Deuxième Jour - Oxymore (5/7)
Les cours de l'après-midi s'avèrent aussi rasoirs que ceux de la matinée. Un étrange effet de déjà-vu s'est installé quand je me suis rendu compte que j'étais encore en retard et que j'ai à nouveau dû courir, tout ça pour arriver largement dans les temps. Cela dit on ne m'a pas imposé d'escorte, et ça, c'est un point positif. Enfin, je crois. LeX devait parler à Vik, et à la façon dont elle l'a dit, c'était important. Évidemment, rien au monde n'aurait fait rater ça à Hannibal, qui m'a donc laissé tomber pour écouter aux portes. Quant à Dwighty, il est parti en vadrouille sans dire où il allait, comme d'habitude. Sans parler de Perry, qui n'est pas reparu.
Je ne prête pas attention aux nouveaux dérivés qui prennent place autour de moi, différents à chaque cours. Telrah et sa petite scène en haut des escaliers ne quittent jamais vraiment mon esprit. Pourquoi a-t-elle réagi de cette façon ? Même Dwighty avait l'air surpris. Il a dit qu'elle s'isolait lorsqu'elle était contrariée, mais il a aussi dit qu'il avait un mauvais pressentiment qu'il n'avait jamais eu auparavant. J'analyse encore et encore chaque minute passée en la compagnie de la jeune femme, sous tous les angles, isolant mes différentes perceptions, comme séparant la piste audio et la piste visuelle d'une vidéo. Je ne sais même pas pourquoi je me torture avec ça. Je l'ai protégée comme mon instinct me l'a dicté. Ma mission s'est arrêtée au moment-même où Viky s'est calmée. La suite ne relève pas de mes fonctions.
Ce n'est que lors de ma dernière heure que je pense à jouer avec mon crayon de papier. Je le fais tourner entre mes doigts, essayant de me vider le crâne avec un succès relatif. C'est un exercice que June m'a conseillé pendant nos deux semaines de préparation avant de rencontrer Vik. Elle dit que ça peut m'aider non seulement à mieux manier le bâton de ma mère mais aussi à me concentrer. À condition que je ne m'hypnotise pas tout seul, bien entendu. J'arrive presque à ignorer ce qui m'entoure et à écouter ma plus que jamais soporifique prof de biologie quand un nouveau dérivé surgit dans la pièce.
Mon crayon m'échappe. Alors ça, c'est imprévu. Et il est impensable que quoi que ce soit d'imprévu survienne pendant un cours au MIT, je vous le certifie. Il fut un temps où je vous aurais dit que c'était impensable au sens de choquant, car ça m'aurait dérangé. Là, j'emploie l'adjectif au sens d'inespéré, parce que quelle que soit la raison qui a mené ce dérivé jusqu'ici en plein milieu d'heure, la terrible monotonie que je subis depuis ce matin est rompue, et pour ça je suis reconnaissant. Je me retourne et détaille celui qui vient de faire irruption dans l'amphithéâtre.
C'est un grand type, de la taille de Dwight environ, dans la trentaine, bien bâti, avec des cheveux sombres coupés court. Il porte une moustache discrète et un genre de barbiche tout aussi peu remarquable. Et pour cause, les deux ne sont probablement là que pour souligner son sourire de star hollywoodienne. L'étranger lâche la porte derrière lui, oublieux du boucan qu'elle va faire en se refermant s'il ne l'accompagne pas. C'est ce bruit qui fait que tout le monde se retourne comme je l'ai fait une poignée de secondes plus tôt. Même la prof lève la tête. Mais peu importe le nombre de regards braqués sur lui, l'inconnu évalue la foule de son regard bleu ciel, réajuste le col de sa veste en cuir d'un geste sec, et commence à descendre les marches de l'allée principale, comme si de rien n'était. Nombre de mâchoires se décrochent, dont la mienne, quoique pour des raisons différentes.
Mais je m'inquiète pour rien, évidemment. Aucun dérivé n'est suffisamment stupide pour se faire remarquer de la sorte sans avoir un subterfuge pour détourner l'attention ensuite. Le secret est le souci de tous, après tout. Je comprends quel est l'atout de l'homme au moment où il se met en mouvement. J'aurais dû repérer plus tôt les similitudes de fragrance entre son aura et celle de Telrah. Une Incarnation de la Luxure. Et mâture, en plus. Jeans, pull noir, rien de bien grandiose, mais nom d'un chien comment peut-on dégager autant de sex-appeal ?
