Quatrième Jour - Je l'aurais voulu (2/7)

Je me redresse brusquement, trempé de sueur, et halète quelques secondes en fixant le pied de mon lit, papillonnant des paupières. Bien que je ne me formalise plus de ce type de réveils, en ayant eu mon compte pour tout une vie ces derniers mois, ils font toujours effet. Je passe une main sur mon visage et ferme les yeux un instant. Voilà qui a été une aventure troublante. Des images et des bribes de conversations me reviennent par intermittence, comme des flashs, exactement comme les évènements d'un rêve normal. Et autant dire que ce n'est pas pour m'aider à ne pas oublier les détails. Je me concentre sur les points culminants de ma conversation avec Zarah, puis le reste, du décor aux odeurs, suit tout naturellement, se frayant en douceur un chemin de ma mémoire inconsciente jusqu'à ma mémoire consciente. Une fois toutes ces informations bien intégrées, au moins je suis certain de ne plus les perdre, avec ma capacité de mémorisation quasi-informatisée. Je soupire et ouvre enfin les yeux.

- Qu'est-ce que tu as fait ? demande au même moment une voix dure.

- AH !

Je sursaute et me cramponne par réflexe à mes draps.

Il ne fait pas encore tout à fait jour, ici, et je n'avais pas remarqué que je n'étais pas seul dans la chambre. Depuis combien de temps d'ailleurs ? June et Vik se tiennent là, debout à côté de mon lit, bras croisés, l'air aussi grave l'une que l'autre. Je n'avais jamais vu la Botaniste et la Jardinière ensembles. Hormis le fameux jour où j'ai capturé Viky, bien sûr. Et autant dire qu'à l'époque, ce n'était pas l'entente parfaite entre les deux jeunes femmes. Normal, d'un autre côté, puisque June était légèrement au centre du piège tendu à Vik. Mais là, elles ont l'air en harmonie, leurs sourcils froncés selon le même angle et leurs déhanchés symétriques l'un de l'autre. C'est peut-être un effet de la fameuse soirée fille, qui sait. En tous cas, leur tactique d'intimidation est redoutable. Même sans leurs auras émanant l'agacement, je me sentirais tout petit face à elles. Mes yeux vont de l'une à l'autre sans parvenir à choisir sur laquelle s'arrêter.

- Qu'est-ce que tu as fait ? répète Vik, pensant sans doute que je ne l'ai pas entendu.

Pourtant, elle a une voix qui porte, elle ne devrait pas pouvoir l'oublier.

- Quoi ? je laisse échapper.

C'est à mi-chemin entre le couinement et le grognement. Elles ne m'ont pas abordé dans mes meilleures dispositions.

- Tu crois qu'il lui est arrivé un truc ? Il a l'air retardé, commente Viky en se penchant légèrement vers sa collègue, semblant à moitié inquiète seulement.

- Mais… non ! Je vais bien ! je me défends tant bien que mal.

- Enfin une réaction cohérente !

Un sourire à la fois radieux et effrayant vient orner les lèvres de la Botaniste.

- Alors, maintenant que tu es bien réveillé : qu'est-ce que tu as fait ? interroge June, plus diplomate.

- Quand, où, pourquoi, et comment ?

Et surtout, est-ce que ça nécessite réellement de venir m'accoster au saut du lit ?

- C'est nous qui posons les questions… me remballe Vik sans cérémonie.

- À ton avis, pourquoi je suis ici ? enchaîne June, ne me laissant que le temps d'ouvrir la bouche sans qu'aucun son n'en sorte.

- Je n'en sais rien.

Mais j'aurais dû me poser la question avant, c'est vrai. Contrairement au reste de la troupe, June n'a pas élu domicile à mes côtés, et d'ailleurs il n'y aurait aucune raison. Non pas qu'il y en ait, à mon avis, une pour tous les autres, mais bon.

- Il en sait rien…

Vik lève les mains et les yeux aux ciels, paradoxalement atterrée.

- Un penchant voyeur, peut-être… je tente pour leur faire subtilement remarquer que, contrairement à dans mon rêve, je ne suis guère vêtu.

- Hein ?

Elle est à moi, cette réplique, Viky. Bats les pattes.

- Vous êtes dans ma chambre, j'explicite.

- Et alors ?

Je ne suis pas suffisamment clair, apparemment.

- Alors je dors en boxer.

Là, il ne devrait plus y avoir de litige.

- Et ?

