Troisième Jour - Zarbi (4/7)

Je m'effondre sur une chaise, Ke(l)vin d'un côté, Perry de l'autre. Je suis surpris que le Super Geek ne marque aucune hésitation quant à la place qu'il doit prendre, puisqu'il ne voit pas le Jardinier, avant de me rappeler que je suis le seul ici à être hors de portée des capacités psychique de ce dernier. À bien y réfléchir, Viky a dû user de la même méthode pour dissuader quiconque de se diriger vers elle dans la salle de TP. Qu'est-ce qui distingue réellement les Jardiniers des Botanistes, au final ? Sans nul doute les missions. Je sors une feuille simple, un crayon de papier, et rien d'autre. C'est tout ce dont j'ai besoin, puisque je peux écrire uniquement les lois sans démonstrations et tout de même tout retrouver en relisant. En admettant que j'aie besoin de relire. J'attends sagement que le cours commence, mon professeur étant en train de déballer ses propres affaires.

À ma droite, Perry s'enfonce dans son siège, se préparant stoïquement à ne rien comprendre, à ce que je perçois de lui. À ma gauche, Ke(l)vin enlève sa casquette, qu'il pose soigneusement devant lui, puis coiffe sa mèche avec application. Lui, n'a pas l'air de se soucier du niveau des cours, au moins. Tout autour de nous, plusieurs dérivés s'installent, peu nombreux par rapport à d'habitude (même si j'ai plus de triplé la fréquentation en dérivés de l'établissement, il ne peut pas y en avoir à tous les cours pour autant), et les élèves normaux prennent place à plus de trois rangs de différence au minimum, comme toujours. Le cours de Maths débute normalement, en somme. Mon prof commence à parler, expliquant ce qu'on va voir aujourd'hui. Je note deux mots clés avant que Perry ne se penche vers moi, m'indiquant du menton le Super Geek qui est toujours en train de se battre avec sa chevelure pourtant impeccable.

— Quelque chose m'échappe. Il n'est pas censé être binoclard et couvert d'acné, avoir du bide, et un cerveau de taille supérieure à la moyenne ?

On dirait que l'idée vient juste de le frapper.

— C'est d'un cliché…

Je secoue la tête.

— Pardon ?

Ke(l)vin incline la tête sur le côté comme un chien d'arrêt qui aurait cru voir un écureuil.

— Non rien. Per… je veux dire, "mon garde du corps" se demande pourquoi tu n'es ni gros, ni boutonneux, ni binoclard.

Je ne mentionne pas les dimensions de sa cervelle, ayant déjà ma petite idée sur la question.

— HAN ! C'est teeeeeeellement vieux comme vision du Geek. Il vient d'où ton garde du corps ?

Je suis de plus en plus étonné qu'il n'insiste pas pour le voir. N'importe qui l'aurait fait à sa place. C'est comme s'il était déjà au courant de tout. Et pourtant il pose des questions… Intriguant.

— De quand, tu veux dire, je réplique dans un sourire.

— Ouais, c'est ça.

— D'il y a pas mal de temps.

Autant rester évasif, sachant le pantomime que m'a joué June pour me cacher à quelle époque elle était née.

— Pas mal de temps, genre ? persiste le mécheux.

— XXI° siècle.

Je ne peux rien cacher à un dérivé.

— Sérieux ? Mais ça fait presque un million d'années, c'est ouf !

Là, je crois qu'il exagère.

— Peut-être pas un million non plus.

Je l'ai déjà dit, le compte a sûrement déjà été perdu et donc pas mal d'années ont dû être purement et simplement oubliées, mais pas autant que ça quand même. Enfin, j'espère.

— Je me demande si un jour je rencontrerai le premier dérivé de tous les temps. C'est forcément un dérivé pure souche, puisqu'on a inventé tout un tas d'univers qui auraient existés avant nous. C'est dingue, d'y penser…

Je suis d'accord. L'idée que des créatures imaginaires puissent exister longtemps avant qu'elles ne soient pensées par leur créateur est perturbante. Peu importe le moment où se forme l'idée humaine, les dérivés associés seront apparus ou apparaitront à la date désignée par l'inventeur. Méditez là-dessus. C'est un concept que j'ai eu beaucoup de mal à intégrer. Seule la pratique m'a aidé à m'y faire. Je vous souhaite bien du plaisir pour trouver une autre astuce.

— Ben tu vois, tu peux déjà cocher la case "gros cerveau", je glisse tout bas au Jardinier, qui hoche la tête pour confirmer.

Et déjà, l'autre poursuit.