Ma prof manque de s'étouffer mais continue finalement son cours sans rien ajouter de particulier, sa voix tremblant un peu. Toutes les filles présentes, sauf peut-être les lesbiennes, se montrent tout à coup très agitées, et plusieurs finissent par attraper le bras de leur petit ami pour le traîner au-dehors avec une précipitation mal maîtrisée. Je ne doute pas de ce qu'elles ont derrière la tête et cela me met mal à l'aise. La simple présence de cet homme a un effet tellement immédiat et radical ! Je suis silencieusement heureux que Telrah n'ait pas été une allégorie accomplie lorsqu'elle nous a rendu visite, parce que ça aurait rendu la situation vraiment bizarre et surtout ingérable.
— Cette place est prise ?
Il est à côté de moi. Heureusement que personne n'ose plus le regarder.
— Er… Non.
Il s'assoit nonchalamment.
— Je m'appelle Torrek, et toi ?
Il est si calme. Un dérivé totalement maître de lui-même, qui fait son petit bonhomme de chemin sans croiser les immenses puissances qui se déchaînent autour de moi. C'est tellement reposant.
— Lil'Hu.
Je me mords la langue aussitôt après avoir répondu. Fichue réponse automatique.
— Hum. Les surnoms des Magnets sont rarement aussi cool, tu t'en sors bien, commente Torrek.
— Vous en avez rencontré beaucoup ?
Mon ton est plus pressant que je ne l'aurais voulu.
— Quelques-uns au fil des années et des voyages.
Je le fais sourire. Au moins, il ne me prend pas pour un débile.
— Qu'est-ce qui vous amène à Cambridge ? je demande.
— Ma filleule.
— Votre filleule ?
Je hausse les sourcils. Il est trop ancien pour avoir de la famille si proche encore en vie.
— Mon apprentie, si tu préfères.
— Oh. Elle est dans la salle ?
Suis-je bête, évidemment que non, je l'aurais remarquée.
— Non, elle est en vadrouille, moi je visite.
Et le monument incontournable, c'est moi, bien évidemment. Si les dérivés étaient des touristes, je serais le pire piège, puisqu'ils ne peuvent pas résister à mon attraction. Enfin, ça ne m'embête pas, pour une fois.
— Dites-moi, c'est sans doute une question étrange mais… votre filleule, elle s'appelle comment ?
Je pourrais dire qu'un doute m'assaillit mais c'est faux. Il n'y aucune autre incarnation de la Luxure néophyte dans Cambridge au moment où nous parlons que celle avec qui j'ai déjeuné ce midi, ce serait une trop grosse coïncidence.
— Telrah. Pourquoi ? Tu l'as rencontrée ? confirme Torrek.
— Il se trouve que oui.
Ma réponse semble le surprendre.
— Ah oui ? Elle m'a pourtant dit qu'elle allait rendre visite à un ami décédé il y a peu.
Il fronce les sourcils. Ses mimiques sont assez semblables à celle de sa filleule, dans le sens où il arrive à toujours dégager ce qu'il dégage quelle que soit la tête qu'il fait.
— C'est le cas. Mon Tuteur est mort Mardi dernier.
Et j'en parle avec un tel naturel. Quel monde de fous.
— Ouh. Désolé de l'entendre.
Il a l'air sincère.
— Il est revenu. Tout rentre dans l'ordre.
Au fond, c'est vrai, je n'ai été profondément perturbé par l'absence de Dwight que lorsqu'elle était effective. Mais de là à dire que tout est en ordre, j'exagère sans doute un peu.
— Privilège de Tuteur, de retourner auprès de son Magnet.
Hein ?
— Pardon ?
Qu'est-ce qu'il a voulu dire ?
— Tu ne connais pas les fondements de la peur de la mort ? Ça m'étonne. En général, la première fois qu'on est témoin d'un retour à l'existence, la première chose qu'on remet en question c'est l'utilité de son instinct de survie.
— De quoi tu parles ?
Le tutoiement est venu naturellement. Je ne suis même pas certain que l'un d'entre nous s'en soit rendu compte.
— Ça ne t'as pas effleuré l'esprit que tout le monde craint la mort alors qu'en fait elle ne peut pas nous enlever l'existence ?
Touché.
— Ça m'a effleuré, en effet, mais je connais la valeur de la vie.
Là, c'est le moment où vous faites appel à ce que je vous ai expliqué ce matin, pour pouvoir bien suivre.
