Quatrième Jour - Je l'aurais voulu (5/7)

J'entends Perry assurer LeX qu'il se sent sous mon parfait contrôle, peu importe la distance, pour la convaincre de les accompagner et de me laisser derrière. Son argumentation est également saupoudrée par June d'insinuations à propos des enfants, que même dans mon état normal je n'aurais pas saisies, mais qui semblent peser lourd dans la balance. Je ne saurais dire si les pourparlers prennent longtemps ou non, mais toujours est-il que je me retrouve finalement seul avec Zarah dans la clairière, les musiciens s'étant éclipsés avec le reste de la troupe, probablement pour les guider. Je suis, dans un coin de mon esprit, content de constater que le Jardinier est en pleine possession de son habituel charisme, même immédiatement après un mutisme prolongé. Dire qu'avoir la main de June dans la sienne lui donne des ailes serait de très mauvais goût, mais quelque chose de ce type me semble pourtant fort probable. Après, je critique, mais je suis sur le point de vivre une scène plus ou moins semblable à la sienne, alors je ferais mieux de me taire.

Comme je m'y attendais plus ou moins, la Princesse a effectivement trouvé une tenue encore plus éblouissante que celle de tout à l'heure pour le plus beau jour de son existence. Sa robe, si elle est toujours d'un blanc immaculé en accord parfait avec son teint, n'est plus bouffante mais au contraire plutôt fuselée, mettant en valeur sa silhouette si fine et délicate, et ce sans même être cintrée. Le tissu utilisé, pour ses longs gants lui arrivant aux coudes comme pour la robe en elle-même, ne m'est pas familier. On dirait un mélange entre de la soie et une autre texture qui m'est inconnue. En tous cas, le tout scintille de manière indirecte dans la lumière du matin, même alors que Zarah se trouve toujours immobile et sous le couvert du feuillage. Cet éclat est souligné au niveau du buste et de la traîne, où l'habit semble avoir été ourlé d'une fourrure ressemblant étrangement plus à de la neige qu'à la peau d'un quelconque animal. Pour parfaire l'ensemble, qui sans cet ultime détail paraîtrait seulement magnifique et non pas aussi époustouflant, un large nœud de tulle a été posé sur le bas des reins de la future Reine. Elle-même ne m'a-t-elle pas appris un jour que ce matériau là était indispensable sur une robe de ce genre… ?

Mais bien sûr, je n'ai décrit que le vêtement. La personne qui le porte est, par je ne sais quel sortilège, aussi éblouissante que lui si ce n'est plus. Peut-être est-ce dû au fait que je l'ai vue se préparer un millier de fois environ pour telle ou telle soirée, mais je sais exactement ce qu'elle a voulu mettre en valeur, et j'estime être en mesure d'affirmer qu'elle a réussi sur les deux tableaux. Ses épaules, en premier lieu, ont toujours été la partie qu'elle préfère en elle. Personnellement je n'ai jamais compris comment elle pouvait choisir entre les différentes parties de son corps, mais encore une fois, je suis peu objectif. Ici ses épaules sont nues, faute de bretelles à la robe, et c'est vrai qu'à la voir comme ça on aurait presque du mal à en détacher son regard. En second lieu sa chevelure mi-longue d'un brun sombre a toujours fait l'objet de beaucoup d'attention de sa part. Et aujourd'hui elle l'a totalement libérée, comme elle en a rarement l'occasion, et celle-ci retombe en cascade autour de son visage, en boucles absolument sans défauts. C'est à ce moment-là de ma contemplation que je remarque ce qui me permet de respirer à nouveau, oxygénant providentiellement mon cerveau. Je ne sais pas si je serais sorti indemne d'avoir posé mes yeux sur son visage sans d'abord être revenu du choc initial de son apparition.

— Laisse-moi deviner… Quelque chose de bleu et quelque chose de nouveau ?

Je m'avance jusqu'à elle, étonnamment calme, et désigne du geste, sans la toucher, la mèche bleutée qui pend sur le côté droit de son visage.