— Ce qui est encore plus dingue, c'est qu'on peut pas faire la différence entre le vrai et le faux, tu vois, entre le dérivé et le réel. Au niveau des trucs paranormaux et tout, je veux dire. Il y a forcément des trucs vrais parmi les choses purement inventées, mais on saura jamais ce sont lesquels. Dès que c'est hors science, c'est considéré comme dérivé, même si en fait c'est naturel. C'est d'ailleurs pour ça que les dérivés de naissance ont quand même une vie et l'existence éternelle, même s'ils ont jamais été humains. C'est à croire que l'Humanité a le droit suprême ; dès qu'elle imagine un machin, il se concrétise, au sens absolu du terme.

Coudes sur la table devant lui, menton dans ses mains en coupe, le Geek soupire d'un air songeur. Là, je suis vraiment largué. J'en étais resté à la leçon précédente dans le chapitre "expression du second univers".

— Coche-la deux fois, même, ta case.

Perry s'est redressé au fur et à mesure du petit monologue de notre compagnon, son hochement de tête s'intensifiant au diapason de son assentiment. Il n'est finalement pas condamné à ne rien comprendre durant ce cours.

Cours que j'ai arrêté de suivre à la minute où le Jardinier a émis sa remarque sur la dégaine du Super Geek. Une fois de plus, la démonstration a jailli dans ma tête à la seconde où l'enseignant a mentionné le résultat recherché. Au lieu de le regarder, donc, j'observe mon dérivé du jour, comme j'appelle en général les dérivés de passage, comme le sont la plupart des dérivés que je croise. Surprenante espèce. Je me demande ce qui déclenche la "transformation" de simple être humain à Super Geek, puisqu'il est évident que pour une fois ce n'est pas la mort. Ke(l)vin reste plusieurs longues minutes dans ses pensées sûrement codées en binaire avant de sortir de sa rêverie et de se tourner lentement vers moi, les yeux légèrement plissés. Il sourit, comme à lui-même, comme si quelque chose en moi le satisfaisait, là, maintenant, tout de suite. Je vais pour l'interroger mais il me devance.

— Tu vois vraiment pas ce que je suis venu faire pour toi ? me demande-t-il soudain.

— Non. Comment pourrais-je ?

Je pourrais difficilement faire plus franc.

— Pas fou.

— Je vais bientôt savoir ?

— Ça fait combien de temps que tu me fixes ?

Répondre à une question par une question n'est usuellement pas poli.

— Hein ?

Mais par une onomatopée non plus, de toute façon.

— Surtout, ne regarde pas le tableau.

La psychologie inversée fonctionne à tous les coups, ce n'est un secret pour personne. Je me retourne vers le tableau d'un geste vif, mes yeux accommodent sur les lignes de calculs calligraphiées par le professeur et… j'éclate de rire. Rien qu'une fois, mais d'un rire franc, irrépressible, plus fort que moi. Je plaque aussitôt mes deux mains sur ma bouche, me mordant la langue comme jamais. Autant de paires d'yeux qu'il y a de personnes dans la salle se braquent sur moi. Certaines sont étonnées, d'autres intriguées, mais la grande majorité sont hostiles. Bien vite, le peu de dérivés présents se détournent, mon magnétisme le leur intimant par réflexe, dans un tel moment de solitude. Perry ne comprend pas ce qui m'a pris, et Ke(l)vin retient son souffle. Un blanc tombe sur la salle. Mon professeur, celui qui obtient (comme par hasard) d'ordinaire les cours les plus calmes de tous le campus, nous admoneste tous d'un ton menaçant.

— Qui a fait ça ?

Silence de mort.

— Je ne le répèterai plus : qui a ri ?

Je déglutis et décide d'avouer :

— C'est moi, Monsieur.

Nos chaises sont conçues pour faire le moins de bruit possible, mais dans un silence pareil, je ferais aussi bien de tirer un tabouret en métal sur du carrelage en me levant.

— Monsieur Rykerson…

Je n'arrive pas à savoir si c'est de la surprise ou de la jubilation dans sa voix.

— Oui, Monsieur.

— Eh bien, peut-on savoir ce qui a causé votre hilarité ?

Ke(l)vin respire à nouveau, mais je pense que s'il avait été meilleur en apnée, ça n'aurait pas été le cas.

— Je ne sais pas si…

Il n'a pas envie de savoir, croyez-moi.

— Allons, en 26 ans de carrière, je n'ai jamais été interrompu que par l'alarme incendie. Ayez l'obligeance de partager avec nous la raison de votre amusement.