— Mais la vie, tu ne la perds que la première fois, mon garçon, et on continue à avoir peur après.
Je n'avais pas pensé à ça.
— Ce n'est pas faux, j'admets.
— Sache qu'il y a quatre raisons de craindre la mort : la douleur, la perte de contact, la perte de l'acquis, et la punition.
On croirait entendre parler un livre.
— J'ai droit à un cours de rattrapage, c'est ça ?
Je souris. C'est toujours mieux qu'une leçon que je connais déjà que ma prof est en train de balbutier en bas de l'amphi.
— Si je peux me rendre utile.
L'allégorie écarte les bras. J'acquiesce du chef.
— Continue.
— Pour la douleur, pas besoin de te faire un dessin, crever fait un mal de chien.
Et toujours cette élégance à toute épreuve.
— Comme c'est bien exprimé, je commente avec une moue appréciative.
— Merci. La perte de contact est justement ce à quoi les Tuteurs échappent. Ce ne sont pas les seuls, mais les autres bénéficiaires de cet avantage ne le doivent pas à leur statut. Bref. En ce qui concerne les Humains, il paraît évident qu'on ne doive et ne puisse la plupart du temps pas entrer en communication avec ses proches après avoir trépasser, mais même parmi les dérivés, qui savent pourtant comment ça se passe, il est exceptionnel qu'un défunt reprenne contact avec sa famille ou ses amis. Et ce même quand eux-mêmes ne sont plus en vie. Ces retrouvailles n'arrivent qu'après une assez longue préparation émotionnelle et mentale de la part des deux partis.
C'est si limpide, et pourtant…
— Tel' est revenue voir Dwight, j'objecte.
— Oui, et il est la première personne de son passé qu'elle revoit depuis deux ans. Si elle n'avait pas autant insisté, je ne l'aurais pas laissée y aller. Quant à lui, il est déjà revenu vers toi, alors ça ne doit pas le perturber plus que ça de revoir toutes ses connaissances. D'autant qu'à ce qu'elle m'a dit, il n'est même pas officiel.
Il est bien informé. Il doit beaucoup tenir à Telrah et lui avoir fait subir un interrogatoire serré avant de la laisser vagabonder.
— Exact, je confirme.
— Un Jumper éternel, non officiel, Tuteur de Magnet qui plus est. Il doit valoir le détour.
L'admiration est palpable dans sa voix. Je suis flatté pour Dwight.
— Oui, il est assez unique, je confesse avec un hochement de tête fier.
Torrek sourit, puis poursuit.
— La perte de l'acquis est liée à la perte de contact. Elle est le pilier central du souci de l'inachevé, de la pérennité. Rares sont les choses qu'on a pu commencer dans une tranche d'existence et qu'on peut terminer ou ne serait-ce que reprendre dans la suivante.
Quelle clarté.
— Et la punition ? j'interroge.
— Elle n'est pas systématique, mais il n'y a aucun moyen de savoir à l'avance si on la mérite ou pas. C'est la surprise quand on se réveille. Majoritairement, ce sont les suicidés qui en écopent.
— Et ça consiste en… ?
Qui n'as pas une once de curiosité morbide en lui ?
— Qu'est-ce qui est pire que la mort ? Humiliation, torture, emprisonnement. La seule différence avec un châtiment infligé par quelqu'un d'autre, c'est qu'il n'y a pas de quelqu'un d'autre.
Je frissonne à cette pensée. Personne à blâmer, pas de bourreau. Ça doit effectivement être difficile.
— Pire que la mort ?
C'est le seul point sur lequel je bloque.
— La mort est passagère, ponctuelle. Si tu veux vraiment faire payer quelqu'un, il est stupide de le tuer. C'est trop rapide. C'est presque de la clémence.
Je me demande s'il a déjà tué quelqu'un. À ma connaissance, les Incarnations de la Luxure n'ont aucun pouvoir offensif.
La fin du cours est annoncée avec que je n'aie le temps de rétorquer. Torrek est déjà debout et attend patiemment que je rassemble mes affaires. Je m'exécute et le suis hors de la salle. Je suppose que si elle s'est vidée à une vitesse aussi ahurissante, c'est à cause de lui. Cette pensée me met toujours aussi mal à l'aise. Je lui demanderais bien s'il est vraiment obligé de le faire tout le temps, mais il se mettrait probablement à rire et me répliquerait qu'il ne fait rien, que c'est sa nature, et qu'il n'y peut pas grand-chose. De toutes manières, il est temps pour moi de rentrer au bercail.
