Deuxième Jour - Oxymore (6/7)

Après avoir traversé la moitié de mon campus avec une jeune femme inanimée dans les bras, et ayant dû en plus faire plusieurs larges détours pour éviter de croiser qui que ce soit, j'arrive enfin chez moi. Je tambourine à la porte avec mon coude, tant bien que mal, et on m'ouvre. LeX tombe en arrêt devant le spectacle que moi et mon chargement offrons, mais s'écarte tout de même du passage sans hésiter, ce dont je lui suis reconnaissant. J'entre et dépose l'allégorie inconsciente sur le canapé, non sans avoir chassé Hannibal qui y était vautré.

Très vite, j'ai résumé mon après-midi en quelques phrases et nous sommes quatre penchés au-dessus du corps inerte, comme des fées sur un berceau. LeX a les yeux plissés, Vik un sourcil haussé, Hannibal un grand sourire, et moi un pli sur le front. Personne ne m'a posé de questions, et de toute manière je n'ai aucune explication à donner. Il ne s'est rien passé. Je n'ai rien fait pour qu'elle s'évanouisse. Enfin, je crois… J'espère juste qu'elle va bien. Je m'effondre dans un fauteuil, sans quitter Telrah des yeux pour autant.

— On devrait peut-être appeler son parrain, propose tout à coup la Botaniste, accoudée sur la têtière du canapé, son menton sur ses poings.

— Et comment on fait ça ? je lui rétorque.

— Il suffit de lui remettre son bracelet.

Elle dit ça comme si elle parlait à un demeuré, faisant rouler ses yeux.

— Quel bracelet ?

Elle n'a pratiquement pas de vêtements, pourquoi aurait-elle des bijoux ?

— Celui qui la lie à son parrain en cas d'urgence, explique LeX calmement.

— Mais où est-il ?

— Elle l'a sûrement sur elle… me répond H avec un mouvement des sourcils lourd de sous-entendus.

— Je m'occupe de la fouille, tranche la Messagère, mettant fin aux allusions de l'ange.

— Merci.

Ma voix n'est qu'un souffle. Je doute que qui que ce soit ait entendu, mais peu importe. Je cache ma tête dans mes mains, fatigué.

— Tadaa !

Rapide en recherche, la blondinette.

Avec habileté, LeX passe le bracelet brésilien à la cheville de sa propriétaire, puis vient prendre place dans le second fauteuil, pas loin de moi. Je m'attendais à ce que quelque chose advienne, mais non, rien de théâtral, pas de lumière ou d'effets spéciaux. Je jette un coup d'œil sceptique à H et Vik, mais apparemment c'est normal. Personne n'est choqué de l'apparente banalité de la scène. Je hausse les épaules. Trop de fantastique rend la normalité moins habituelle qu'elle ne devrait l'être.

— Et maintenant ?

— Dans quelques minutes, si c'est un bon parrain, il va débarquer. Certaines infos centrales filtrent par le bracelet, il saura ce qui s'est passé, statue LeX.

Et bien sûr, dans ce qui s'est passé, je suppose qu'il faut aussi inclure l'incident de ce matin. J'ai du mal à juger si c'est une bonne chose ou non que Torrek sache ça.

— C'est un bon parrain, fais-moi confiance.

Je me rends compte que mes propos sont absurdes un peu tard. LeX ne fait confiance à personne. Heureusement, elle ne relève pas.

— Dès qu'il sera là, on emmènera Telrah voir June.

— Qui ça "on" ? demande Hannibal, me devançant.

— Vikt et moi.

— Hein ?

Je n'ai pas réussi à le retenir, celui-ci.

— On va faire une soirée filles. Et puis vous, pendant ce temps, vous ferez une soirée mecs.

Elle me lance un grand sourire. Je lui donnerais à peine 16 ans lorsqu'elle fait ce genre de tête.

— Qu'est-ce que vous allez lui faire ?

Inutile de vous dire que je ne gobe pas son histoire.

— La réveiller, pour commencer. Et après on va discuter.

Pour être tout à fait honnête, je ne pensais pas qu'elle répondrait à ma question. Et encore moins qu'elle me répondrait ça.

— Pourquoi ?