Il pense qu'il a le dessus sur moi, et sa chute n'en sera que plus violente. Je suis presque triste d'avoir raison.

— Vous avez fait une erreur, Monsieur. Ligne 5, à partir du quinzième caractère.

Mains dans le dos, tendu comme un arc, j'ai conscience qu'aucun élève de troisième année n'a jamais ouvertement contesté un professeur. Ni même à son insu, d'ailleurs.

— Une erreur ?!

Le pédagogue se penche sur son rétroprojecteur, intermédiaire lui permettant de remplir le tableau sans utiliser d'échelle.

Des murmures commencent à parcourir l'assemblée. S'ils sont sans nul doute incapables de déceler ce que j'ai repéré, les autres élèves vont pourtant tout de même chercher. Une médium au bord de la nausée sort de la salle avec aussi peu de précipitation qu'elle en est capable, même si son départ passe inaperçu dans l'effervescence ambiante. Je ferme les yeux, le temps de m'excuser silencieusement des effets que mon stress peut avoir sur les dérivés environnants. Lorsque je les rouvre, Perry pose sur Ke(l)vin un regard à la fois glacial et brûlant. Malin qui saurait dire ce qui se passe sous son crâne à cet instant précis, pour qu'il en oublie que je suis le seul à pouvoir le voir. Le Super Geek, lui, croise les doigts, ses lèvres remuant sans qu'aucun son n'en sorte. Il semble attendre quelque chose. Parce que du positif peut ressortir de ce drame ? Mon professeur relève les yeux de sa feuille. À sa mine, je peux dire qu'il n'a pas trouvé d'erreur. Mais d'un autre côté, je suis son meilleur élève, il n'a pas tendance à mettre ma parole en doute sur un point comme celui-ci.

— Une erreur, dites-vous… Pourriez-vous, er, me la montrer ?

Admettre ne serait-ce que la potentialité de son erreur n'est pas facile pour quelqu'un comme lui.

— C'est que… c'est assez complexe, comme ça, à l'oral.

Vaine combativité. Je n'ai aucune échappatoire.

— Pourquoi croyez-vous que je ne dicte pas mes cours ? C'est bien pour cela que je vous propose de me rejoindre sur l'estrade. N'ayez pas peur, je ne mords pas. Prenez vos affaires et venez faire votre version de la démonstration devant tout le monde.

Son sourire ne m'en dit pas plus long que l'intonation de sa voix.

— Vous êtes sûr ?

J'ai dit vaine, la combativité, Josh. Alors ferme-la et exécute-toi !

— Absolument.

Le signe de la main m'achève.

Je capitule donc. D'un geste, je fais glisser ma feuille presque vierge et mon crayon dans mon sac, le referme, puis en passe la sangle à mon épaule. Ma descente des marches de l'amphi est théâtrale (sans jeu de mot). Une bonne centaine de paires d'yeux sont braquées sur moi, accompagnées de chuchotements. Au moins, l'allée est large et personne ne s'écarte sur mon passage, c'est déjà ça. Mes Converses résonnent sur le sol pourtant recouvert de linoléum, matériau supposé étouffer les sons. Après un moment interminable, j'arrive enfin à l'estrade, sur laquelle je monte, comme un condamné monterait sur l'échafaud, pour faire face à mon enseignant, à une distance cependant raisonnable. Celui-ci me tend un feutre et un transparent avec un regard à mi-chemin entre la haine et la curiosité.

Alors que je me penche pour écrire, une scène visible à moi seul retient mon attention : Perry bondit sur Ke(l)vin. Il se déplace si vite qu'on pourrait croire qu'il s'est téléporté. Brillant d'un rouge sombre inquiétant, ses longues ailes subtilement abîmées apparues entre ses omoplates, le Jardinier plaque le Super Geek contre son siège, le saisissant par le col. La victime ne pouvant toujours pas voir son agresseur, je crains qu'il n'entende que la voix profonde du Jardinier à son oreille. Voix qui, j'en sais quelque chose, peut être des plus effrayantes. Je ne sais pas ce que Perry dit, mais subitement, Ke(l)vin devient aussi translucide que lui. Quoi qu'il en soit, tout le monde regarde dans ma direction. C'est probablement pour ça que le Jardinier a attendu que j'ai atteint ma destination pour agir. Ces dérivés pensent vraiment à tout !

