oscar et moi avons montés plus tôt. Je ne m'arrête pas à l'étage inférieur, parce que si je reviens sur nos pas, je vais me retrouver face à la porte barricadée par Oz, et je n'ai pas envie de prendre le pari que l'autre porte qu'il pourrait y avoir à l'autre bout du couloir est ouverte. Je poursuis donc ma descente jusqu'au rez-de-chaussée, où une nouvelle double-porte me mène au-dehors, dans le cloître, pour être exact. Loin sur ma droite, je reconnais la porte par laquelle nous sommes entrés, et détermine donc que je ne me trouve pas très loin de notre point de départ. Mais ce n'est pas là que j'aurais le plus de chances d'attirer l'attention d'Oudamou. L'Assassin, ne nous voyant par aucune des fenêtres menant à la grande cour voisine de celle où nous sommes arrivés, a suivi un angle du toit et s'est en fait éloigné de nous. Toujours en marchant, sans me précipiter, j'avance jusqu'à la bifurcation que j'ai observée lors de ma première entrée dans le corridor d'extérieur. Ce qui a dû être une autre cour à un moment donné, sur ma droite, est occupé par une sorte d'immense véranda. Ce sera parfait.

Évidemment, en m'avançant vers la porte transparente, je ne peux pas manquer que l'intérieur est stigmatisé à l'image du premier couloir où nous avons fui. De grandes giclées de sang décorent le sol et les parois de la pièce, et des empreintes de mains ensanglantées, généralement accompagnées de longues traînées, ont été laissées un peu partout. La nouveauté réside dans les empreintes de pas, que je ne me souviens pas avoir repérées au deuxième étage. Les victimes ont visiblement dû déraper dans leur fuite, et leur traces de pas ne sont pas aussi nettes que celles du tueur ; lui portait apparemment des Converse. Et à en juger par la parfaite impression du motif de la semelle, il a plutôt pris son temps pour rattraper ses proies. Plus j'explore cet endroit, plus il me rappelle étrangement quelqu'un. À ce stade, je m'attendrais presque à trouver des marques de griffes à l'angle des murs. Ça aurait beau ne rien avoir de charmant, ce serait rassurant quant à la date de création du monde ayant inspiré cet endroit. C'est-à-dire après la création de mon espèce, notamment. Quoique.

La porte que j'avise pour entrer n'est apparemment pas conçue pour être ouverte de l'extérieur, mais l'un des battant est de guingois, à moitié sorti de ses gonds par un impact quelconque. La force a été suffisamment considérable pour que je puisse passer sans trop de difficultés, sans pour autant que le verre ne soit brisé. Je pénètre donc dans la grande salle vitrée, avec circonspection, essayant d'éviter le mobilier renversé ou les flaques de sang les plus larges. L'abondance de chaises et de longues tables laisse présager que cet endroit devait initialement être le réfectoire du lycée. Je déglutis. Élèves aussi bien que professeurs n'ont pas dû être épargnés, dans cette vision cauchemardesque de l'enseignement. Tout en retenant un frisson, je me demande ce que Perry pensait au moment de tous nous envoyer loin de lui. Il a eu la présence d'esprit de le faire, ce qui est déjà un exploit, mais au-delà de ça, il n'a pas dû avoir le temps de se concentrer sur la destination. Cependant, je doute que cet endroit soit un point de téléport habituel pour lui. Qu'est-ce qui l'a guidé, alors ? Je ne le saurai probablement jamais.

J'avance dans la pièce, jusqu'à me trouver en plein milieu du plafond transparent, de manière à être le plus en évidence possible. Levant la tête, j'essaye de me situer par rapport à Oudamou. Il est assez loin, de moi comme d'Oscar, toujours immobilisée dans le placard, et toujours à essayer de se dégager. Je place mes mains à plat devant moi, paumes vers le bas, bras le long du corps jusqu'au niveau des coudes, et fais trembler le mobilier tout autour de moi, de telle façon que les parties en métal des meubles viennent sonner sur le carrelage. Une douce cacophonie s'élève, pas si bruyante qu'on ne pourrait le croire, mais dont le grondement n'échappera pas, dans un silence comme celui qui règne sur les lieux, à un Maître Assassin. Je perçois d'ailleurs qu'il change brusquement de trajectoire, en plein milieu d'un toit, et revient sur ses pas, vers moi. Il se rapproche rapidement, et très vite je le vois descendre de son perchoir.