— Bon, eh bien, à la prochaine. Ravi de t'avoir rencontré, en tous cas.
— Tout pareil, mon grand. Fais gaffe à toi.
Je lève les yeux au ciel.
— J'essaierai.
Il m'accorde un clin d'œil.
On se sépare à la sortie du bâtiment, lui prenant à droite et moi continuant tout droit à travers une partie du parc. C'est clair que pour un 3 Novembre, il ne fait pas si froid que ça. Enfin, il n'y a sans doute que moi avec mon étrange immunité pour le penser. J'enlève ma cravate par à-coups et la fourre dans mon sac sans la plier ou la rouler. Je suis content que cette journée soit finie. Je vais enfin pouvoir souffler. Il me reste une conversation à avoir avec Dwight, mais c'est dans mes cordes.
Mon esprit vagabonde sur le sujet de la nouvelle génération de prénoms, comprenant Telrah et Torrek, et qui est à mon sens beaucoup trop peu usitée. Je me demande comment mes parents ont choisi mon nom, sachant qu'ils n'auraient jamais d'autre enfant après moi. Est-ce que Josh a une signification spéciale à leurs yeux ? D'après Hannibal, ce n'est pas le nom de qui que ce soit parmi mes ancêtres. Et à en croire la recherche incontournable que tout le monde fait en primaire sur les origines de son prénom, Josh a quelque chose à voir avec de l'aide apportée par un élément divin. Serait-ce une blague de mauvais goût ?
Je n'ai pas le temps d'y penser plus longuement, car je me fais littéralement happer à l'intérieur du building de l'ingénierie chimique (reconnaissable à sa forme triangulaire). J'atterris durement contre un mur, dans un couloir vide. Je voudrais dire "Aouch" mais l'onomatopée reste coincée dans ma gorge. C'est une plaisanterie ? Je connais la personne plaquée contre moi.
— Telrah ?!
Mais qu'est-ce qu'elle fait ici ?
— Hey Josh ! Tu te souviens de moi ?
Elle joue avec le col de ma chemise, un grand sourire aux lèvres, ses grands yeux noisette dans les miens.
— J'aurais du mal à t'oublier.
Je lui souris, bien qu'un peu déstabilisé.
— C'est un compliment ou une critique ?
Elle plisse son regard.
— Un compliment, je lui assure en hochant la tête.
— Alors merci.
Elle sourit de nouveau et reporte son attention sur mon col qu'elle recommence à tripoter.
— Quelque chose ne va pas ?
— Huh ?
Elle lève les yeux vers moi, comme si elle n'avait pas écouté.
— Je t'ai demandé si quelque chose n'allait pas.
— Oh… Non, tout va bien.
Elle me sourit une nouvelle fois, se mordant la lèvre inférieure.
— J'ai croisé ton parrain, tout à l'heure, je l'informe.
— Torrek ?
Elle hausse un sourcil, mais conserve son sourire.
— Lui-même.
— Dommages que tu sois hétéro.
Elle hausse les épaules. Sur le coup, elle a l'air vraiment déçue.
— Er… Pourquoi ?
Je fronce les sourcils. Ce n'est pas que je suis vexé, mais quand une jolie fille vous dit ça, vous êtes rarement ravi.
— Parce que tu n'as pas pu te rendre compte de l'effet qu'il fait. Torrek aura 100 ans dans quatre ans. C'est un vieux de la vieille, un vrai de vrai. Il trône parmi les meilleurs.
Quelle dévotion dans sa voix.
— T'inquiètes, je n'en doute pas.
Sa réponse m'a un peu rassuré, quand même.
— Tu savais qu'il s'était fait tuer par un mari en colère ? Il n'a rien vu venir. Ce fumier lui a tiré dans le dos pendant qu'il s'enfuyait par la fenêtre. Il avait 32 ans.
Je n'arrive pas à voir où elle veut en venir. Je ne sais même pas ce qu'elle faisait ici toute seule, ni pourquoi elle m'a intercepté un peu plus tôt.
— Non, il n'a pas trouvé judicieux de partager cette information avec moi.
Et je lui en suis reconnaissant.
— Je crois qu'il a eu de la chance. Être pris par surprise est une bonne chose.
Elle commence à me faire peur.
— Bah… Je ne saurais te dire.