Je commence à écrire mes calculs, m'efforçant de ne pas penser à Perry qui, bien décidé à ne pas me lâcher d'une semelle, pousse Ke(l)vin dans ma direction, ne lui laissant que le temps d'attraper sa chère casquette au passage. Et il est évident que s'il a rendu le Super Geek aussi invisible que lui, il ne lui est pas pour autant plus visible qu'auparavant. Ce doit être déroutant d'être entraîné de la sorte par une force qu'on ne voit pas. Les deux comparses, si je puis dire, me rejoignent sans tarder. Mon prof ne remarque rien alors qu'ils passent à moins d'un mètre de lui ! Ils s'arrêtent à mes côtés, Perry une main sur l'épaule de Ke(l)vin, plus pour préserver son camouflage que pour lui faire passer l'envie de s'enfuir, qu'il n'a de toute évidence pas. Le Super Geek va jusqu'à se pencher par-dessus mon épaule pour voir ce que j'écris, à la manière de mon prof, penché par-dessus mon autre épaule. La situation m'aurait vite agacé si ledit enseignant ne m'avait pas interrompu alors que j'avais corrigé sa faute depuis trois lignes déjà.

— Stop, j'en ai assez vu.

Sa voix n'est pas sèche comme je m'y serais attendu. Elle a baissé en intensité, comme s'il venait de proférer un oracle.

— Mais… je n'ai pas terminé, je proteste faiblement.

— Non, en effet. Mais vous n'êtes même pas censé pouvoir terminer cette page.

Je ne comprends pas.

— J'en suis capable, je lui affirme sans sourciller.

— Mais eux, non.

Il désigne d'un geste large mes camarades qui regardent le tableau en plissant les yeux, fronçant les sourcils, ou se grattant la tête. Autant de signes évidents d'incompréhension. Un vague sourire s'affiche sur le visage ridé du professeur, et une lueur s'allume dans ses yeux.

— Je…

… ne sais pas quoi dire.

— Où as-tu appris ça, Josh ?

Il m'appelle soudainement par mon prénom.

— Nulle part.

Je hausse les épaules.

— Tu as découvert cette technique tout seul ?

Il est on ne peut plus sérieux.

— Découvert ?

Ce n'est pas une découverte mais une évidence.

— Je n'ai pas commis d'erreur, Josh. La seul raison pour laquelle tu l'as cru c'est parce que la méthode que j'ai utilisée est d'une maladresse incommensurable comparée à la tienne.

Ah.

— Je ne suis pas certain de vous suivre, Monsieur.

— Ta méthode n'est pas spécialement plus juste que la mienne, elle est simplement plus rapide et plus élégante. Maintenant dis-moi, à la lumière de cette information, pourquoi crois-tu que je ne l'ai pas utilisée ?

— C'est bien la question que je me suis posée, sauf votre respect.

Si j'ai rigolé, c'est parce que la seule réponse à cette question me venant était qu'il y avait une erreur. Et une erreur faite par un prof du MIT, c'est drôle. Ne me regardez pas comme ça, dans ma position vous auriez réagi pareil.

— La raison est simple : cette technique n'est pas au programme de cette année, ni de la suivante d'ailleurs. C'est une méthode très complexe que peu d'élèves arrivent à maîtriser totalement, et que ceux qui y parviennent ne s'aventurent pas toujours pour autant à appliquer.

L'enseignant ne se départit pas de son petit sourire en coin. Moi qui m'attendais à ce qu'il soit vexé voire furibond…

— Oh.

Qu'est-ce que je pourrais répondre à ça ? Je viens juste de prouver par a plus b devant tout un amphithéâtre que je suis en avance. Au MIT !

— Si tu n'as réellement pas appris cette méthode dans un livre, ce qui relèverait tout de même de l'exploit étant donné ton niveau d'études actuel, tu n'as rien à faire dans cette classe. Ni dans aucune autre que je connaisse.

Je fronce les sourcils.

— C'est-à-dire ?

Le professeur se place de nouveau face à ses étudiants et s'adresse à eux d'une voix forte, comme il le fait d'ordinaire.

— Le cours est écourté. Vous êtes libérés jusqu'à votre prochain assignement. Merci de votre attention.

Un brouhaha s'en suit, quelques œillades assassines glissent sur moi, puis la salle se vide bien vite.

— Suis-moi.

Laissant ses affaires en plan sur le bureau, le prof s'empare du transparent sur lequel j'ai écrit et s'élance au-dehors de la salle d'un pas preste pour son âge.

