Cinquième Jour - Retour aux sources (4/7)

La porte s'ouvre lorsque je la pousse. Et je ne dis pas ça parce que c'est moi qui ouvre la porte, même si c'est le cas. En fait je dis ça parce que la porte ne s'ouvre pas quand quelqu'un d'autre que moi s'essaye à la pousser. Hannibal est plutôt vexé que rien ne se passe pour lui, reprenant ses élucubrations à propos de la sorcière de tout à l'heure, un cran plus élevé dans la vulgarité. Dwight fourre ses mains dans ses poches pour ne pas montrer l'effet qu'une impossibilité de jumper a sur lui. Ce n'est pas efficace du tout, mais même si personne n'est dupe, personne ne va le lui faire remarquer pour autant. Vik et June ne veulent même pas faire le test, et LeX préfère également éviter l'expérience. Moi, la situation me fait rire, étonnamment. J'ai l'impression décalée d'être sur mon territoire, chez moi, dans l'absolu sens du terme. Home.

Tout ça pour dire que la double porte s'ouvre et dévoile la pièce suivante, dans laquelle nous faisons notre entrée. Le sol est le même, en pierre, autant que je peux en juger. Les murs sont constitués de panneaux dans un matériau totalement imprévisible à ce stade de la quête du jour : du métal. (Notez le sarcasme.) La hauteur au plafond n'a pas changé par rapport à la pièce précédente, mais si cette dernière était circulaire, celle où nous nous trouvons désormais est bien plus longue que large. Pour vous donner une idée, on parvient à se tenir tous de front (avec, je dois bien l'admettre, de légers airs de groupe de rock dépassé ou encore de Ligue des Gentlemen Extraordinaires) mais on distingue à peine le mur opposé, qui d'ailleurs comprend lui aussi une porte. Je crois au final qu'on ne peut même pas qualifier cet espace de pièce. Je prends la parole le premier :

— C'est un couloir.

Je suis de plus en plus atterré. Hannibal est pris d'un violent sursaut à ma gauche :

— Non, ce n'est pas "UN COULOIR" ! C'est une armurerie.

J'ai visiblement blessé l'ange mécanique, qui fait la grimace en répétant le mot que j'ai utilisé, secouant la tête comme si j'avais proféré le commentaire le plus péjoratif du monde.

— Cool.

On ne voit strictement rien, mais Dwight est d'un naturel confiant. Il suffit qu'on lui dise que quelque chose est là pour qu'il le croie aveuglement et soit aussi impressionné que s'il l'avait sous les yeux. Certains diraient qu'il est crédule, mais je n'en fais pas partie.

— Pourquoi mes parents me donneraient-ils une armurerie ? Dans quelles circonstances pourrais-je avoir besoin d'armes ? Ne m'apprend-t-on pas à me battre pour me défendre ?

J'accentue mes questions sur "armurerie", "circonstances" et "défendre". Je ne sais pas si c'est très logique, mais c'est comme ça que ça m'est venu.

— La meilleure défense est l'attaque, récite June comme une écolière.

Je doute qu'elle y croie elle-même. Elle est d'ailleurs très occupée à examiner les murs, pour y trouver le mécanisme qui dissimule l'arsenal militaire vanté par H.

— Et, aussi, jusqu'ici, tu n'as eu droit qu'à des missions basiques. Un jour tu entreras en guerre et ton Magnétisme, aussi puissant soit-il, ne te suffira plus.

Il arrive qu'Hannibal soit très clair et précis, parfois, mais il n'a à aucun moment la fibre pédagogique. Jamais.

— Je peux neutraliser n'importe quel opposant, pourvu qu'il soit dérivé.

Ça me paraît plutôt suffisant, à moi. Le regard que me retourne H laisse entendre qu'il en pense tout à fait autrement, au point de ne pas s'abaisser à argumenter. WhatEVER [1].

Pas très intéressé par l'idée d'une armurerie, je trace ma route. Quoi qu'H en dise, c'est un couloir. Faire une armurerie aussi étroite me paraît complètement stupide. Cela dit, faire une galerie photos dans un hall d'entrée aussi. Dwight me suit comme mon ombre, proche de la claustrophobie lorsque sa capacité à jumper est limitée. June et Vik nous suivent de peu, sans se parler, essayant toutes les deux de percer les mystères des panneaux métalliques. LeX et Hannibal ferment la marche, discutant tout bas. Lorsque leur murmure commence à m'agacer (oui, c'est un très long corridor) je me retourne, histoire de leur lancer une pique bien sentie, mais dois bondir un mètre en arrière pour éviter d'être pris en sandwich par deux tiroirs remplis d'armes qui jaillissent des murs. Un panel varié d'armes blanches s'étale devant moi, soigneusement entreposé dans un mousse protectrice anthracite. Je jure que je n'ai rien fait.