J'ai beau savoir qu'il est là pour me tuer, je ne peux m'empêcher d'admirer sa technique de désescalade ; il effleure à peine la pierre du bâtiment, ne prenant jamais appui bien longtemps, et surtout jamais sur les prises les plus évidentes. Bientôt, il touche le sol, se ramassant sur lui-même pour accuser son atterrissage, non sans faire voleter un peu de neige, son long vêtement blanc s'étalant autour de lui. La Confrérie forme réellement parmi les meilleurs traceurs qui soient. Je secoue la tête pour me sortir de mon admiration déplacée avant qu'Oudamou ne se retourne. Il fait volte-face lentement, tournant la tête avant de faire pivoter le reste de son corps. On pourrait croire qu'il veut se donner un genre, mais je sens qu'il est simplement intrigué par ma présence.

Toujours aussi lentement, il avance jusqu'à une autre porte que celle par laquelle je suis entré, avec un battant brisé, celle-ci. Il enjambe l'encadrement avec fluidité, les éclats de verres crissant sous ses bottes de cuir, puis fait quelques pas à l'intérieur avant de s'arrêter à quelques mètres de moi. Pour la première fois, j'ai l'honneur de voir son visage, même s'il n'a pas enlevé son inséparable chaperon. Il me fait face mais je devine qu'il a tout à fait le profil grec. J'avais vu juste pour ses origines. Que ce soit son long nez fin, ses yeux semi-sombres, ses sourcils broussailleux, ou le teint presque semi-mat de sa peau, il n'y a pas tellement de doute possible. Ce n'est pas comme si tout ça m'avançait à grand-chose, mais je ne peux pas m'empêcher de le noter.

— Qu'avons-nous là… l'Assassin commence, voyant que je ne parle pas.

— Je me rends.

Ça a du mal à sortir.

— La fille doit passer avant toi.

Il n'y va pas par quatre chemins, au moins.

— La fille ne passera pas du tout, je corrige posément, m'efforçant de ne pas faire attention à la façon dont il fait passer son poids de l'un de ses pieds à l'autre, de manière à toujours rester prêt à bondir.

— Ce n'est déjà pas à toi d'en décider maintenant, et si tu goûtes à ma lame avant elle, son sort dépendra encore moins de toi.

Sa main droite est déjà subtilement avancée vers sa gauche, en direction de son épée.

— À ta place, j'en douterais.

Ce n'est pas le moment d'être effronté, mais c'est un détail que je tiens à bien faire comprendre. J'ai une totale confiance en la protection que je vais appliquer à Oscar, mais je préférerais quand même qu'il ne prenne pas la peine de la chercher.

— Je n'aime pas dévier de mes instructions.

Il plisse les yeux, songeur.

— Les meilleurs Assassins ne sont-ils pas ceux qui se rebellent ? je lui lance, cynique.

— "Rien n'est vrai, tout est permis." Tu connais notre credo, il faut bien te concéder ça.

Il découvre ses dents dans un sourire éclatant, tout en détournant la tête, décidant d'accorder toute son attention à son sabre qu'il vient de sortir de son fourreau. On dirait presque qu'il observe son reflet sur le tranchant de la lame.

— Je sais plein de choses qui ne me servent à rien, je lui dis, fataliste.

Ça n'aide pas mon optimisme que depuis le début de la conversation je sois planté là, immobile, à ne rien faire.

— Et les choses que tu sais qui pourraient t'être utiles, tu les méprises royalement.

Il abaisse son arme dans un sifflement caractéristique, la laissant tendue derrière lui, pouvant alors reporter son attention sur moi.

— Pas exactement, mais si ça t'arrange de penser ainsi…

J'ai un faible sourire à mon tour. Sans mes héritages principaux, je me sens soudain totalement désarmés.

— Les Assassins ne sont pas envoyés à la légère. Il nous faut des preuves des méfaits de notre cible avant d'accepter le contrat.

Il fait un pas en diagonale, pas un grand pas, à peine un écart. Par réflexe, je me déplace dans la direction opposée, créant malgré moi ce qui sera notre premier cercle de combat.

— …

Je n'ai rien à lui répondre. Le seul et unique but de ma mission de la veille était d'empêcher que quiconque apprenne ce qui s'était passé, alors j'ai en un sens hâte de savoir ce que j'ai laissé au hasard.

— Tu n'as pas eu de chance, il y a eu une fuite quelque part, et le récit de ton affront s'est répandu comme une traînée de poudre. À partir de là, on a décidé de te suivre de près. Et tu n'as pas arrangé ton cas.