— Parce qu'on est des filles et que c'est ce que font les filles pour résoudre un problème.

Cette fois, sa réponse est un peu plus sèche.

— Un problème ? j'insiste pourtant.

— Cette question est précisément l'une des raisons pour lesquelles on va rester entre chromosomes X pour la soirée.

Ça clôt le débat.

Personne ne dit plus rien jusqu'à ce que Torrek soit là. Il toque poliment mais entre comme une tornade, se précipitant au chevet de sa précieuse filleule. Le soulagement apparent sur son visage au moment où il la voit me rassure quant à son état. Rien de grave. LeX dit quelque chose au parrain, mais trop vite pour que mes oreilles puissent capter. Cependant, il hoche la tête à ses mots, ce qui est bon signe. Après une minute agenouillé près du canapé, il se relève et ôte sa veste, qu'il balance sur l'un des accoudoirs du fauteuil dans lequel j'étais assis un instant plus tôt.

— Alors, comme ça on met ma filleule hors-jeu sans même le faire exprès ? dit-il en se retournant vers moi.

Il n'y a pas d'animosité en lui, mais je suis pris au dépourvu.

— Pardon ?

— Il n'y a pas que ton Tuteur qui est spécial.

Il remonte les manches de son pull tout en me jaugeant d'un regard tranchant.

— C'est moi qui ai fait ça ?

Je pointe Telrah. Ils auraient pu me le dire avant, s'ils savaient que j'étais responsable !

— Il semblerait, oui.

Mon ignorance le fait une fois de plus sourire. Je suis désabusé.

— Je suis vraiment, vraiment désolé.

Il secoue la tête.

— Ne t'en fais pas pour ça, elle s'en remettra. Vous la ramenez quand ?

La question est pour les deux filles conscientes de la pièce. Hum. Apparemment, je me trompais, il n'est pas obligé de faire son "truc" tout le temps. Ou alors peut-être y sont-elles insensibles.

— On viendra te chercher quand Lil'Hu dormira.

LeX ne doit le vouvoiement à personne, de toutes évidences.

Je soupire, blasé d'être parmi les seuls à avoir besoin de sommeil. À peine Telrah est-elle emmenée dans un éclair de lumière jaune, dans lequel disparaissent également LeX et Vik, qu'Hannibal a déjà retrouvé le canapé. Je choisis donc le fauteuil vide et Torrek occupe celui sur lequel il a mis sa veste. Je ne me souviens pas d'avoir déjà fait "une soirée mec". C'est débile, comme expression, en plus. Je vais pour soupirer à nouveau lorsqu'un bruit que je connais bien se fait entendre. Je bondis comme un diable hors de sa boîte et vais ouvrir la porte, fébrile.

— Où étais-tu ?

Ce bruit, c'était bien entendu celui d'une explosion en boîte.

— Que'que part.

Dwight hausse les épaules, faisant dégouliner les gouttelettes qui constellent ses vêtements. Où qu'il soit allé, il pleuvait. Je ne peux pas retenir mon sourire plus longtemps.

— Tu sais ce que c'est, toi, une "soirée mecs" ?

Je marque les guillemets du geste et il penche la tête sur le côté.

— Qu'est-ce t'as encore fait quand j'tais pas là ?

Il sourit mais n'éclate pas de rire. Mince, cette histoire avec Telrah doit l'avoir beaucoup travaillé pour qu'il en soit à se priver d'une occasion de sa payer ma tête.

— C'est…

— … long ? propose-t-il en entrant.

— J'allais dire compliqué, mais long n'est pas mal non plus.

Je referme derrière lui.

— Un truc à la fois compliqué et long qu'mène à une soirée entre mecs ? Sérieux ?

Le Jumper enlève sa veste, qu'il dépose sur un tabouret dans la cuisine. Il n'a toujours pas vu Torrek, qui a l'air de se complaire dans le silence de H, au salon.

— C'est ça.

Je hoche la tête. Je n'ai pas hâte d'en arriver au moment où je lui annonce le malaise de Telrah, et surtout que c'est moi qui l'ai causé.

— C'quoi ?

— Long et compliqué, tu viens de le dire.

D'accord, échappatoire minable, je vous l'accorde.