Ou bien si…! Peut-on réellement perdre toute once d'humanité au point d'en oublier les principes basiques de convenance ?

- Ça ne vous… perturbe pas plus que ça ?

Je plisse les yeux. Je devrais pourtant m'être fait aux situations tout droit sorties d'une sitcom.

- C'est toi qui nous as fait venir.

La Jardinière estime certainement que ça justifie amplement leur présence dans la pièce.

- Je doute de vous avoir attirées ici précisément, je proteste.

- Aha ! Mais tu ne nies pas l'attraction ! s'exclame Vik, victorieuse, me pointant d'un index accusateur.

- Je n'ai franchement pas de raison.

On n'est pas sur la même longueur d'onde, de toute évidence.

- Quel est le problème ? demande June.

- Il n'y a pas de problème. Qui a dit qu'il y en avait un ?

Pour des entités Bonnes, elles voient un peu le Mal partout.

- Bon alors qu'est-ce qui se passe ? insiste la brune aux yeux bleus.

- Je vous expliquerai lorsque je serais en condition.

Elles ne bronchent pas, ne voyant pas où je veux en venir.

- Ça vous ennuierait de faire volte-face ? j'ajoute donc.

- Pour ?

Je répondrais bien un sarcasme transcendants à propos de sa réaction quand c'est Dwight qui tombe le haut, mais m'abstiens, me disant que ce serait peut-être déplacé.

- Que je m'habille, je réponds finalement simplement.

- Quelle chochotte…

Quelle pimbêche !

- Exécution ! je les presse, avec un signe de main pour la forme.

- Pas la peine de la jouer bossy [1]

Je remarque que si j'exaspère Vik, je fais sourire June, au moins.

Les deux brunettes font lentement demi-tour, bras toujours croisés. Il est étonnant de constater les similitudes entre Botaniste et Jardinière sur deux personnes aussi différentes. Elles ont cette même grâce volatile, cette même pureté, cette même beauté en un sens, qui se ressent dans chacun de leurs gestes. Et pourtant Vik est vivace, une vraie pile électrique, plus sportive, presque garçonne, rien qu'à cause de ses Converses, comparée à June qui est si féminine et délicate, plus posée et surtout jamais sans ses talons hauts. Fascinant. Autre point commun, mais je pense qu'elles ne l'ont même pas remarqué et que ça n'est en rien dû à leur nature, les deux ont quelque chose au poignet, une sorte de bracelet. Si ma seconde vue ne l'avait pas également perçu, je leur aurais demandé ce que c'était, mais je pense en fait qu'il s'agit de mon fameux lien magnétique à elles pour les emmener avec moi dans le monde de Zarah. C'est très ouvragé, en tous cas, dommage qu'elles ne puissent pas le voir, ça leur plairait peut-être et apaiserait leurs aigreurs matinales. J'enfile les premiers vêtements qui me tombent sous la main, puis fait signe aux deux copines de me suivre, ce qu'elles font, l'une souriante l'autre sceptique, pour changer.

Arrivé au salon (décidément, c'est ici que tout se passe) je découvre Dwight étalé sur le canapé, à plat ventre, le menton sur un accoudoir, un bras pendant par terre, l'autre replié derrière sa nuque avec un angle bizarre. Bref, il dort dans l'une de ces positions étranges qu'il semble affectionner. Dans un accord parfait, June, Viky, et moi penchons la tête à gauche pour observer mon Tuteur avec une orientation plus naturelle. Un sourire se dépeint sur chacun de nos visages. C'est drôle de dire ça, mais Dwight peut vraiment être craquant, même contorsionné de la sorte. Je constate du coin de l'œil et du radar que LeX et Hannibal ne sont nulle part en vue. Quant à Perry, je ne le cherche même pas, l'approche de June ayant dû le contraindre à quitter les lieux depuis un moment déjà. Que sa punition prime sur mon magnétisme a du bon, car si je n'ai aucune certitude sur ce qui se serait passé si mon magnétisme les avait attirés de force dans un même endroit, je sais que ça n'aurait sûrement pas été très bon. L'instant d'attendrissement sur mon Tuteur terminé, Vik s'avance et lui donne un coup de genou dans les côtes, sans ménager sa force. Je n'ai pas le temps d'empêcher son geste, mais elle capte bien mon regard noir de réprobation lorsqu'elle revient sur ses pas, quoiqu'elle y réponde en me tirant la langue. Bon, d'accord, la grâce et la pureté ne se dégagent peut-être pas de TOUS ses gestes.