— Tu aimes ?

Elle passe la mèche colorée entre ses doigts gantés, souriante. Elle n'a pas l'air embarrassée. Peut-être ma contemplation béate n'a-t-elle pas duré aussi longtemps que je le croyais. Tant mieux.

— Qu'est-ce qui est vieux et qu'est-ce qui est emprunté ? je demande, retrouvant avec soulagement mes capacités mentales là où je les avais laissées.

— Le diadème est ancestral. Quant à ce qui est emprunté, je te laisse deviner, justement…

Elle croise ses bras. Même sans ceinture sa robe lui fait une ligne de star de cinéma. Je détourne le regard, tentant avec difficulté mais néanmoins succès de conserver mon focus.

Not a clue [1], je lâche en faisant mine d'admirer la tiare évoquée.

Elle est différente de celle de plus tôt dans la matinée, mais ne me demandez pas en quoi, je ne suis pas spécialiste et pas dans mes meilleures dispositions non plus.

— Toi.

Mes yeux trouvent les siens par réflexe, et je suis heureux de constater que ça ne me fait pas perdre tous mes moyens. Je peux le faire.

— Subtil. Attends… je suis supposé me sentir insulté ?

On pourrait prendre ça pour de l'humour, mais je me pose en même temps sincèrement la question.

— Et bien, tu pourrais penser que tu n'appartiens à personne… propose Zarah, rentrant dans le jeu avec un plaisir non masqué.

— Je ne suis même plus sûr de ça.

Triste mais vrai.

— Alors non, tu n'es pas supposé te sentir insulté.

Elle ne remarque rien. Comme la vie doit être simple dans sa tête, parfois. Ou bien est-ce juste dans la mienne qu'elle est compliquée…

— En revanche, ne devrais-tu pas m'avoir sur toi à tout instant ?

Là, c'est effectivement de l'humour. Je retrouve mes marques très vite et entends bien les tester une à une pour établir lesquelles sont toujours d'actualité et par conséquent sur lesquelles je peux m'appuyer pour ne pas craquer.

— C'est conceptuel.

La bonne excuse.

— Et si je n'avais pas été disponible ? je la défie du regard, intrépide tout à coup.

— N'importe qui aurait pu me prêter quelque chose d'inutile.

Ça, c'est bas.

— Dois-je comprendre que je suis utile ou bien inutile ?

Je hausse un sourcil, et elle éclate de rire avant de me donner un coup sur le bras.

— Utile ! Et arrêtes de me demander comment tu dois te sentir. C'est bizarre.

De mauvais souvenirs sont ramenés à la surface par cette remarque. Enfin non, pas des mauvais, des bons, mais pas les bons. Je me fais comprendre ou pas du tout ?

— Ha. JE suis bizarre.

Ce n'est pas terrible, comme réplique, mais ça m'évite de la fixer comme si je la voyais pour la première fois, ce qui aurait définitivement été gênant.

Mais Zarah choisit pour je ne sais quelle raison absurde de ne rien répondre, elle. Je ne pense pas qu'elle le fasse exprès pour me rendre dingue, mais je pourrais. Je n'en suis en fait pas très loin. Cela dit, après quelques secondes de réflexion, je me rends compte qu'elle doit tout simplement être en train de faire comme moi. Elle teste notre nouvelle relation, si complexe, pour établir ce qu'elle a de commun à l'ancienne, et ce qui doit être dorénavant évité. Elle fait cependant preuve d'une certaine audace en tentant le coup du silence éloquent. Elle sait très bien comment ce genre de séquence s'est invariablement terminé par le passé. Ai-je besoin de vous faire un dessin ? En tous cas, elle m'accorde cette espèce de regard noir qu'elle n'a jamais su maîtriser, sûrement parce qu'elle ne l'a jamais utilisé que de manière ironique. En un sens, c'est plutôt moi qui suis mis à rude épreuve en le cas présent, puisque ce n'est jamais elle qui s'est jeté sur moi après un blanc lourd de sens entre nous. Dois-je réellement tout prendre sur moi ? N'ayant pas trop le choix, je m'efforce de réagir de la manière la plus détachée possible, de me comporter en strict ami.