— Nan mais c'qui s'est passé.

Il secoue la tête, éclaboussant autour de lui. Il voit clair dans mon jeu, bien entendu. Il lui arrive parfois d'être plus perspicace qu'illogique.

— J'ai croisé Telrah cet après-midi et… elle a fait un malaise.

Il sort la tête du frigo dans lequel il est en train de farfouiller et me regarde bizarrement.

— Elle va bien ?

Il ne m'a pas sauté dessus comme je m'y attendais. Bon début.

— Oui. Elle est à l'infirmerie avec June, Vik, et LeX.

Détail par détail, ça passera peut-être.

— Qu'est-ce qui lui est arrivé ?

Mais il est curieux, le bougre.

— Bah… Apparemment… Apparemment ce serait ma faute.

Je débite ça d'un coup, mais je suis abruti de croire que je peux le semer dans n'importe quel domaine grâce à de la vitesse.

— Qu'est-ce t'as foutu ?

Il sort une pile de pizzas du réfrigérateur. Il fait ça tellement souvent qu'il n'a pas besoin d'être concentrer sur sa tâche.

— Je n'en sais absolument rien !

Je lève les mains en signe de reddition. On ne me l'aurait pas dit, je ne me serais même pas douté une seule seconde que c'était ma faute.

— Mais elle va bien ? demande Dwight à nouveau.

— Oui… Oui, je te l'ai déjà dit !

Étrange, il n'aime pas les répétitions, d'ordinaire. Sûrement la situation n'a-t-elle rien d'ordinaire, au final.

— Bon, ben ç'va, alors.

Il hoche la tête une fois et met la première pizza de la pile dans le four.

— Attends, attends… Ça ne t'embête pas plus que ça que j'ai mis ton ex dans les vaps ?

Je provoque peut-être le diable, mais ça m'étonne toujours, quand il est plus calme que moi.

— T'm'as dit qu'elle allait bien !

Il se tourne vers moi comme si je venais de dire la chose la plus inattendue du monde.

— Deux fois, je confirme.

— Bah alors ouais, ça m'embête pas plus qu'ça ! Surtout s't'as pas fait exprès. T'voulais quoi ? Qu'j'te frappe ? Si c'est qu'ça, ç'peut s'arranger…

En fait, c'est comme un instinct chez lui, de toujours adopter l'humeur qui est le rebond de la vôtre, de prendre le contrepied de votre état mental, comme pour égaliser l'ambiance. Ça peut devenir très irritant, mais ça fait également une grande partie de son charme.

— Er… Non, merci.

Une partie de moi se demande s'il est sérieux.

— Rhâ, vieux, t'verrais ta tête !

Il se marre. Enfin une réponse rationnelle. Tout du moins rationnelle selon ses critères.

Bon, en r'vanche, j'pas compris l'truc d'la soirée mecs. Pour qui j'prépare la bouffe, là ?

Je me disais aussi qu'il avait beau avoir bon appétit, il ne mangerait jamais ça tout seul. Mais, préoccupé par sa réaction à mon récit, je ne pensais pas qu'il réagirait aussi vite à cette histoire de soirée.

— Pour le moment, il n'y a que H et Torrek avec nous, mais Perry va sûrement rentrer à un moment ou un autre.

Je considère que le Jardinier vit avec nous, même si ça n'est pas franchement le cas.

— Torrek ? L'parrain d'Tel' est ici ?

À la bonne heure ! Au moins quelque chose que je n'aurai pas à expliquer.

— Tu le connais ?

— Elle m'a parlé d'lui c'matin.

Il hausse les épaules et règle le four. Il sait mieux s'en servir que moi, maintenant.

— Cool. Ben… Il est là. Ils partiront dans la nuit.

Je n'ai pas besoin de préciser que "ils" désigne Torrek et Telrah.

— Hum. Et sinon, c'te soirée, elle a une raison d'être ?

Je sens à son "hum" que la nouvelle ne l'enchante pas mais qu'il ne désire pas élargir le sujet. Je respecte sa volonté. À la trappe, ma conversation.

— Idée de LeX. Soirée mecs car soirée filles.