À l'ère d'aujourd'hui, même quand on n'est pas un dérivé, on n'a pas besoin d'être physiquement là pour espionner quelqu'un.

— …

Je suis en train de digérer que tout était déjà perdu avant même que je n'ouvre les yeux de mon coma, alors je n'ai toujours rien à dire.

— Si tu veux tout savoir, ton plan était sans accroc. Je ne sais pas qui t'a vu ou si c'est carrément un membre de la tribu qui a fait passer le mot avant même que tu ne les atteignes, mais sans ça, tu t'en serais sorti comme un chef.

Il suffit de peu de choses.

— À l'heure actuelle, la mère est probablement de retour. Et avant ce soir, ce sera également le cas du père, j'argumente à son encontre.

Je m'incrimine moi-même, mais tant pis.

— Le traumatisme subi par la mère l'empêche de s'en souvenir dans l'immédiat. Le jour où ça lui reviendra, elle sera prête à te pardonner.

Il se passe la même chose pour tous les morts ayant vécu une expérience particulièrement choquante, liée ou non à leur décès ; le sujet se souvient qu'il lui est arrivé quelque chose de grave, mais tant qu'il ne dispose pas des moyens nécessaires pour le supporter, il ignorera quoi exactement. C'est un peu l'Univers qui joue les thérapeutes, parce que des âmes estropiées injustement n'aident personne.

— Reste son compagnon, je rappelle.

— Sa voix seule ne t'aurait probablement pas causé autant de problèmes que tu en as aujourd'hui.

Nouveau décalage de sa part, auquel je fais immédiatement écho.

— À quoi ça m'avance de savoir tout ça ? j'interroge alors, commençant à trouver son petit jeu bien cruel.

— Je suis rarement délégué à des personnes capables de remords.

Traduire : d'habitude, il n'a aucun intérêt à discuter avec sa proie avant qu'elle ne soit mortellement blessée. Je ne sais pas comment je dois le prendre, même si ça n'aura bientôt plus d'importance.

— Ça ne me sauvera pas, je souligne, étouffant un soupir.

— Ça ne te sauvera pas, non. Mais sur le principe, c'est rafraîchissant.

Il baisse la tête et imperceptiblement le buste, me saluant en signe de respect.

Comme tout Assassin qui se respecte, Oudamou a un jeu de jambe parfait, sans accroc, fluide et silencieux, souple et néanmoins assuré. J'ai eu l'honneur de croiser le fer avec la Messagère, même dans un simple combat amical (dans le sens sportif du terme). Je croyais qu'elle était infaillible. Il est meilleur. Bien meilleur. LeX évolue à l'instinct, réagit plus qu'elle n'agit. Je ne dis pas que ce soit une adversaire facile à battre, à son âge ce serait bête, mais face à l'Assassin, ou même à n'importe lequel de ses Confrères, je crois qu'elle serait en danger. En grave danger. Ce qui en dit déjà long sur ma propre position à l'heure actuelle. Sans compter que je suis désarmé. Je ne sais d'ailleurs même pas quoi faire de mes mains, que je garde plus ou moins le long de mon corps, mon niveau de tension la seule chose m'empêchant d'avoir les bras tout simplement ballants.

Les pas chassés de mon opposant se font petit à petit plus longs et plus irréguliers. Il teste mes réactions. J'estime que c'est une perte de temps, parce que je suis un pur cas d'école, comme dans beaucoup de domaines, à la limite du Scholiaste. Et en plus, ce n'est pas cette situation précise qui va stimuler mon imagination déjà peu fertile en général. Quand il avance, je recule, lorsqu'il fait un pas sur sa gauche, j'en fais de même, dès qu'il revient sur sa droite, je m'en retourne aussi sur la mienne. Simple mais efficace. Dans une optique de drapeau blanc, tout du moins. Ceci étant dit, Oudamou non plus ne passe pas à l'offensive. Il n'a encore pas fait usage de son sabre une seule fois, même sans intention de blesser. Il se contente de garder son arme bien en main, et ne déplace sa lame que pour ne pas qu'elle le déséquilibre dans ses entrechats. J'ai presque envie qu'il arrête de tourner autour du pot et en finisse.