— Ne devrais-tu pas paniquer ?

D'accord, c'est un rien hostile, mais elle l'aura cherché. Je n'ai pas mieux en moi, là, tout de suite.

— Pourquoi ?!

Elle est un peu prise à revers, je ne peux pas lui en vouloir.

— Eh bien, tu sais… c'est ton mariage !

Ma mimique qui se veut emballée est assez pitoyable. Seules les filles doivent savoir exprimer l'enthousiasme approprié à ce genre d'occasion.

— Exactement. Je ne vais pas à l'abattoir ou passer un examen. Je vais me marier ! Je suis heureuse.

J'ai l'impression que c'est la première fois qu'elle se défend sérieusement depuis ce matin. Il était temps.

— Toutes les mariées le sont, mais elles sont quand même anxieuses, j'insiste, malicieux.

— Tu es allé à beaucoup de mariages ?

Non, aucun, et elle le sait. Mais il en faut plus pour que je me démonte.

— Ma MÈRE était stressée pour chacun de ses mariages.

Zarah a toujours eu une admiration sans borne pour ma mère. Elle incarne selon elle (et selon moi aussi, même si je l'avoue plus difficilement à haute voix) l'élégance, la grâce, la classe, et tout autre concept typiquement féminin, le tout à la perfection. C'est un modèle absolu, en somme.

— Tu n'y étais pas.

Ça y est, je sens le doute tant attendu dans sa voix. Après tout, elle sait que je n'avancerais pas un argument de ce genre si je n'avais pas la défense parfaite pour le soutenir.

— Hannibal est un terrible menteur.

Je souris, fier de ma simili-victoire.

— Hannibal ? C'est le grand blond que tu as présenté comme ton parrain ? J'avoue ne pas avoir bien compris ce passage.

Voilà qu'on détourne le sujet. Classique.

— Techniquement, c'est le Tuteur de mes parents. Mais comme ils l'ont aussi désigné comme mon parrain, j'ai trouvé plus simple de l'introduire comme ça. Son statut est assez flou, en fait.

Zarah pondère mes mots un instant, comme si elle les mettait en relation avec autre chose dans sa tête.

— Ton ascendance est tellement épique…

La fascination dans sa voix ne peut pas être feinte. Je secoue la tête.

— Il paraît.

Je hausse les épaules et détourne le regard, mais la Princesse s'approche soudain et passe son bras sous le mien.

— Peu importe, je crois bien qu'il est temps.

Je baisse les yeux vers elle, lui rendant son sourire juste parce que je ne peux pas m'en empêcher.

— Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

La question est honnête. Il y avait tout un spectacle pour annoncer qu'elle était de retour vers moi, mais il n'y aurait rien pour dire que c'est le moment de l'amener à l'autel ?

— Les oiseaux.

Elle dit ça comme si ça tombait sous le sens. Puis, devant mes sourcils froncés, elle hausse les siens de manière encourageante. Je lève alors les yeux et remarque la multitude de volatiles présents, se rapprochant de mésanges sans réellement en être. De toute façon, mes connaissances en ornithologie sont limitées.

— Déjà vu.

Hitchcock ne risque plus de m'effrayer, depuis que j'ai eu droit à Vik et ses colombes en représentation très privée.

— J'arriverai à t'impressionner, tu verras.

Elle a plus l'air de se défier elle-même que moi.

— Tu dis ça comme si tu n'y étais jamais parvenue… je l'assure, sans même mentir.

Il me semble qu'elle rougit.

— C'est par là.

Elle indique la direction à prendre du menton, en profitant pour détacher son regard du mien.

— Je suis censé guider, je proteste, même si j'en serais incapable, n'ayant pas la moindre idée d'où à lieu la cérémonie.

— Dès qu'on aura l'autel en visuel.

Elle s'exprime comme une militaire. Je me retiens de rire.