Je fais un geste d'incompréhension avec les mains, mais il regarde sa pizza gonfler.

— C'diablement stupide.

Le jour où il mâchera ses mots n'est pas arrivé.

— Moi non plus, je n'arrive pas à voir d'où vient (et où va) son raisonnement.

— C'est p't-ê'te lié à sa discu' a'c Vik c'midi.

Il ne me regarde toujours pas. Il a dit ça comme ça, comme si c'était une hypothèse vraiment improbable.

— Peut-être.

Je marque une pause. Moi, je trouve que le lien n'est pas si insensé.

Tu te fais toujours passé pour plus bête que tu ne l'es, tu le sais, ça ?

— Ouais, j'le sais.

Le Jumper lève enfin les yeux vers moi, une immense sourire aux lèvres. Je lui assène une tape derrière la tête qu'il essaye à peine d'esquiver.

— Je peux t'aider ? je propose.

— Trouves des trucs qu'je s'rais capable d'boire et amène-les aux autres.

Quelle autorité, tout à coup.

— Pourquoi ?

— Pa'ce qu'une soirée mec c'est plus ou moins êt'e moi l'espace d'un soir, explique-t-il d'un air grave.

Décidément, il me manque certaines bases dans la vie.

— Ah oui ?

Cela ferait de sa vie une soirée interminable. Pas si incroyable que ça.

— F'confiance à l'expert, t'veux ?

— À vos ordres, Général.

Je lui accorde un salut militaire et m'attelle à la tâche qui m'a été assignée.

Son régime alimentaire n'est pas compliqué, il est donc facile de collecter les éléments liquides qui le composent. Ça me semble bien futile de rassembler des bouteilles de sodas pour une soi-disant soirée après une journée comme celle-ci, mais en même temps j'ai l'impression que ça rentre parfaitement dans l'ordre des choses, sans que je puisse me l'expliquer. Je retiens un bâillement et transporte mon chargement dans le salon, où Torrek a réussi l'exploit de faire parler Hannibal. Je dépose ce que j'ai dans les bras et plisse les yeux.

— Même pas un peu ? interroge l'allégorie, toujours aussi élégant dans son fauteuil.

— Ni à l'un, ni à l'autre. Comme je te le dis.

On ne peut pas en dire autant de l'ange, qui a les jambes plus en hauteur que la tête.

— C'est peut-être parce qu'il ne les a jamais vu faire ce genre de choses, propose Torrek comme une explication au phénomène dont ils sont en train de discuter.

— Pas besoin de voir le résultat d'un gène pour l'exprimer. Et il y a des traits de caractère qu'il n'est pas censé leur avoir vu qu'il copie à la perfection.

Ah, je crois que j'ai compris.

— On parle de moi ? j'interromps avec tact.

— Ouip.

H ne s'en cache même pas. Comment lui en vouloir, dans ces conditions ?

— Je ne m'étais pas rendu compte de qui tu étais, Lil'Hu, ajoute Torrek sur un ton révérencieux, me jetant cette même œillade perçante que tout à l'heure.

— Et voilà, fini. Je ne peux jamais être un simple Magnet bien longtemps, pas vrai ?

Ma remarque les fait rire tous les deux, et je vais m'asseoir à leurs côtés en secouant la tête.

On entend Dwight pester à côté. Autant que je peux en juger, il s'est brûlé avec la porte du four puis s'est entaillé l'index avec l'une des boîtes en carton. Et ce sur la même main. Nul ne commente sa maladresse. Le silence est retombé sur le salon mais ça n'embête personne. Hannibal raffole du silence, Torrek ne semble pas s'en formaliser, et moi j'en ai bien besoin de temps en temps. Je balance ma tête en arrière, sur le dossier de mon fauteuil. Comme pour Dwight et les nuages, je peux presque distinguer ce que H trouve d'attirant aux plafonds. J'ai bien dit presque.

La pièce est toujours figée comme un tableau de maître lorsqu'une lumière rouge pointe dans un coin de mon champ de vision. Je relève la tête pour observer la lueur se faire plus intense et plus large, au ras du sol. Hannibal reste sans réaction, mais Torrek paraît intrigué et tourne la tête. Une telle circulation de dérivés dans un même lieu, c'est vrai que ce n'est pas supposé être aussi naturel. Bientôt Perry apparaît, un genou à terre, tête baissée, son masque sur le visage, en T-shirt blanc et jeans noir, comme ce matin. Le Jump est plus rapide mais beaucoup moins classieux que cette méthode.