Alors que je reste figé là où je suis, Dwight juste derrière moi grâce à un jump d'urgence que je n'ai même pas noté tellement j'ai été surpris par les tiroirs, H se précipite à ma rencontre, bousculant Botaniste et Jardinière sur son passage, et laissant Messagère à la traîne. Son menton monte et descend, indiquant qu'il regarde tour à tour moi puis l'impressionnant étalage de lames que j'ai devant moi. Après cinq ou six allers-retours, l'ange ne trouve rien de mieux à faire que d'applaudir. Il ne s'arrête que lorsque LeX, dont le rythme d'avancée n'a pas été perturbé, parvient enfin jusqu'à nous, se glisse entre tout le monde, et vient s'emparer d'un couteau à cran d'arrêt de dimensions honorables. La pointe sur le majeur de sa main droite et faisant tourner le manche avec sa main gauche, la Panthère m'accorde un sourire aussi tranchant que ce qu'elle a entre les doigts.

— Des envies de meurtre ?

L'idée semble l'amuser.

— Non.

Ma réponse n'aurait pas pu être plus directe.

— H, une autre explication ?

L'ange plisse les yeux.

— Les différents lieux de stockages des armes se mettent d'eux-mêmes à sa disposition selon ce dont il a besoin. Et, normalement, il faut savoir où s'arrêter pour chaque chose. Là, c'est un coup de bol qu'il ait été pile au bon endroit.

Non, il n'a pas d'autre explication.

— Je n'ai pas besoin d'un couteau, je me permets de dire.

— J'trouve ça c'rrément barré. Encore plus flippant qu'la porte, vieux.

Dwighty s'éclate, au moins.

— Ton truc a des ratés, H, je n'ai pas besoin d'un couteau !

J'appuie sur la lame que tient LeX pour qu'elle la repose où elle l'a prise. Elle n'apprécie pas trop, mais s'exécute.

— Tu as peut-être pensé quelque chose d'ambigu…

June hausse une épaule. L'ennui, c'est que je rembobine plus facilement des paroles que des pensées. Mais après tout, même si c'est vrai, personne n'a besoin de savoir ce qui m'a au juste traversé l'esprit, alors pourquoi je cherche ?

Posant une main sur chaque tiroir, je repousse fermement chacun dans le mur duquel il est sorti, libérant le passage. Avec un hochement de tête entendu, j'informe tout le monde que la visite continue. Dwight, qui se sent beaucoup mieux après avoir jumpé, même s'il ne peut toujours pas le faire pour une destination hors de ce couloir de la mort, ne marche plus derrière moi mais à côté de moi. Et une idée a l'air de germer dans son esprit, à la façon dont il balance légèrement sa mâchoire de gauche à droite. Si ce détail n'était pas invariablement annonciateur de catastrophe, le connaître serait vraiment pathétique. Je fixe le Jumper pendant un petit moment, et finis par lui donner un coup de coude, haussant les sourcils, pour savoir ce qui en est. Un immense sourire fend son visage et il donne un coup de tête en direction du bout du couloir. Comprenant instantanément ce qu'il a derrière la tête, je vais pour soupirer, mais m'interromps. Pourquoi pas. Je hausse les épaules, et nous voilà partis comme des dératés dans le couloir. Il va encore gagner, mais courir avec lui est toujours une bonne partie de rigolade. Jusqu'à ce que Viky s'en mêle…

Raced ya [2].

La brunette, arrivée une fraction de seconde avant Dwight, lui-même arrivé presque une seconde avant moi, entame une danse de la victoire probablement spécialement pensée pour irriter le Jumper.

Croisant les bras face au sourire ravi de la Botaniste et à ses index moqueurs pointés sur lui, mon Tuteur regarde droit devant lui, où personne ne peut croiser son regard. L'avantage d'être le géant de la bande. Vik nous a quand même vaincus à la course avec un handicap, et si je suis loin de prendre ça aussi mal que Dwight, ça m'impressionne. Je m'étonne à chaque fois de ce qu'une si petite personne peut cacher comme talents insoupçonnés. Surtout que là elle n'a pas triché, elle a concouru de manière parfaitement réglo. D'un autre côté, je crois que ça ne fait qu'aggraver les choses dans la logique de Dwighty. Mais j'ai comme dans l'idée que c'était aussi l'effet recherché par la Botaniste. Tout en reprenant mon souffle, je la regarde se trémousser sur une musique qu'elle seule entend, devant un Jumper qui lutte pour garder une constance. Que je sois essoufflé est une bonne chose, ça m'évite d'éclater de rire.