Les Assassins, autant que je sache, ne sont pas connus pour laisser à une cible désarmée l'occasion de se défendre. Face à des personnes qu'on pourrait qualifier de dommages collatéraux, c'est-à-dire qui ne sont pas leur cible finale mais s'opposent de façon belliqueuse à leur mission, il n'est pas rare qu'ils apprécient un beau combat, un peu comme un échauffement, auquel cas il leur arrive de laisser venir leur adversaire pour ensuite prendre avantage de son élan. Mais pas face à leur cible elle-même. Quand il s'agit de la mission, on n'est jamais trop pressé. À l'inverse, il est bien connu que les cibles en question essayent généralement de gagner du temps, soit en tirant leur propre arme, soit en s'enfuyant – même s'il paraît un peu absurde d'espérer échapper à un traceur tel qu'un Assassin, sur un terrain qu'il a certainement étudié voire choisi. Notre affrontement est donc des plus atypiques, puisque lui n'a pas l'air plus enclin que ça à en finir avec moi, et si je ne me jette pas sur sa lame, je ne fais mine ni de fuir ni de l'attaquer.

D'un côté, surpasser un Magnet en combat singulier, pour un dérivé, est le haut-fait ultime, pour la simple et bonne raison que nous sommes conçus pour maîtriser n'importe quel dérivé quel qu'il soit, quels que soient ses talents, quelles que soient ses armes, et quel que soit son âge. On a plus ou moins de difficulté, mais seul à seul, s'il est question de se défendre, il n'y aucun doute qu'on peut plaquer n'importe quoi au sol, c'est juste comme ça qu'on est faits. C'est certainement pour ça que l'Assassin hésite tant avant de passer à l'attaque ; il craint mon Magnétisme, imparable. Et c'est aussi, puisqu'on en parle, pour ça que je suis condamné à mort par la société dérivée ; personne avec autant de pouvoir ne doit être autorisé à prendre des décisions telles que j'en ai prises. Si les Magnets n'étaient pas dotés d'un sens de la Justice et de l'équilibre ancré en eux, aucun d'entre eux n'aurait la moindre difficulté à décimer une bonne partie de l'Univers, sur un coup de tête. On a beau dire, LeX a pratiquement pensé à tout.

Il ne faut pas longtemps à mon adversaire pour se rendre compte que quelque chose cloche dans mon comportement. Si je suis invincible, pourquoi ne se passe-t-il rien ? La posture d'Oudamou se modifie infinitésimalement, sa prise sur le pommeau de son épée se raffermit, ses yeux se plissent insensiblement, ses lèvres semblent se serrer un peu plus qu'elles ne l'étaient déjà, et surtout son aura se ternit. Au lieu de continuer à me pousser à évoluer dans l'espace qui nous est offert, il commence à me forcer à rentrer dans des meubles, retournés pour la plupart. Il ne cherche pas exactement à me faire tomber, mais disons qu'il devient de plus en plus mesquin. La cadence de ses déplacements se fait aussi plus élevée, même s'il ne m'attaque toujours pas franchement. Jusqu'à ce que, lorsqu'enfin il me pousse à me décaler non plus vers un nouvel obstacle mais vers une zone à peu près ouverte, au moment où je ne m'y attends plus, il feinte en avant et fait fendre l'air à sa lame, couvrant tout juste la courte distance qui nous sépare. Je me retire trop tard et retient une onomatopée de douleur à la longue quoique superficielle entaille qui orne désormais mon avant-bras droit, du coude jusqu'au poignet. Je serre les dents.

— Tiens, tiens. À court de jus ?

Il voulait simplement me prendre au dépourvu pour voir si mes capacités Magnétiques, que je n'ai étrangement pas manifestées contre lui jusqu'ici, prendraient le dessus par instinct. J'aurais pu lui dire que non, s'il me l'avait demandé, mais il est bien normal qu'il préfère s'en assurer par lui-même.

— Je t'ai dit que je me rendais.

Pour tout vous dire, en d'autres circonstances, même en me concentrant intensément, il m'aurait été impossible de me retenir d'envoyer valser sa lame à l'autre bout de la pièce, même après qu'il ait frappé. Mais comme je l'ai dit à Oscar, je ne tiens pas à faire de mal à Oudamou. En fait, cette déclaration était une énorme litote, parce que la vérité c'est que même en me concentrant, je n'arriverais même pas à simplement le mettre en situation d'incapacité. J'ai aussi dit qu'il avait le droit de me tuer, et c'est en fait cette certitude qui est si intense que mon Magnétisme-même se rebelle contre l'idée de me défendre de ses assauts.

— Alors pourquoi te battre ? interroge Oudamou, en toute logique.

Je trouve qu'il est bien clément de considérer que de garder mes distances avec lui constitue une technique de combat.

— Réflexe.