La future Reine m'entraîne à travers la forêt d'un pas lent et assuré. Autant que le pas d'une jeune femme en robe de mariée peut l'être. En tous cas, elle n'hésite à aucun moment, et je suis rapidement perdu, à force de faire des tours et des détours autour d'arbres qui me semblent tous identiques. Au moins, malgré l'épais couvert de feuillage, la lumière du jour nous parvient encore, sous la forme de ces mêmes rayons si particuliers que j'ai remarqués dans la clairière à l'aube. La féérie ne s'arrête-t-elle donc jamais, dans ce pays ? D'ailleurs, au moment où je commence à me dire qu'on va finir par être en retard, les oiseaux se rappellent à mon bon souvenir en pépiant brièvement, se voulant probablement rassurants. Ils nous ont suivi, évidemment. Aussi charmant et guilleret soit-il, cet endroit finirait par me donner la chair de poule, à long terme. Je m'abstiens cependant de tout commentaire et profite naïvement du paysage, ne voulant pas perturber Zarah, qui se concentre sur le chemin à suivre et aussi, je viens de le remarquer, cueille consciencieusement des fleurs sur son passage, pour confectionner son bouquet. Cela explique son mutisme, mais je me demande surtout comment j'ai pu ne pas noter l'absence du bouquet avant. N'empêche que, bouquet ou pas, je trouve que c'est une idée saugrenue d'accueillir les invités aussi loin du lieu de la célébration. Ou bien c'est mon évaluation des distances qui a des ratés…

Et puis, sans que je ne l'aie vue arriver, vient la lisière du bois. Zarah y fait halte, survolant le panorama qui s'offre à nous d'un regard empli d'affection. Si j'avais encore un doute sur son appartenance à ce monde, il serait annihilé sur-le-champ. Il n'y a que chez soi qu'on peut contempler de cette façon. Pour ma part, je découvre la vue et, comme beaucoup trop de choses à mon goût aujourd'hui, elle me laisse sans voix. Le bosquet se trouve en réalité sur une plage. Plage qui s'étend à perte de vue devant nous, couverte d'un sable plus fin que fin et d'un jaune si pâle qu'il en est à la limite de l'aveuglant, sous ce ciel sans nuage, paré d'un croissant de Lune aux dimensions irréalistes. Je tourne la tête à droite pour y trouver, sans surprise, un océan infini de vagues d'un bleu profond. À gauche, en revanche, je retrouve la végétation, qui apparaît d'abord sous la forme de touffes d'herbes disparates puis se mue petit à petit en une pelouse luxuriante. Pelouse sur laquelle trône une allée de fleurs et de plumes déposées là sans hasard. De part et d'autre de l'allée, des rangées de chaises blanches, où sont installés une multitude de gens, et au bout de l'allée, le fameux autel, où attendent deux hommes. L'un doit faire office de prêtre et l'autre ne peut être qu'Enzo, que je reconnais de toute façon grâce à ses yeux émeraudes si particuliers et surtout associés à jamais dans mon esprit à une évènement que je ne suis pas près d'oublier. Le Prince n'a pas le visage que je lui aurais attribué, mais croyez-moi, c'est mieux ainsi.