Évidemment, aussi fun cela soit-il, faire la course a des inconvénients. Un seul en fait, en ce qui me concerne ; il faut attendre ceux qui n'ont pas participé. Je m'adosse au mur d'arrivée, plus du tout essoufflé, et m'occupe en observant Vik et Dwighty dans leur étrange ballet. J'ai extorqué hier à mon Tuteur qu'il aimait bien Viky (ce dont j'aurais dû me rendre compte par moi-même bien avant tellement c'est évident). Cette information me pousse à prêter une attention plus soutenue à ses interactions avec la Botaniste, que je considérais jusqu'ici comme simplement marrantes. Et j'en viens à me dire que le sentiment est peut-être réciproque, parce que la seule fois où j'ai vu une fille agir de façon semblable, c'était il y a environ cinq ans, et c'était Zarah. Envers moi, je précise. D'accord, j'ai dit semblable, pas identique. Disons que c'est mon seul point de comparaison, et qu'il n'y a bien que moi pour y trouver des points communs, mais peu importe, l'important, c'est la fin du raisonnement. Tandis que je pondère mes conclusions, renforcées par le fait que Vik ait réussi à attirer l'attention de Dwight et lui rendre malgré lui le sourire (quoique j'ignore totalement comment), les autres finissent par nous rejoindre.

— Un ascenseur.

Sans bouger, je braque mes yeux sur Hannibal. En effet, ce que j'ai pris pour une porte depuis l'autre bout du couloir est en fait un peu plus que ça.

— Eh bien oui, les escaliers manquent parfois franchement d'esprit pratique.

Je m'attendais à pire, dans la catégorie réponses illogiques.

— Où mène-t-il ? Combien y a-t-il d'étages ?

Restons pragmatiques.

— À partir d'ici, il ne fait que monter. Et il y a… six étages, en comptant celui-ci, si je ne m'abuse.

Il s'est carrément servi de ses doigts pour être sûr.

— Six étages ? On en a pour la journée… se plaint la Botaniste.

— Y en a p't-êt'e qu'on peut zapper.

L'éternel optimisme du Jumper. Ou plutôt juste de Dwighty.

— Bien vu. On n'a que trois arrêts à faire.

LeX regarde au plafond, sourcils légèrement froncés, tête penchée.

— Et comment tu sais ça, toi ? s'enquiert H.

— Je les entends.

Ça, c'est une réplique de film d'horreur toute pourrie, mais pourtant elle marche à tous les coups.

— Elle entend l's étages ?

Vik retient un éclat de rire et donne un coup au Jumper au niveau du ventre. Il accuse le choc en silence, même s'il n'a obtenu qu'une demi-réponse à sa question.

— Oui bon, d'accord, mais si tu comptes… Enfin, tu vois.

Hannibal fait des gestes avec les mains qui n'éclaircissent pas du tout ses propos.

— Je doute qu'il ait besoin de les VISITER, ceux-là, répond LeX très calmement.

— Pertinent, concède l'ange.

Je craque.

— Vous feriez mieux de trouver un autre moyen de communiquer, parce que vos ellipses me tapent sérieusement sur le système.

J'accompagne mon conseil d'un large sourire si faux que je n'arrive pas à le maintenir plus de quelques secondes.

— Il ne la laisse plus rentrer.

June ne regarde même pas vers nous. Les yeux sur le vide, elle tourne et retourne son pendentif entre ses doigts, perdue dans ses pensées. Le constat a pourtant tout d'une bombe. Pourquoi H refuserait l'accès à LeX ? Je ne savais même pas qu'on pouvait lui résister sans être à ma place.

— Mais er… pas du tout ! se défend l'ange.

Pitoyablement, il faut bien le dire.

— Mais si, en plus ! confirme Viky, un sourire incrédule sur le visage.

— Bah oui. Vise le pare-feu ; on ne peut pas le louper.

Avoir tort aurait de toute évidence été une absurdité pour l'infirmière, qui ne se défait pas de son attitude pour autant.

— Qu'est-ce qui s'est passé ? Il est où le souci ?

La Botaniste va de LeX à Hannibal, suspicieuse mais toute excitée.

— Il n'y a pas de souci, c'est… commence l'ange mécanique.

— Oh ! J'ai trouvé !

Une ampoule s'allume dans mon esprit. C'est mon tour de regarder la Messagère et l'ange l'un après l'autre, sauf que moi j'ai l'air choqué.

— Tu sais quelque chose qu'on ignore ?