Mes automatismes physiques sont les seuls qui me restent. Je hausse faiblement les épaules. Mon geste fait tomber par terre la première goutte du filet de sang qui s'est mis à couler le long de ma main jusqu'au bout de mes doigts – puisqu'apparemment les coupures les moins profondes sont toujours celles qui saignent le plus.

— Intéressant…

Oudamou n'a pas l'air de penser ce qu'il dit. En un sens, je comprends pourquoi. Je suis totalement sans défense, ce qui augmente la probabilité de succès de sa mission, mais je ne suis également plus un défi aussi épique, ce qui diminue la probabilité de succès de ses vantardises futures. Cruel dilemme pour un Méditerranéen.

Son expression mi-figue mi-raisin se fige lorsqu'il s'aperçoit que je ne fais rien pour ne serait-ce que sommairement enrayer l'hémorragie dont je suis victime. Il baisse son arme, juste un instant, comme frappé par quelque chose de crucial, plus capital encore que ma vulnérabilité et ses conséquences directes. Que je me rende, passe encore, ce n'est que Justice. Que mon Magnétisme ne fonctionne pour ainsi dire plus, là aussi, passe encore, ça ne fait que confirmer que je suis de bonne foi quand je dis que je me rends. Que je n'écarte pas les bras pour le laisser m'empaler en paix, c'est compréhensible. Mais que je n'ai aucune réaction ouverte à la douleur, ça, c'est franchement dérangeant. Au contraire, je vais mourir et je le sais, pourquoi ne pas tout envoyer valser ? On peut vouloir garder la face jusqu'au bout, mais de là à ne même pas esquisser un geste vers sa blessure, il y a une marge. Et Oudamou a vu beaucoup de gens mourir, par sa main ou une autre, alors il en sait quelque chose. Ses épais sourcils se froncent alors qu'il redresse à nouveau son sabre devant lui.

Un frisson parcourt mon dos, du bas au haut de ma colonne vertébrale. J'ai la désagréable impression d'avoir juste extrêmement énervé un Maître Assassin. Et quand un Magnet a cette impression vis-à-vis d'un dérivé, il se trompe rarement. Je me rends compte que je parle beaucoup de mes collègues Magnets alors que les seuls que j'aurai jamais rencontrés auront été mes géniteurs et que tous les autres m'auront probablement détesté jusqu'à mon dernier souffle sans même me connaître, et je ne peux pas m'empêcher de ressentir une pointe de déception, même si le moment est mal choisi. Ma totale résignation face à mon sort maintenant tout proche insulte gravement Oudamou. Je suis vide de tout, et pour lui, ça ne peut signifier qu'une chose, et c'est que je suis un martyr, et ma punition ne devrait pas avoir lieu d'être, qu'elle va me canoniser au lieu de m'avilir. Il a été témoin d'exécutions justes comme injustes, et il peut percevoir cette différence entre les deux types de condamnés. Pourtant, tout pointe vers ma culpabilité. Moi-même je reconnais mes actes comme criminels, et me présente volontairement devant la Justice. L'incohérence majeure dans la situation actuelle ne plaît pas du tout à l'Assassin.

Faisant confiance à sa Confrérie – ce que je ne peux pas lui reprocher – et interprétant donc mon attitude comme un affront de me part, il perd toute trace du semblant d'amicalité qu'il a parfois laissé entrevoir auparavant. Son épée fend à nouveau l'air du réfectoire, en direction de ma poitrine, mais cette fois je l'évite d'un bond en arrière, ma blessure au bras semant des gouttelettes de sang sur mon passage, comme certains personnages de contes des petits cailloux. Même si j'en avais envie, ce ne serait même plus la peine d'essayer de discuter. La lame siffle encore, à l'horizontale, franche, sévère, bref, péremptoire. Il n'y a plus d'hésitation dans les yeux de l'Assassin. Nous recommençons à nous déplacer, lui avançant, moi reculant. Je me retrouve à un moment donné dans l'obligation de me glisser sous son sabre, mais récolte une deuxième coupure, au deltoïde du bras gauche, lui étant plus rapide à pivoter que je ne le suis à me relever. La troisième fois, sa lame mord ma peau au niveau de mon abdomen, ajoutant toujours plus de rouge à son fil.