Les yeux de Zarah se sont posés comme les miens sur son futur époux, et elle prend une grande inspiration, aplanissant machinalement sa robe pourtant exempte du moindre pli. Elle me passe ensuite implicitement la main en ce qui concerne le guidage en resserrant son étreinte sur mon bras. Le temps des remarques sur la beauté des lieux étant passé sans avoir été exploité, je prends à mon tour une inspiration, quoique plus discrète et, après avoir vérifié que Zarah n'a pas l'intention de dire quoi que ce soit puisqu'elle n'a visiblement pas la moindre envie de détacher son regard de son fiancé, fais le premier pas hors du bois. À peine mon pied a-t-il touché le sable que tous les invités se lèvent simultanément. Sauf un, à la traîne, qui ne peut être autre que Dwight. Mais peut-être ai-je l'impression qu'il est le seul parce qu'il dépasse de la foule… Contenant mon expression faciale à la perfection, je risque un coup d'œil à la jeune femme à mon bras. Elle n'a, bien entendu et heureusement, rien remarqué. J'essaye ensuite de focaliser mon attention sur autre chose que l'orchestre qui, de chaque côté de l'autel, me donne le rythme sur lequel je dois me déplacer. Ou bien le visage rayonnant du Prince droit devant moi. Ou encore tous ces inconnus qui m'entourent. Certes, tout le monde n'a d'yeux que pour la superbe mariée, mais là n'est pas la question. La scène a un étonnant goût de déjà-vu, mais inversé. Je sais très bien pourquoi. Il a longtemps été gravé dans ma tête que ce serait son père qui conduirait Zarah à l'autel, et moi qui l'y attendrais. Je me concentre donc intensément sur l'arrière-plan du paysage, à savoir le Palais, qui brille de milles feux au loin, avec toutes ses tourelles arachnéennes.

L'allée, sûrement interminable de par le fait qu'on l'a parcourue au ralenti, s'achève enfin. Alors que la musique s'atténue commodément, j'amène Zarah au bord de la dalle de pierre claire sur laquelle a été construit l'autel, prenant garde de ne surtout pas y poser le pied moi-même, et dépose avec solennité sa main dans celle d'Enzo, qui l'aide ensuite de manière fort courtoise à, elle, monter la marche qui les séparent et le rejoindre. Personne ne prête attention à moi, à aucun moment. Je recule, me plaçant en retrait, debout, à quelques pas de l'autel, poignets croisés devant moi. Je n'ai plus le Palais en visuel et cacher ma déroute, aussi irrationnelle soit-elle, devient plus ardu, bien que ce ne soit rien que je ne puisse surmonter. Ce qui me fait d'ailleurs penser à Perry. Et aux autres. Et il me suffit de penser à eux pour savoir très exactement où ils se trouvent dans l'assistance. Même si je les avais déjà repérés grâce à la maladresse de Dwight… Apparemment, tout est toujours sous contrôle. Il va me falloir trouver autre chose pour m'occuper l'esprit. Je serre les dents.

— Mes chers amis, vous pouvez vous asseoir.

Le maître de cérémonie, qui a levé les mains au début de sa phrase, les abaisse en même temps que tous ceux qui ont un siège le retrouvent.

— Nous sommes réunis ici aujourd'hui pour célébrer une Union.

On entend la majuscule. Je commence à m'interroger sur la nature de la religion de ce monde de rêveurs éveillés.

— Avant toute chose, si quelqu'un est opposé à cette cérémonie, qu'il s'exprime sur-le-champ.

D'ordinaire on donne le choix de se taire, là on ordonne de parler. Intéressant.

Pendant une fraction de seconde, je jurerais qu'Enzo et Zarah se sont tournés vers moi. Autant dire qu'ils l'ont fait, mon sixième sens me faisant rarement faux bond. C'est insultant. Aussi importante Zarah a été et est encore pour moi, quoique de façon différente, je ne compte pas interrompre son mariage. Au contraire, son bonheur me fait plaisir, aussi douloureux puisse-t-il être d'autre part. Je déglutis, blessé qu'on ait pu penser ça de moi. Si toute cette histoire m'est si difficile, ce n'est pas parce que je voudrais qu'elle me revienne, mais parce que je ne suis pas encore habitué à ce qu'elle soit partie. Je suis nostalgique mais pas jaloux. Je pensais que c'était évident. Une fois de plus aujourd'hui, je contiens mon expression faciale. Ce self control que j'ai peut réellement être utile. Personne ne s'étant manifesté, le chef de cérémonie poursuit, posant une main sur l'épaule du marié.

— Enzo, reconnais-tu Zarah comme ta bien-aimée ?

Le Prince acquiesce lentement du chef.

— Oui.

Le chef de cérémonie se tourne alors vers Zarah, posant son autre main sur son bras.

— Zarah, identifie-tu Enzo comme ton âme sœur ?

La Princesse hoche elle aussi lentement la tête.