June lève enfin les yeux.

— Oui, pour une fois.

L'idée me plaît beaucoup. Je referme la bouche.

— Tais-toi.

LeX se défend avec moins de ferveur que H, mais elle risque de ne pas apprécier ce que je vais révéler pour autant.

— C'est à cause du baiser, pas vrai ?

Je savoure ma victoire lorsque tous les yeux se braquent sur moi, ceux de l'ange mis à part. Même LeX me regarde en biais, un sourire au coin des lèvres, contrairement aux autres, qui sont absolument abasourdis.

— Quel bai… De quoi !?

Vik et June sont pratiquement à l'unisson.

— LeX l'a embrassé et il le lui a rendu. Hier soir, sur la plage.

Je l'admets, je biche grave.

— Quoi ?!

Cette fois, la Botaniste est seule. June a perdu sa voix.

— C'était pour le réveiller. Et c'est pas comme si ça n'était JAMAIS arrivé.

La Messagère s'adosse sur la porte de l'ascenseur, remontant un pied sous elle pour y prendre appui. Elle prend ça mieux que je ne l'aurais cru. Elle ne se reproche rien, visiblement.

— Er… non, ça n'était jamais arrivé ! s'exclame l'ange, tout à fait stupéfait de la tournure que prend la conversation.

— Je te fais si forte impression que ça pour que tu ne te souviennes de rien ?

La Panthère lui lance un regard incendiaire par-dessous ses cils. Ce n'est pas le genre de fille qu'on oublie impunément.

— Effectivement, tu fais forte impression, ce qui me pousse à penser que je n'aurais pas oublié si ça s'était déjà produit.

C'est bête, c'était presque bien rattrapé. Même Dwighty n'aurait pas sorti une maladresse pareille.

— J'en reviens pas ! Tu t'es fait oublier ! Quel abruti…

Elle se redresse et le toise de haut en bas, bras croisés, visiblement froissée. Se faire oublier… ? Sens propre ou figuré ?

— Pardon ?

Hannibal a un accrochage avec le même passage que moi.

— Stupides anges déchus… Tout en revient toujours au châtiment, avec vous, pas vrai ? Ceci dit, ça explique que tu aies l'air aussi surpris à chaque fois…

Sa dernière phrase la fait sourire.

— À chaque fois ? reprend l'ange.

À ce stade, tout le monde les laisse échanger, préférant la place de spectateur.

— À chaque fois que ça arrive.

Je crois qu'on avait tous compris ça.

— Parce que ça arrive souvent ?

Voilà qui est plus précis.

— Bah…

Elle hésite un court instant, faisant un geste vague de la main droite. Nous n'aurons jamais de réponse précise, mais je me demande si cette approximation n'est pas pire pour le grand blond, que je m'attends à voir s'écrouler d'un moment à l'autre.

— Attends une minute, tu n'es pas avec quelqu'un, toi, normalement ? intervient Viky, à l'intention de LeX.

— Si.

Cette dernière n'a pas l'air de voir le problème.

— Et il en dit quoi, que tu embrasses n'importe qui comme ça ? continue la petite brune.

— Pas grand-chose. Ce n'est qu'un baiser. On embrasse tous les deux qui on veut. Ce n'est pas cette ligne que nous nous sommes fixés. Et puis bon, c'est pas comme si on pouvait trouver de la concurrence…

Une nouvelle fois, sa dernière phrase la fait sourire.

— Je ne veux pas en savoir plus, je déclare en levant les mains devant moi.

Chacun ses histoires.

— Tu devrais… commente H, revenant lentement de son choc précédent.

— Qu'est-ce que c'est censé vouloir dire, ça ? je l'interroge.

— Que dans ce domaine, tes parents sont assez semblables aux Messagers.

Il soupire, encore un peu à l'ouest.

— Tu n'as PAS embrassé ma mère !

C'est le premier parallèle qui me vient, et je m'écarte de l'ange d'un pas.

— Je ne vois vraiment pas pourquoi tu tires tout de suite cette conclusion.

À son aura, je sais que j'ai vu juste. J'enfouis mon visage dans mes mains.

— Sortez ces images de ma tête !

Les talons de mes mains viennent se placer sur mes tempes et je ferme les yeux.

— Moi j'rien compris, j'entends Dwight marmonner.

— Les Messagers sont liés entre eux. Tous. Ils fonctionnent par couples, explique gentiment Vik.

— Comme tout l'monde, quoi.

Mon Tuteur a une vision utopique de l'univers.