- J'suis réveillé, j'suis réveillé !

Le Jumper effectue un sublime roulé-boulé du sofa au sol, et se redresse instantanément, comme monté sur ressort. Mais alors qu'il s'apprête à se recoiffer sommairement pour se donner une contenance, quelque chose à son poignet retient son attention.

- Hey, l'vache, qu'est-ce qu'j'ai ?

Le fait que le bracelet soit différent pour les filles et les garçons me laisse penser, comme la fastueuse décoration observée précédemment, que mon esprit seul n'est pas entièrement responsable du phénomène. J'ai été un peu aidé. Ce qui confirme également l'hypothèse, très peu hypothétique finalement, qu'il s'agit bel et bien du lien que Zarah a mentionné.

- Qu'est-ce qu'il a ? demande June, qui a la bonne grâce de paraître inquiète.

- Sens plus aigu de la liberté.

La grande fierté des Jumpers. Et par procuration la mienne, mon Tuteur étant une référence dans le genre.

- Rien que ça, Viky commente dans une moue que je qualifierais de boudeuse.

- Ça ne m'explique rien.

June peut être si pragmatique, parfois.

- Sérieux, j'quoi ? C'grave ?

On ne restreint pas la liberté de mouvements d'un Jumper. Jamais. Ça me fait d'ailleurs un peu mal au cœur d'infliger ça à Dwight. Aussi inoffensif le concept soit-il en apparence, pour lui ce doit être comme avoir un moustique mâle bourdonnant à ses oreilles : il ne piquera jamais, mais le bruit rend quand même dingue. Heureusement que ça ne durera qu'une journée, sinon je crois que ça pourrait affecter grandement la santé mentale de mon meilleur ami.

- Non, ce n'est pas grave. C'est… un pass VIP.

Je n'ai pas trouvé d'autre formulation de mes idées, désolé.

- Pour ? s'enquiert l'infirmière, toujours aussi terre à terre.

- Un mariage, j'annonce fièrement.

Au moins, ça, ils ne s'y attendaient pas.

- On va a un mariage ?

Et Vik de s'indigner.

- Oui.

Les réponses courtes sont une bonne assurance de ne pas faire de faux pas. Je devrais y penser plus souvent.

- D'qui ? demande Dwight.

- Zarah.

Là, je fais moins le fier, fatalement.

- Pfff, mais j'la connais même p… Ah ! Elle !

Une lueur dans l'obscurité de l'esprit de la Botaniste. Je ne sais pas ce que je lui aurais fait si ELLE avait oublié qui était Zarah.

- Oui, elle.

Je dois quand même me mordre très fort la langue, au point de sentir le goût ferreux de ma propre hémoglobine sur mes papilles, pour ne pas lâcher un "oui, cette fille que tu as mise dans le coma avant de l'abandonner sur son palier", accompagné de quelques insultes bien senties.

- Mais comment peut-on se rendre là-bas ?

Bien sûr, June est la mieux informée sur notre destination.

- D'où les bracelets ! j'explique en étendant les mains pour souligner l'évidence.

- T'en as un, toi ? me demande Vik, longue à la détente, pour une fois.

- B'non, c'lui qu'va être attiré par j'sais pas qui, et nous on va suivre.

L'esprit vif de Dwight a encore frappé. Ce qui concerne les transports, il connaît.

- Ça alors ! Mais t'es moins bête que t'en as l'air !

La Botaniste ne peut s'empêcher de le charrier, autant parce qu'elle est vexée de ne pas y avoir pensé toute seule que par plaisir sadique. C'est pire que la Maternelle. Je regrette que la politique de "pas de provocation gratuite" soit tombée à l'eau après la visite de Telrah.

- T'sais quoi, j't'emm… commence le Jumper.

- Dwight ! je le retiens, ajoutant un haussement de sourcils explicite à mon apostrophe.

Il croise les bras, et se rassoit dans le canapé en soufflant par le nez. Il est extrêmement rare qu'il devienne grossier.

- Qui est sur ta liste d'invités supplémentaires ? interroge June, détournant mon attention de mon Tuteur étonnamment ronchon.

Je vois immédiatement ce qu'elle a derrière la tête, malgré son ton qu'elle veut désinvolte.

- Ma "suite". Et je cite.

- Ça signifie…

Sa main monte machinalement à sa gorge. Même sans son aura je la lirais comme un livre ouvert.