— J'ai raté quelque chose ?

Perry se relève et époussette le bas de son T-shirt.

— Perry, Torrek. Torrek, Perry. Mais er… Vous n'allez pas vous sauter dessus, au moins ?

Je me rends compte que si Viky a attaqué Telrah, ça avait peut-être à voir avec son alignement. Et Perry a beau être suspendu, il respire la bonté.

— Nous ne sommes pas des sauvages ! me rétorque-t-il cependant avec une expression choquée par mon sous-entendu.

— Oui mais…

Torrek me fait taire en secouant légèrement la tête de gauche à droite.

— Un jour, tu comprendras pourquoi elle a fait ça… m'assure-t-il.

Il pose sa main sur mon épaule avec un regard entendu. Ce qu'il y a de bien avec les divers flux psychiques, c'est qu'ils permettent une libre circulation de l'information. Torrek a reçu la rediffusion de l'incident de ce matin par Telrah, par l'intermédiaire de son bracelet, même alors que celle-ci était toujours dans les limbes, et maintenant Perry sait tout en le lisant directement dans l'esprit du parrain. Fabuleux.

— Chaud d'vant ! annonce alors Dwight, amenant une quantité impressionnante de pizzas, pour une personne avec seulement deux mains.

— De la junk food… ? commente le Jardinier comme pour lui-même, mains dans les poches.

— Au cas où t'aurais pas r'marqué, c'est soirée mecs, déclare Dwighty, tout fier de ses préparatifs.

— Sur une idée de filles, mais soirée mecs quand même… je complète tout bas, faisant pouffer H.

— Je préfère ne pas savoir, conclut sagement le dernier arrivé en souriant de son célèbre sourire en coin.

Mon salon peut techniquement accueillir six personnes. Nous ne sommes que cinq, mais hélas Hannibal s'est mis en tête de prendre de la place pour quatre. Dwight se retrouve donc sur une chaise à l'envers qu'il a prise dans ma chambre, et Perry s'assoit à même le sol, assurant qu'il préfère. Plusieurs sujets de conversation sont lancés, sans grand intérêt mais avec le mérite d'être distrayants. Bien que seuls trois d'entre nous aient réellement besoin de se nourrir, personne ne refuse les pizzas de Dwight, qui ont même un surprenant succès. Après un incident entre le tapis et une bouteille de soda à moitié pleine dont le bouchon a été égaré, on écarte la réserve de boissons de Dwight, et la soirée peut reprendre son court.

Finalement, je me retrouve à ne plus rien avoir à dire, et en profite pour observer le colloque improvisé entre tous ses dérivés, d'âges, de natures, d'alignements, et de tempéraments variés. Un Jardinier Suspendu millénaire, discret mais pointu dans ses interventions. Un ange mécanique de plusieurs siècles, qui répond en décalé à toutes les questions qu'on lui pose, parfois même répondant à des questions qui n'ont pas été formulées par qui que ce soit. Un Jumper dans la vingtaine, qui s'exprime à grand renfort de geste. Et une Incarnation de la Luxure à peine centenaire, qui pèse ses mots mais n'en est pas avare pour autant.

À les voir tous comme ça, si on ne s'attarde par sur des détails tels que la paille de Perry bougeant toute seule dans son verre, on dirait vraiment une bande de potes, normaux, en plein dans leurs années de fac, peut-être à l'aube de leur vie professionnelle. C'est troublant. C'est comme si deux réalités se superposaient, et que l'illusion n'était pas celle à laquelle on s'attendrait. À chaque fois que je rencontre un nouveau dérivé j'apprends quelque chose, qu'il me le dise directement ou que je le devine par moi-même. Au crépuscule de cette journée, une seule leçon parmi toutes demeure dans mes pensées. Le Mal n'a pas que de mauvais côtés. Je n'y avais pas songé, et ça ne va rendre mon Choix final que plus difficile.

 

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