— Oui.

Les deux mariés se sourient un instant avant de retrouver leur sérieux.

— Prince Enzo, héritier du Trône, porteur de la Dague de Nickel, prêtes-tu le serment, sur ton honneur et ton sang, de prendre Zarah Faith Kriegler ici présente pour légitime épouse, de l'aimer et de la respecter, et ce jusqu'à ce que des forces supérieures en décident autrement ?

Ce n'est pas exactement l'énoncé classique des choses, me semble-t-il. Cela dit, dans un monde de dérivés, ça a tout un sens.

— J'en fais le Serment.

Enzo place sa main droite sur son cœur et sa main gauche sur la garde de ladite dague, qu'il porte à la ceinture.

— Zarah Faith Kriegler, enfant des deux mondes, élue des Hommes-Serpents, fais-tu la promesse, sur ta dignité et ta force existentielle, de prendre le Prince Enzo ici présent pour légitime époux, de l'aimer et de le respecter, et ce jusqu'à ce qu'il en soit décidé autrement par des forces supérieures ?

On observe une étonnante égalité dans les vœux. Aucune idée de servitude ou quoi que ce soit de ce type. C'est rafraîchissant.

— J'en fais la Promesse.

Zarah pose, elle, ses deux mains sur son cœur. Le maître de cérémonie lâche un soupir tranquille, visiblement satisfait, puis prend les mains des deux promis là où ils les ont laissées pour les joindre symboliquement.

— En vertu des pouvoirs qui me sont conférés par l'Ordre des Choses, je vous déclare unis par les liens sacrés du mariage.

Il lâche leurs mains, désormais comme par magie parées d'alliances, et un grand sourire vient faire voler en éclat son expression jusqu'ici plutôt sérieuse.

— Vous pouvez vous embrasser !

Il éclate d'un rire profond et bienveillant.

Zarah et Enzo se jettent l'un sur l'autre. Je n'ai pas spécialement envie de voir ça, mais ne me détourne pas pour autant. (Déjà qu'on se fait des idées sur moi, je ne voudrais pas aggraver mon cas.) Le Prince tient la Princesse par les hanches, comme si elle était faite de porcelaine. Elle, bien qu'elle ne lâche pas son bouquet, s'accroche à son cou comme si sa vie en dépendait, passant les doigts de sa main libre dans ses cheveux. Et ils s'embrassent, tout simplement. Ce n'est ni trop chaste ni trop langoureux. C'est juste un baiser parfait. Bientôt, Enzo fait tournoyer Zarah, qui éclate de rire à son oreille, le serrant encore plus fort contre elle. Je me doutais bien qu'il y avait une bonne raison pour que tout le monde pleure aux mariages, mais finalement j'aurais préféré ignorer laquelle. Ou alors la découvrir à un autre mariage. Puis Zarah retrouve enfin le sol, et le couple essaye de se tenir tranquille, histoire de laisser le maître de cérémonie clore la cérémonie comme il se doit. Le vieil homme (et je dis ça plus à cause de l'âge de son aura qu'à cause de sa chevelure blanche), amusé par la fougue de la jeunesse, ne tient pas rigueur aux mariés de leur comportement. Sans cesser de sourire, il étend les bras, désignant les nouveaux époux à l'assemblée.

— Mesdames et Messieurs : le Roi et la Reine !

Damned, je m'habitude à peine à ce qu'elle soit Princesse et je vais déjà devoir la considérer comme une Reine.

Des applaudissements s'élèvent de la foule, en même temps que pétales, grains de riz, et confettis commencent à pleuvoir sur l'autel et ses alentours, sortis de nulle part. Les invités se lèvent les uns après les autres, certains criant leurs félicitations au jeune couple, qui se contente de sourire à s'en faire mal à la mâchoire. Je me joins mécaniquement aux applaudissements, et finis même par réussir à sourire sans me forcer, si bien qu'au moment où Zarah se remémore ma présence, elle me découvre en train de sincèrement la féliciter du regard, ce qui a pour effet d'agrandir encore son sourire, si c'est possible. Je secoue la tête lorsqu'elle retourne à ses sujets (puisque c'est ce que tous les habitants d'ici sont désormais) qui l'acclament, et me rapproche discrètement, par une allée extérieure, des quelques personnes qui me sont connues parmi toute cette populace. Tous applaudissent, H et Dwight comme des forcenés, June et Perry plus modérément, et Vik et LeX comme si c'était une tâche ingrate.