- Je crois bien, oui, je confirme doucement.

Sur le coup, face à Zarah, je n'ai pas du tout envisagé cet angle de l'invitation. Au réveil, ça m'a vaguement effleuré, mais c'est seulement maintenant que l'idée se dessine lentement dans mon esprit.

- C'possible, ça ?

Ce qui est bien avec Dwighty, c'est qu'il ne fait jamais la tête longtemps. Et qu'il comprend vite.

- Je pense. Avec un petit coup de main. Où est LeX ? Et… mais que fait Hannibal sur le toit ?!

On rappelle que la Messagère n'est pas un dérivé, donc je ne peux pas la localiser. Quant à l'ange, je viens seulement de me pencher sur l'endroit exact où il se trouve. Je me demande comment quoi que ce soit venant de lui peut encore me surprendre…

- LeX est à l'écurie, informe Vik en se laissant tomber dans un fauteuil, face à mon Tuteur qui refuse toujours obstinément de regarder dans sa direction.

Une écurie, encore quelque chose que la Panthère a installé temporairement aux alentours. Les voies messagères sont impénétrables.

- H a dit qu'i' captait mal.

Comment il peut avoir entendu ça en dormant est un grand mystère, mais je fais toujours aveuglement confiance à Dwight sans sourciller. Cela dit, d'un autre côté, je ne vois pas trop ce que "capter mal" peut bien signifier en ce qui concerne H, donc, je ne suis pas plus avancé que si on m'avait dit tout ignorer des agissements de l'ange déchu.

Sans rien ajouter d'autre qu'un hochement de tête amusé, je vais pour chercher le Tuteur de mes parents. Je pense que LeX sera plus apte à nous aider en ce qui concerne Perry aujourd'hui, mais elle reviendra quand elle voudra. Je ne voudrais rien interrompre entre elle et sa Monture, sa relation avec l'animal m'échappant tout en me semblant des plus capitales. Pareil qu'avec Hémistash, d'ailleurs. Je fais deux pas hors de l'appartement, et sursaute pour la deuxième fois depuis mon réveil, c'est-à-dire en moins d'un quart d'heure. Hannibal, pieds au plafond, tête en bas, se jouant de la pesanteur, me sourit à l'envers. J'ai un mouvement de recul puis soupire, exaspéré. Fermant les yeux, je prends le pont de mon nez entre mes doigts, geste rare qui symbolise à la perfection mon irritation et me rappelle bêtement mes débuts de cohabitation avec Dwight, du temps où j'avais encore besoin de concentration pour faire mes devoirs.

- Qu'est-ce que tu fais au plafond ? Dois-je te rappeler qu'il y a des Humains dans cet immeuble ? Des Humains, H, inconscients de tout un tas de choses.

Il n'a jamais été très civilisé d'après le peu que j'ai retenu de son histoire, mais je croyais qu'il connaissait les basiques.

- La grand-mère cacochyme qui vit à côté de chez LeX est partie faire des courses il y a cinq minutes. Quant à tes autres voisins, ils dorment tous comme des loirs.

Il a réponse à tout.

- La vieille dame vit à côté de chez MOI, H. Chez LeX, ça n'existe pas, c'est un bout éphémère d'Entre-deux auquel on accède par un portail temporaire. Et en admettant que ton comportement soit acceptable, il n'en reste pas moins inexplicable.

Je croise les bras. C'est que je commencerais presque à prendre mes marques au milieu de la troupe.

- Je capte mieux tête en bas.

Mais capter quoi, bon sang ? Par peur de passer pour un imbécile, je me retiens de poser la question ; Dwight est déjà suffisamment bas dans l'estime de son confrère Tuteur pour que je donne à ce dernier une nouvelle lacune de ma part à lui mettre sur le dos.

- Le toit ne suffit pas ? je propose, espérant obtenir des réponses, même indirectement.

- Ça, c'était pour capter le téléphone satellite. Là, je capte le Wi-Fi, explique calmement l'ange, avec un petit sourire en coin.

Ça n'a juste aucun sens. Qui peut-il bien avoir à contacter et quel genre d'informations peut-il vouloir collecter ?

- Je préfère ne rien répondre.

Le détail le plus dérangeant avec Hannibal, c'est qu'il n'a pas de pupilles, ce qui empêche de savoir où il regarde exactement.

- Sage décision, commente une voix sur notre gauche.

Nos deux têtes se tournent au même instant.