Je n'y ai pas franchement réfléchi, mais le peu que j'y ai pensé, j'ai toujours songé que savoir était mieux, histoire de se préparer.
— Tu me diras comment D est mort ? demande-t-elle soudain, ses deux mains à mon col maintenant.
Cette proximité n'a pas l'air de l'incommoder, elle.
— Il n'avait pas l'air d'accord, tout à l'heure.
— Alors il est mort par surprise. Sinon il me l'aurait dit, déclare-t-elle.
— Pourquoi ça ?
Elle a l'air si certaine. Il y a bien une raison.
— Parce qu'il fera n'importe quoi pour me protéger. Je suis plus âgée que lui mais il se sent quand même obligé.
Je ne comprends toujours pas. Elle baisse les yeux.
— Te protéger ?
Je remonte sa tête en plaçant un doigt sous son menton. Elle semble triste, j'essaye d'être réconfortant, mais ça n'a jamais été ma plus grande qualité.
— J'étais malade. Depuis toute petite je savais que j'allais y rester jeune. D'un côté, j'ai toujours envié ceux qui ne savent pas quand leur tour viendra.
Elle dit ça sur le ton de la conversation, sans intonation particulière.
— Dwight a été pris par surprise, mais ça n'a pas été immédiat pour autant.
Je ne sais pas quoi répondre d'autre à un tel aveu. J'enlève ma main de sous le visage de Telrah.
— Tu étais là ?
Ses cils projettent de longues ombres sur ses pommettes.
— Oui.
Un silence s'en suit.
Au début, elle a l'air sincèrement compatissante. Et puis peu à peu, une autre idée semble lui traverser l'esprit. Mes pensées commencent à être embrouillées par son regard si intense, et j'ai du mal à décider si j'ai envie qu'elle me lâche ou non. L'étincelle dans ses iris est presque aveuglante, dans la semi-pénombre ambiante. Je sens sa respiration, brûlante contre ma peau. Elle se met sur la pointe des pieds pour pouvoir approcher son visage encore plus du mien, et vient murmurer à mon oreille, sa joue caressant la mienne.
— Pauvre Joshy. Comment fais-tu ?
Je déglutis, soudain dans une position délicate.
— Comment je fais quoi ?
Je parle bas, tactique étrange mais efficace pour que ma voix ne me trahisse pas.
— Comment fais-tu pour supporter tout ça ? Tout seul, je veux dire.
Son genou remonte délicatement le long de mon entrejambe et je retiens mon souffle.
— Er…
J'ai du mal à me concentrer.
— Tu as perdu ta langue ?
Elle tourne la tête, ses lèvres frôlant l'angle de ma mâchoire jusqu'à mon menton. Je ferme les yeux et serre les dents.
— Non.
J'essaye de faire le plus court possible.
— Alors pourquoi tu ne réponds pas ?
Je ne sais pas pourquoi mais je crois qu'elle, ça l'amuse beaucoup.
— Difficile.
Je grimace.
— Difficile ?
Pendant que sa main droite reste sur mon col, l'autre descend et se glisse sous ma chemise.
Un frisson me parcourt, me donnant la chair de poule. Je n'ose même pas respirer, et encore moins répondre. Bras le long du corps, poings serrés, yeux toujours clos, je fais de mon mieux pour ne pas totalement perdre la tête. Quelle mouche l'a piquée ? Je cherche une pensée désagréable à laquelle m'accrocher mais curieusement aucune ne vient, et pourtant ça n'est d'ordinaire pas ça qui me manque. La situation est frustrante dans tous les sens du terme.
Et puis alors, Telrah tombe. Je la sens se détendre d'un seul coup contre moi. J'ouvre immédiatement les yeux et je réceptionne la jeune femme avant qu'elle ne heurte le sol. C'est quoi, le délire ? Elle semble dans les pommes, tout simplement. Je vérifie ses signes vitaux mais autant que je sache tout est normal. (Il n'y a que quelques dérivations qui arrêtent les signes vitaux après la mort. Je précise parce que sinon vous vous direz que j'ai des réflexes nullissimes en cas d'urgence.) Je la soulève et la prend dans mes bras. Elle ne pèse pas lourd, c'est déjà ça. N'ayant aucun moyen de rattraper Torrek car ignorant totalement où il est allé, je décide de la ramener à la maison. J'aviserai ensuite.
Commentaires
Enregistrer un commentaire
Alors ? Ça vous a plu ?