— Je hais les mariages, laisse tomber la Messagère, sans vergogne.

Heureusement que personne ne peut l'entendre.

— Moi pareil, renchérit la Botaniste.

— Pourquoi ? demande Dwight, me court-circuitant.

Je pense en fait qu'ils n'ont pas remarqué que je les avais rejoints.

— Je croyais que tu voulais échanger les enterrements contre des mariages ?

June se retourne (puisqu'elle et Perry étaient placés ensemble à une rangée plus en avant des autres) avec un air suspicieux sur le visage.

— Je suis allée à un nombre incalculable de mariages entre-temps. J'ai changé d'avis.

De nouveau, cette étrange expression de Cassandre se dépeint sur le visage de la Panthère. Bizarrement, je ne pense pas que ça ait un rapport avec ses propos, même si j'ignore exactement pourquoi j'ai cette impression.

— Mais pourquoi ? redemande Dwight un peu plus fort, puisqu'il s'est fait royalement ignorer.

LeX soupire sèchement, même si, à nouveau, je ne pense pas que ce soit Dwight ou sa question qui la mettent dans cet état. Je plisse les yeux mais n'interviens pas encore.

— L'Amour c'est la passion, pas un stupide vœu qu'on ne pense même pas quand on l'énonce. L'engagement n'a pas besoin d'être démontré. Il est là ou il n'est pas là, ça se sent. Passer toute une journée dans un longue robe blanche trop serrée pour fêter son Amour est juste délirant, au sens propre du terme. Le mariage, c'est comme la saint Valentin, c'est débile.

La tirade est débitée à une vitesse hallucinante. Dwight recule la tête, se sentant attaqué. C'est là qu'il me voit.

— Hey ! Vieux ! C'mment t't'en sors ?

Comme il était assis au milieu de la rangée il doit pousser tout le monde, June et Perry mis à part, pour arriver jusqu'à moi. Et il fait ça avec son adresse habituelle, se récoltant quelques œillades assassines, dont il fait fi.

— Er… Ça va, je dirais.

Sans TROP me tromper.

— Pas trop s'coué ?

— Si c'est le cas, je suis sûre qu'il n'attendait qu'une chose, c'est que tu le lui demande !

Il faudrait que Viky apprenne à se taire. Mais ça lui semble impossible lorsqu'une occasion de s'en prendre verbalement à Dwight se présente.

— Assez, vous deux !

Au moins ça m'évite de répondre à la seconde question de mon Tuteur par la positive, ce qui aurait amené une discussion que je préfère éviter pour l'instant.

Botaniste et Jumper se tournent le dos, bras croisés. On pourrait créer une bande dessinée avec ce duo. C'est à ce moment-là que les chaises disparaissent, tout simplement, dans une explosion de poussière pailletée. Je n'ai pas le temps de m'en étonner que déjà l'autel s'enfonce dans le sol, rapidement recouvert par un parquet qui s'étend bientôt sur toute l'aire de pelouse précédemment occupée par les chaises, et même plus, en un immense rectangle. Le sol est en train de se transformer sous mes pieds et je ne sens aucune action dérivée… ! Des tables de banquet, drapées de blancs, apparaissent bientôt le long des côtés du rectangle de parquet, et la scène prend tout son sens ; c'est la fête, suis-je bête. Je me demande un instant ce qui se serait passé si quelqu'un avait été toujours assis au moment de la disparition des chaises, mais finis par juger l'information non essentielle et me contente d'être bluffé par la qualité de l'organisation de ce mariage.



[1] Not a clue = Aucune idée, pas la moindre idée

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