— Non, pas vraiment. Déjà, il arrive que les espèces se mélangent. Et en plus, certaines personnes aiment le temps d'une vie, d'autres d'une existence, et certaines de façon éphémère. Ça dépend des gens. Les Messagers sont éternels de ce côté-là, et ils restent entre eux. De l'amour éternel intra-espèce, dans une espèce elle-même éternelle qui plus est, c'est particulier.

June prend le relais, pragmatique.

— On n'est pas des bêtes, ne parlez pas de nous comme si on était dans un documentaire ! se révolte la principale intéressée.

— D'un autre côté, vous n'avez pas trop le choix, si ? Ça ne peut fonctionner qu'entre vous.

Je sors la tête de mes mains.

— C'est pas comme ça. On est ensemble avant d'être Messagers.

Là, j'entrevois le rapport avec mes parents.

— Ça c'est faux, par exemple, parce que vivante tu n'avais pas rencontré…

Viky se fait interrompre du geste.

— Ce que je veux dire, c'est qu'on est Messagers ensemble parce qu'on va ensemble, pas l'inverse. C'est bon, vous avez satisfait votre curiosité morbide ?

Mais moi je ne voulais rien savoir ! Cela dit, je l'avoue, j'apprends des choses intéressantes ; je ne l'aurais jamais prise pour une romantique.

— T'as embrassé plus d'gens qu't'en a tués ?

Pourquoi Dwight doit-il poser cette question ? Tout le monde le regarde de travers. Sauf l'interrogée, qui lui renvoie son regard aussi franchement qu'il le lui donne.

— Définis tuer.

Parce qu'il y a un doute sur la définition, maintenant ?

— Prend'e la vie.

Ah, oui, il y a un doute, effectivement. Et ça explique aussi pourquoi Dwighty se sent concerné. Un peu.

— Alors oui.

Je ne sais pas si je dois comprendre qu'elle a tué peu de personnes ou bien embrassé beaucoup de monde.

— Bon, on explore une cabine téléphonique, ou on parle courrier du cœur ?

La Messagère s'écarte de la porte de l'ascenseur pour me laisser y accéder.

Secouant la tête, je cherche un bouton d'appel qui n'est nulle part. Je finis par héler l'ascenseur, ce qui, comme avec les lumières, a l'effet désiré. Les portes s'ouvrent avec la petite sonnerie de clochette qui accompagne toujours l'ouverture de portes d'ascenseurs. Comment cet endroit peut-il reconnaître ma voix ? Et mes pensées, comme avec le tiroir ? Ou même mon ADN, avec la porte ? Depuis combien de temps mes parents ont-ils préparé cette cabine pour moi ? Et qu'ont-ils pu mettre dedans, à part une galerie de photos et une réserve d'armes ? Il faut que j'arrête de me poser toutes ces questions, je devrais avoir des réponses bien assez tôt. Pas à tout, mais l'effectif de points d'interrogation sera quand même réduit. J'entre dans la cage d'ascenseur, suivi par le reste de la troupe. Une chance que le cube soit de dimensions honorables.

LeX et Hannibal se placent au fond, chacun dans un coin. June se place près de la porte, dans le coin faisant face à celui qu'occupe H. Vik et Dwight se battent pour avoir le dernier angle, sans réelle victoire pour qui que ce soit, et il ne me reste plus que le centre. Personne n'aime les ascenseurs. Ça donne une drôle de sensation dans l'estomac lorsque ça s'arrête, et la plupart du temps il y a cette ridicule musique de fond que seul un suppôt de l'enfer peut avoir sélectionnée. Nous échappons en l'occurrence à la petite musique, mais ce détail ne serait une bonne chose que si l'ambiance était différente. Hannibal boude, LeX a l'air de rigoler intérieurement à une blague personnelle sans doute hilarante, et Vik s'en tient à sa politique personnelle de torturer Dwighty, qui n'a rien trouvé de mieux que de lui rendre la pareille. Le premier qui prendra la parole perdra, je suppose. Il n'y a qu'à June que je ne peux pas en vouloir d'être peu bavarde aujourd'hui.

— ' savez quoi ? J'l'impression qu'un éléphant s''t assis sur ma tête, lâche Dwight très sérieusement au moment où les portes se referment.

J'avais complètement oublié son mal des transports. Mais ça me rassure que son silence n'ait pas été dû à Viky. Il est suffisamment dominé par cette fille comme ça.

— Espaces clos, j'explique pour tout le monde en hochant la tête, stoïque.

L'assemblée arrête de regarder le Jumper de travers, et le silence s'installe pour de bon. Encore heureux que cet ascenseur soit rapide.



[1] Whatever = peu importe

[2] Raced ya ~= J'ai gagné la course

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