Ces estafilades ont beau me faire un mal de chien, me brûlant cruellement, je n'en arrive toujours pas plus à me défendre. N'importe qui, à ma place, aurait au moins tenté de frapper l'Assassin, et l'idée est présente à mon esprit, mais je ne peux pas passer à l'action, ça m'est juste impossible. Alors j'encaisse, tandis qu'Oudamou enchaîne coup sur coup, entrant de plus en plus dans mon cercle, prenant petit à petit l'avantage. Il me coupe encore au niveau des phalanges de la main gauche, puis de la cuisse droite, avant que je ne glisse bêtement et ne bascule en arrière. Notre joute s'est déplacée de telle sorte que je me retrouve dos à la porte par laquelle mon futur bourreau est entré, et le verre brisé au sol, sur lequel il a marché, n'a pas disparu. Posant par réflexe mes mains derrière moi pour me soutenir, je m'entaille profondément les paumes, ajoutant à mon supplice. Je ne laisse toujours pas échapper de cri de douleur, mais me relever est au-dessus de moi pour cette fois. Je me mets à ramper en arrière, stupidement, obstinément, comme si ça servait à quelque chose.

De son côté, Oudamou essuie tranquillement le fil de son épée sur sa tunique, le tissu étant rembourré à cet endroit justement à cet effet, avant de retourner la lame au fourreau ; un Assassinat digne de ce nom ne se fait pas au sabre, il se fait de près, de manière très personnelle, avec l'outil spécifique de la Confrérie. Tendant son bras gauche devant lui, sa paume vers son visage, il serre le poing, et entre son majeur et son auriculaire, là où devrait se trouver son annulaire s'il le possédait encore, jaillit une lame, de près de trente centimètres, aussi tranchante qu'on peut les faire, tout droit sortie de sa manche. La lame secrète. Il y a quelque chose d'à la fois poétique et cauchemardesque dans cette appellation, même si je ne saurais pas expliquer quoi. Retournant sa main de manière à être en position de frapper, Oudamou amène son coude presque à hauteur de son épaule, et continue d'avancer vers moi, qui suis toujours à terre, à ramper pathétiquement, et maintenant à fixer sans pouvoir m'en empêcher l'objet, à la fois si simple et si complexe, qui va séparer mon âme de mon corps à tout jamais.

Alors que je m'écorche les coudes sur le verre, qui crisse sous les pas de l'Assassin, j'ai une pensée pour June et Perry, que je ne pourrai pas aider, ma nature si spéciale certainement perdue à jamais. Je pense aussi à Dwight, avec lequel je vais probablement perdre ce lien si particulier qui peut exister entre Magnet et Tuteur, eux revenant toujours vers nous quoi qu'il leur arrive, mais nous-mêmes n'ayant pas ce privilège. Quant à LeX, lorsqu'elle apprendra ma mort, elle sera la définition même de la déception, et si elle manifeste ça comme elle manifeste les autres fortes émotions, autant dire qu'elle sera terriblement enragée. Je vais briser tellement de promesses, simplement parce que je suis incapable d'en briser une peu judicieuse. Plus jamais t'fais un truc pareil, vieux. Plus jamais, t'entends ? Désolé, Dwighty, je n'ai pas dû faire mon possible, je n'ai pas dû essayer assez fort. Tu comptes faire quelque chose ? Pour de vrai ? Désolé, June, je n'ai rien fait du tout, et j'ai peut-être même empiré les choses, rien qu'en vous amenant au mariage de Zarah. Je peux très bien me convaincre que plonger mes crocs dans ta nuque ne vas pas te faire de mal. Désolé, LeX, mais tu n'auras pas ce plaisir.

Mon dos se heurte à un pylône de soutènement de la véranda dont est recouvert le réfectoire, et je me retrouve acculé, définitivement à la merci de mon Assassin. Sans même se dérider, son visage vide de toute émotion, Oudamou lève le coude, dans un mouvement peu naturel chez la plupart des gens mais chez lui huilé par l'habitude. Mes paupières se ferment d'elles-mêmes, très lentement, sans que mon cerveau n'ait envoyé aucune commande, comme si j'étais déjà un peu parti. Tourner la tête sur la droite est mon dernier geste conscient, au moment où le sifflement de la lame dans l'air commence à s'élever. Pour moi, le doux chuintement s'achève dans un bruit sourd et surtout une brûlure intense, comme une flamme vive sur ma peau, qui déclenche une douleur si grande qu'elle fait écho dans tout mon organisme. C'est comme si mes cellules prenaient individuellement conscience que l'ensemble qu'elles forment, dans lequel elles m'abritent, vient finalement de subir une blessure qui ne pourra pas être réparée. J'ai juste le temps de me dire que ce n'est franchement pas terrible comme dernière sensation de ma vie, avant de sombrer.

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