- LeX !

J'ai presque l'air heureux de la voir. En un sens, oui, elle va m'être utile aujourd'hui.

- Qui d'autre ?

J'ignore le sarcasme.

- Septentrional va bien ? je m'enquiers, sociable.

- Il se porte comme un charme, mais ne refuserait pas un peu d'action. Je le laisse rarement enfermé dans un boxe comme un vulgaire bourrin. Qu'est-ce que c'est que cette histoire de mariage ?

Comme le libre-échange de pensées peut être commode. LeX n'est pas la meilleure télépathe du groupe, loin s'en faut, ni la moins bonne, mais tous ont ce talent en quantité suffisante pour m'éviter de me répéter inlassablement. Il n'y a que Dwight qui n'ait absolument aucune capacité psychique, à vrai dire, mais c'est en général le premier à tout savoir, donc ça n'a aucune espèce d'importance. Quant à la palme, elle revient sans conteste à June de par sa nature et le fait qu'elle soit la seule à vivre au milieu de simples humains.

- Je me posais justement la même question, ajoute H.

- Sans commentaire…

Il faut toujours avoir un train d'avance, répondre à la remarque qui devrait logiquement suivre celle déjà émise, puisqu'au moment où vous ouvrirez la bouche, ils en auront déjà entendu plus sur le sujet… C'est une habitude à prendre. Avoir une idée de l'humeur des dérivés qui m'entourent n'est pas étranger à ma facilité d'adaptation aux situations de ce type.

- Les mariages sont des évènements dangereux, statue LeX, plissant ses yeux ambrés.

- Ah ?

Pourquoi cette lueur d'intérêt dans la voix du blondinet ?

- En l'occurrence, le mariage en lui-même n'est pas ce dont j'aurais voulu te parler, LeX…

Et les mariages ne sont PAS dangereux. Zarah n'est pas une Beatrix, que je sache.

- Je vois où tu veux en venir, mais…

Elle fronce le nez de manière explicite, sans achever sa phrase à voix haute.

- Tu vas me dire que c'est impossible ? je rétorque, bien que me refusant à cette alternative par avance.

- Non, avec toi à leurs côtés et certains arrangements, je pense que ça ira.

C'est toujours ça de pris. Mais quel est le problème, alors ?

- Serais-tu assez charmante pour m'aider ?

LeX n'est certainement pas facile à aimer, mais elle est extrêmement difficile à détester. C'est horripilant.

- Ce ne sera pas toi que j'aiderai, mais le souci n'est pas là. Cette solution, si c'en est une, ne peut durer qu'une journée au maximum, et t'avoir avec eux ne sera décidément pas de trop. Ce genre de chose n'est définitivement pas une réparation permanente. Je doute qu'on puisse d'ailleurs réitérer l'expérience ultérieurement.

Elle aime les longs adverbes. Je l'avais déjà remarqué.

- Mais ce sera déjà une avancée.

De l'optimisme, de l'optimisme.

- Un avant-goût, je dirais.

On ne t'a pas sonné, H.

- Ce qui m'amène à penser que ça pourrait être une mauvaise idée. Les ascenseurs émotionnels ne sont pas du goût de tout le monde…

Émotions. J'ai du mal à associer le concept à LeX, dont j'ai clairement une image de sociopathe.

- Savoir qu'ils seront réunis pour de bon dans la semaine ne peut pas les aider à encaisser ? je propose.

Il m'est très difficile de résister à une occasion d'aider des dérivés, de quelque manière que ce soit, et quelles qu'en soient les conséquences. Je tremble à l'idée que cette influence qu'ils ont sur moi pourrait un jour me pousser à barricader les portes d'une école pour faire de ses élèves des proies faciles à je ne sais quelle créature assoiffée de sang, mais je n'ai encore heureusement jamais été confronté à ce type de situation. J'espère juste que ça va durer.

- Tu fais souvent des promesses aussi stupides ?

La réponse à ma question est donc un oui. Je sais, ça ne semble pas très logique, mais LeX est un cas à part. Elle n'estimerait pas ma promesse stupide si elle n'avait aucune chance d'être tenue en bonne et due forme. C'est tordu, mais en un sens ça se tient.

- Je vais réussir.

C'est de l'auto-persuasion autant que de la réelle conviction.

- Non pas que je mette en doute tes capacités, mais le mécanisme que tu essayes de contourner voire neutraliser a été spécialement conçu pour être inextricable.