J'échange un rapide coup d'œil avec mes accompagnateurs, qui n'ont pas bronché durant tout l'échange. Perry hausse les épaules, conscient du peu d'influence qu'il a désormais sur la situation, et Ke(l)vin rayonne. Visiblement, tout se passe comme le Super Geek l'avait prévu, mais je ne vois toujours pas où son plan veut en venir. Après une lourde inspiration de ma part, nous rattrapons mon professeur en trottinant, se tenant le plus loin possible de lui pour qu'il n'ait pas envie de s'enfuir. C'est déjà un exploit que j'aie pu me tenir face à lui sur l'estrade. Heureusement, à cette heure-ci, les couloirs sont vides, donc il n'y a personne d'autre à éviter. On déambule en silence et, au fur et à mesure de notre avancée, je me rends compte que les couloirs me sont de moins en moins familiers, jusqu'à m'être totalement inconnus. Désarçonné, j'hésite à interroger mon guide, mais voilà qu'il s'arrête soudain devant une grande porte capitonnée en cuir bordeaux. Il frappe plusieurs coups secs et entre sans attendre de réponse, m'ordonnant furtivement de rester au-dehors avant de disparaître.

— Tu m'expliques ? je demande à Ke(l)vin.

— Tu n'as pas compris ? répond Perry.

Interrogez l'andouille et c'est le boucher qui répond.

— Non.

— Tu sauras bien assez tôt, conclut le Super Geek dans un sourire malicieux.

— Vous êtes vraiment…

La porte s'ouvre avant que j'aie trouvé le mot que je cherchais. Quitte à être taxé de génie, je préfère éviter d'être accusé de folie.

— Monsieur Rykerson, je viens de demander au directeur de vous accorder de passer des épreuves anticipées.

C'est donc ici qu'est le bureau du Directeur ! Ce type est un fantôme, personne ne l'a jamais vu. Avec toutes les responsabilités qu'il a, aussi…

— Des épreuves de quoi ? je demande naïvement.

— De fin d'études.

Ma question semble le surprendre.

— Mais je ne suis qu'en troisième année !

Sachant que mon cursus était supposé, initialement, durer 8 ans minimum, j'ai de quoi être bouleversé.

— Ceci prouve le contraire.

Il agite le transparent sous mon nez. Je précise que je le dépasse d'une tête.

— Mais je…

Nouvelle agitation du document pour me faire taire.

— Dans le pire des cas, vous ne réussirez pas et pourrez toujours continuer à suivre le cours de vos études sans retombée aucune. Mais vous êtes un élève exemplaire, et ces derniers temps vous avez même progressé de manière exponentielle, vos professeurs sont unanimes. Votre exploit d'aujourd'hui a achevé de me convaincre que vous n'aviez rien à faire sur mes bancs. C'est pourquoi je vous propose ce test, qui établira de manière formelle ce que nous nous devons de faire de vous en tant que formateurs.

Voilà qui me cloue le bec.

Satisfait de son petit effet, le professeur hoche la tête solennellement et m'entraîne vers une salle d'examen, un peu plus loin dans le couloir. Estomaqué, je le suis après un temps de latence. J'ai du mal à croire que des sujets sont prêts à tous moments pour des cas comme le mien, mais je dois bien me rendre à l'évidence en voyant mon professeur de Mathématiques ouvrir une armoire, à l'aide d'une petite clé qu'il avait dans sa poche, et en sortir un imposant tas de feuilles. Au moment d'entrer dans la salle, je me retourne discrètement vers Perry et Ke(l)vin, leur faisant un petit signe de la tête pour leur faire comprendre que si je dois passer ces épreuves, ce sera seul, même s'ils ne me seraient peut-être d'aucune aide. J'ai une présence d'esprit qui me surprend moi-même. Mes deux compères comprennent immédiatement, et n'avaient même sans doute pas l'intention de me suivre. J'aime les dérivés.

Je m'installe à la table que m'indique mon enseignant. Il me fournit du papier, plusieurs crayons, et plusieurs gommes, puis va s'asseoir dans un coin, me précisant qu'il déclenchera le chronomètre lorsque j'ouvrirai le premier feuillet. L'idée saugrenue que ce test a été préparé spécialement à mon intention depuis un bon moment déjà me traverse l'esprit. Mais c'est stupide, je ne suis pas le centre du monde. Cela dit, ça expliquerait que la discussion avec le directeur ait pris si peu de temps, et aussi que mon professeur ait réagi si vite après mon intervention en cours. Je secoue la tête pour chasser cette idée, m'assure machinalement que Ke(l)vin et Perry, qui m'attendent assis par terre derrière la porte, vont bien, puis signifie d'un hochement de tête à mon surveillant que je vais commencer. C'est parti.

 

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