Je me demande soudain si June et Perry sont les seuls dans leur cas. Et s'il y en avait d'autres ? Pourquoi créer un châtiment aussi sévère et alambiqué pour un seul et unique couple ? Parce qu'aucun duo amoureux n'est jamais semblable à un autre. Je me contre tout seul, ça frise la schizophrénie.

- Tu n'as pas la moindre petite idée, toi ? j'interroge, plein d'espoir.

- En dehors du fait que je n'avais pas revu ni June ni Perry depuis le lycée avant de venir te voir, je n'ai aucune raison de m'être penchée sur un problème sur lequel je n'ai strictement aucun pouvoir. Tu ne trouveras personne avec la moindre idée sur le sujet… pas même les principaux concernés, je rappelle !

Touché coulé.

- Mais tu penses quand même que je peux le faire.

C'était prévu comme une question, mais ma voix n'est pas remontée sur la fin.

- Tu es apolaire.

La Messagère n'ajoute rien, comme si ce simple constat se suffisait à lui-même. Dans son esprit, c'est probablement le cas. Moi, ça me donne juste une drôle de sensation dans l'estomac, et ne m'avance à rien.

- Et sinon, si on se concentrait sur aujourd'hui ? Il est impoli d'arriver en retard. Surtout à un mariage.

Et c'est Hannibal qui dit ça ? Si ça ne tenait qu'à lui, il s'écraserait en piqué au beau milieu de l'allée, voire des convives… et surtout au milieu de la cérémonie. Mais il a raison, le soleil commence enfin à se lever, et en Novembre, cet évènement implique une heure plus avancée que jamais dans l'année.

- Pour une fois que tu dis quelque chose de sensé. Séance d'habillage et de nettoyage d'emploi du temps pour tout le monde.

C'est futile. Et le pire, c'est que la Messagère a l'air de le penser encore plus fort que moi en le disant.

- Les invitations sont quand même tardives, je trouve…

Hannibal n'est pas comme nous… LeX ignore royalement sa remarque, tout comme moi.

- Pourrais-tu investir les e-mails de Monsieur, tant que tu es là ?

L'ange penche la tête sur le côté (ou plutôt vers le haut, puisqu'il n'est pas redescendu du plafond).

- Libre comme l'air, lâche-t-il après quelques secondes.

- C'est indiscret, je commente lorsque j'ai compris ce qu'ils venaient de manigancer, non sans les dévisager tour à tour.

Les deux individus blonds n'ont même pas l'air coupable. D'un autre côté, je retiens une grimace. Et moi qui espérais encore vaguement un cours impromptu qui m'aurait empêché de me rendre au mariage. Ma bouée de sauvetage vient de couler à pic.

- C'est rapide. Plus vite on aura préparé les petites choses, plus longtemps on pourra se consacrer à nos tourtereaux défraîchis.

Charmant qualificatif. Elle s'adresse ensuite à H :

- Toi, costard. Josh, idem, et occupe-toi de passer le message à Dwight. Perry vous rejoindra dès que j'aurais emmené June et Viky. Exécution !

On n'a même pas eu le temps d'hésiter qu'elle nous a déjà apostrophés… Bien que j'aie été obéi ce matin en utilisant la même expression, je ne peux m'empêcher de penser que LeX a plus d'autorité que moi. Désespérant.

Hannibal et moi-même sommes poussés vers l'intérieur de l'appartement, sans que personne n'estime utile de demander à l'énergumène de descendre de son dérangeant perchoir. Ainsi soit-il. June, Vik, et Dwight sont déjà sur leurs pieds lorsque je retourne au salon. Nous sommes pressés. En un rien de temps, tout le monde tourbillonne autour de moi comme dans un cartoon. Sans même un mot ou un geste de la part de LeX, Botaniste et Jardinière sont déjà en mouvements et la suivent au-dehors. Dwighty s'auto-désigne pour préparer le petit-déjeuner dont lui et moi seront les seuls à avoir besoin. Hannibal m'enferme (j'aimerais pouvoir dire presque) dans la salle de bain, en affirmant qu'il va s'occuper de ce qu'on va tous porter, "nous les hommes". Je ne suis pas tranquille, mais l'appel de la douche se fait trop tentant lorsque je me retrouve seul face à elle. Des fois, je me dis que c'est moi, le boulet dans l'histoire, qui doit rester coller à eux, et pas l'inverse.



[1] Bossy ~= petit chef

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